Carte de Londres établie par Nathan Yau, en utilisant l’application de course à pied RunKeeper.

L’espace urbain à l’épreuve des nouvelles mobilités

Dossier : Urbanisme et mobilitéMagazine N°738 Octobre 2018
Par Thierry de DINECHIN

Nou­velles mobi­li­tés, crois­sance urbaine et déve­lop­pe­ment durable sont au cœur des défis que l’urbaniste doit rele­ver. Pour ima­gi­ner les dis­tri­bu­tions spa­tiales de demain, il peut s’inspirer des leçons de l’histoire mais doit aus­si se gar­der des idées sim­plistes et de toute forme d’idéologie.

Should I stay or should I go ?

If I go, there will be trouble

And if I stay it will be double

So come on and let me know

The Clash, album Com­bat Rock, 1981


Carte de Londres éta­blie par Nathan Yau,
en uti­li­sant l’application de course à pied RunKeeper.

Voi­ci que les routes, les che­mins, les voies, les tra­cés que nous emprun­tons sont aujourd’hui le sujet d’une « révo­lu­tion des mobi­li­tés » : nous sor­tons de l’ère du trans­port pri­vé ou public, pour vivre dans le monde de l’hypermobilité. Cette hyper­mo­bi­li­té invente de nou­veaux che­mins, de nou­veaux liens, tant dans le monde réel que dans le monde vir­tuel. Les livres, les col­loques, les thèses s’additionnent les uns aux autres pour pen­ser ce bou­le­ver­se­ment, qu’auscultent urba­nistes et archi­tectes, spé­cia­listes du trans­port, socio­logues et phi­lo­sophes, ouvrant des pistes tou­jours plus nom­breuses à la réflexion. Il est donc néces­saire, sur­tout pour un article court, de bien cadrer le pro­pos que je vous invite ici à par­ta­ger : nous cher­che­rons donc sim­ple­ment à com­prendre com­ment les nou­velles mobi­li­tés impactent et modi­fient l’espace urbain. 

« L’espace urbain » ? Mais la ville, est-elle bien un objet spatial ?

Dans l’espace-temps dans lequel nous évo­luons, nous pour­rions presque dire que sym­bo­li­que­ment la ville est liée à l’espace, alors que le che­min est lié au temps. L’idée est sédui­sante et riche de déve­lop­pe­ments, et sans doute nous serions sui­vis par bon nombre d’urbanistes « ortho­doxes », ceux qui viennent de l’architecture et du génie civil en tout cas, et qui conçoivent clas­si­que­ment la ville comme une matière, un sujet de des­sin, et donc comme un objet spa­tial. Mais le monde qui vient a pour carac­té­ris­tique d’abolir l’espace. Que reste-t-il ? La rela­tion, la ren­contre, que les réseaux qui sont leur sup­port tech­no­lo­gique n’empêchent pas d’être bien réelles. Cela est tel­le­ment vrai que de nou­velles car­to­gra­phies urbaines émergent, fon­dées sur l’observation des dépla­ce­ments des habi­tants, que ce soit en vélo ou à pied, par exemple. 

L’urbaniste amé­ri­cain Mel­vin Web­ber a magis­tra­le­ment théo­ri­sé depuis bien long­temps cette « ville » dont la réa­li­té est fon­dée sur les rela­tions et les réseaux qui les sou­tiennent, et beau­coup moins sur une quel­conque orga­ni­sa­tion spa­tiale. Il écrit en 1963 : « J’ai sug­gé­ré que la quin­tes­sence de l’urbanisation n’est pas la den­si­té ni l’agglomération de popu­la­tion mais la spé­cia­li­sa­tion, l’interdépendance réci­proque et les inter­ac­tions humaines grâce aux­quelles ces inter­dé­pen­dances sont satis­faites. Vu sous cet angle, l’établissement humain est l’adaptation de l’espace aux besoins des acti­vi­tés et des spé­cia­listes inter­dé­pen­dants en termes de com­mu­ni­ca­tions à moindres coûts. Il est donc utile de regar­der la ville spa­tiale comme un sys­tème de com­mu­ni­ca­tions, comme un tableau de com­mu­ta­tions extrê­me­ment com­plexe à tra­vers lequel des mes­sages et des biens de toute nature sont acheminés. » 

En libé­rant nos esprits d’une vision pure­ment spa­tiale de la ville, nous sommes alors prêts à com­prendre que les nou­velles mobi­li­tés s’apprêtent à trans­for­mer la ville dans ses espaces, certes, mais aus­si à « réini­tia­li­ser » le sys­tème de connexions et rela­tions qu’elle consti­tue aus­si. Cor­ri­geons donc le titre de cet article, pour écrire : La ville à l’épreuve des nou­velles mobilités. 

Joseph Wood, City University London,  Carte de Londres établie en utilisant  les trajets enregistrés des bicyclettes  de location, publié  dans New Scientist,  The Guardian  et The Economist.
Joseph Wood, City Uni­ver­si­ty Lon­don, Carte de Londres éta­blie en utilisant
les tra­jets enre­gis­trés des bicy­clettes de loca­tion, publié dans New Scien­tist,
The Guar­dian et The Eco­no­mist.

La gare, hub des nouvelles mobilités ?

Armand Hat­chuel, pro­fes­seur en ingé­nie­rie de la concep­tion à Mines Paris­Tech, écrit : « À l’apparition des pre­mières lignes de che­mins de fer, peu d’observateurs pen­sèrent qu’elles annon­çaient une révo­lu­tion du voyage, des villes et de l’ensemble des acti­vi­tés éco­no­miques. On était plus enclin à y voir un per­fec­tion­ne­ment des anciens modes de trans­port : un train de dili­gences, sans che­vaux, à peine plus puis­sant grâce à la vapeur. […] C’est ain­si : face à l’inconnu, il est plus facile et plus ras­su­rant de ne déce­ler qu’un per­fec­tion­ne­ment du connu. » 

Ouvrons le débat par un curieux para­doxe : les nou­velles mobi­li­tés se déve­loppent à par­tir de l’invention de nou­veaux véhi­cules, et pour­tant voi­là que nous allons com­men­cer en évo­quant le train et le vélo, tan­dis que dans un article de ce même dos­sier Tho­mas Richez s’attache à mon­trer com­ment le tram­way crée la ville du futur. Le train, le vélo, le tram­way… Dans son livre Homo Mobi­lis. Une civi­li­sa­tion du mou­ve­ment, Georges Amar relève ce para­doxe appa­rent et écrit : « Com­ment nos “bons vieux” bus, métro, auto, vélo, venus en droite ligne du xixe siècle, entrent-ils dans le champ d’innovation intense, dont les deux pôles magné­tiques, en ce début de siècle, sont l’écologique et le numé­rique ? […] L’une des évo­lu­tions concep­tuelles actuelles, très réso­nante avec l’esprit de l’écologie, est la prise de conscience qu’une ville a besoin non pas d’une solu­tion idéale sous la forme d’un type de trans­port ou de véhi­cule aux per­for­mances excep­tion­nelles, mais de la plus large varié­té de genres de mobi­li­té. Cette varié­té inclu­ra des modes lents aus­si bien que rapides, des légers aus­si bien que des lourds, et même, pour­rait-on dire, des super­ef­fi­caces aus­si bien que des convi­viaux. » Dans cette optique, la gare est un lieu pri­vi­lé­gié d’échanges, un hub contem­po­rain. Elle n’est pas la seule à jouer ce rôle, car tout ce qui est « sta­tion » est par défi­ni­tion un lieu poten­tiel pro­pice à des connexions de mobi­li­té, et rien ne défi­nit mieux le « réseau » et ses points nodaux que les appli­ca­tions numé­riques qui per­mettent de l’utiliser, comme City­map­per par exemple. À Londres, l’application a mis en ser­vice des vans par­ta­gés qui adaptent leurs tra­jets en fonc­tion des demandes, c’est le ser­vice City­map­per Smart Ride. 

Par­tir ou rester

Depuis la nuit des temps, la ville et le che­min ont par­tie liée. Que la ville soit une étape ou une des­ti­na­tion, c’est par le che­min qu’on y accède, qu’on la tra­verse ou qu’on la quitte. La ville, quoi qu’on ima­gine que recouvre ce mot, qu’elle soit le lieu de l’échange et du repos, un lieu de com­merce, un lieu de pou­voir ou un lieu de pro­duc­tion, est un point nodal dans un réseau où nous nous mou­vons. Ain­si, ce qui n’est pas la ville est un ter­ri­toire strié de par­cours et qui se repré­sente par des lignes colo­rées sur des fonds uni­formes… Pour­tant, le che­min n’est pas un non-lieu : là où la ville per­met la ren­contre avec l’autre, le che­min est d’une cer­taine manière le lieu de la ren­contre avec soi-même, ou avec l’autre. Dès lors, l’interrogation de Mick Jones, par­tir ou res­ter, est fon­da­men­ta­le­ment onto­lo­gique : elle prend racine dans nos antiques mytho­lo­gies et reste plus que jamais vivante dans notre modernité. 

Les plus jeunes préfèrent l’usage à la propriété.
Les plus jeunes pré­fèrent l’usage à la pro­prié­té. © tero­ve­sa­lai­nen

Vers une civilisation du partage ?

Com­prendre les nou­velles mobi­li­tés exige de les ins­crire dans une ten­dance puis­sante qui secoue et va conti­nuer à secouer nos socié­tés : le glis­se­ment pro­gres­sif vers une civi­li­sa­tion du partage. 

Les per­sonnes les plus cri­tiques à l’égard des nou­velles tech­no­lo­gies et de leur pré­sence enva­his­sante dans nos vies sont promptes à dénon­cer l’isolement social qu’elles pro­duisent, aux dépens de rela­tions vraies et épa­nouies. Ce juge­ment paraît s’enraciner dans le plus solide bon sens… il n’est pas sûr qu’il soit vrai. Ou du moins, il ne l’est que par­tiel­le­ment, tan­dis qu’une réflexion un peu sou­te­nue démontre aus­si le contraire, à l’aide de très simples obser­va­tions. Certes, notre écran de télé­phone est un écran pla­cé entre nous et les autres, et de ce point de vue, sépare. Mais cette inter­face mul­ti­plie expo­nen­tiel­le­ment nos inter­ac­tions avec autrui, par le nombre infi­ni de per­sonnes que nous pou­vons tou­cher pour un nombre de rai­sons tout aus­si infi­ni. Un seul exemple : un tiers des Amé­ri­cains mariés depuis 2005 se sont ren­con­trés sur inter­net ! Ain­si les rela­tions vir­tuelles ont bien une tra­duc­tion dans le monde réel, et pas du tout mar­gi­nale (en France, le chiffre des couples qui se sont ren­con­trés via inter­net n’est que de 9 %). 

De la même manière, de plus en plus de per­sonnes, et par­ti­cu­liè­re­ment par­mi les plus jeunes, ont un rap­port à de nom­breux biens où l’on pré­fère l’usage à la pro­prié­té : la musique, les trans­ports, le loge­ment sont per­çus comme de simples ser­vices et c’est vers Spo­ti­fy, Bla­Bla­Car ou Airbnb qu’elles se tournent natu­rel­le­ment. Les nou­velles mobi­li­tés n’échappent pas à cette ère du par­tage, de deux manières com­plé­men­taires : en effet, dès aujourd’hui, on peut par­ta­ger l’usage d’une même voi­ture en auto­par­tage (par­tage dans le temps, c’est Auto­lib’ ou Mobi­li­ty Tech Green) comme en covoi­tu­rage (par­tage dans l’espace, c’est Bla­Bla­Car, G7 par­ta­gé, ou Uber­Pool). Ces deux modes de par­tage trou­ve­ront leur épa­nouis­se­ment natu­rel avec la voi­ture auto­nome, qui sera en réa­li­té une pla­te­forme mul­tiu­sage qui, un jour taxi col­lec­tif, pour­ra deve­nir le len­de­main votre voi­ture pri­va­tive de vacances. 

La ville servicielle

Aujourd’hui, tout se loue, tout s’emprunte, tout se prête. Les ser­vices que nous ren­daient autre­fois des biens nous appar­te­nant nous sont aujourd’hui pro­po­sés dans le cadre d’échanges, de prêts, de loca­tions, de licences, bref, la pleine pro­prié­té perd du ter­rain dans bien des domaines. Cette logique pré­vaut tout par­ti­cu­liè­re­ment dans le monde de l’hypermobilité. À tel point qu’Yves Cro­zet pré­voit, en conclu­sion de son ouvrage Hyper-Mobi­li­té et Poli­tiques Publiques, « la remise en cause du sub­ven­tion­ne­ment sys­té­ma­tique et pour tous de la mobi­li­té. Pour les usa­gers de la route, en par­ti­cu­lier, il doit être acquis que c’en est fini du prin­cipe de gra­tui­té. […] De même que l’on paie pour uti­li­ser les réseaux d’électricité, de gaz, de télé­phone ou de che­mins de fer, de même l’utilisation de la route doit être tarifée. » 

À Utrecht, la gare vient d’être équipée  d’un parking à vélos  de 12 000 emplacements !
À Utrecht, la gare vient d’être équi­pée d’un par­king à vélos de 12 000 emplacements ! 

De la mobilité à l’accessibilité

Dans leur livre Door to Door – Futur du véhi­cule, futur urbain, Domi­nique Rouillard et Alain Gui­heux montrent com­ment les nou­veaux véhi­cules nous font pas­ser d’une ère de la mobi­li­té à une ère de l’accessibilité. Les avan­tages indé­pas­sables de la voi­ture tra­di­tion­nelle, tels qu’ils sont évo­qués aus­si bien par le rap­port Bucha­nan que par Mel­vin M. Web­ber, jusqu’à pré­sent inéga­lés par nos trans­ports en com­mun, deviennent un attri­but des nou­veaux modes de dépla­ce­ment, et en par­ti­cu­lier de la voi­ture auto­nome : pas d’attente, pas de trans­fert, ser­vice porte-à-porte. Le livre de Domi­nique Rouillard et Alain Gui­heux reprend et déve­loppe l’une des thèses fortes de Mel­vin Web­ber : par l’amélioration des des­sertes, la ville de demain n’échappera pas à l’étalement, et ce que nous regar­dons aujourd’hui comme une tare de l’urbanisation, sa pro­pen­sion à consom­mer exces­si­ve­ment l’espace sera la règle avec laquelle nous devrons com­po­ser. Dans Door to Door, le véhi­cule auto­nome devient aus­si un « médi­ca­ment » urbain, qui répare les dis­con­ti­nui­tés, recoud la ville par l’accessibilité totale qu’il pro­cure à tous ses habi­tants et vers tous les quar­tiers. On le voit, l’espace perd de son impor­tance quand le temps se rat­trape… Par un chan­ge­ment de para­digme de la mobi­li­té à l’accessibilité.

Mul­ti­plier les interconnexions

Lorsque avec Jean-Marie Duthil­leul, Étienne Tri­caud et Phi­lippe Gorce, mon asso­cié de ZUO (appe­lé à l’époque DGLA) nous avons conçu la réno­va­tion et la restruc­tu­ra­tion de la gare Saint-Lazare, la ville de Paris nous a deman­dé d’inclure au pro­jet un par­king à vélos de 1 500 places. L’économie du pro­jet a eu rai­son de cette demande, qui de 1 500 vélos est pas­sée à 150… puis a dis­pa­ru des radars ! C’était en 2001. La ville avait pour­tant déjà conscience du rôle de hub total qui échoit aujourd’hui aux gares dans le sys­tème de l’hypermobilité moderne. Depuis, le Vélib’ a pris ses quar­tiers dans Paris, avec le suc­cès… et les mésa­ven­tures que l’on connaît. À Amster­dam, la gare dis­pose d’un par­king à vélos « pro­vi­soire » de 2 500 places, dont cer­taines sur des cha­lands ! À Rot­ter­dam, le sys­tème s’est encore per­fec­tion­né, et un par­king flam­bant neuf et gar­dien­né de 5 200 places de vélos vient d’être construit. À Utrecht enfin, la gare vient d’être équi­pée d’un par­king à vélos de 12 000 empla­ce­ments ! Certes, les Pays-Bas sont le para­dis du vélo, mais en réa­li­té, l’enseignement que nous pou­vons en tirer nous concerne aus­si : c’est sur­tout la mul­ti­pli­ca­tion des moyens de se mou­voir, leur carac­tère hybride et leur inter­con­nexion qui carac­té­risent le monde de la mobi­li­té de demain. 

En lieu et place de conduire…

Qu’allons-nous faire dans une voi­ture auto­nome, puisque nous ne la condui­rons pas ? Ce futur est à inven­ter, mais les idées les plus simples ne sont pas à ce pro­pos les moins inno­vantes. Bien sûr, nous lirons, nous tra­vaille­rons, nous télé­pho­ne­rons, nous regar­de­rons la télé­vi­sion et écou­te­rons la radio… Nous fai­sons déjà ces choses dans un taxi ou un VTC, et les chauf­feurs sont atten­tifs à mettre à la dis­po­si­tion de leurs clients jour­naux, frian­dises, char­geurs de télé­phone, etc. 

Mais ces véhi­cules auto­nomes seront aus­si pen­sés avec des cri­tères nou­veaux de confort et d’usage : ima­gi­nons ! Tan­dis que le taxi lon­do­nien pré­voyait une hau­teur sous pavillon impor­tante, ini­tia­le­ment en vue de per­mettre aux clients de gar­der leur cha­peau, le véhi­cule auto­nome sera peut-être équi­pé d’un pavillon vitré per­met­tant de regar­der la ville, tan­dis que l’utilisateur écou­te­ra s’il le sou­haite et sans déran­ger ses voi­sins un com­men­taire tou­ris­tique au long du par­cours, sui­vant des thé­ma­tiques choi­sies, qu’il s’agisse par exemple d’architecture ou du choix d’un restaurant. 

Enfin, le véhi­cule auto­nome sera aus­si sou­vent un véhi­cule par­ta­gé : il pour­ra peut-être res­sus­ci­ter ce qu’on pour­rait appe­ler « l’effet com­par­ti­ment » : s’il réunit quatre à six per­sonnes qui ne se connaissent pas dans un même lieu parce qu’elles par­tagent un tra­jet, il y a une forte pro­ba­bi­li­té qu’elles fassent connais­sance, la moder­ni­té numé­rique n’est pas tou­jours l’ennemie des rela­tions humaines ! 

Ces futurs véhi­cules brouillent donc la clas­sique par­ti­tion des fonc­tions entre lieu et par­cours : ils deviennent eux-mêmes des lieux, ceux que Georges Amar défi­nit comme des « lieux-mouvements ». 

Des par­kings pour demain

Le par­king est un entre­pôt rem­pli d’automobiles qui per­met d’en régu­ler le stock. Si l’automobile et son usage sont trans­for­més, quel en est l’impact sur les pra­tiques de sta­tion­ne­ment, et les parcs qui y sont dédiés ? Com­men­çons par un rap­pel : une voi­ture passe dans sa vie plus de 95 % de son temps à l’arrêt, et donc sta­tion­née. C’est en fonc­tion de ce chiffre que sont dimen­sion­nées les struc­tures qui les accueillent. Or voi­ci ce que nous dit Alain L. Korn­hau­ser, cher­cheur à Prin­ce­ton : « L’impact majeur des véhi­cules auto­nomes sera sur les par­kings. Nous n’allons plus en avoir besoin, et sûre­ment pas en tout cas aux endroits où ils se trouvent aujourd’hui. Avoir un par­king lié à l’endroit où nous pas­sons du temps, ou proche de cet endroit, devien­dra une chose du pas­sé. Si je vais au foot, ma voi­ture n’a pas besoin de res­ter avec moi. Si je suis au bureau, elle n’a pas besoin d’être là. Le centre com­mer­cial actuel avec sa mer de voi­tures, c’est mort. » 

Ain­si, à l’ère du véhi­cule auto­nome, non seule­ment nous pou­vons anti­ci­per un dépla­ce­ment des zones de sta­tion­ne­ment, dont l’immédiate proxi­mi­té avec les lieux qu’elles des­servent ne sera plus néces­saire, mais nous devons éga­le­ment nous attendre à voir les par­kings dimi­nuer for­te­ment en taille, à cause de la dimi­nu­tion simul­ta­née du besoin de sta­tion­ne­ment et de la taille des places : en effet, les véhi­cules auto­nomes pour­ront avoir un taux d’utilisation fort, ce qui dimi­nue à la fois la flotte néces­saire à la satis­fac­tion des besoins, et le nombre de voi­tures à l’arrêt. Par ailleurs, le garage des véhi­cules auto­nomes se fai­sant auto­ma­ti­que­ment, ceux-ci peuvent être ran­gés sur plu­sieurs rangs et lit­té­ra­le­ment col­lés les uns aux autres. Essayons de mettre des chiffres sur ces évo­lu­tions, et fai­sons-le avec des images qui valent mieux qu’un discours : 

On le voit, l’optimisation de la taille des par­kings per­met de réduire la sur­face qui leur sera consa­crée de 62 %, à capa­ci­té égale. Dans le même temps, la quan­ti­té de véhi­cules en cir­cu­la­tion va for­te­ment dimi­nuer : « Une étude de l’université du Michi­gan estime que la pro­prié­té auto­mo­bile chu­te­ra de 43 % d’ici 2030, et que simul­ta­né­ment le besoin de sta­tion­ne­ment chu­te­ra de 42 %. » Même si ces hypo­thèses sont les plus radi­cales, elles abou­tissent à un besoin en sur­face de sta­tion­ne­ment égal au quart de la sur­face exis­tante… Alors que chaque véhi­cule aug­men­te­ra de 75 % sa dis­tance annuelle parcourue. 

Ain­si, on peut faire plu­sieurs sup­po­si­tions dès à pré­sent : les par­kings du futur auront une capa­ci­té infé­rieure totale à la capa­ci­té actuelle de sta­tion­ne­ment, ils ne seront pas néces­sai­re­ment pla­cés à proxi­mi­té immé­diate des lieux de des­ti­na­tion, leurs dimen­sions seront infé­rieures à leur taille actuelle, à capa­ci­té égale. Ils se déve­lop­pe­ront pro­ba­ble­ment à proxi­mi­té des hubs de l’hypermobilité.

Nouveau concept de parking

Optimisation des parkings

Reparer la ville déchirée, gérer l’étalement urbain ?

Le véhi­cule auto­nome est aujourd’hui prêt tech­ni­que­ment. Il a été tes­té avec suc­cès dans de nom­breuses villes du monde et par exemple à Paris, la socié­té Navya est sur le point de déve­lop­per un taxi auto­nome. Comme l’écrivent Domi­nique Rouillard et Alain Gui­heux, « la situa­tion créée par l’arrivée des véhi­cules indi­vi­duels com­mu­ni­cants concerne direc­te­ment l’urbain. Tout comme l’automobile du xxe siècle, l’automobilité va tou­cher à la fois l’urbanisation, les pro­grammes des bâti­ments, les modes de vie au quo­ti­dien. » En réa­li­té, nous allons vivre une révo­lu­tion tech­no­lo­gique qui va bou­le­ver­ser notre rap­port à la ville. Le triomphe de l’accessibilité uni­ver­selle à tous les recoins de l’espace urbain va œuvrer pour la réha­bi­li­ta­tion des quar­tiers délais­sés. Ces péri­phé­ries urbaines intègrent alors un conti­nuum urbain sans déchirures… 

La contre­par­tie de l’accessibilité totale, c’est la néces­si­té pour nous d’accepter et de com­prendre que l’étalement urbain, tant vili­pen­dé, est une simple don­née de ce nou­veau para­digme, où la popu­la­tion des villes aug­mente sans dis­con­ti­nuer, dans le même temps qu’elles ne cessent de s’étendre. À nous, urba­nistes, ingé­nieurs et archi­tectes, d’accomplir avec opti­misme notre tâche dans ce monde nou­veau, ayant à l’esprit les conseils ami­caux que nous a lais­sés Mel­vin Web­ber : « La tâche qui nous revient n’est pas de “pro­té­ger notre héri­tage natu­rel d’espace ouvert” pour cette simple rai­son qu’il serait un héri­tage, ou qu’il serait natu­rel, ou même ouvert, ou parce que nous nous pren­drions pour des “Galaad”, cham­pions des formes bonnes contre les maux de la dis­so­lu­tion urbaine. C’est là une mis­sion d’évangélistes, pas d’urbanistes.

Notre tâche est plu­tôt – pour la défi­nir au strict mini­mum – de recher­cher la dis­tri­bu­tion spa­tiale des popu­la­tions et des acti­vi­tés urbaines qui per­met une plus grande liber­té dans l’interaction humaine, tout en assu­rant un accès plus facile aux plai­sirs de la nature ain­si qu’une ges­tion effi­cace du pay­sage et des res­sources du sous-sol. 

Ce n’est pas une mince affaire. Et le moins qu’elle exige, c’est pro­ba­ble­ment que nous com­men­cions par nous défaire d’une idéo­lo­gie bien enra­ci­née, qui cherche l’ordre dans des formes simples et car­to­gra­phiables, alors qu’il se cache en réa­li­té dans une orga­ni­sa­tion sociale d’une extrême complexité. » 


Références

Web­ber (Mel­vin), Order in Diver­si­ty et The Joys of Automobility

Amar (Georges), Homo Mobi­lis. Une civi­li­sa­tion du mouvement

Sta­tis­tiques de la Natio­nal Aca­de­my of Sciences américaine 

Berg­ström (Marie), Popu­la­tion et Socié­tés, n° 530 

Cro­zet (Yves), Hyper-Mobi­li­té et Poli­tiques Publiques – Chan­ger d’époque ?

Rouillard (Domi­nique) et Gui­heux (Alain), Door to Door – Futur du véhi­cule, futur urbain

Bucha­nan (Colin), Traf­fic in Towns

Sis­son (Patrick), “Why high-tech par­king lots for auto­no­mous cars may change urban plan­ning”, Cur­bed, 8 août 2016

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