Le Fonds de Réserve pour les Retraites : un fonds atypique à la croisée des enjeux de demain

Dossier : Vie des entreprises - AssurancesMagazine N°793 Mars 2024Par Adrien Perret

Adrien Per­ret, membre du direc­toire du Fonds de Réserve pour les retraites (FRR), revient sur la créa­tion du fonds, l’évolution de ses mis­sions et son ave­nir. Entretien.

Qu’est-ce que le Fonds de Réserve pour les Retraites et quels sont ses missions et son périmètre d’action ?

Le FRR est un éta­blis­se­ment public qui a pour mis­sion d’investir les sommes qui lui sont confiées par les pou­voirs publics. Sa poli­tique d’investissement vise à opti­mi­ser le ren­de­ment dans les meilleures condi­tions de sécu­ri­té afin de par­ti­ci­per au finan­ce­ment des retraites. Il détient aujourd’hui envi­ron 21 Md€ d’actifs, et verse annuel­le­ment un paie­ment à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), à hau­teur de 2,1 Md€ en 2024 puis 1,45 Md€ chaque année entre 2025 et 2033.
Lors de sa créa­tion par la loi n°2001–624 du 17 juillet 2001, l’ambition du FRR était d’accumuler des réserves finan­cières de l’ordre de 150 mil­liards d’euros à l’horizon 2020, afin d’atténuer à par­tir de cette période la charge qui pèse­rait sur les futures géné­ra­tions de coti­sants (à hau­teur de 12 à 15 mil­liards d’euros de 2020 par an), et de lis­ser la bosse démo­gra­phique héri­tée du baby-boom. La vision était donc de consti­tuer un sys­tème de « répar­ti­tion pro­vi­sion­née » qui com­bi­ne­rait les avan­tages de la capi­ta­li­sa­tion avec la mutua­li­sa­tion des risques propres à la répartition.
Les pre­mières années du FRR ont ain­si été mar­quées par une phase d’accumulation active d’un total de 31,4 mil­liards, sou­te­nue pour moi­tié par des pré­lè­ve­ments sociaux sur les reve­nus de pla­ce­ment, avec des recettes annuelles de 1,5 à 5,6 mil­liards d’euros entre 1999 et 2010, pour un cin­quième par des excé­dents des régimes de retraite, 15% par des recettes de pri­va­ti­sa­tion et 9% de pro­duit de la vente de licences UMTS.
À l’heure actuelle, l’action du FRR repose sur trois piliers prin­ci­paux : la construc­tion d’un por­te­feuille diver­si­fié en termes de classes d’actifs et de zones géo­gra­phiques et doté d’une poche signi­fi­ca­tive d’actifs de per­for­mance, qui vise à opti­mi­ser le ren­de­ment dans un cadre de risque maî­tri­sé ; la sélec­tion de gérants selon un pro­ces­sus robuste et rigou­reux d’appels d’offre ; et une poli­tique d’investisseur res­pon­sable ambi­tieuse, dont les effets portent au-delà des actifs en ges­tion, et dif­fuse sur l’écosystème de ges­tion financière.

Comment l’évolution réglementaire et législative vous impacte-t-elle ?

La réforme des retraites de 2023 n’a pas modi­fié le FRR, ni son fonc­tion­ne­ment. En revanche, celle de 2010, puis la loi pour la dette sociale et l’autonomie de 2020 ont tota­le­ment chan­gé la donne et conduit à une réorien­ta­tion stra­té­gique. La réforme des retraites de 2010 a redi­ri­gé les abon­de­ments pré­vus pour le FRR vers la Cades, trans­for­mant ain­si notre mis­sion. Le FRR n’a plus reçu aucun abon­de­ment et les nou­velles direc­tives lui ont impo­sé de ver­ser 2,1 Md€ par an à la Cades, jusqu’en 2024, rédui­sant consi­dé­ra­ble­ment sa por­tée de sta­bi­li­sa­teur à long terme. Plus récem­ment, la loi pour la dette sociale et l’autonomie de 2020 a pro­lon­gé cette situa­tion, en éten­dant la durée de vie de la Cades et par consé­quent, des paie­ments sup­plé­men­taires à la Cades de 13 mil­liards entre 2025 et 2033 (1,45 Md€ annuels) ont été ajou­tés au pas­sif du fonds.
À la suite de la crise de la Covid, le gou­ver­ne­ment a déci­dé, en mai 2020, que le Fonds serait à nou­veau appe­lé pour contri­buer à l’apurement des défi­cits des comptes sociaux consé­cu­tifs à la ges­tion de la crise. 5 Md€ d’actifs ont dû être ven­dus entre juin et début juillet 2020 au titre de la res­ti­tu­tion de la soulte CNIEG (concer­nant les retraites des indus­tries élec­triques et gazières) au régime géné­ral de retraite.
Ces épi­sodes ont bou­le­ver­sé la tra­jec­toire finan­cière du FRR, mais ont éga­le­ment mis en lumière les fluc­tua­tions des prio­ri­tés poli­tiques et leur impact sur les stra­té­gies d’investissement à long terme des ins­ti­tu­tions publiques. Les ajus­te­ments suc­ces­sifs ont eu des impli­ca­tions majeures sur la capa­ci­té du FRR à rem­plir son objec­tif ini­tial : sou­te­nir finan­ciè­re­ment le sys­tème de retraite face aux défis démo­gra­phiques du XXIe siècle.
L’adaptabilité du FRR face à ces chan­ge­ments de cap témoigne de la robus­tesse de sa gou­ver­nance et de la flexi­bi­li­té de sa stra­té­gie d’investissement. Le nou­veau modèle de ges­tion déployé a contri­bué à une créa­tion de valeur signi­fi­ca­tive depuis fin 2010 : 13 Md€ ont été créés au-delà du coût de la dette de l’OAT et le FRR a res­ti­tué l’intégralité des sommes dont il a été doté. Aujourd’hui, il gère uni­que­ment le pro­duit de ses placements.

En votre qualité d’investisseur institutionnel et dans le cadre de la loi Transition énergétique pour la croissance verte, comment intégrez-vous la dimension ESG dans votre politique et vos pratiques d’investissement. Comment appréhendez-vous cette dimension et comment cela se traduit-il ?

Le FRR s’est struc­tu­ré en adop­tant des stra­té­gies d’investissement res­pon­sable (ISR) plu­ri­an­nuelles. La der­nière a été adop­tée fin 2023. Elle pour­suit l’ambition d’adopter les stan­dards les plus volon­ta­ristes et s’inscrit dans le pro­lon­ge­ment d’engagements pris par le FRR, notam­ment en qua­li­té de membre fon­da­teur des Prin­cipes pour l’Investissement Res­pon­sable et membre de la Net Zero Asset Owners Alliance.
Le FRR se donne pour objec­tif d’inciter les entre­prises dans les­quelles il inves­tit à atté­nuer leurs prin­ci­paux impacts néga­tifs sur l’environnement et l’ensemble des par­ties pre­nantes. Il conduit des actions de dia­logue ciblées – via les socié­tés de ges­tion et des actions col­lec­tives – pour pro­mou­voir l’application des prin­ci­pales normes inter­na­tio­nales, euro­péennes ou françaises.
Dans ce cadre, la stra­té­gie d’investissement res­pon­sable du FRR est struc­tu­rée autour de trois domaines prio­ri­taires : favo­ri­ser la tran­si­tion éner­gé­tique et éco­lo­gique, pro­mou­voir l’équité sociale et pré­ser­ver la bio­di­ver­si­té. Elle se déploie en s’appuyant sur plu­sieurs leviers :
l’orientation des inves­tis­se­ments, l’action sur l’écosystème de la ges­tion finan­cière et l’influence sur les entreprises ;
la fixa­tion d’objectifs contrai­gnants et ambi­tieux de décar­bo­na­tion dans les por­te­feuilles de toutes les classes d’actifs cotés, pour atteindre a mini­ma ‑40 % entre 2019 et 2028 ;
le ren­for­ce­ment, en matière de sélec­tion des gérants, des exi­gences d’inclusion de cri­tères ESG dans le pro­ces­sus de ges­tion (exper­tises, objec­tifs…), et de sui­vi (indi­ca­teurs, résul­tats des acti­vi­tés d’engagement…) des entre­prises dans les­quelles les gérants inves­tissent pour le compte du FRR ;
l’intégration des effets esti­més du réchauf­fe­ment cli­ma­tique sur la crois­sance et l’inflation, dans les pro­jec­tions macroé­co­no­miques de moyen terme, selon les tra­vaux du NGFS ;
l’intégration d’objectifs ESG et cli­mat à par­tir d’indices clas­siques (les indices cli­ma­tiques étant insuf­fi­sam­ment avancés) ;
la mise en place d’un dia­logue entre les socié­tés de ges­tion et les entre­prises les plus émet­trices déte­nues en por­te­feuille pour mettre en place un plan d’actions en faveur du climat ;
la pro­mo­tion des meilleures pra­tiques de gou­ver­nance, pour favo­ri­ser la créa­tion de valeur à long terme et réduire les risques ESG.
Le FRR accorde une place impor­tante à la trans­pa­rence et au sui­vi ESG de son por­te­feuille. Le repor­ting interne est ren­for­cé par un repor­ting très riche exi­gé des socié­tés de ges­tion. Les élé­ments sur la poli­tique ESG sont régu­liè­re­ment publiés dans le rap­port annuel ain­si que dans un rap­port dura­bi­li­té (article 29) réa­li­sé avec l’appui de pres­ta­taires d’analyse extra-finan­cière sélec­tion­nés par appel d’offres pour leurs exper­tises. Aupa­ra­vant, le FRR fai­sait déjà des rap­ports « article 173 » de la loi TEE (sur la trans­pa­rence rela­tive à la prise en compte des enjeux ESG) depuis sa mise en œuvre alors qu’il n’était pas sou­mis à cette obligation.
Enfin, sur le sujet de la bio­di­ver­si­té, le FRR a adhé­ré à l’initiative Nature Action 100 durant l’été 2023, pour ren­for­cer la prise en compte de cette thématique.

En parallèle, dans le contexte actuel, quels sont les autres sujets et enjeux qui vous mobilisent ?

En 2023, le FRR s’est doté d’une rai­son d’être : « Inves­tir pour créer de la valeur durable au ser­vice des grands enjeux publics de demain » qui met en avant, au-delà d’une contri­bu­tion au finan­ce­ment des retraites et du ver­se­ment actuel à la Cades, son rôle d’investisseur res­pon­sable de long terme lui per­met­tant d’investir dans le finan­ce­ment de l’économie fran­çaise et de la tran­si­tion éco­lo­gique et éner­gé­tique. Les besoins sont consi­dé­rables et le FRR a un rôle moteur à jouer à ce niveau. Ce type de pla­ce­ments sou­vent en actifs non cotés est en outre essen­tiel­le­ment domes­tique, et consti­tue une source de ren­ta­bi­li­té signi­fi­ca­tive : +9 % de ren­de­ment pour les actifs non cotés du FRR en 2022 quand ceux cotés chu­taient de 12 %.
Dans le contexte macroé­co­no­mique et géo­po­li­tique actuel très par­ti­cu­lier, la ges­tion des risques est cru­ciale. Fin 2023, le FRR a reçu une récom­pense des Cou­ronnes de l’Agefi sur la meilleure ini­tia­tive en matière de ges­tion des risques, notam­ment concer­nant la bonne arti­cu­la­tion entre la direc­tion finan­cière et la direc­tion des opé­ra­tions et des risques dans la construc­tion et le sui­vi du portefeuille.
En paral­lèle, nous sommes mobi­li­sés sur plu­sieurs axes de déve­lop­pe­ment récents : la modé­li­sa­tion des actifs finan­ciers, la fonc­tion d’utilité qui per­met de repré­sen­ter les pré­fé­rences du FRR en amont, et une plus grande réac­ti­vi­té dans le sui­vi des risques de court terme en aval.

Aujourd’hui, comment se projette le Fonds de Réserve pour les Retraites ?

La ges­tion de l’actif du FRR au-delà de l’horizon 2033 est incer­taine : pour fonc­tion­ner cor­rec­te­ment le FRR a besoin d’un hori­zon long. Or aujourd’hui, il reste de l’incertitude sur ce qu’il advien­dra de son actif au-delà de cette date. Cette situa­tion entraîne des consé­quences pro­fondes et dès le court terme sur l’allocation stra­té­gique et la per­for­mance espé­rée. Au-delà, se pose éga­le­ment la ques­tion du por­tage des actifs non cotés finan­çant les PME ETI fran­çaises. La pers­pec­tive d’étendre rapi­de­ment et de façon expli­cite l’horizon opé­ra­tion­nel au-delà de 2033 appa­raît donc centrale.
Il est aus­si envi­sa­gé d’explorer des coopé­ra­tions pos­sibles avec d’autres acteurs de la sphère de ges­tion des réserves de retraite, notam­ment concer­nant le repor­ting de por­te­feuille et les sys­tèmes d’information, par­ta­ger l’expérience dans les inves­tis­se­ments dans le non coté ou échan­ger sur des bonnes pra­tiques en matière de construc­tion de por­te­feuille, de sélec­tion de gérants, de poli­tique ESG. Par ailleurs, la pour­suite de la concen­tra­tion du mar­ché de pres­ta­tion dans le domaine des don­nées finan­cières (don­nées de mar­chés, de cré­dit), des outils de sui­vi de risque, d’analyse de por­te­feuille (trans­pa­ri­sa­tion, ESG, décar­bo­na­tion, etc.) impli­quant une hausse constante des coûts, amène depuis quelques années le FRR à mutua­li­ser des pres­ta­tions avec d’autres inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels (CDC, ERAFP, etc.).

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