Notre foi dans ce siècle

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°575 Mai 2002Par : Michel ALBERT, Jean BOISSONNAT et Michel CAMDESSUSRédacteur : Jean-Daniel LE FRANC (53)

Voi­là un livre ori­gi­nal à plus d’un titre. D’abord parce qu’une par­ti­tion à six mains n’est pas si fré­quente sur­tout lorsqu’il s’agit de trois per­son­na­li­tés connues du public, intel­lec­tuels mais aus­si hommes d’action res­pon­sables qui, au lieu de s’opposer pour s’affirmer comme on le voit sou­vent, se conjuguent et se com­plètent dans une même espérance.

Ori­gi­nal aus­si, car ce livre s’enracine dans une foi chré­tienne par­ta­gée, et que, par­tant de là, il pro­pose plu­sieurs uto­pies réa­li­sables impor­tantes. Comme le sou­ligne son titre, ce livre apporte un espoir, pour nous qui vivons dans ce siècle, pour notre conti­nent et pour le monde.

Car, comme l’affirment nos auteurs, “ ce monde va mieux. Bien mieux. ” Et c’est une rai­son sup­plé­men­taire pour rele­ver les défis qu’il pose : les inéga­li­tés, l’impuissance des poli­tiques, l’homme ins­tru­men­ta­li­sé par cette même poli­tique, mais aus­si par l’économie ou par la science…

Abor­dant les pro­blèmes du monde, la deuxième par­tie du livre décrit alors des solu­tions concrètes qui se veulent à la fois uto­piques et res­pon­sables. C’est dire qu’elles ouvrent “ des che­mins à défri­cher ”, et qu’elles sont volon­tai­re­ment limi­tées dans leurs ambi­tions pour être réalisables.

D’abord l’Europe – trait d’union fort entre les trois auteurs – tou­jours chan­tée et pro­mue, comme on le sait, par le talent de Michel Albert, appe­lée à se fédé­rer et à en inven­ter les moyens. C’est aus­si notre Patrie qui, dans cet ensemble, prend aujourd’hui un nou­veau poids. Et parce que nous aimons notre France comme une mère, le mot de “ matrie ” nous est suggéré.

Un cha­pitre est consa­cré à une nou­velle éco­no­mie sociale de mar­ché. Cha­pitre cou­ra­geux au moment où la Soziale Markt Wirt­schaft alle­mande affronte les dif­fi­cul­tés que l’on sait, alors que le capi­ta­lisme rhé­nan résonne des accords du “ Requiem alle­mand ”. Mal­gré tout les auteurs parient sur l’avenir de ce modèle où les réfé­rences à l’homme demeurent essen­tielles et com­mandent aux lois d’airain de l’économie.

Tout natu­rel­le­ment la mon­dia­li­sa­tion, ses enjeux et ses risques font l’objet de longs déve­lop­pe­ments. On n’oublie pas en les lisant que l’un des auteurs a été direc­teur géné­ral du FMI et que son expé­rience des situa­tions concrètes a sans doute ins­pi­ré lar­ge­ment ces réflexions.

Com­ment réduire la pau­vre­té, consé­quence prê­tée, sou­vent à tort, aux excès de la mon­dia­li­sa­tion ? La réduire c’est “ réha­bi­li­ter le don ” car celui-ci “ éta­blit une his­toire de fra­ter­ni­té entre les hommes ”.

L’Église catho­lique elle-même est appe­lée à se réfor­mer et les auteurs pro­posent des mesures concrètes car “ sa struc­ture actuelle ne peut être main­te­nue sans risques pour sa mission ”.

Certes ces sujets ne sont pas nou­veaux, même s’ils sont tous actuels. Ce qui est ori­gi­nal, c’est non seule­ment qu’ils sont trai­tés avec la clar­té d’exposition et la lim­pi­di­té aux­quelles Jean Bois­son­nat a visi­ble­ment prê­té son talent, mais c’est sur­tout que ces réflexions débouchent sur des pro­po­si­tions, on l’a dit, uto­piques mais véri­fiables. On en compte vingt, très variées, de l’énergie à l’immigration, de la sécu­ri­té au dia­co­nat des femmes. Elles sont toutes “ dis­cu­tables ” et l’on doit espé­rer qu’elles seront dis­cu­tées car elles touchent aux sujets les plus importants.

Bien sûr, cer­tains cri­ti­que­ront la sévé­ri­té des juge­ments por­tés sur les États-Unis, leurs entre­prises et leur poli­tique sociale, d’autres esti­me­ront que les ins­ti­tu­tions et les struc­tures répon­dront mal aux espoirs des auteurs, crai­gnant que leur effi­ca­ci­té se réduise à mesure que croît le champ de leurs ambi­tions. On s’offusquera peut-être de pré­tendre dis­soudre la Patrie dans la Matrie !…

Mais l’essentiel n’est pas là. Au moment où ce siècle, à l’aube de son deve­nir, se pose avec acui­té la ques­tion des rela­tions entre le fait reli­gieux et le gou­ver­ne­ment des nations, ce livre apporte une contri­bu­tion impor­tante. Ses auteurs sont infor­més et lucides. Pen­dant des années, ils ont agi sur les affaires du Monde. Ils connaissent la ques­tion. Il faut les lire.

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