Le Microlycée 93, la réussite pour les décrocheurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°745 Mai 2019
Par François GAUDEL (66)
Les besoins de la Seine-Saint-Denis en matière éducative sont considérables et méritent des traitements particuliers. Cela vaut pour toutes les catégories d’élèves. Mais s’attaquer au problème des élèves décrocheurs, n’est-ce pas peine perdue ? C’est ce que semble contredire l’expérience des microlycées dont nous parle Nathalie Broux, professeure agrégée de français. Elle exerce en Seine-Saint-Denis depuis septembre 2000, au Microlycée 93 depuis 2010, et au lycée innovant Germaine Tillion du Bourget depuis 2014.

Nathalie Broux, auteure du livre Les Microlycées. Accueillir les décrocheurs, changer l’école
Nathalie Broux, auteure du livre Les Microly­cées. Accueil­lir les décrocheurs, chang­er l’école

Qu’est-ce que le Microlycée 93 ?

Le Microly­cée 93, ouvert en 2009 à La Courneuve, est un étab­lisse­ment sco­laire pub­lic expéri­men­tal, situé depuis 2014 au sein du lycée Ger­maine Tillion du Bour­get. Il accueille 55 jeunes âgés de 16 à 25 ans, qui repren­nent leurs études pour (re)passer le bac­calau­réat. Ces élèves « décrocheurs » ont tous inter­rompu com­plète­ment leur sco­lar­ité depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Ils intè­grent le Microly­cée 93 directe­ment en classe de pre­mière, pour pré­par­er les bac­calau­réats ES ou L et pour­suiv­re ensuite leurs études supérieures.

Ces jeunes sont-ils volontaires pour reprendre l’école, et pourquoi le veulent-ils ?

Tous nos élèves sont volon­taires. Ils doivent même nous appel­er eux-mêmes, et pren­dre ren­dez-vous pour le pre­mier entre­tien. Leur moti­va­tion prin­ci­pale est le bac­calau­réat, qu’ils regret­tent de ne pas avoir obtenu. Je dis sou­vent que si le bac ne vaut rien, c’est seule­ment pour ceux qui l’ont… car ce seuil sco­laire et social, si sym­bol­ique, revêt une impor­tance majeure pour nos élèves. Sans le bac, que l’on donne soi-dis­ant « à tout le monde », ils se sen­tent pro­fondé­ment relégués, en échec.

Évidem­ment, au-delà de cet objec­tif du bac, que nous affi­chons volon­tiers, se cachent tous les autres aspects du rac­crochage : une réha­bil­i­ta­tion de leur intel­li­gence, un regain d’estime de soi, un espoir de sor­tie de la pré­car­ité sociale. Cette dernière dimen­sion est d’autant plus vraie dans un ter­ri­toire comme le nôtre, chez des jeunes qui ont été pré­co­ce­ment con­fron­tés au marché du tra­vail sans diplôme.

C’est pourquoi notre choix est de leur offrir une sco­lar­ité exigeante dans des fil­ières générales, et non pas une qual­i­fi­ca­tion prépro­fes­sion­nelle comme le font, par exem­ple, les Écoles de la 2e chance.


Chronologie

2000 : ouver­ture du pre­mier Microly­cée à Sénart (77).

2008 : deux­ième Microly­cée à Vit­ry-sur-Seine (94).

2009 : troisième Microly­cée à La Courneuve (93), depuis 2014 au Bourget.

L’Académie de Créteil a été pio­nnière en la matière. Aujourd’hui, il existe des étab­lisse­ments com­pa­ra­bles dans toute la France.


Quels « types » d’élèves accueillez-vous ?

Les par­cours des élèves du Microly­cée sont tous très dif­férents, ce qui fait d’ailleurs la richesse foi­son­nante d’un tel étab­lisse­ment ! Il existe de mul­ti­ples caus­es du décrochage sco­laire, qui bien sou­vent se cumu­lent : ori­en­ta­tion subie qui con­duit à du décourage­ment, absen­téisme qui amène à un redou­ble­ment puis à l’arrêt pro­gres­sif ou bru­tal de la sco­lar­ité, néces­sité d’avoir un salaire qui rend la sco­lar­ité impos­si­ble, rup­tures famil­iales, place­ment par l’Aide sociale à l’enfance qui s’accompagne d’une grande insta­bil­ité, sit­u­a­tions de har­cèle­ment à l’école, dif­fi­cultés médi­cales et psy­chologiques majeures (addic­tions, dépres­sions, mal­adies graves, pho­bies), par­cours migra­toires, faits de délinquance…

Il est très impor­tant de dire que le décrochage sco­laire n’est que très rarement un choix, une escapade heureuse. Con­traire­ment aux représen­ta­tions habituelles, ces jeunes n’ont pas de dif­fi­cultés d’apprentissage, et font preuve d’une grande curiosité intel­lectuelle. Cer­tains, en auto­di­dactes, ont acquis une cul­ture impres­sion­nante, d’autres ont une matu­rité remar­quable. Mais, à un cer­tain moment de leur vie, le car­can de l’institution sco­laire, son inca­pac­ité à pren­dre en compte la sin­gu­lar­ité de cha­cun, les en a éloignés.


Les structures de retour à l’école

Il existe une soix­an­taine de struc­tures de retour à l’école en France. Toutes ne sont pas des microly­cées : par exem­ple il y a aus­si les Écoles de la deux­ième chance dont le principe est légère­ment dif­férent. Ce nom­bre est en aug­men­ta­tion : 12 en 2012, 36 en 2016, 60 aujourd’hui. Les microly­cées eux-mêmes sont au moins une dizaine (4 en région parisienne).

Les élèves sont entre 10 et 15 par classe. 

Une étude disponible sur le site de la FESPI (Fédéra­tion des étab­lisse­ments sco­laires publics inno­vants) fait état de coûts annuels par élève du même ordre, voire légère­ment inférieurs à ceux d’un lycéen moyen (11 600 euros). Cela tiendrait notam­ment à un effec­tif non enseignant moins nom­breux (par exem­ple il n’y a pas de sur­veil­lants ni de CPE).

La page du site de l’Éducation nationale con­sacrée à la lutte con­tre le décrochage sco­laire éval­ue le coût du décrochage tout au long d’une vie à 230 000 euros.

Dans un microly­cée, les pro­fesseurs ont un ser­vice pluriel qui se com­pose d’un temps d’enseignement de sa matière, de dis­posi­tifs inter­dis­ci­plinaires, de temps de per­ma­nence, de tutorat et de con­cer­ta­tion d’équipe.


Leur retour à l’école se passe-t-il bien ? Leur emploi du temps est-il aménagé ?

Le retour à l’école sup­pose un accueil par­ti­c­uli­er, et une sou­p­lesse que n’a pas le sys­tème clas­sique. Notons d’ailleurs que ce dernier pour­rait offrir de nom­breux amé­nage­ments qui aideraient à lut­ter con­tre le décrochage scolaire.

Les élèves, même au Microly­cée, n’ont jamais une sco­lar­ité linéaire, même s’ils sont très motivés. Ils sont sou­vent absents, con­nais­sent des péri­odes de doute, et con­tin­u­ent de devoir affron­ter des dif­fi­cultés per­son­nelles qui sont autant d’empêchements à la resco­lar­i­sa­tion. Au Microly­cée, nous organ­isons une journée d’intégration, un voy­age au milieu de l’hiver pour les remo­bilis­er, nous leur téléphonons tous les matins s’ils ne sont pas arrivés en classe, nous compt­abil­isons leur « taux de présence » et non pas leurs absences, et ils sont suiv­is par un tuteur qui fait le point avec eux, indi­vidu­elle­ment, chaque semaine. Il faut qu’ils se sen­tent tou­jours les bien­venus et nous dévelop­pons au mieux leur sen­ti­ment d’appartenance à l’établissement.

Par ailleurs, tout le pro­jet péd­a­gogique est pen­sé pour créer une cohérence des savoirs, et faire sens à leurs yeux. Leur emploi du temps, du fait de la pré­pa­ra­tion au bac­calau­réat, reste assez clas­sique, mais quelques spé­ci­ficités sont nota­bles : philoso­phie et arts plas­tiques oblig­a­toires dès la classe de pre­mière, cours inter­dis­ci­plinaires, ate­lier d’écriture, sor­ties culturelles…

Enfin, la pra­tique des enseignants est fondée sur l’encouragement et la bien­veil­lance, notam­ment en matière d’évaluation. La nota­tion doit les accom­pa­g­n­er vers la réus­site au lieu de leur faire intéri­oris­er l’échec. Inutile de pré­cis­er que l’on ne met pas de notes « puni­tives » au Microly­cée, et que chaque devoir peut être retra­vail­lé, ren­du en retard, amélioré, chaque cours rattrapé.

Comment évaluer les résultats du Microlycée ?

Depuis bien­tôt dix ans, plus de 80 % de nos élèves obti­en­nent le bac chaque année. Cer­tains, bien sûr, n’ont pas réus­si à tenir jusqu’à l’examen et ont réitéré l’abandon de l’école. Mais ils sont minori­taires. Chez ceux qui parvi­en­nent à tenir jusqu’au bout, les sta­tis­tiques sont très positives.

Évidem­ment, notre tra­vail ne se résume pas à des chiffres à l’examen, et chaque année une éval­u­a­tion plus qual­i­ta­tive est faite, qui repose sur leur social­i­sa­tion au sein de l’établissement, leur par­tic­i­pa­tion aux pro­jets, leur état de san­té, etc. Nous devons les aider à pass­er un cap… Beau­coup revi­en­nent nous voir et voient leurs années au Microly­cée comme un tour­nant important.

Microlycées 93

Existe-t-il d’autres Microlycées, et comment se sont-ils développés ?

Le Microly­cée 93 est mem­bre de la Fédéra­tion des étab­lisse­ments sco­laires publics inno­vants (FESPI), asso­ci­a­tion proche des mou­ve­ments péd­a­gogiques de l’Éducation nou­velle, qui regroupent plusieurs struc­tures com­pa­ra­bles au Microly­cée 93, depuis dix ans. Cette fédéra­tion a dif­fusé nos pra­tiques. Sous l’impulsion de l’Union européenne, et du min­istère de l’Éducation nationale, de nom­breux microly­cées ont ouvert ces dernières années, pour les bac­calau­réats pro­fes­sion­nels, tech­nologiques ou généraux. Ain­si, après des années de qua­si-anony­mat, nous faisons désor­mais par­tie du paysage édu­catif offi­ciel, puisqu’il existe en France une soix­an­taine de struc­tures de retour à l’école (SRE), très divers­es. On ne peut que s’en réjouir pour les jeunes déscolarisés !

Comment devient-on professeur au Microlycée ?

Les pro­fesseurs qui enseignent au Microly­cée ne reçoivent pas de for­ma­tion par­ti­c­ulière en amont. C’est leur intérêt pour la ques­tion du décrochage sco­laire, leur désir de se con­fron­ter à cette dif­fi­culté spé­ci­fique, qui les amè­nent à can­di­dater. Ils sont recrutés sur des postes à pro­fil. Ce qui est le plus impor­tant, c’est qu’ils acceptent une vision large de leur méti­er. Il leur faut tout d’abord enseign­er leur matière dans la per­spec­tive de l’examen, avec des élèves qui impliquent une grande dif­féren­ci­a­tion péd­a­gogique. Il faut égale­ment assur­er des cours inter­dis­ci­plinaires, mais aus­si des per­ma­nences télé­phoniques pour appel­er les élèves, répon­dre aux sol­lic­i­ta­tions extérieures. Enfin, le tutorat est une part impor­tante de la mis­sion, et cela peut nous con­duire à accom­pa­g­n­er chaque jeune dans de nom­breuses démarch­es hors du cadre spé­ci­fique­ment sco­laire. C’est donc un engage­ment qui recoupe tous les aspects du champ éducatif.

Heureuse­ment, même si nous ne sommes pas tous for­més avant d’arriver, l’équipe est un lieu de cofor­ma­tion et de sou­tien très impor­tant. Une réu­nion heb­do­madaire la réu­nit, ani­mée par les coor­don­na­teurs. Par ailleurs, nous par­ticipons à des sémi­naires et à des échanges de pra­tiques qui nous amè­nent à com­pren­dre comme accom­pa­g­n­er au mieux nos élèves. C’est une remise en ques­tion per­ma­nente, une expéri­ence très forte. Avec des élèves décrocheurs, nous per­dons toutes nos cer­ti­tudes…, nous mod­i­fions notre vision de la société et de l’école, en ques­tion­nant notam­ment les idées d’échec et de mérite. Selon moi, enseign­er au Microly­cée est un engage­ment poli­tique qui, pour les bons élèves que nous avons été, donne envie de boule­vers­er les matri­ces du sys­tème sco­laire tout entier.


Ressources

His­toire et fonc­tion­nement des Microly­cées : Les Microly­cées. Accueil­lir les décrocheurs, chang­er l’école, par Nathalie Broux et Éric de Saint-Denis, Édi­tions ESF, 2013.

Les ouvrages de Cather­ine Blaya dont Décrochages sco­laires. L’école en difficulté,
De Boeck, 2010.

Édus­col, por­tail du min­istère de l’Éducation nationale pour les pro­fes­sion­nels de l’éducation :

http://eduscol.education.fr/cid53699/microlycees.html


Témoignage de K, 20 ans, ancienne élève du Microlycée 93 du Bourget de 2014 à 2016

« Après avoir arrêté ma sco­lar­ité en début de pre­mière générale suite à des prob­lèmes per­son­nels et passé une année à broy­er du noir sans espoir quel­conque, j’ai décidé de me rac­crocher aux études et me suis fixé un objec­tif : pass­er mon bac.

J’ai ouvert les portes d’un petit CIO où j’ai fait la ren­con­tre d’un con­seiller d’orientation qui m’a par­lé du Microlycée.
Au début, pas très con­fi­ante, j’ai franchi le pas car je ne pou­vais pas nég­liger cette sec­onde chance qui s’offrait à moi,
et avec du recul, je pense que cette déci­sion est une des meilleures que j’ai pris­es dans ma vie…

On m’a reçue très vite pour un entre­tien et un petit test. Face à moi, j’ai trou­vé deux femmes ray­on­nantes qui ont su me met­tre en con­fi­ance mais surtout qui ont été très à l’écoute. Suite à ce ren­dez-vous, on m’a rap­pelée après quelques jours pour m’annoncer mon admis­sion au Microlycée.

C’est ici que com­mencèrent deux belles années au cours desquelles j’ai ren­con­tré des per­son­nes en or et des pro­fesseurs incroy­ables ; j’étais non pas dans un microly­cée mais dans un méga­ly­cée. Tout était prop­ice à ce qu’on s’y sente bien : une journée d’intégration, un pro­fesseur référent avec qui on fait le point chaque semaine, des pro­jets et sor­ties, un voy­age, des locaux spa­cieux, plusieurs salles de classe, un foy­er où il fai­sait bon vivre avec une petite cui­sine, quelques PC et jeux de société… Ils nous appre­naient à nou­veau le rythme sco­laire et nous stim­u­laient à coup de SMS toute l’année quand nous avions des coups de mou. Au Microly­cée, on ne se sent jamais aban­don­né mais plutôt stim­ulé et entouré en permanence !

Au niveau des cours, je me retrou­vais avec un sys­tème que je n’avais jamais con­nu aupar­a­vant (c’est ce qui fait tout le ML). Nous étions en petit comité, les cours étaient inter­ac­t­ifs et pleins de vie. On était face à des enseignants pas­sion­nés qui ne demandaient qu’à trans­met­tre, ils étaient tous super­at­ten­tifs et par­fois les cours se con­stru­i­saient après des dia­logues profs-élèves très intéres­sants. Je me suis égale­ment décou­vert un réel amour pour l’art grâce à ma pro­fesseure d’arts plas­tiques ; car au Microly­cée, on nous pro­po­sait à notre grand bon­heur deux options au choix pour le bac, anglais ou arts plas­tiques spécialité.

Aujourd’hui grâce à cette struc­ture et toutes ces per­son­nes, j’ai atteint mon objec­tif et suis fière de moi ; j’ai eu mon bac mais j’ai surtout évolué, gran­di et fait de belles ren­con­tres humaines. Mer­ci pour ce sec­ond souffle. »


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