Types d'expertise

Les différents types d’expertise

Dossier : L'expertise judiciaireMagazine N°763 Mars 2021
Par Jean-Christophe GUÉRINET

Cet article trouve sa source dans l’expérience acquise par le rédac­teur au sein d’un sec­teur très consom­ma­teur d’expertise, celui du bâti­ment et des tra­vaux publics.

Tous les sec­teurs d’activité ont leurs experts, leurs « sachants » ou « hommes de l’art », per­sonnes qui ont une par­faite connais­sance d’un sujet (notam­ment tech­nique) acquise par leur for­ma­tion d’origine, enri­chie de leur expé­rience. Ce sont, la plu­part du temps, d’anciens direc­teurs de bureaux d’études, de socié­tés d’ingénierie ou de labo­ra­toires pri­vés, mais éga­le­ment d’établissements publics tels que le Cere­ma (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobi­li­té et l’aménagement) ou l’Ifsttar (Ins­ti­tut fran­çais des sciences et tech­no­lo­gies des trans­ports, de l’aménagement et des réseaux), recher­chés par les entre­prises, pour gui­der leur démarche de recherche & déve­lop­pe­ment, et par le juge, pour l’éclairer sur la par­tie tech­nique de son ana­lyse. Leurs connais­sances et l’expérience acquise « de l’intérieur » (ce der­nier élé­ment appor­tant une dif­fé­rence essen­tielle par rap­port aux savoirs uni­ver­si­taires) incitent les entre­prises à sol­li­ci­ter l’expertise de ces spé­cia­listes. Leurs com­pé­tences, una­ni­me­ment recon­nues dans leur domaine d’activité, leur confèrent une auto­ri­té qui les hisse au rang de « sages ».

L’expertise judiciaire

L’expertise judi­ciaire consiste, en quelque sorte, à intro­duire un corps étran­ger dans le méca­nisme de la jus­tice : l’expert. Celui-ci, géné­ra­le­ment consi­dé­ré comme le bras armé du juge, à tra­vers la mis­sion que lui confie le juge, par­ti­cipe à la recherche de « la » véri­té diront cer­tains, « d’une » véri­té diront d’autres. Si le pro­ces­sus de sélec­tion des experts est dif­fé­rent selon que le can­di­dat à l’expertise se pré­sente devant les juri­dic­tions civiles ou devant celles de l’ordre admi­nis­tra­tif, le prin­cipe com­mun est l’établissement par les juri­dic­tions de listes d’experts aux­quelles les juges pour­ront recou­rir. Ces listes sont clas­sées selon une nomen­cla­ture de spé­cia­li­tés qui, si l’on se réfère à celle des cours d’appel et de la Cour de cas­sa­tion, com­prend les rubriques sui­vantes : agri­cul­ture, agro-ali­men­taire, ani­maux, forêts ; bâti­ment, tra­vaux publics, ges­tion immo­bi­lière ; éco­no­mie et finances ; indus­trie ; san­té ; méde­cine légale, cri­mi­na­lis­tique et sciences cri­mi­nelles ; inter­pré­ta­riat, traduction. 

Pour figu­rer sur ces listes, le can­di­dat expert doit jus­ti­fier d’une connais­sance suf­fi­sante des règles de pro­cé­dure appli­cables à cette forme de délé­ga­tion que le juge accorde à un tech­ni­cien diplô­mé, qua­li­fié et expé­ri­men­té dans son domaine de spé­cia­li­té. Le juge a tou­te­fois la pos­si­bi­li­té de choi­sir, en dehors de ces listes, tout spé­cia­liste fran­çais ou étran­ger, rem­plis­sant ces condi­tions, sus­cep­tible de lui appor­ter un éclai­rage tech­nique. Les règles régis­sant l’expertise judi­ciaire, codi­fiées, pré­voient le recours à l’expertise dans des cas bien identifiés.


REPÈRES

Le recours à l’expertise judi­ciaire est pré­vu dans des cas pré­cis : constat de l’état d’un bien à titre pré­ven­tif ; constat de l’état d’un bien et mesures à prendre en urgence en cas de péril immi­nent ; constat de l’état d’un ouvrage dans une phase tran­si­toire de sa construc­tion ; ana­lyse des causes tech­niques d’un évé­ne­ment et avis sur leur impu­ta­bi­li­té. Hors de ce cadre judi­ciaire codi­fié, l’expertise est un outil uti­li­sé par les acteurs du sec­teur pri­vé : en tant que source de pro­grès ; dans le domaine de l’assurance ; en tant que mode de réso­lu­tion des conflits ; sous forme amiable (hors exper­tise judiciaire). 


Le référé préventif : état d’un bien immobilier avant intervention d’un tiers à proximité 

L’article R. 532–1 du Code de jus­tice admi­nis­tra­tive (ouvrages publics) et l’article 145 du Code de pro­cé­dure civile (ouvrages pri­vés) per­mettent de pro­cé­der à des consta­ta­tions préa­lables à l’exécution de tra­vaux devant être entre­pris sur, dans, sous ou à proxi­mi­té d’un ouvrage exis­tant. L’expert est sol­li­ci­té afin de pro­cé­der à des consta­ta­tions, pour dres­ser pré­ci­sé­ment l’état d’un bien immo­bi­lier, de ses avoi­si­nants, avant tra­vaux (fis­sures, tas­se­ments de ter­rain pré­exis­tants…). À titre d’exemple carac­té­ris­tique, l’usage d’explosifs à proxi­mi­té de bâti­ments pré­exis­tants dont l’état doit être pho­to­gra­phié avant usage des explo­sifs, afin de déter­mi­ner si les tra­vaux ont endom­ma­gé ces exis­tants ou s’ils ont aggra­vé leur état, avec tou­jours la même fina­li­té : per­mettre au juge de déter­mi­ner, si néces­saire, l’imputabilité des dégra­da­tions nou­velles ou de leur aggravation. 

Le rôle de l’expert est en ce cas un rôle de consta­ta­tion, assi­mi­lable à ce que ferait un huis­sier, sur l’état d’un ter­rain, d’un bâti­ment, d’un ouvrage. À deux dif­fé­rences près, cepen­dant : la mis­sion de l’expert judi­ciaire (rap­pe­lons qu’il prête ser­ment) est effec­tuée par ce que l’on appelle un « homme de l’art », c’est-à-dire un spé­cia­liste qui ne se conten­te­ra pas de consta­ter ce que l’initiateur du constat lui deman­de­ra (cas du constat par huis­sier), sans trop savoir ce qu’il est utile ou non de consta­ter, mais par un expert (ingé­nieur ou archi­tecte en géné­ral) qui sau­ra faire des consta­ta­tions ciblées et utiles ; la mis­sion de l’expert est déci­dée par le juge et elle est effec­tuée contra­dic­toi­re­ment, sous son contrôle, en sorte qu’il n’y a pas entre l’expert qui effec­tue sa mis­sion et le deman­deur du constat la dépen­dance qui existe entre ce même deman­deur et un huis­sier, rému­né­ré par lui.

La constatation immédiate de l’état d’un terrain ou immeuble menaçant péril

Le deman­deur est le maire de la com­mune dans laquelle se situe le bien mena­çant ruine, la pro­cé­dure pré­vue par le Code de la construc­tion et de l’habitation variant selon que le péril appa­raît immi­nent ou non. Le rôle de l’expert dans ce cas est dif­fi­cile, car il inter­vient en urgence, le plus sou­vent sans plan des ouvrages exis­tants, de leur mode de fon­da­tion, de la nature des ter­rains d’assise… Il doit, dans un délai extrê­me­ment court, éclai­rer l’autorité admi­nis­tra­tive sur le degré de dan­ge­ro­si­té de l’ouvrage, sur la néces­si­té d’évacuer les lieux et sur les mesures de pro­tec­tion et éven­tuel­le­ment sur les conso­li­da­tions et répa­ra­tions à entre­prendre. La rédac­tion de son rap­port, effec­tuée dans la fou­lée de ses consta­ta­tions, déter­mi­ne­ra le conte­nu de l’arrêté de péril immi­nent du maire.

Constat de l’état d’un ouvrage dans une phase transitoire de sa construction

Nous ne sommes plus ici dans la menace de péril. Comme dans le réfé­ré pré­ven­tif, le deman­deur est en géné­ral celui à qui incombe la charge de la preuve. C’est un clas­sique dans le sec­teur du BTP, dans lequel, la plu­part du temps, l’entrepreneur sou­haite faire consta­ter des phases inter­mé­diaires ou pro­vi­soires d’exécution de tra­vaux appe­lées à dis­pa­raître ou à être recou­vertes par une phase sui­vante de tra­vaux et durant laquelle plus aucune consta­ta­tion ne sera pos­sible (cas de la décou­verte de cavi­tés sou­ter­raines en cours de tra­vaux). Les exi­gences posées par l’article R. 531–1 du Code de jus­tice admi­nis­tra­tive limitent la mis­sion de l’expert à des consta­ta­tions maté­rielles uni­que­ment (sans recherche de causes). L’article 145 du Code de pro­cé­dure civile est éga­le­ment uti­li­sable dans cette hypo­thèse. Le juge vient par­fois ajou­ter une condi­tion com­plé­men­taire issue des cahiers des charges admi­nis­tra­tifs des mar­chés : avoir préa­la­ble­ment épui­sé toutes les voies de consta­ta­tions contra­dic­toires pré­vues au contrat.

L’analyse technique des causes d’un événement et avis sur leur imputabilité

C’est cer­tai­ne­ment le cas le plus inté­res­sant pour l’expert qui va devoir, en matière com­mer­ciale comme en matière admi­nis­tra­tive, dans son domaine de spé­cia­li­té, éclai­rer le juge, dans le cadre de rela­tions contrac­tuelles conflic­tuelles ou, au pénal, sur demande du magis­trat, sur le lien de cau­sa­li­té exis­tant entre le pré­ju­dice invo­qué par une par­tie et un ou plu­sieurs faits géné­ra­teurs, sur l’imputabilité du ou des faits géné­ra­teurs et de ses consé­quences, sur leur valo­ri­sa­tion. Le juge deman­de­ra à l’expert (exemple extrait d’une mis­sion confiée par le juge admi­nis­tra­tif) : « De don­ner les élé­ments utiles d’appréciation sur la ou les causes des désordres consta­tés (en pré­ci­sant si ces der­niers sont impu­tables à un vice de concep­tion, à un défaut de sur­veillance ou à des fautes d’exécution, ou encore à toute autre cause, et, dans le cas de causes mul­tiples, en indi­quant la part d’imputabilité à cha­cune d’elles) ; de four­nir au juge les élé­ments lui per­met­tant d’apprécier l’étendue des pré­ju­dices et notam­ment l’évaluation du coût des tra­vaux néces­saires pour répa­rer le désordre. »

“L’expertise judiciaire introduit un corps étranger dans le mécanisme de la justice.

Devant les juri­dic­tions civiles, les demandes seront simi­laires : « Recher­cher l’origine, l’étendue et les causes des désordres dénon­cés par la socié­té XXX ; dire si les études et tra­vaux de la socié­té XXX ont été conduits confor­mé­ment aux docu­ments contrac­tuels et aux règles de l’art ; four­nir tous les élé­ments tech­niques et de fait de nature à per­mettre, le cas échéant, à la juri­dic­tion com­pé­tente de déter­mi­ner les res­pon­sa­bi­li­tés éven­tuel­le­ment encou­rues ; don­ner son avis sur les pré­ju­dices allé­gués par la socié­té XXX, au titre des pré­ju­dices finan­ciers liés à l’allongement du mar­ché ou de la récla­ma­tion de tout autre inter­ve­nant à l’acte de construire ain­si que du maître d’ouvrage ; de manière géné­rale, four­nir tous élé­ments utiles d’appréciation sur les préjudices. »

L’expertise, menée contra­dic­toi­re­ment, pren­dra cepen­dant plus de temps que pour de simples consta­ta­tions, car la recherche des causes deman­de­ra de nom­breux échanges de pièces, d’écritures, des réunions, des­ti­nés à per­mettre à l’expert de répondre pré­ci­sé­ment aux ques­tions du juge. La pas­sion que l’expert met­tra dans cet exer­cice ne doit tou­te­fois pas le conduire à sor­tir de son rôle d’expert en se sub­sti­tuant au juge, en empié­tant sur ses com­pé­tences (sec­teur réser­vé), sous peine d’encourir la nul­li­té de son rapport.

L’expertise lancée par les acteurs du secteur privé, hors expertise judiciaire

L’expertise est source de pro­grès. Les entre­pre­neurs et indus­triels ont recours aux experts en qua­li­té de conseils tech­niques : en amont, pour la mise au point d’un pro­cé­dé indus­triel ou d’un pro­duit, notam­ment dans une démarche de recherche et déve­lop­pe­ment, d’innovation ; en aval, en cas de dys­fonc­tion­ne­ment, pour en ana­ly­ser la cause, appor­ter les cor­rec­tifs néces­saires ou même, sim­ple­ment amé­lio­rer ces pro­cé­dés et ces pro­duits pour les rendre plus per­for­mants. L’expertise trouve ici un sens dif­fé­rent, celui de la consul­ta­tion d’un spé­cia­liste en vue de l’amélioration d’un pro­cess, d’un pro­duit, d’une méthode, afin de par­ve­nir à un résul­tat sécu­ri­sé, pour un coût opti­mi­sé. Ce rôle de conseil intègre le retour d’expérience que l’expert est à peu près le seul à maî­tri­ser du fait de sa connais­sance des échecs, des erreurs (sou­vent d’origine humaine) qu’il a ren­con­trés et ana­ly­sés, le plus sou­vent dans le cadre d’expertises judiciaires.

L’expertise d’assurance

Les com­pa­gnies d’assurances s’appuient dans l’analyse des garan­ties de leurs polices sur les conclu­sions tech­niques de cabi­nets d’expertise plus ou moins spé­cia­li­sés, tous ayant ten­dance à être mul­ti­cartes. Il n’existe pas de nomen­cla­ture offi­cielle des spé­cia­li­tés en matière d’expertise d’assurance, mais les domaines dans les­quels ils inter­viennent finissent par s’apparenter à ceux des cours d’appel. Si les com­pé­tences de l’expert judi­ciaire et celles de l’expert d’assurance sont com­pa­rables, il manque à l’expert d’assurance la garan­tie totale de son impar­tia­li­té dès lors qu’il est mis­sion­né par la com­pa­gnie d’assurances appe­lée à indem­ni­ser la vic­time et qu’il est rému­né­ré par elle. Sauf le cas par­ti­cu­lier de l’assurance dom­mages-ouvrage, l’assureur est ain­si seul déci­deur de la divul­ga­tion par­tielle ou totale des conclu­sions de l’expert, ou de leur non-divul­ga­tion, et de l’interprétation des conclu­sions de son rap­port. Alors que, dans l’expertise judi­ciaire, la mis­sion d’expertise est menée contra­dic­toi­re­ment et que le rap­port de l’expert judi­ciaire est dif­fu­sé au contra­dic­toire de toutes les par­ties, la mis­sion de l’expert d’assurance se déroule, quant à elle, en cir­cuit fermé.

L’expertise et les modes alternatifs de résolution des conflits

Quelle est la place, le rôle de l’expert, dans ces MARC (modes alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits) ? Les pou­voirs publics n’ont ces­sé, depuis plus de qua­rante ans, de sug­gé­rer aux don­neurs d’ordres publics d’avoir recours à ces modes alter­na­tifs de règle­ment des dif­fé­rends (guide à l’intention des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre de 1976, cir­cu­laires Bal­la­dur de 1995, Lagarde et Woerth de 2009, Fillon de 2011, rap­ports du Conseil d’État et guides des bonnes pra­tiques de 2015). Et, pour cause, le conten­tieux des étran­gers, celui des ques­tions prio­ri­taires de consti­tu­tion­na­li­té et celui de la fonc­tion publique encombrent les juri­dic­tions admi­nis­tra­tives, ce qui allonge les délais d’instruction des conten­tieux des mar­chés publics de plu­sieurs années. Les juges de l’ordre judi­ciaire œuvrent dans le même sens. La Confé­rence des pre­miers pré­si­dents des cours d’appel concluait ain­si en mai 2013 que « tout en réaf­fir­mant le carac­tère essen­tiel de l’accès au droit et à la jus­tice, [la Confé­rence] consi­dère qu’il est désor­mais impé­ra­tif de recen­trer le juge sur son cœur de métier… Pour atteindre cet objec­tif, il y a lieu de pro­cé­der à un trans­fert de charges vers d’autres pro­fes­sion­nels ou struc­tures compétents… »

Les Codes de jus­tice admi­nis­tra­tive et de pro­cé­dure civile orga­nisent les moda­li­tés de recours, selon le cas, à la média­tion, à la conci­lia­tion ou à l’arbitrage. L’expert peut trou­ver sa place dans ces dis­po­si­tifs alter­na­tifs : l’article 131–1 du Code de pro­cé­dure civile édicte « Le juge sai­si d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des par­ties, dési­gner une tierce per­sonne afin d’entendre les par­ties et de confron­ter leur point de vue pour leur per­mettre de trou­ver une solu­tion au conflit qui les oppose » ; l’article L. 213–7 du Code de jus­tice admi­nis­tra­tive sti­pule quant à lui « Lorsqu’un tri­bu­nal admi­nis­tra­tif ou une cour admi­nis­tra­tive d’appel est sai­si d’un litige, le pré­sident de la for­ma­tion de juge­ment peut, après avoir obte­nu l’accord des par­ties, ordon­ner une média­tion pour ten­ter de par­ve­nir à un accord entre celles-ci »… La conci­lia­tion ne figu­rant plus dans les dis­po­si­tions du code.

Il fau­dra cepen­dant que l’expert ait préa­la­ble­ment sui­vi une for­ma­tion spé­ci­fique à cet exer­cice par­ti­cu­lier qu’est la média­tion. Cette double com­pé­tence, dans la média­tion et dans son domaine de spé­cia­li­té tech­nique, garan­tit aux par­ties à un litige une maî­trise com­plète du sujet. C’est pour­quoi, dans ces domaines codi­fiés (contrai­re­ment à ce qui est déve­lop­pé dans le para­graphe sui­vant), on peut regret­ter qu’il ne soit pas pré­vu que, lorsqu’un expert judi­ciaire a dépo­sé son rap­port, il ne puisse pro­lon­ger son inter­ven­tion dans le cadre de mis­sions de média­tion compte tenu de sa connais­sance appro­fon­die du dossier.

L’arbitrage, assez peu uti­li­sé en droit admi­nis­tra­tif, reste une dis­ci­pline à part, compte tenu notam­ment des spé­ci­fi­ci­tés atta­chées à cette jus­tice pri­vée et des règles propres à chaque ins­ti­tu­tion d’arbitrage (cour, comi­té, chambre d’arbitrage…). Deux caté­go­ries d’intervenants figurent sur ces listes : des juristes et des experts, les arbi­trages étant sou­vent ren­dus par des comi­tés mixtes com­pre­nant deux experts (un par par­tie à l’arbitrage) et un juriste, sou­vent pré­sident de ce comi­té. L’organisation se rap­proche ain­si du sys­tème anglo-saxon de la cross-exa­mi­na­tion dans lequel le rôle des experts est déterminant.


L’expertise amiable, justice privée ? 

Le recours à cette forme de jus­tice pri­vée ou pro­fes­sion­nelle, plus rudi­men­taire que l’arbitrage, n’est cepen­dant pas com­man­dé par une volon­té déli­bé­rée d’échapper aux méca­nismes du sys­tème judi­ciaire fran­çais. Il repose sur la néces­si­té de tran­si­ger au plus tôt sur le fon­de­ment d’avis fiables, ceux d’experts judi­ciaires, ceux-là mêmes que le juge a rete­nus sur ses listes pour leurs com­pé­tences. L’expert est choi­si d’un com­mun accord par les par­ties en litige, pour son expé­rience et son auto­ri­té dans le domaine d’activité consi­dé­ré, fac­teurs déter­mi­nants pour trou­ver une issue amiable au litige qui sera fina­le­ment réso­lu par la voie tran­sac­tion­nelle, plus rapi­de­ment. Cette pra­tique de l’expertise ad hoc, déve­lop­pée en marge de toute orga­ni­sa­tion ins­ti­tu­tion­nelle, fon­dée uni­que­ment sur l’accord des par­ties, per­met aux entre­prises de s’affranchir du car­can des règles pro­cé­du­rales, du fac­teur temps et de l’aléa judi­ciaire, non sans risque au demeu­rant car sou­vent sans le concours de conseils juridiques. 


L’expertise amiable dans le secteur privé

Un phé­no­mène se des­sine depuis quelques années, sous l’impulsion des milieux pro­fes­sion­nels : « l’expertise amiable ». Le prag­ma­tisme des entre­prises, des « com­mer­çants », pres­sés par la néces­si­té de publier des pré­vi­sions finan­cières à date fixe, révèle le hia­tus exis­tant entre cette exi­gence et une contrainte inhé­rente aux tri­bu­naux, les délais de la jus­tice (dont l’exercice exige ce qui coûte le plus cher aux entre­prises, du temps, pour ana­ly­ser serei­ne­ment les ques­tions qui lui sont sou­mises). Une autre dif­fi­cul­té vient s’ajouter à celle du délai de prise de déci­sion : l’adéquation de la réponse appor­tée par le juge aux réa­li­tés de ter­rain, aux pra­tiques com­mer­ciales, non codi­fiées mais appli­quées dans les faits. Le pro­blème est ampli­fié par les moyens de com­mu­ni­ca­tion actuels, peu for­ma­listes, ultra-rapides et se heur­tant à la légi­time exi­gence du juge, le res­pect du for­ma­lisme, répu­té être le garant du droit. C’est ce que les entre­prises dési­gnent sous le vocable « d’aléa judiciaire ».

“L’expertise est source de progrès.”

Le juge sera tou­jours réti­cent à prendre en consi­dé­ra­tion ces aspects des échanges com­mer­ciaux, car ils intro­duisent la dimen­sion des usages pro­fes­sion­nels et par­fois de l’équité, notions qui lui sont néces­sai­re­ment étran­gères, son rôle l’obligeant à rai­son­ner uni­que­ment en droit, même si devant le tri­bu­nal de com­merce l’équité n’est pas tota­le­ment absente des déci­sions. Or l’expert, lui, issu du monde pro­fes­sion­nel, y est sen­sible car il sait que la réponse aux dif­fi­cul­tés en cours d’exécution d’un contrat, sur le ter­rain, est une réponse qui est sou­vent à la fron­tière du droit, qui tan­gente la norme contrac­tuelle. Les pro­fes­sion­nels s’adressent donc direc­te­ment à l’expert pour sol­li­ci­ter un avis qui per­met­tra de dénouer un litige. Son rap­port décan­te­ra chaque point de désac­cord à la lumière de son expé­rience et sous son auto­ri­té, una­ni­me­ment recon­nue par les par­ties en litige.

Les par­ties décident d’un com­mun accord, par le biais d’un pro­to­cole, si l’avis de l’expert a ou non des effets contrai­gnants et s’il peut être pro­duit en jus­tice dans le cas où elles ne trou­ve­raient pas, amia­ble­ment, une issue tran­sac­tion­nelle à leur dif­fé­rend. Elles ne reviennent vers le juge, qu’en cas d’échec de leur ten­ta­tive d’accord… ce qui rejoint pré­ci­sé­ment les pré­co­ni­sa­tions de la Confé­rence pré­ci­tée des pre­miers pré­si­dents de mai 2013. 

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