Carte de Londres établie par Nathan Yau, en utilisant l’application de course à pied RunKeeper.

L’espace urbain à l’épreuve des nouvelles mobilités

Dossier : Urbanisme et mobilitéMagazine N°738 Octobre 2018
Par Thierry de DINECHIN

Nou­velles mobil­ités, crois­sance urbaine et développe­ment durable sont au cœur des défis que l’urbaniste doit relever. Pour imag­in­er les dis­tri­b­u­tions spa­tiales de demain, il peut s’inspirer des leçons de l’histoire mais doit aus­si se garder des idées sim­plistes et de toute forme d’idéologie.

Should I stay or should I go ?

If I go, there will be trouble

And if I stay it will be double

So come on and let me know

The Clash, album Com­bat Rock, 1981


Carte de Lon­dres établie par Nathan Yau,
en util­isant l’application de course à pied RunKeeper.

Voici que les routes, les chemins, les voies, les tracés que nous emprun­tons sont aujourd’hui le sujet d’une « révo­lu­tion des mobil­ités » : nous sor­tons de l’ère du trans­port privé ou pub­lic, pour vivre dans le monde de l’hypermobilité. Cette hyper­mo­bil­ité invente de nou­veaux chemins, de nou­veaux liens, tant dans le monde réel que dans le monde virtuel. Les livres, les col­lo­ques, les thès­es s’additionnent les uns aux autres pour penser ce boule­verse­ment, qu’auscultent urban­istes et archi­tectes, spé­cial­istes du trans­port, soci­o­logues et philosophes, ouvrant des pistes tou­jours plus nom­breuses à la réflex­ion. Il est donc néces­saire, surtout pour un arti­cle court, de bien cadr­er le pro­pos que je vous invite ici à partager : nous chercherons donc sim­ple­ment à com­pren­dre com­ment les nou­velles mobil­ités impactent et mod­i­fient l’espace urbain. 

« L’espace urbain » ? Mais la ville, est-elle bien un objet spatial ?

Dans l’espace-temps dans lequel nous évolu­ons, nous pour­rions presque dire que sym­bol­ique­ment la ville est liée à l’espace, alors que le chemin est lié au temps. L’idée est séduisante et riche de développe­ments, et sans doute nous seri­ons suiv­is par bon nom­bre d’urbanistes « ortho­dox­es », ceux qui vien­nent de l’architecture et du génie civ­il en tout cas, et qui conçoivent clas­sique­ment la ville comme une matière, un sujet de dessin, et donc comme un objet spa­tial. Mais le monde qui vient a pour car­ac­téris­tique d’abolir l’espace. Que reste-t-il ? La rela­tion, la ren­con­tre, que les réseaux qui sont leur sup­port tech­nologique n’empêchent pas d’être bien réelles. Cela est telle­ment vrai que de nou­velles car­togra­phies urbaines émer­gent, fondées sur l’observation des déplace­ments des habi­tants, que ce soit en vélo ou à pied, par exemple. 

L’urbaniste améri­cain Melvin Web­ber a magis­trale­ment théorisé depuis bien longtemps cette « ville » dont la réal­ité est fondée sur les rela­tions et les réseaux qui les sou­ti­en­nent, et beau­coup moins sur une quel­conque organ­i­sa­tion spa­tiale. Il écrit en 1963 : « J’ai sug­géré que la quin­tes­sence de l’urbanisation n’est pas la den­sité ni l’agglomération de pop­u­la­tion mais la spé­cial­i­sa­tion, l’interdépendance réciproque et les inter­ac­tions humaines grâce aux­quelles ces inter­dépen­dances sont sat­is­faites. Vu sous cet angle, l’établissement humain est l’adaptation de l’espace aux besoins des activ­ités et des spé­cial­istes inter­dépen­dants en ter­mes de com­mu­ni­ca­tions à moin­dres coûts. Il est donc utile de regarder la ville spa­tiale comme un sys­tème de com­mu­ni­ca­tions, comme un tableau de com­mu­ta­tions extrême­ment com­plexe à tra­vers lequel des mes­sages et des biens de toute nature sont acheminés. » 

En libérant nos esprits d’une vision pure­ment spa­tiale de la ville, nous sommes alors prêts à com­pren­dre que les nou­velles mobil­ités s’apprêtent à trans­former la ville dans ses espaces, certes, mais aus­si à « réini­tialis­er » le sys­tème de con­nex­ions et rela­tions qu’elle con­stitue aus­si. Cor­ri­geons donc le titre de cet arti­cle, pour écrire : La ville à l’épreuve des nou­velles mobilités. 

Joseph Wood, City University London,  Carte de Londres établie en utilisant  les trajets enregistrés des bicyclettes  de location, publié  dans New Scientist,  The Guardian  et The Economist.
Joseph Wood, City Uni­ver­si­ty Lon­don, Carte de Lon­dres établie en utilisant
les tra­jets enreg­istrés des bicy­clettes de loca­tion, pub­lié dans New Sci­en­tist,
The Guardian et The Econ­o­mist.

La gare, hub des nouvelles mobilités ?

Armand Hatch­uel, pro­fesseur en ingénierie de la con­cep­tion à Mines Paris­Tech, écrit : « À l’apparition des pre­mières lignes de chemins de fer, peu d’observateurs pen­sèrent qu’elles annonçaient une révo­lu­tion du voy­age, des villes et de l’ensemble des activ­ités économiques. On était plus enclin à y voir un per­fec­tion­nement des anciens modes de trans­port : un train de dili­gences, sans chevaux, à peine plus puis­sant grâce à la vapeur. […] C’est ain­si : face à l’inconnu, il est plus facile et plus ras­sur­ant de ne décel­er qu’un per­fec­tion­nement du connu. » 

Ouvrons le débat par un curieux para­doxe : les nou­velles mobil­ités se dévelop­pent à par­tir de l’invention de nou­veaux véhicules, et pour­tant voilà que nous allons com­mencer en évo­quant le train et le vélo, tan­dis que dans un arti­cle de ce même dossier Thomas Richez s’attache à mon­tr­er com­ment le tramway crée la ville du futur. Le train, le vélo, le tramway… Dans son livre Homo Mobilis. Une civil­i­sa­tion du mou­ve­ment, Georges Amar relève ce para­doxe appar­ent et écrit : « Com­ment nos “bons vieux” bus, métro, auto, vélo, venus en droite ligne du xixe siè­cle, entrent-ils dans le champ d’innovation intense, dont les deux pôles mag­né­tiques, en ce début de siè­cle, sont l’écologique et le numérique ? […] L’une des évo­lu­tions con­ceptuelles actuelles, très réso­nante avec l’esprit de l’écologie, est la prise de con­science qu’une ville a besoin non pas d’une solu­tion idéale sous la forme d’un type de trans­port ou de véhicule aux per­for­mances excep­tion­nelles, mais de la plus large var­iété de gen­res de mobil­ité. Cette var­iété inclu­ra des modes lents aus­si bien que rapi­des, des légers aus­si bien que des lourds, et même, pour­rait-on dire, des super­ef­fi­caces aus­si bien que des con­vivi­aux. » Dans cette optique, la gare est un lieu priv­ilégié d’échanges, un hub con­tem­po­rain. Elle n’est pas la seule à jouer ce rôle, car tout ce qui est « sta­tion » est par déf­i­ni­tion un lieu poten­tiel prop­ice à des con­nex­ions de mobil­ité, et rien ne définit mieux le « réseau » et ses points nodaux que les appli­ca­tions numériques qui per­me­t­tent de l’utiliser, comme Citymap­per par exem­ple. À Lon­dres, l’application a mis en ser­vice des vans partagés qui adaptent leurs tra­jets en fonc­tion des deman­des, c’est le ser­vice Citymap­per Smart Ride. 

Par­tir ou rester

Depuis la nuit des temps, la ville et le chemin ont par­tie liée. Que la ville soit une étape ou une des­ti­na­tion, c’est par le chemin qu’on y accède, qu’on la tra­verse ou qu’on la quitte. La ville, quoi qu’on imag­ine que recou­vre ce mot, qu’elle soit le lieu de l’échange et du repos, un lieu de com­merce, un lieu de pou­voir ou un lieu de pro­duc­tion, est un point nodal dans un réseau où nous nous mou­vons. Ain­si, ce qui n’est pas la ville est un ter­ri­toire strié de par­cours et qui se représente par des lignes col­orées sur des fonds uni­formes… Pour­tant, le chemin n’est pas un non-lieu : là où la ville per­met la ren­con­tre avec l’autre, le chemin est d’une cer­taine manière le lieu de la ren­con­tre avec soi-même, ou avec l’autre. Dès lors, l’interrogation de Mick Jones, par­tir ou rester, est fon­da­men­tale­ment ontologique : elle prend racine dans nos antiques mytholo­gies et reste plus que jamais vivante dans notre modernité. 

Les plus jeunes préfèrent l’usage à la propriété.
Les plus jeunes préfèrent l’usage à la pro­priété. © terovesalainen

Vers une civilisation du partage ?

Com­pren­dre les nou­velles mobil­ités exige de les inscrire dans une ten­dance puis­sante qui sec­oue et va con­tin­uer à sec­ouer nos sociétés : le glisse­ment pro­gres­sif vers une civil­i­sa­tion du partage. 

Les per­son­nes les plus cri­tiques à l’égard des nou­velles tech­nolo­gies et de leur présence envahissante dans nos vies sont promptes à dénon­cer l’isolement social qu’elles pro­duisent, aux dépens de rela­tions vraies et épanouies. Ce juge­ment paraît s’enraciner dans le plus solide bon sens… il n’est pas sûr qu’il soit vrai. Ou du moins, il ne l’est que par­tielle­ment, tan­dis qu’une réflex­ion un peu soutenue démon­tre aus­si le con­traire, à l’aide de très sim­ples obser­va­tions. Certes, notre écran de télé­phone est un écran placé entre nous et les autres, et de ce point de vue, sépare. Mais cette inter­face mul­ti­plie expo­nen­tielle­ment nos inter­ac­tions avec autrui, par le nom­bre infi­ni de per­son­nes que nous pou­vons touch­er pour un nom­bre de raisons tout aus­si infi­ni. Un seul exem­ple : un tiers des Améri­cains mar­iés depuis 2005 se sont ren­con­trés sur inter­net ! Ain­si les rela­tions virtuelles ont bien une tra­duc­tion dans le monde réel, et pas du tout mar­ginale (en France, le chiffre des cou­ples qui se sont ren­con­trés via inter­net n’est que de 9 %). 

De la même manière, de plus en plus de per­son­nes, et par­ti­c­ulière­ment par­mi les plus jeunes, ont un rap­port à de nom­breux biens où l’on préfère l’usage à la pro­priété : la musique, les trans­ports, le loge­ment sont perçus comme de sim­ples ser­vices et c’est vers Spo­ti­fy, BlaBlaCar ou Airbnb qu’elles se tour­nent naturelle­ment. Les nou­velles mobil­ités n’échappent pas à cette ère du partage, de deux manières com­plé­men­taires : en effet, dès aujourd’hui, on peut partager l’usage d’une même voiture en autopartage (partage dans le temps, c’est Autolib’ ou Mobil­i­ty Tech Green) comme en cov­oiturage (partage dans l’espace, c’est BlaBlaCar, G7 partagé, ou Uber­Pool). Ces deux modes de partage trou­veront leur épanouisse­ment naturel avec la voiture autonome, qui sera en réal­ité une plate­forme multi­usage qui, un jour taxi col­lec­tif, pour­ra devenir le lende­main votre voiture pri­v­a­tive de vacances. 

La ville servicielle

Aujourd’hui, tout se loue, tout s’emprunte, tout se prête. Les ser­vices que nous rendaient autre­fois des biens nous appar­tenant nous sont aujourd’hui pro­posés dans le cadre d’échanges, de prêts, de loca­tions, de licences, bref, la pleine pro­priété perd du ter­rain dans bien des domaines. Cette logique pré­vaut tout par­ti­c­ulière­ment dans le monde de l’hypermobilité. À tel point qu’Yves Crozet prévoit, en con­clu­sion de son ouvrage Hyper-Mobil­ité et Poli­tiques Publiques, « la remise en cause du sub­ven­tion­nement sys­té­ma­tique et pour tous de la mobil­ité. Pour les usagers de la route, en par­ti­c­uli­er, il doit être acquis que c’en est fini du principe de gra­tu­ité. […] De même que l’on paie pour utilis­er les réseaux d’électricité, de gaz, de télé­phone ou de chemins de fer, de même l’utilisation de la route doit être tarifée. » 

À Utrecht, la gare vient d’être équipée  d’un parking à vélos  de 12 000 emplacements !
À Utrecht, la gare vient d’être équipée d’un park­ing à vélos de 12 000 emplacements ! 

De la mobilité à l’accessibilité

Dans leur livre Door to Door – Futur du véhicule, futur urbain, Dominique Rouil­lard et Alain Gui­heux mon­trent com­ment les nou­veaux véhicules nous font pass­er d’une ère de la mobil­ité à une ère de l’accessibilité. Les avan­tages indé­pass­ables de la voiture tra­di­tion­nelle, tels qu’ils sont évo­qués aus­si bien par le rap­port Buchanan que par Melvin M. Web­ber, jusqu’à présent iné­galés par nos trans­ports en com­mun, devi­en­nent un attrib­ut des nou­veaux modes de déplace­ment, et en par­ti­c­uli­er de la voiture autonome : pas d’attente, pas de trans­fert, ser­vice porte-à-porte. Le livre de Dominique Rouil­lard et Alain Gui­heux reprend et développe l’une des thès­es fortes de Melvin Web­ber : par l’amélioration des dessertes, la ville de demain n’échappera pas à l’étalement, et ce que nous regar­dons aujourd’hui comme une tare de l’urbanisation, sa propen­sion à con­som­mer exces­sive­ment l’espace sera la règle avec laque­lle nous devrons com­pos­er. Dans Door to Door, le véhicule autonome devient aus­si un « médica­ment » urbain, qui répare les dis­con­ti­nu­ités, recoud la ville par l’accessibilité totale qu’il pro­cure à tous ses habi­tants et vers tous les quartiers. On le voit, l’espace perd de son impor­tance quand le temps se rat­trape… Par un change­ment de par­a­digme de la mobil­ité à l’accessibilité.

Mul­ti­pli­er les interconnexions

Lorsque avec Jean-Marie Duthilleul, Éti­enne Tri­caud et Philippe Gorce, mon asso­cié de ZUO (appelé à l’époque DGLA) nous avons conçu la réno­va­tion et la restruc­tura­tion de la gare Saint-Lazare, la ville de Paris nous a demandé d’inclure au pro­jet un park­ing à vélos de 1 500 places. L’économie du pro­jet a eu rai­son de cette demande, qui de 1 500 vélos est passée à 150… puis a dis­paru des radars ! C’était en 2001. La ville avait pour­tant déjà con­science du rôle de hub total qui échoit aujourd’hui aux gares dans le sys­tème de l’hypermobilité mod­erne. Depuis, le Vélib’ a pris ses quartiers dans Paris, avec le suc­cès… et les mésaven­tures que l’on con­naît. À Ams­ter­dam, la gare dis­pose d’un park­ing à vélos « pro­vi­soire » de 2 500 places, dont cer­taines sur des cha­lands ! À Rot­ter­dam, le sys­tème s’est encore per­fec­tion­né, et un park­ing flam­bant neuf et gar­di­en­né de 5 200 places de vélos vient d’être con­stru­it. À Utrecht enfin, la gare vient d’être équipée d’un park­ing à vélos de 12 000 emplace­ments ! Certes, les Pays-Bas sont le par­adis du vélo, mais en réal­ité, l’enseignement que nous pou­vons en tir­er nous con­cerne aus­si : c’est surtout la mul­ti­pli­ca­tion des moyens de se mou­voir, leur car­ac­tère hybride et leur inter­con­nex­ion qui car­ac­térisent le monde de la mobil­ité de demain. 

En lieu et place de conduire…

Qu’allons-nous faire dans une voiture autonome, puisque nous ne la con­duirons pas ? Ce futur est à inven­ter, mais les idées les plus sim­ples ne sont pas à ce pro­pos les moins inno­vantes. Bien sûr, nous lirons, nous tra­vaillerons, nous télé­phonerons, nous regarderons la télévi­sion et écouterons la radio… Nous faisons déjà ces choses dans un taxi ou un VTC, et les chauf­feurs sont atten­tifs à met­tre à la dis­po­si­tion de leurs clients jour­naux, frian­dis­es, chargeurs de télé­phone, etc. 

Mais ces véhicules autonomes seront aus­si pen­sés avec des critères nou­veaux de con­fort et d’usage : imag­i­nons ! Tan­dis que le taxi lon­donien prévoy­ait une hau­teur sous pavil­lon impor­tante, ini­tiale­ment en vue de per­me­t­tre aux clients de garder leur cha­peau, le véhicule autonome sera peut-être équipé d’un pavil­lon vit­ré per­me­t­tant de regarder la ville, tan­dis que l’utilisateur écoutera s’il le souhaite et sans déranger ses voisins un com­men­taire touris­tique au long du par­cours, suiv­ant des thé­ma­tiques choisies, qu’il s’agisse par exem­ple d’architecture ou du choix d’un restaurant. 

Enfin, le véhicule autonome sera aus­si sou­vent un véhicule partagé : il pour­ra peut-être ressus­citer ce qu’on pour­rait appel­er « l’effet com­par­ti­ment » : s’il réu­nit qua­tre à six per­son­nes qui ne se con­nais­sent pas dans un même lieu parce qu’elles parta­gent un tra­jet, il y a une forte prob­a­bil­ité qu’elles fassent con­nais­sance, la moder­nité numérique n’est pas tou­jours l’ennemie des rela­tions humaines ! 

Ces futurs véhicules brouil­lent donc la clas­sique par­ti­tion des fonc­tions entre lieu et par­cours : ils devi­en­nent eux-mêmes des lieux, ceux que Georges Amar définit comme des « lieux-mouvements ». 

Des park­ings pour demain

Le park­ing est un entre­pôt rem­pli d’automobiles qui per­met d’en réguler le stock. Si l’automobile et son usage sont trans­for­més, quel en est l’impact sur les pra­tiques de sta­tion­nement, et les parcs qui y sont dédiés ? Com­mençons par un rap­pel : une voiture passe dans sa vie plus de 95 % de son temps à l’arrêt, et donc sta­tion­née. C’est en fonc­tion de ce chiffre que sont dimen­sion­nées les struc­tures qui les accueil­lent. Or voici ce que nous dit Alain L. Korn­hauser, chercheur à Prince­ton : « L’impact majeur des véhicules autonomes sera sur les park­ings. Nous n’allons plus en avoir besoin, et sûre­ment pas en tout cas aux endroits où ils se trou­vent aujourd’hui. Avoir un park­ing lié à l’endroit où nous pas­sons du temps, ou proche de cet endroit, devien­dra une chose du passé. Si je vais au foot, ma voiture n’a pas besoin de rester avec moi. Si je suis au bureau, elle n’a pas besoin d’être là. Le cen­tre com­mer­cial actuel avec sa mer de voitures, c’est mort. » 

Ain­si, à l’ère du véhicule autonome, non seule­ment nous pou­vons anticiper un déplace­ment des zones de sta­tion­nement, dont l’immédiate prox­im­ité avec les lieux qu’elles desser­vent ne sera plus néces­saire, mais nous devons égale­ment nous atten­dre à voir les park­ings dimin­uer forte­ment en taille, à cause de la diminu­tion simul­tanée du besoin de sta­tion­nement et de la taille des places : en effet, les véhicules autonomes pour­ront avoir un taux d’utilisation fort, ce qui dimin­ue à la fois la flotte néces­saire à la sat­is­fac­tion des besoins, et le nom­bre de voitures à l’arrêt. Par ailleurs, le garage des véhicules autonomes se faisant automa­tique­ment, ceux-ci peu­vent être rangés sur plusieurs rangs et lit­térale­ment col­lés les uns aux autres. Essayons de met­tre des chiffres sur ces évo­lu­tions, et faisons-le avec des images qui valent mieux qu’un discours : 

On le voit, l’optimisation de la taille des park­ings per­met de réduire la sur­face qui leur sera con­sacrée de 62 %, à capac­ité égale. Dans le même temps, la quan­tité de véhicules en cir­cu­la­tion va forte­ment dimin­uer : « Une étude de l’université du Michi­gan estime que la pro­priété auto­mo­bile chutera de 43 % d’ici 2030, et que simul­tané­ment le besoin de sta­tion­nement chutera de 42 %. » Même si ces hypothès­es sont les plus rad­i­cales, elles aboutis­sent à un besoin en sur­face de sta­tion­nement égal au quart de la sur­face exis­tante… Alors que chaque véhicule aug­mentera de 75 % sa dis­tance annuelle parcourue. 

Ain­si, on peut faire plusieurs sup­po­si­tions dès à présent : les park­ings du futur auront une capac­ité inférieure totale à la capac­ité actuelle de sta­tion­nement, ils ne seront pas néces­saire­ment placés à prox­im­ité immé­di­ate des lieux de des­ti­na­tion, leurs dimen­sions seront inférieures à leur taille actuelle, à capac­ité égale. Ils se dévelop­per­ont prob­a­ble­ment à prox­im­ité des hubs de l’hypermobilité.

Nouveau concept de parking

Optimisation des parkings

Reparer la ville déchirée, gérer l’étalement urbain ?

Le véhicule autonome est aujourd’hui prêt tech­nique­ment. Il a été testé avec suc­cès dans de nom­breuses villes du monde et par exem­ple à Paris, la société Navya est sur le point de dévelop­per un taxi autonome. Comme l’écrivent Dominique Rouil­lard et Alain Gui­heux, « la sit­u­a­tion créée par l’arrivée des véhicules indi­vidu­els com­mu­ni­cants con­cerne directe­ment l’urbain. Tout comme l’automobile du xxe siè­cle, l’automobilité va touch­er à la fois l’urbanisation, les pro­grammes des bâti­ments, les modes de vie au quo­ti­di­en. » En réal­ité, nous allons vivre une révo­lu­tion tech­nologique qui va boule­vers­er notre rap­port à la ville. Le tri­om­phe de l’accessibilité uni­verselle à tous les recoins de l’espace urbain va œuvr­er pour la réha­bil­i­ta­tion des quartiers délais­sés. Ces périphéries urbaines intè­grent alors un con­tin­u­um urbain sans déchirures… 

La con­trepar­tie de l’accessibilité totale, c’est la néces­sité pour nous d’accepter et de com­pren­dre que l’étalement urbain, tant vilipendé, est une sim­ple don­née de ce nou­veau par­a­digme, où la pop­u­la­tion des villes aug­mente sans dis­con­tin­uer, dans le même temps qu’elles ne cessent de s’étendre. À nous, urban­istes, ingénieurs et archi­tectes, d’accomplir avec opti­misme notre tâche dans ce monde nou­veau, ayant à l’esprit les con­seils ami­caux que nous a lais­sés Melvin Web­ber : « La tâche qui nous revient n’est pas de “pro­téger notre héritage naturel d’espace ouvert” pour cette sim­ple rai­son qu’il serait un héritage, ou qu’il serait naturel, ou même ouvert, ou parce que nous nous pren­dri­ons pour des “Galaad”, cham­pi­ons des formes bonnes con­tre les maux de la dis­so­lu­tion urbaine. C’est là une mis­sion d’évangélistes, pas d’urbanistes.

Notre tâche est plutôt – pour la définir au strict min­i­mum – de rechercher la dis­tri­b­u­tion spa­tiale des pop­u­la­tions et des activ­ités urbaines qui per­met une plus grande liber­té dans l’interaction humaine, tout en assur­ant un accès plus facile aux plaisirs de la nature ain­si qu’une ges­tion effi­cace du paysage et des ressources du sous-sol. 

Ce n’est pas une mince affaire. Et le moins qu’elle exige, c’est prob­a­ble­ment que nous com­men­cions par nous défaire d’une idéolo­gie bien enrac­inée, qui cherche l’ordre dans des formes sim­ples et car­tographi­ables, alors qu’il se cache en réal­ité dans une organ­i­sa­tion sociale d’une extrême complexité. » 


Références

Web­ber (Melvin), Order in Diver­si­ty et The Joys of Automobility

Amar (Georges), Homo Mobilis. Une civil­i­sa­tion du mouvement

Sta­tis­tiques de la Nation­al Acad­e­my of Sci­ences américaine 

Bergström (Marie), Pop­u­la­tion et Sociétés, n° 530 

Crozet (Yves), Hyper-Mobil­ité et Poli­tiques Publiques – Chang­er d’époque ?

Rouil­lard (Dominique) et Gui­heux (Alain), Door to Door — Futur du véhicule, futur urbain

Buchanan (Col­in), Traf­fic in Towns

Sis­son (Patrick), “Why high-tech park­ing lots for autonomous cars may change urban plan­ning”, Curbed, 8 août 2016

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