Le ” Défi Jeunes “, un ensemble flou

Dossier : ExpressionsMagazine N°637 Septembre 2008
Par Jean-Marc CHABANAS (58)

Michel Maffesoli, soci­o­logue, pro­fesseur à la Sor­bonne, intro­duit le débat en obser­vant que ” la cul­ture des sen­ti­ments trou­ve l’aide du développe­ment tech­nologique, con­duisant au para­doxe d’une syn­ergie de l’ar­chaïque et du tech­nologique “. Il observe chez les jeunes l’ap­pari­tion d’un ” ré-enchante­ment ” qui se con­jugue avec d’autres valeurs. ” Il faut s’adapter à ces valeurs et non adapter les jeunes à nos valeurs. ” 

Quelle adhésion des jeunes à quels enjeux économiques ?

Quit­terie Del­mas, déléguée générale du Mou­ve­ment démoc­rate, estime que ” les jeunes sont très con­scients des enjeux mon­di­aux, mais ils ne sont pas représen­tés au Par­lement. Il faut partager les pou­voirs avec eux et, pour y par­venir, met­tre fin au cumul des man­dats. ” Elle demande un gros effort des entre­pris­es pour ” miser sur le cap­i­tal humain (créa­tiv­ité, force de con­vic­tion), plutôt que sur le cur­ricu­lum vitae “.

Thomas Fatome, directeur de cab­i­net du Secré­taire d’É­tat en charge de l’emploi, se déclare ” angois­sé par le taux de chô­mage des jeunes, de l’or­dre de 20 % “. Il évoque les inquié­tudes des jeunes sur le pre­mier emploi, l’en­vi­ron­nement, les retraites.

Erik Leleu, directeur des ressources humaines de Vin­ci, con­sid­ère que ” les jeunes veu­lent zap­per tout en restant cocoonés “. Sur le ter­rain, ” on n’ob­serve pas de dif­férence d’in­vestisse­ment dans le tra­vail entre jeunes et plus âgés. Ils ont leurs qual­ités pro­pres, par­mi lesquelles l’in­so­lence et l’im­per­ti­nence. Sachons libér­er leur créativité. ”

Philippe Lagayette, prési­dent-directeur général de JP Mor­gan, veut rel­a­tivis­er. ” Repor­tons-nous quar­ante ans en arrière, la con­tes­ta­tion était aus­si forte. ” Le prob­lème prin­ci­pal d’au­jour­d’hui, à ses yeux, est ” le chô­mage dont les jeunes sont les pre­mières vic­times “. Il observe que ” les sys­tèmes régle­men­taires sont tou­jours com­bat­tus de façon irra­tionnelle lorsqu’ils sont spé­ci­fiques à la jeunesse “. 

Mieux former pour conduire efficacement à la vie active

Cette deux­ième table ronde s’en­gage sur un con­stat : ” Les jeunes Français sont les plus défaitistes au monde, avec les Japon­ais ” (selon une enquête… sué­doise). Leur for­ma­tion est-elle en cause ?

Jean-Robert Pitte, pro­fesseur à la Sor­bonne, sou­tient vigoureuse­ment cette thèse. ” On con­tin­ue à men­tir aux jeunes. On ne leur dit pas que l’u­ni­ver­sité n’est que la voiture-bal­ai des grandes écoles. On accepte tout le monde sans sélec­tion pour aboutir à une véri­ta­ble hécatombe au niveau des diplômes. On crée le savoir, on le trans­met et l’on ne se soucie pas de l’avenir des intéressés. ”

Gérard Mar­cou, égale­ment pro­fesseur à la Sor­bonne, mais dans une autre uni­ver­sité, n’est pas de cet avis. ” L’u­ni­ver­sité est ouverte à tous. Elle donne sa chance à cha­cun. Il n’y a pas de droit au diplôme, il faut accepter les échecs. Quant à l’en­tre­prise, elle doit évidem­ment pren­dre sa part dans la for­ma­tion. L’é­cole n’est pas un bureau de placement. ”

Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC, souligne que son école a noué des parte­nar­i­ats avec divers­es uni­ver­sités, de même qu’avec d’autres grandes écoles. Plutôt que de voiture-bal­ai, il préfère par­ler de mode de sélec­tion : ” Les grandes écoles, c’est la guil­lo­tine ; les uni­ver­sités, c’est plutôt le sup­plice chi­nois. Ne com­parons pas un coureur de 400 m et un coureur de 1 500 m. La ques­tion est de savoir com­ment récupér­er ceux qui n’ont pas été sélectionnés. ”

Bernard Bou­cault, directeur de l’E­NA, rap­pelle que ” des diplômés de l’u­ni­ver­sité peu­vent accéder aux grandes écoles. L’ENA est une école d’É­tat attrac­tive, qui offre des par­cours très divers, mais évidem­ment très sélec­tive. Pour lui, les écoles et les uni­ver­sités français­es ont une très bonne image internationale. ”

Yves Gnanou, directeur général adjoint de l’É­cole poly­tech­nique, con­firme l’ou­ver­ture aux uni­ver­sités, ” en regret­tant le manque de can­di­dats. Les uni­ver­si­taires seraient-ils timorés ? ” 

Métiers publics et entreprises, que veulent les jeunes ?

Julie Coudry, prési­dente de la Con­fédéra­tion étu­di­ante, hésite entre pub­lic et privé et se demande ” en quoi l’en­tre­prise con­tribue-t-elle à l’in­térêt général ? ”

Daniel Dewavrin, prési­dent de l’As­so­ci­a­tion des anciens élèves de l’É­cole poly­tech­nique, rap­pelle que ” la richesse ne vient que des entre­pris­es privées et que la France ne crée pas assez d’emplois marchands “.

Stéphane Richard, directeur du cab­i­net du min­istre de l’É­conomie, des Finances et de l’Em­ploi, observe ” une amélio­ra­tion des indi­ca­teurs de chô­mage et d’emploi dans le secteur privé “, tan­dis que Philippe Caïla, directeur de cab­i­net du min­istre du Bud­get, chargé de la Fonc­tion publique, indique que ” l’É­tat s’ap­prête à recruter 100 000 jeunes “.

Georges Lefeb­vre, directeur général du groupe La Poste, qui offre aujour­d’hui des con­trats publics ou privés, souligne l’in­térêt ” d’of­frir des postes intéres­sants à des jeunes qui n’en­vis­agent pas de faire car­rière “. En pra­tique, il con­state ” un très faible taux de mobilité “.

Les méfaits du dénominateur
Pour le pro­fane, dire que ” le taux de chô­mage des jeunes est de 20 % ” se traduit par l’af­fir­ma­tion effrayante qu’ ” un jeune sur cinq est au chô­mage “. C’est une absurdité.
Le taux de chô­mage est défi­ni comme le rap­port du nom­bre de chômeurs au nom­bre d’ac­t­ifs. La pop­u­la­tion des jeunes (de 15 à 24 ans) com­prend env­i­ron deux tiers d’i­n­ac­t­ifs, tout sim­ple­ment parce qu’ils con­tin­u­ent leurs études. Le taux de chô­mage, mesuré sur les seuls act­ifs, cor­re­spond donc à un pour­cent­age trois fois moin­dre sur la pop­u­la­tion totale des jeunes, soit env­i­ron 7 %. Ce chiffre est com­pa­ra­ble à celui observé pour les plus âgés. La diminu­tion du taux de chô­mage avec l’âge répond essen­tielle­ment à l’aug­men­ta­tion régulière du nom­bre des act­ifs (le dénom­i­na­teur de la frac­tion). Il en est de même pour les com­para­isons avec d’autres pays : les jeunes Français pour­suiv­ent leurs études plus longtemps que d’autres et le dénom­i­na­teur de la frac­tion est plus faible. Le taux de chô­mage est plus élevé alors que le pour­cent­age de chômeurs ne l’est pas.
Com­pa­ra­ble au chô­mage tout court, com­pa­ra­ble à celui des autres pays européens, le chô­mage des jeunes est douloureux car ils recherchent leur pre­mier emploi. Il est regret­table de les démoralis­er davan­tage par l’emploi d’une unité de mesure inappropriée.

Tranche d’âge 15–24 ans 25–49 ans
Taux de chômage 18 % 7 %
Taux d’activité 35,8 % 89,2 %
% de chômeurs 6,4 % 6,2 %
Source INSEE 1er tri. 2008
 Pour­cent­age de chômeurs  15–24 ans
Allemagne 6,1 %
France 7,3 %
Royaume-Uni 8,8 %
Source Euro­stat  Année 2007

Nouvelles générations, nouvelles valeurs : comment favoriser l’harmonie entre générations

Mer­cedes Erra, prési­dente de l’As­so­ci­a­tion des diplômés HEC, présente quelques résul­tats d’une étude récente : ” Les jeunes aiment l’au­torité, regret­tent par­fois des par­ents trop per­mis­sifs, sont un peu inqui­ets quant à leur avenir. Un quart estime cet avenir promet­teur, mais moins d’un quart se dit cer­tain de trou­ver un tra­vail. Il est vrai que le tra­vail n’est plus le mot-clé. La famille est le plus important. ”

Jean-Paul Agon, directeur général de L’Oréal, ren­con­tre ” des jeunes nou­veaux, curieux, exigeants, impa­tients “, opin­ion con­fortée par Jean Desazars de Mont­gail­hard, directeur général adjoint du Groupe Lafarge, qui note que ” notre mot d’or­dre ” accélér­er ” est accep­té par toutes les générations “.

Daniel Richard, prési­dent de WWF France, brosse un tableau som­bre de l’évo­lu­tion de notre envi­ron­nement et estime que les jeunes ” doivent entr­er en guerre pour aban­don­ner le mod­èle économique exis­tant. Le tra­vail, la mon­naie, la terre, ne sont plus les élé­ments principaux. ”

Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts, con­state que ” nous sommes dans une péri­ode his­torique de paix que nous n’avons pas con­nue depuis Louis XV et qu’il est tou­jours dif­fi­cile de se struc­tur­er dans ces cir­con­stances. Il faut redonner un sens à la jus­tice, à l’éducation. ”

” Où est le défi ? con­clut-il. Il est écologique. Il est aus­si d’as­sumer nos valeurs occidentales. ”

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