Le patrouilleur l’Audacieuse au bassin.

Les conséquences pour la marine de la réforme de la DCN

Dossier : Marine nationaleMagazine N°596 Juin/Juillet 2004Par : Michel SCIALOM, chargé de mission auprès du chef d'état-major de la marine

La réforme de la DCN est un proces­sus qui s’est déroulé sur une dizaine d’an­nées. La théorie nous enseigne que le cadre juridique d’une admin­is­tra­tion n’est pas opti­mal pour gér­er une activ­ité indus­trielle. L’ex­péri­ence de la DCN con­stitue à cet égard un cas d’é­cole. De fait, lorsqu’on a voulu dot­er ce ser­vice d’une per­son­nal­ité morale en l’érigeant en société anonyme, il a fal­lu recon­stituer une compt­abil­ité, établir un bilan d’ou­ver­ture et définir des plans de mise à niveau dans les domaines du con­trôle de ges­tion et de l’in­for­ma­tique. Cet effort n’est pas ter­miné. Au fond et avec du recul, l’idée de départ de 1992, la sépa­ra­tion du pôle éta­tique du pôle indus­triel, était la bonne.

Mais cette dis­tinc­tion n’a pas été au départ assez rad­i­cale puisqu’il a fal­lu dix ans pour la men­er à bien. Les dates qui jalon­nent cette évo­lu­tion sont con­nues : 1997, créa­tion du ser­vice des pro­grammes navals à côté d’une DCN dépen­dant tou­jours de la DGA ; 2000, trans­for­ma­tion de la DCN en ser­vice à com­pé­tence nationale rel­e­vant directe­ment du min­istre de la Défense (donc sor­ti du champ de la DGA), 1er juin 2003 obten­tion de la per­son­nal­ité juridique et de l’au­tonomie finan­cière à la faveur du change­ment de statut. Sans doute était-il néces­saire de procéder par étapes et de ménag­er les personnels.


Le patrouilleur l’Auda­cieuse au bassin. MARINE NATIONALE

À l’usage néan­moins, il appa­raît que la pour­suite de rela­tions forte­ment con­san­guines n’a pas favorisé la rigueur de ges­tion, le suivi des con­trats (quand ils exis­taient c’est-à-dire depuis 1998, sous une forme d’ailleurs dégradée car l’É­tat ne peut pas con­tracter avec lui-même), la con­nais­sance des prix de revient et leur con­trôle ain­si que le souci de met­tre le client au cen­tre de l’or­gan­i­sa­tion, pra­tiques de règle dans les sociétés privées.

Il y a au demeu­rant deux façons d’ap­préhen­der ces évo­lu­tions qui ne sont pas ter­minées puisqu’une con­sol­i­da­tion inter­vien­dra tôt ou tard dans le domaine de la con­struc­tion navale mil­i­taire européenne. La pre­mière con­siste à adopter le prisme de l’in­dus­triel ; la sec­onde fait du change­ment de statut de la DCN un élé­ment de la réforme de la DGA qui se poursuit.

Pour autant, et du point de vue qui nous occupe, il est bon de soulign­er que l’ef­fort de mise à plat qui a été mené à bien était néces­saire. L’ex­er­ci­ce de réc­on­cil­i­a­tion compt­able était oblig­a­toire puisque le choix a été fait de chang­er le statut de la DCN et non pas de créer une nou­velle société ab ini­tio (ce qui aurait été très dif­fi­cile puisque cette société aurait eu voca­tion à récupér­er les con­trats en cours d’exé­cu­tion et le per­son­nel en poste).

Il a per­mis de créer une sit­u­a­tion de départ très favor­able. En cas de doutes, et ils ont été assez nom­breux, la pra­tique a en effet con­sisté à dépréci­er ou à pro­vi­sion­ner mas­sive­ment les postes con­cernés. Les amor­tisse­ments pra­tiqués ont été mas­sifs ; pour les immo­bil­i­sa­tions cor­porelles par exem­ple, c’est-à-dire les ter­rains, bâti­ments et out­il­lages apportés en pro­pre à la nou­velle société, le taux d’amor­tisse­ment a été de 84 %, dimin­u­ant d’un coup la valeur de la DCN de près de 1,3 mil­liard d’eu­ros. Les pro­vi­sions et les amor­tisse­ments ont été com­plétés par des garanties délivrées par l’É­tat cou­vrant à la fois les con­trats export et les con­trats nationaux, garanties ayant pour objet de pro­téger la future entre­prise de toutes les con­séquences finan­cières néga­tives liées à son activ­ité en tant que ser­vice de l’É­tat. Les con­trats ayant été trans­férés ” en l’é­tat “, ils n’ont pas don­né lieu à rené­go­ci­a­tion sur le prix et le client n’en a tiré aucun béné­fice. Enfin la DCN a été dotée d’un cap­i­tal ini­tial qui s’élève à 563 M&euro ; et couronne l’édifice.

Bref, rien que du très solide : un cap­i­tal cor­rect, un action­naire éta­tique, des comptes passés à la paille de fer, un plan de charge con­séquent. Et le client dans tout cela ? À la vérité, il a été con­fron­té à un dou­ble défi : la réforme l’a con­duit à réfléchir aux fonc­tions régali­ennes qu’il devait exercer, notam­ment dans le domaine du nucléaire où l’É­tat con­servera sa respon­s­abil­ité d’ex­ploitant, mais elle a été suiv­ie aus­si de ce que l’on pour­rait appel­er des dégâts financiers collatéraux.

Les charges sup­plé­men­taires sont par­faite­ment iden­ti­fiées. Elles tien­nent en pre­mier lieu à l’as­su­jet­tisse­ment de la nou­velle entre­prise à la TVA dans les con­di­tions de droit com­mun qui se traduit par une aug­men­ta­tion mécanique de ses prix. Lorsque la DCN fonc­tion­nait comme un ser­vice de l’É­tat, elle n’é­tait pas en effet assu­jet­tie à cette taxe. Heureuse­ment, et au moins sur la durée de la loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire, le principe d’une com­pen­sa­tion budgé­taire a été retenu et mis en œuvre à la suite de déci­sions des plus hautes autorités de l’É­tat. Il n’en reste pas moins que cette com­pen­sa­tion sera soumise à rené­go­ci­a­tion chaque année compte tenu du principe de l’an­nu­al­ité budgé­taire. Et que sur le long terme la sit­u­a­tion française est insatisfaisante.

Il faut savoir en effet que la plu­part des pays de l’U­nion européenne pra­tiquent le taux 0 ou l’ex­onéra­tion en matière de con­struc­tion navale mil­i­taire à l’ex­cep­tion de la France et de l’Alle­magne. Cette dis­tor­sion de con­cur­rence fis­cale pénalise la marine française qui, à bud­get égal, ver­ra ses pro­grammes amputés d’en­v­i­ron 20 % de con­tenu physique dès lors qu’elle s’adresse à la DCN par rap­port, par exem­ple, à la marine bri­tan­nique. Cette iné­gal­ité de traite­ment est dom­mage­able égale­ment au développe­ment de la coopéra­tion indus­trielle entre pays de l’U­nion. Non seule­ment les marins devront ten­ter de con­verg­er sur l’ex­pres­sion des besoins opéra­tionnels, qui com­man­deront eux-mêmes les car­ac­téris­tiques des équipements, mais ils devront ensuite gér­er une dif­férence sen­si­ble de pou­voir d’achat qui nuira à la déf­i­ni­tion d’un pro­duit com­mun. La solu­tion serait bien enten­du une remise à plat du régime applic­a­ble à la con­struc­tion navale mil­i­taire au niveau européen, en inté­grant les nou­veaux États mem­bres. Mais elle pren­dra du temps compte tenu de l’ex­i­gence d’u­na­nim­ité qui pré­vaut en la matière… Les dis­cus­sions sur la TVA dans le domaine de la restau­ra­tion sont là pour nous le rappeler.

Les con­séquences indus­trielles et sociales de la réforme sont une deux­ième source de dépens­es. Le volet indus­triel ” marine ” a été estimé à 353 M€ base 2003 sur la péri­ode 2003–2008 ; il per­me­t­tra de cou­vrir la réha­bil­i­ta­tion des infra­struc­tures tech­niques mis­es à dis­po­si­tion de la DCN dans les ports mil­i­taires de Brest et de Toulon, les charges liées à la reprise de la fonc­tion ” rechanges “, la mise à niveau de la doc­u­men­ta­tion tech­nique des bâti­ments et le coût des démé­nage­ments induits par la mise en œuvre du sché­ma directeur de la nou­velle société. Ces dépens­es sont incompressibles.

Navire en entretien programmé.
Navire en entre­tien pro­gram­mé. MARINE NATIONALE

Il faut savoir que l’É­tat, pro­prié­taire des instal­la­tions, ne peut les met­tre à dis­po­si­tion de la DCN que si elles sont con­formes à la régle­men­ta­tion et aux normes. À défaut, sa respon­s­abil­ité pour­rait être engagée. Ceci con­cerne en par­ti­c­uli­er les réseaux élec­triques, les capac­ités sous pres­sion et les engins de lev­age. La marine s’est trou­vée en effet dans cette sit­u­a­tion para­doxale d’hérit­er d’in­stal­la­tions por­tu­aires vétustes, sous-entretenues pen­dant des décen­nies, et de devoir les remet­tre sans délai à la dis­po­si­tion de la DCN en état de marche.

Ces 353 M€ sont la con­trepar­tie d’un effort d’in­vestisse­ment ana­logue de la DCN au titre, notam­ment, des instal­la­tions dont la pro­priété lui a été trans­férée. Dans son plan à moyen terme 2003–2008, la DCN a en effet prévu 366 M€ base 2003 d’in­vestisse­ments liés à sa restruc­tura­tion. Ces dépens­es pèsent sur les résul­tats prévi­sion­nels sur la péri­ode et expliquent que le redresse­ment financier ne soit réelle­ment tan­gi­ble qu’en 2006, sauf bonne sur­prise. Cer­taines auraient prob­a­ble­ment dû être engagées même en l’ab­sence du change­ment de statut pour amélior­er le fonc­tion­nement de l’outil industriel.

Mais le débat n’est pas là. Dans la mesure où elles ont été accep­tées, elles con­sacrent l’ef­fort impor­tant con­sen­ti pour amélior­er la com­péti­tiv­ité de l’en­tre­prise. La marine a sim­ple­ment souhaité qu’un effort de même nature soit engagé au titre des fonc­tions et des instal­la­tions qu’elle con­ser­vait ou repre­nait. À défaut auraient coex­isté au sein d’un même port des instal­la­tions rénovées, celles de la nou­velle DCN, et des équipements dignes de l’époque de Col­bert ou de Zola, héritage d’une ges­tion éta­tique indi­gente. Cette coex­is­tence aurait posé prob­lème et n’au­rait pas été comprise.

Pour être com­plet, il faudrait aus­si inté­gr­er la charge nou­velle des assur­ances de la DCN (aupar­a­vant, l’É­tat était son pro­pre assureur) et le finance­ment par le min­istère de la Défense du fonds d’adap­ta­tion indus­trielle et des indem­nités de départ volon­taire qui seront pro­posées à cer­tains per­son­nels pour ajuster la masse salar­i­ale au plan de charge prévisible.

Troisième source de dépens­es, la néces­sité de cou­vrir ce que l’on a appelé des encours non con­trac­tu­al­isés (340 M€ en base 2003 pour l’ensem­ble du min­istère de la Défense), en fait des presta­tions de la DCN, sou­vent réal­isées dans des étab­lisse­ments por­tu­aires, qui avaient échap­pé à la dili­gence des ges­tion­naires chargés de les régu­laris­er a pos­te­ri­ori lorsque la con­trac­tu­al­i­sa­tion des rela­tions entre la DGA et la DCN avait été décidée en 1997, principe rap­pelé par la Charte de ges­tion en 1999. Ces dépens­es étaient restées non fac­turées dans la mesure où les con­trats néces­saires n’avaient pas été étab­lis. Elles avaient néan­moins été financées en tré­sorerie par des avances glob­ales, récupérées depuis. Lors du change­ment de statut, elles sont apparues en pleine lumière et ont aggravé le pas­sif à combler. Ce fut une bien mau­vaise nou­velle que per­son­ne n’avait envisagée.

On pour­ra tou­jours dis­cuter sur leur éten­due et leur per­ti­nence ; en fait, après une analyse de la DGA et une enquête de l’IGF et du CGA, leur réal­ité ne fait plus de doute. Elles ont essen­tielle­ment con­cerné des études, des travaux d’en­tre­tien, des muni­tions et des rechanges.

Une recherche en pater­nité de cette sit­u­a­tion serait stérile. La cause pro­fonde réside dans le mécan­isme du compte de com­merce qui fonc­tion­nait comme un compte de caisse et comme un park­ing budgé­taire, bien com­mode pour échap­per aux rigueurs de la régu­la­tion, et n’au­tori­sait pas les con­trôles dont sont cou­tu­miers les ges­tion­naires d’en­tre­prise habitués à la compt­abil­ité en par­tie dou­ble. Ceux-ci savent que recette n’est pas syn­onyme de créance et que la notion de dette est plus large que celle de dépense. Ce compte a servi de ban­quier à la DCN, mais il s’agis­sait d’un ban­quier par­ti­c­ulière­ment nég­li­gent. Les dépens­es étaient tou­jours cou­vertes en ges­tion et le compte sol­dé à l’équili­bre en fin d’an­née. L’im­pres­sion était trompeuse. En l’ab­sence de con­trats (au moins jusqu’en 1998), puisque tout se pas­sait au sein de l’É­tat, la clô­ture des opéra­tions indus­trielles n’in­ter­ve­nait qu’avec retard. Le ges­tion­naire nav­iguait donc à l’aveu­gle… et les pertes étaient masquées.

Le client marine souhait­erait aujour­d’hui qu’on lui prodigue la même sol­lic­i­tude qu’à la DCN car il sup­port­era la plus grande part des charges sup­plé­men­taires rap­pelées ci-dessus. Elles sont estimées à plus d’un mil­liard d’eu­ros pour le min­istère de la Défense entre 2004 et 2008, hors impact de la TVA (encours non con­trac­tu­al­isés, volets indus­triel et social de la réforme, assur­ances, impact des rede­vances payées par la DCN pour les zones mis­es à sa disposition).

Bien enten­du, cette somme con­sid­érable peut se jus­ti­fi­er. Si les investisse­ments inter­vi­en­nent comme prévu, la DCN dis­posera dès 2005 d’un out­il indus­triel entière­ment remis à neuf ce dont on ne peut que se féliciter. Les risques sont cou­verts, le cap­i­tal en voie de libéra­tion, la société a été créée sur des bases saines… Son plan de charge n’est pas sus­cep­ti­ble de con­naître un effon­drement com­pa­ra­ble à celui de GIAT Indus­tries en 1991 avec le nom­bre de pro­grammes nationaux envis­agés (fré­gates mul­ti-mis­sions, sous-marins nucléaires d’at­taque Bar­racu­da, deux­ième porte-avions) et des per­spec­tives promet­teuses à l’exportation.

Dès lors la ques­tion qui se pose est celle du retour sur investisse­ment ; elle con­duit à une redéf­i­ni­tion des rela­tions entre la DCN et la marine.

Sous-marin nucléaire au bassin, en entretien programmé.
Sous-marin nucléaire au bassin, en entre­tien pro­gram­mé. MARINE NATIONALE

Cette ques­tion de la rentabil­ité de l’opéra­tion est celle de l’É­tat action­naire qui prof­it­era évidem­ment du redresse­ment financier de l’en­tre­prise. Début 2004, le chem­ine­ment vers une sit­u­a­tion béné­fi­ci­aire sem­ble plus rapi­de que celui esquis­sé lors des sim­u­la­tions réal­isées au moment de la créa­tion de la société, tout en restant trib­u­taire du respect des dates des pro­grammes. Cette valeur appa­raî­tra au grand jour dès qu’une opéra­tion inter­vien­dra sur le cap­i­tal. Elle devrait per­me­t­tre d’ap­préci­er pos­i­tive­ment les efforts con­sen­tis au titre du comble­ment du pas­sif et de la capitalisation.

Mais cette inter­ro­ga­tion est aus­si celle de l’É­tat client, en l’oc­cur­rence la marine. Il faut, en ver­tu d’une juste répar­ti­tion de la valeur créée, que celle-ci soit répar­tie entre le client, l’ac­tion­naire, l’en­tre­prise et ses salariés. La pos­si­bil­ité de ratio­nalis­er les achats en s’af­fran­chissant des procé­dures du code des marchés publics, très con­traig­nantes et à vrai dire peu adap­tées à une activ­ité indus­trielle, va jouer un grand rôle dans le redresse­ment (en 2003, la DCN prévoy­ait 7 % d’é­conomies sur le vol­ume total des achats sur une péri­ode de six ans). Les achats de la DCN et de la DCNI représen­tent env­i­ron un mil­liard d’eu­ros par an et, à l’im­age d’autres indus­tries lour­des, près des deux tiers du chiffre d’af­faires. C’est donc un poste très important.

Il con­vient que le client puisse béné­fici­er de ces gains sous forme d’amélio­ra­tion de la qual­ité du ser­vice et de baisse des prix sur les nou­veaux con­trats. Des procé­dures de con­cer­ta­tion ont été mis­es en place aux niveaux cen­tral et local. Elles doivent encore faire leur preuve. Le con­trat d’en­tre­prise, signé entre l’É­tat et la DCN, organ­ise, pour sa part, les rela­tions dans la durée et prévoit de mesur­er les pro­grès réal­isés par la tenue d’un cer­tain nom­bre d’indi­ca­teurs. Il con­stituera un instru­ment pré­cieux et a d’ores et déjà per­mis de men­er une réflex­ion com­mune sur le devenir de la société et ses métiers stratégiques, pro­longeant le plan Azur d’avril 2001 demeuré à usage interne.

Le débat sur le ” juste retour ” ne sera pas évité et il sera pub­lic. La loi du 28 décem­bre 2001 qui a autorisé le change­ment de statut prévoit en effet que chaque année jusqu’en 2008 le Par­lement sera des­ti­nataire d’un rap­port sur les per­spec­tives d’ac­tiv­ité et les fonds pro­pres de la nou­velle entre­prise. Le pre­mier rap­port a été déposé en avril 2003 ; il n’a pas sus­cité d’ob­ser­va­tions par­ti­c­ulières. Les suiv­ants pour­ront sans doute être le pré­texte à des dis­cus­sions nour­ries. Tant que l’en­tre­prise sera dans le rouge, toute reven­di­ca­tion serait mal venue car l’in­térêt com­mun exige que la réforme soit un suc­cès. Mais dès qu’elle dégagera des béné­fices, il n’en sera plus de même surtout si elle met en œuvre une poli­tique de rente dans cer­tains domaines techniques.

Les évo­lu­tions toucheront égale­ment la marine dans ses rela­tions avec la DCN. Les con­trats devien­dront la loi des par­ties et les juristes seront beau­coup plus sol­lic­ités. Il fau­dra s’y adapter. Le tra­vail de fond sur l’ex­pres­sion de besoin devra être dévelop­pé ; le con­trôle de ges­tion interne devra être général­isé ; la véri­fi­ca­tion du con­tenu physique des presta­tions achetées, lacu­naire sous l’empire du compte de com­merce et du tra­vail en régie, devra être sys­té­ma­tisée, au besoin en s’aidant de cat­a­logues. Ces tâch­es nou­velles appel­lent de nou­velles com­pé­tences qu’il fau­dra aller chercher à l’ex­térieur et con­ven­able­ment posi­tion­ner dans la hiérar­chie. Cet état-major en est persuadé.

La réforme de la DCN a été en effet l’oc­ca­sion d’une redéf­i­ni­tion des rôles et d’un trans­fert de cer­taines fonc­tions. Dans le domaine du nucléaire, la marine devra ain­si organ­is­er sa mon­tée en puis­sance pour pou­voir con­trôler l’en­tre­prise dev­enue sim­ple opéra­teur indus­triel. La reprise de la ges­tion des rechanges, qui béné­fi­cie désor­mais de moyens de stock­age mod­ernes et automa­tisés, ain­si que celle des pyrotech­nies (via le ser­vice de sou­tien de la Flotte) l’ont con­duite à accueil­lir le per­son­nel ex-DCN con­cerné par ces activ­ités. Le ser­vice des travaux mar­itimes a vu la super­fi­cie des empris­es dont il est affec­tataire aug­menter dans une pro­por­tion de 25 % puisque les ter­rains et les bâti­ments (ain­si que les réseaux de flu­ides) dans les ports mil­i­taires, pro­priétés de l’É­tat gérées autre­fois sous la respon­s­abil­ité de DCN/service à com­pé­tence nationale, lui ont été con­fiés. Une par­tie de ces empris­es a d’ailleurs été mise à dis­po­si­tion de DCN/société anonyme par l’in­ter­mé­di­aire de titres d’oc­cu­pa­tion du domaine pub­lic mil­i­taire. Dans le domaine des muni­tions le ser­vice des travaux mar­itimes a récupéré des tâch­es sup­plé­men­taires liées à la pour­suite des mis­es à hau­teur de sécu­rité des pyrotech­nies de Brest et de Toulon.

Il serait faux de croire, toute­fois, que le change­ment de statut réal­isé, les principes posés, les moyens accordés, tous les risques sont écartés. Comme l’ont souligné cer­tains spé­cial­istes, la DCN est une entre­prise en sit­u­a­tion de retourne­ment qui doit pren­dre con­science de son nou­v­el envi­ron­nement. Ain­si, si le plan de charge n’est pas respec­té, ce n’est plus l’É­tat, via le compte de com­merce, qui sera chargé de faire les fins de mois mais la société avec bien enten­du des con­séquences sur son résul­tat. La lib­erté accrue de l’en­tre­prise sera la con­trepar­tie d’une plus grande expo­si­tion à la vie des affaires et aux néces­sités de la con­cur­rence. En un sens, le change­ment de statut de la DCN a élim­iné une source de déficit à la charge du bud­get de la Défense, du moins tant que l’en­tre­prise restera en pertes.

Cela dit, il faut rai­son garder. Pen­dant de très longues années, les sorts de la marine et de la DCN seront liés. Il ne peut en être autrement si l’on songe que l’en­tre­prise réalis­era 70 % de son chiffre d’af­faires avec l’É­tat sur la durée du con­trat d’en­tre­prise dans sa ver­sion pru­dente dite de dimen­sion­nement. Dans de nom­breux domaines la mise en con­cur­rence ne sera qu’une vue de l’esprit.

Dans celui de l’en­tre­tien par exem­ple, et compte tenu du tis­su indus­triel local, il fau­dra au préal­able que le Ser­vice de sou­tien de la Flotte (SSF) se con­stitue une doc­trine et une expéri­ence avec des moyens ren­for­cés sans courir le risque de devenir une DCN bis. Dans les zones déléguées à la DCN, on ne voit pas qui pour­rait lui suc­céder, si tant est que l’on en ait le désir, à l’ex­pi­ra­tion des titres domaniaux.

Rai­son de plus pour que l’en­tre­prise se préoc­cupe des ressources de son client prin­ci­pal. C’est la rai­son essen­tielle qui milite pour le finance­ment du con­trat des fré­gates mul­ti­mis­sions en finance­ment inno­vant, mode de finance­ment reposant sur l’u­til­i­sa­tion de tech­niques de marché et non plus sur de sim­ples crédits budgé­taires. Les ressources ain­si dégagées per­me­t­traient de cou­vrir les charges sup­plé­men­taires rap­pelées au début de cet arti­cle et de liss­er le coût des pro­grammes sur la durée d’u­til­i­sa­tion des matériels. S’il n’en était pas ain­si, tous les parte­naires y perdraient : la marine qui ne pour­rait pas respecter les ter­mes de la loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire et serait con­fron­tée à des rup­tures capac­i­taires, la DCN qui ver­rait son plan de charge affec­té et son redresse­ment com­pro­mis, l’É­tat enfin qui n’au­rait pas investi à bon escient. Lors de sa vis­ite dans la marine nationale à Brest le 17 févri­er 2004, le prési­dent de la République a d’ailleurs incité les acteurs à faire preuve d’imag­i­na­tion pour le finance­ment des FREMM.

Les respon­s­ables actuels sont con­scients des enjeux. Il reste à espér­er que les fruits tien­nent la promesse des fleurs. À cet égard, les deux années qui vien­nent seront cri­tiques au même titre que les con­di­tions de la con­sol­i­da­tion indus­trielle qui reste à venir. Défi indus­triel majeur, la réforme de la DCN est un élé­ment de la réforme de l’É­tat. Nous avons tout à gag­n­er de sa réus­site et tout à per­dre de son échec. Comme tout investisse­ment, elle est coû­teuse à court terme, mais elle dégagera pro­gres­sive­ment des résul­tats posi­tifs puisque l’in­dus­triel sera non seule­ment atten­tif à sa tech­nique mais aus­si à l’op­ti­mi­sa­tion de ses coûts de réalisation. 

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