Le taureau face aux tigres

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°634 Avril 2008Par : Jean-Marc Daniel (74)Rédacteur : Hubert Lévy-Lambert (53) hll@paref.comEditeur : Pearson Éducation France 47 bis, rue des Vinaigriers, 75010 Paris. Tél. : 01.72.74.90.00.

Sous-titré « Entre les États-Unis et la Chine, l’avenir est à l’Europe », cet opus­cule de grande den­si­té éclaire en quelques cha­pitres très didac­tiques le fonc­tion­ne­ment de l’économie mon­diale. Celui-ci se joue prin­ci­pa­le­ment entre les États-Unis, tigre de papier selon Mao, qui béné­fi­cie du pri­vi­lège exor­bi­tant de pou­voir vivre au-des­sus de leurs moyens en inon­dant le monde avec leur dette, et la Chine, tigre asia­tique, qui se serre la cein­ture pour expor­ter le pro­duit de ses ate­liers et accu­mule ain­si des quan­ti­tés extra­or­di­naires de dol­lars (un tiers des réserves de change du monde, en comp­tant Taï­wan et Sin­ga­pour). Com­bien de temps cela peut-il durer ? Et l’Europe dans tout cela ?
Selon l’auteur, le monde est divi­sé en 5 groupes : États-Unis, vieux ate­liers (Europe et Japon), ate­liers émer­gents (Bré­sil, Chine, Inde), ren­tiers (pays pro­duc­teurs de pétrole), réser­voirs pour l’exode rural à venir (Afrique, Amé­rique latine). Les échanges entre ces groupes ne sont pas sans rap­pe­ler ceux décrits par Ricar­do pour la Grande-Bre­tagne du XIXe siècle.
Couverture du livre Le taureau face aux tignesAprès l’analyse de la poli­tique éco­no­mique des États-Unis depuis la Deuxième Guerre mon­diale, oscil­lant entre key­né­sia­nisme tra­vailliste et conser­va­teur, Jean-Marc Daniel ana­lyse les rai­sons de la crois­sance chi­noise, qu’il voit au nombre de six : apport impor­tant de capi­taux étran­gers, intro­duc­tion de l’économie de mar­ché avec un sec­teur pri­vé auto­nome, héri­tage cultu­rel impli­quant une main‑d’œuvre abon­dante et docile, appel à des spé­cia­listes de l’étranger, sta­bi­li­té poli­tique, enfin richesses natu­relles abondantes.
À côté de ces 6 atouts, la Chine a 5 han­di­caps : accu­mu­la­tion de dettes du sec­teur public, creu­se­ment rapide des inéga­li­tés, manque de main-d’œuvre adap­tée, type de déve­lop­pe­ment incon­trô­lé, oppo­si­tion entre choix éco­no­miques et choix politiques.
Dans un rac­cour­ci sai­sis­sant de l’histoire des rela­tions entre la Chine et le reste du monde, l’auteur se demande si, après avoir été volés par les Byzan­tins (jusqu’à l’interdiction faite aux citoyens romains de por­ter des vête­ments de soie !), dro­gués par les Anglais (cf. guerre de l’opium), les Chi­nois tolé­re­ront encore long­temps d’être exploi­tés par les Américains !
Les signes d’un chan­ge­ment de poli­tique com­mencent à se faire sen­tir, mais pas dans le sens vou­lu par les Amé­ri­cains : après la mise de 3 G$ dans le fonds amé­ri­cain Blacks­tone, qui ne s’avère pas pour l’instant un pla­ce­ment par­ti­cu­liè­re­ment génial, la Chine a déci­dé de pla­cer 200 G$ – une goutte d’eau par rap­port à ses réserves – sur les mar­chés actions via ce qu’on appelle main­te­nant des « fonds sou­ve­rains », nou­velle ter­reur des États occi­den­taux impé­cu­nieux. Ce n’est certes pas ce que les Amé­ri­cains atten­daient, à savoir une rééva­lua­tion du yuan, reje­tée par les Chi­nois qui craignent ses inci­dences néga­tives sur leur croissance.
Comme annon­cé dans le sous-titre du livre, Jean-Marie Daniel ter­mine son livre en van­tant la poli­tique de l’Europe, tau­reau pru­dent qui prône l’investissement, le tra­vail et la sta­bi­li­té moné­taire. Il vante la poli­tique de l’euro fort de la BCE dont le pré­sident Jean-Claude Tri­chet résiste aux objur­ga­tions illi­cites et mal venues de cer­tains poli­ti­ciens, notam­ment français.
L’économie euro­péenne béné­fi­cie ain­si de trois élé­ments forts : une absence d’inflation, même si la hausse des matières pre­mières conduit la BCE à res­ter très vigi­lante, un main­tien de son équi­libre exté­rieur et une crois­sance fon­dée sur la capa­ci­té à accu­mu­ler du capi­tal et à amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té, ce que les éco­no­mistes appellent « une poli­tique de l’offre ».
Au sein de la zone euro, il n’y a mal­heu­reu­se­ment pas que des bons élèves : l’Allemagne met ses forts excé­dents com­mer­ciaux à la dis­po­si­tion des autres membres de la zone, et notam­ment de la France, comme moyen de com­pen­ser leur défi­cit commercial.
Avec un défi­cit record de 40 mil­liards euros en 2007, que ne sau­raient excu­ser ni la fac­ture pétro­lière – 80 % de l’électricité fran­çaise est d’origine nucléaire – ni l’euro fort – l’Allemagne a le même euro – la France pâtit d’une poli­tique éco­no­mique à contre­sens, basée sur la relance de la demande et du pou­voir d’achat, que para­doxa­le­ment seule l’appartenance de la France à la zone euro rend pos­sible ! Mais cela ne sau­rait durer, nos par­te­naires sont prêts de se lasser.
Même nom­breuses et don­nant le tour­nis à beau­coup de Fran­çais de droite comme de gauche, les réformes en cours ne sont sans doute rien à côté de ce qu’il fau­dra entre­prendre avant la fin de 2008 pour redres­ser les finances publiques et le com­merce exté­rieur de la France.
C’est ain­si que la Slo­vé­nie, petit pays de 2 mil­lions d’habitants qui pré­side l’Europe au 1er semestre 2008, s’est per­mis de cri­ti­quer la France, qui vit au-des­sus de ses moyens et fait comme si elle n’avait aucune contrainte bud­gé­taire ou extérieure.
Si le franc fran­çais exis­tait encore, nul doute que les équipes de Domi­nique Strauss-Kahn seraient actuel­le­ment à Paris pour faire ava­ler à la France la pilule amère que le FMI a fait ava­ler à la fière Grande-Bre­tagne en 1976.
 

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