Intérieur d'un datacenter OVHcloud

Un cloud qui libère

Dossier : Cloud, Data & IAMagazine N°773 Mars 2022
Par Michel PAULIN (81)

Fon­dée en 1999, l’entreprise fran­çaise est aujourd’hui le lea­der euro­péen du cloud et occupe donc une place pri­vi­lé­giée dans le pay­sage du sec­teur. Le direc­teur géné­ral d’OVHcloud, Michel Pau­lin (81), nous donne son point de vue sur les grands enjeux actuels de la rela­tion entre cloud et IA.

Quelle est la spécificité de l’approche d’OVHcloud dans le domaine du cloud ?

En pre­mier lieu, nous esti­mons que le futur du cloud passe par le mul­ti­cloud (un client avec plu­sieurs four­nis­seurs de cloud) et le cloud hybride (mélange de cloud public, de cloud pri­vés, de cloud edge, et de cloud qui sont dans les data cen­ters des clients eux-mêmes, « on premises »).

En second lieu, nous sou­hai­tons que le cloud soit ouvert, réver­sible, trans­pa­rent. De la même manière qu’aujourd’hui la por­ta­bi­li­té du numé­ro de télé­phone nous semble évi­dente dans le sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions, les don­nées doivent être réver­sibles dans le cloud : c’est une condi­tion sine qua non. Gart­ner ana­lyse que les clients sont de plus en plus vic­times des méca­nismes d’enfermement tech­niques et finan­ciers de cer­tains acteurs. La réver­si­bi­li­té est donc un enjeu majeur, tout comme la pré­vi­si­bi­li­té des prix.

Aujourd’hui, l’enjeu d’écoresponsabilité des don­nées devient cri­tique. Nous avons été pion­niers dans cette approche, en déve­lop­pant et en déployant des tech­no­lo­gies de refroi­dis­se­ment par eau qui nous font consom­mer de 30 à 50 % d’énergie de moins que nos concur­rents, et ceci dès 2003. Nous n’utilisons pas l’air condi­tion­né. Nous aurons atteint avant 2025 l’objectif zéro car­bone sur l’ensemble de notre chaîne, incluant nos usines et la logis­tique ; et avant 2030 nous serons à zéro car­bone sur la tota­li­té de la chaîne, en incluant nos four­nis­seurs. À ce stade, nos res­sources sont consti­tuées à 79 % par les éner­gies renou­ve­lables, et elles le seront à 100 % avant 2025.

Enfin, notre modèle indus­triel est unique. Nous construi­sons et nous conce­vons nos data cen­ters et nos ser­veurs, dans deux usines : l’une à côté de Mont­réal, et l’autre dans le nord de la France. C’est un modèle qui nous per­met d’être plus éco­res­pon­sables, mais aus­si plus rési­lients, plus inno­vants, et de conce­voir des solu­tions par­mi les plus com­pé­ti­tives au monde.

Croyez-vous aujourd’hui dans un espace européen du numérique avec des réelles spécificités ?

OVH­cloud s’évertue à conso­li­der un éco­sys­tème euro­péen. Nous n’avons pas beau­coup d’acteurs capables de riva­li­ser avec les grandes entre­prises amé­ri­caines ou chi­noises, mais ces éco­sys­tèmes ayant créé les cham­pions du numé­rique ne sont pas appa­rus par hasard. On entend trop sou­vent que nous ne riva­li­sons pas à cause d’une inca­pa­ci­té à pro­duire un mar­ke­ting puis­sant. Or, ce n’est pas une ques­tion de culture : nos géants fran­çais du luxe sont la preuve du contraire ! Ces entre­prises chi­noises ou amé­ri­caines sont pro­pul­sées par la com­mande publique, par la régu­la­tion, par la régle­men­ta­tion et par la confiance des grands groupes locaux : c’est un élé­ment décisif.

Ces réus­sites montrent aus­si l’exemple en termes de rela­tions public/privé avec de grands centres de recherche comme ceux de la NASA, de la CIA, de la NSA. Les grandes uni­ver­si­tés amé­ri­caines (Stan­ford, le MIT, Har­vard, Cal­tech…) créent des éco­sys­tèmes ver­tueux pour favo­ri­ser l’innovation. Nous essayons, à notre mesure de contri­buer à for­mer cet éco­sys­tème favorable.

Notre convic­tion, c’est qu’il n’y a pas de fata­li­té : la Com­mis­sion euro­péenne, les États membres, les uni­ver­si­tés doivent être exem­plaires. Il est dom­mage que l’on ait ten­dance à créer et à mettre en avant des par­te­na­riats avec de grands acteurs amé­ri­cains plu­tôt qu’européens, pour une ques­tion d’image ou de pres­tige. Car nous avons dans l’écosystème fran­çais de vraies pépites : Teh­tris, Whal­ler, Lydia, Qare, Talent­soft, Lina­go­ra, Datai­ku, Shift Tech­no­lo­gy… la liste est longue ! Ce sont des entre­prises fan­tas­tiques avec des entre­pre­neurs de grand talent, et des solu­tions de qua­li­té, qui ne sont aidés ni par les grands groupes ni par l’État.

Plus précisément, que nous manque-t-il à ce niveau ?

Nous ne deman­dons pas de finan­ce­ment. Ce qui nous manque, ce sont des com­mandes publiques, et des com­mandes des grands groupes. Aujourd’hui, l’essentiel s’envole vers des solu­tions hors de l’écosystème européen.

Que représente pour vous l’enjeu de l’IA dans l’industrie du cloud ?

Tout d’abord, un pre­mier élé­ment de contexte : le cloud va être au cœur de toutes les éco­no­mies numé­riques. Le mar­ché du cloud repré­sente déjà 300 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires, ce sera 700 mil­liards à l’horizon 2025. On estime que le mar­ché du cloud sera plus grand que le mar­ché des Télé­coms avant 2027 en Europe. Les tech­no­lo­gies du cloud sont un des « trac­teurs » de la com­pé­ti­ti­vi­té du sec­teur mais aus­si des entre­prises qui uti­lisent le cloud. C’est-à-dire, toute notre économie !

Concer­nant l’IA, si les entre­prises veulent avoir accès à des tech­no­lo­gies uti­li­sant des GPU, elles devront uti­li­ser un ser­vice cloud. C’est lui qui peut démo­cra­ti­ser l’utilisation de l’IA, sans quoi elle sera réser­vée aux orga­ni­sa­tions dis­po­sant d’instances GPU, extrê­me­ment coû­teuses. Le cloud joue­ra d’ailleurs ce même rôle pour les tech­no­lo­gies quan­tiques. Le déve­lop­pe­ment démo­cra­tique et acces­sible de ces sec­teurs passe déjà par le cloud et ce mou­ve­ment va encore s’accélérer.

Et si c’est le cloud qui fait avan­cer l’utilisation et le déve­lop­pe­ment autour de l’IA, il faut que nous ayons en Europe des capa­ci­tés de cloud indé­pen­dantes. Ain­si nous pour­rons aider l’écosystème de l’IA à se déve­lop­per sur des tech­no­lo­gies de confiance pour appor­ter toute la pro­tec­tion néces­saire aux don­nées par­fois les plus cri­tiques (san­té, finance, admi­nis­tra­tion…). OVH­cloud ne tra­vaille pas seul : nous comp­tons plu­sieurs cen­taines de par­te­naires tech­niques, com­mer­ciaux ou tech­no­lo­giques à tra­vers le monde. Ensemble, nous inves­tis­sons beau­coup sur le déve­lop­pe­ment de cet éco­sys­tème, dans le res­pect des valeurs euro­péennes de la pro­tec­tion des données.

Réciproquement, l’IA a‑t-elle un impact sur le développement du cloud ?

Tous les outils autour du sup­port, autour du diag­nos­tic, les sys­tèmes dans les­quels on ana­lyse des mil­liers de don­nées pour être capable de faire des ana­lyses de log, des ana­lyses de metrics, peuvent et doivent uti­li­ser l’IA. Nous vou­lons être à la fois uti­li­sa­teurs et pro­mo­teurs de l’IA.

C’est donc un enjeu majeur pour le marché dans votre secteur ?

C’est un enjeu de déve­lop­pe­ment, de mar­ché, mais aus­si un enjeu de sou­ve­rai­ne­té. Les valeurs euro­péennes sont aujourd’hui les valeurs les plus avan­cées concer­nant la pro­tec­tion des don­nées des indi­vi­dus, des entre­prises, des États. Ce débat existe déjà, et il va deve­nir de plus en plus cen­tral : regar­dez la guerre tech­no­lo­gique que mènent les USA et la Chine, il serait incon­ce­vable que l’Europe n’ait aucun rôle dans cette tec­to­nique des plaques numérique !

Il est très impor­tant que l’Europe se dote d’une régu­la­tion autour du cloud. Le cloud est régu­lé dans tous les pays, mais pas en Europe. On pré­fère s’intéresser à la régu­la­tion de la taille des bananes ! Récem­ment, les Amé­ri­cains ont déci­dé de dépen­ser 100 mil­lions d’euros en lob­bying pour sup­pri­mer les régu­la­tions de l’espace numé­rique euro­péen en pro­jet, DSA et DMA. Nous avons certes mis en place le RGPD, dont nous pou­vons être fiers, mais l’industrie n’est pas régu­lée. Or, les États-Unis l’ont fait, tout comme la Chine, l’Inde, Sin­ga­pour. Nous avons aujourd’hui besoin d’actes et de déter­mi­na­tion. La doc­trine de l’État a défi­ni des cri­tères très pré­cis et très clairs ; encore faut-il les appliquer.

L’enjeu réside éga­le­ment dans le défi des talents. Nous avons la chance d’avoir en France par­mi les plus beaux labo­ra­toires d’IA au monde et sans sur­prises, les grandes entre­prises amé­ri­caines y ins­tallent leurs centres R&D. L’investissement aca­dé­mique est plus que jamais cru­cial pour gar­der ces com­pé­tences en Europe. Cha­cun dans son rôle doit contri­buer à défendre notre excel­lence et nos valeurs dans ce domaine.


En bref

  • 33 data cen­ters et 400 000 ser­veurs prin­ci­paux actifs 
  • 1,6 mil­lions de clients du groupe
  • Lea­der euro­péen du cloud

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