Daniel Piedfer en plastron de maître d’armes

Le maître Daniel Piedfer, l’élégance de lame de l’X

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°787 Septembre 2023
Par Florent LECLERCQ (X08)

Décédé le 31 mars 2023 dans sa soix­ante-seiz­ième année, Daniel Pied­fer fut pen­dant près de quar­ante ans maître d’armes et pro­fesseur de danse à l’École poly­tech­nique. Il fut un pro­mo­teur infati­ga­ble de l’héritage et des valeurs de l’X, au tra­vers de l’escrime et du tra­di­tion­nel quadrille des lanciers du bal de l’X.

Né le 26 novem­bre 1947 en Alle­magne, Daniel Pied­fer est fils de mil­i­taire. Sa petite enfance se passe au gré des affec­ta­tions de son père dans plusieurs pays, dont le Séné­gal. Il passe ensuite, jusqu’à ses 14 ans, plusieurs années en Algérie durant la guerre d’indépendance. Sa famille est logée par l’armée avec d’autres mil­i­taires français mobil­isés dans la guerre.

Une enfance marquée par la guerre

Chaque matin, Daniel et sa sœur aînée pren­nent le chemin de l’école escortés par des sol­dats. Un soir, à la sor­tie de l’école, il trou­ve un panier posé par terre. C’était une bombe, qui heureuse­ment a pu être désamor­cée à temps. Un autre jour, sur le chemin du marché, accom­pa­g­né de sa mère et sa sœur, Daniel assiste à des scènes de panique : des coups de feu, des gens qui ten­tent de fuir. Le marché est en train de se faire atta­quer. Il n’est qu’à une rue du marché. À une rue près, il aurait été en plein cœur de l’attaque et à portée des tirs… 

Daniel Pied­fer a été pro­fondé­ment mar­qué par son enfance en Algérie. Bien qu’il ait sou­vent vu la mort en face et qu’il l’ait quelque­fois évitée de très peu, il racon­te qu’à cette époque il n’avait pas peur : l’innocence de l’enfance lui cachait l’atrocité des scènes dont il était témoin, ain­si que les dan­gers aux­quels il était exposé. 

Une vie au service du sport

De retour en France en 1961, la famille de Daniel Pied­fer s’installe à Aix-en-Provence – où les cen­dres de Daniel vien­nent de rejoin­dre celles de son père. Son ser­vice mil­i­taire, qu’il com­mence à 18 ans, est une révéla­tion. En 1966, il s’engage à l’école des sous-officiers de l’armée de l’Air. À sa sor­tie, il est affec­té à l’École inter­ar­mées des sports de Fontainebleau comme enseignant d’éducation physique et sportive. Après un séjour à l’école de for­ma­tion des sous-officiers de l’armée de l’Air à Nîmes, sans con­naître l’escrime, il pos­tule à l’école des maîtres d’armes de Fontainebleau, puis y suit la for­ma­tion pen­dant deux ans. C’est donc sur le tard, presque « par hasard », comme il le dit, qu’il se met à l’escrime.

Maître d’armes spécialiste de sabre

En 1972, son diplôme de maître d’armes acquis, Daniel est affec­té à l’École des pupilles de l’air, près de Greno­ble, où il reste onze ans. Pen­dant cette péri­ode, il est infati­ga­ble : il pra­tique la danse trois à qua­tre heures par jour en semaine et passe vingt-huit week-ends par an, hors vacances sco­laires, en com­péti­tion d’escrime – soit sur les pistes comme com­péti­teur, soit comme entraîneur.

Daniel con­stru­it pro­gres­sive­ment son pal­marès sportif. Son pre­mier résul­tat d’envergure est de devenir cham­pi­on de France de l’armée de l’Air au sabre – après s’être entraîné et avoir échoué au fleuret. Cette vic­toire au sabre est révéla­trice : dans la même année, il est vain­queur d’un tournoi inter­ré­gion­al au sabre. Il est ensuite qua­tre fois cham­pi­on de France mil­i­taire par équipe (dont trois fois avec l’X), trois fois cham­pi­on des clubs sportifs et artis­tiques, trois fois cham­pi­on de France des maîtres d’armes. Il par­ticipe en out­re à trois cham­pi­onnats du monde mil­i­taires et à deux coupes d’Europe en tant que civil.

Une passion pour la transmission

C’est en 1983 que Daniel Pied­fer est affec­té à l’École poly­tech­nique en tant que maître d’armes et chef de sec­tion escrime. Il ne quit­tera plus l’X. Pen­dant onze ans, il par­ticipe à la for­ma­tion à l’escrime des pro­mo­tions poly­tech­ni­ci­ennes suc­ces­sives. En arrivant à l’École, sur les con­seils de son pro­fesseur de danse, il crée égale­ment son pro­pre club de danse et enseigne notam­ment la valse, le rock et le rock acrobatique.

“Il totalise près de quarante ans d’enseignement à l’X.”

En 1990, il est sol­lic­ité par la pro­mo­tion 1988 et l’AX pour enseign­er le quadrille des lanciers, prenant la suite du danseur étoile Jacques Cha­zot. Avant de pren­dre sa retraite mil­i­taire au grade de major, Daniel est affec­té une nou­velle fois à Fontainebleau. Il con­tin­ue cepen­dant à par­ticiper aux entraîne­ments de la sec­tion escrime à l’École, ain­si qu’à ani­mer la danse et le quadrille. Civ­il, il est engagé par la direc­tion de la for­ma­tion sportive pour entraîn­er les élèves au sabre, de 2008 à décem­bre 2022. Il totalise ain­si près de quar­ante ans d’enseignement à l’X.

Le quadrille des lanciers

Cette danse d’origine anglaise, pra­tiquée à l’origine aux Indes par des cav­a­liers armés de lance, est intro­duite en France dans les années 1860. Con­sti­tuée de cinq fig­ures et impli­quant seize cou­ples, elle est un moment incon­tourn­able du bal de l’X, qui est le seul évène­ment con­tin­u­ant à faire vivre cette tra­di­tion en France. Au bal, les élèves danseuses et danseurs ont le priv­ilège d’être accom­pa­g­nés par la musique de la Garde répub­li­caine. Une pho­to iconique est prise chaque année sur les march­es de l’Opéra Gar­nier : les quadrilleuses en robe rouge (tail­lée sur mesure) et les quadrilleurs en GU, entourant Daniel dans son smok­ing impec­ca­ble, en tant que maître de ballet. 

Un loisir mêlant les disciplines

Dans son par­cours, Daniel Pied­fer a ren­con­tré et a été for­mé par Claude Car­liez, légendaire maître d’armes et coor­don­na­teur des com­bats et des cas­cades d’une mul­ti­tude de films de cape et d’épée des années 1950 à 2000. Dès les années 1970, Daniel se spé­cialise dans l’escrime artis­tique, une dis­ci­pline con­fi­den­tielle qu’on appelle alors « escrime anci­enne ». Elle lui per­met de com­bin­er ses nom­breux cen­tres d’intérêt : escrime, théâtre, choré­gra­phies et his­toire. Au fil des années, il effectue de nom­breuses recherch­es sur les armes, com­bats, dans­es, chants et manières de vivre aux épo­ques des mous­que­taires ain­si que des pirates et corsaires.

Les pre­mières séances d’escrime artis­tique sur le plateau ont lieu avec la pro­mo­tion 2004. En 2007, un binet est créé par les pro­mo­tions 2005 et 2006. Au fil des années, le binet affer­mit sa répu­ta­tion en offrant des représen­ta­tions lors d’évènements internes ain­si que dans plusieurs châteaux en France. Mais chaque année depuis 2010 son heure de gloire a lieu au bal de l’X, où un enchaîne­ment en GU est présen­té au pied des march­es de l’Opéra Gar­nier. Depuis plusieurs années, Daniel fai­sait égale­ment par­ticiper des élèves de l’X à la troupe des cor­saires dont il était le « Cap’tain », au fes­ti­val his­torique « La Cio­tat 1720 », en Provence.

La salle d’armes à son nom

Daniel Pied­fer s’est éteint le 31 mars 2023 à la suite d’un long com­bat con­tre le can­cer. Mem­bre du comité directeur de l’académie d’armes de France, il était tit­u­laire de la Médaille mil­i­taire, de la médaille de bronze de la Défense nationale et de la médaille d’or de la Jeunesse et des Sports. « Je garde beau­coup de très bons con­tacts avec les X ; je ne les choi­sis pas, ce sont eux qui me choi­sis­sent », déclarait-il. C’est dans cet esprit que la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne adresse à son épouse ain­si qu’à ses trois enfants ses con­doléances et pen­sées les plus ami­cales. De son maître d’armes et maître de bal­let, l’École poly­tech­nique gardera un sou­venir ému. La salle d’armes du plateau sera renom­mée en son hon­neur le 30 juin prochain. 

4 Commentaires

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Eti­enne Barthelrépondre
18 septembre 2023 à 17 h 54 min

“Il par­ticipe en out­re à trois cham­pi­onnats du monde mil­i­taires…” et y parvint même à l’oc­ca­sion en finale : vice-cham­pi­on du monde, c’é­tait la médaille dont il était le plus fier. Un esprit tout en finesse, et qu’il savait si bien transmettre.

Flo­rent Leclercqrépondre
26 septembre 2023 à 15 h 38 min
– En réponse à: Etienne Barthel

Mer­ci pour cette pré­ci­sion. J’au­rais dû l’in­clure, mais je n’ai eu con­fir­ma­tion qu’après la soumis­sion de l’article.

Mari­na Lévyrépondre
18 septembre 2023 à 18 h 57 min

Très emou­vant, et un aptonyme qui lui va comme un gant ! Il nous avait fait tour­bil­lon­ner dans la joie et la rigueur.

Gon­zaguerépondre
19 septembre 2023 à 20 h 37 min

En ce qui con­cerne l’e­scrime artis­tique, quelques frémisse­ments ont eu lieu dès la pro­mo x2002, peu avant la 2004.

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