L’enseignement supérieur à la croisée des chemins

Dossier : ExpressionsMagazine N°694 Avril 2014
Par Franck LIRZIN (03)

Si l’économie de la con­nais­sance est le nou­veau logi­ciel de notre société, l’enseignement supérieur en est le processeur. Sous l’aiguillon de la mon­di­al­i­sa­tion, les pays font le pari de l’avenir et du savoir en mis­ant sur leur sys­tème d’enseignement et de recherche.

La France n’y échappe pas et con­sacre chaque année près de 30 mil­liards d’euros à son enseigne­ment supérieur. Ce qui la place dans la moyenne de l’OCDE. Mais être moyen ne suf­fit pas, ce sont les pre­mières places qu’il faut vis­er, et pour cela il faut accroître les moyens et leur utilité.

L’enseignement supérieur, l’oublié de la compétitivité

L’enseignement supérieur est le pre­mier étage de la com­péti­tiv­ité. Pour­tant, l’enseignement supérieur n’est pas une des com­posantes clés des dernières mesures en faveur de la com­péti­tiv­ité (CICE et Pacte de responsabilité).

Le système d’enseignement français est miné par de nombreuses fractures qui nuisent à son efficacité

Or le sys­tème d’enseignement français est miné par de nom­breuses frac­tures qui nuisent à son effi­cac­ité. Entre les grandes écoles et les uni­ver­sités, entre les for­ma­tions sci­en­tifiques et tech­niques et celles lit­téraires et de sci­ences humaines, entre les étu­di­ants issus de milieu favorisé et les autres.

Le business model de l’enseignement supérieur fait sa révolution

Par­tant du con­stat que les ressources publiques ten­dront à dimin­uer à l’avenir, tous les ora­teurs se sont accordés sur l’importance de diver­si­fi­er les sources, en par­ti­c­uli­er par les fon­da­tions d’anciens élèves et les parte­nar­i­ats avec le privé.

Inciter les donateurs à passer à l’acte

Jean-Bernard Lar­tigue (95), délégué général de la Fon­da­tion de l’X, a évo­qué les suc­cès de la Fon­da­tion, avec une pre­mière cam­pagne ayant récolté 35 mil­lions d’euros sur cinq ans et une sec­onde visant 100 mil­lions d’euros. Mais, mal­gré une fis­cal­ité avan­tageuse, la cul­ture de la dona­tion reste bal­bu­tiante en France, con­traire­ment aux États- Unis.

Se regrouper pour attirer les meilleurs

C’était l’objectif de ParisTech, et c’est aujourd’hui celui de Paris- Saclay : créer un pôle de recherche et d’enseignement multidisciplinaire de niveau mondial.
Il y a déjà à Saclay douze grandes écoles, deux universités, des laboratoires privés, des entreprises, tous les ingrédients pour en faire une réussite.

De la per­sévérance et de la méthode sont néces­saires pour y par­venir ; et de la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion. Comme le souligne Yves Poilane (79), directeur de Télé­com Paris­Tech et ancien prési­dent de Paris­Tech, avoir un pro­jet ambitieux pour son étab­lisse­ment, mais aus­si par­ler des suc­cess sto­ries incite les dona­teurs à pass­er à l’acte.

Jacques Biot (71) a d’emblée affiché qu’il con­sid­ère la Fon­da­tion comme un action­naire impor­tant de l’École poly­tech­nique, dont la place sera appelée à croître d’ici dix ans.

Jean-Bernard Lar­tigue pro­pose égale­ment de con­stituer des fonds de dota­tion (« endow­ment ») suff­isants pour génér­er des pro­duits financiers per­me­t­tant un jour de cou­vrir une part sig­ni­fica­tive des dépens­es récurrentes.

L’enseignement supérieur entre dans une logique économique

Autre source de finance­ment : les for­ma­tions elles-mêmes. Pour Alfred Gali­chon (97), pro­fesseur à l’IEP Paris, tout se joue sur les grad­u­ate stu­dents, le niveau master.

L’enseignement supérieur doit apprendre à travailler en synergie avec le reste de l’économie

Selon une approche util­i­tariste, il faut écarter la ten­ta­tion du pres­tige (les titres ron­flants masquant l’absence de débouchés) pour garan­tir la qual­ité. Dès lors se pose la ques­tion du « prix de marché » d’un master.

Et c’est alors l’enseignement supérieur qui entre dans une logique économique et se doit de définir son busi­ness mod­el. David Thes­mar (92), pro­fesseur à HEC et auteur, entre autres, de La Société translu­cide, rap­pelle qu’HEC raisonne déjà ain­si lorsqu’elle vend à prix d’or ses MBA.

La concurrence est mondiale

L’autre élé­ment sur lequel s’accordent les ora­teurs est l’importance de la vis­i­bil­ité inter­na­tionale. Le classe­ment de Shang­hai a été un élec­tro­choc, il a révélé aux Français que les écoles dont ils étaient si fiers n’apparaissaient que par­mi les uni­ver­sités de sec­onde zone. Pour l’École poly­tech­nique, la con­cur­rence c’est le MIT, Cal­tech, le Tech­nion, la TUM ou Lausanne.

Certes, pour Alfred Gali­chon, tout ne résume pas à un classe­ment et l’obsession de la vis­i­bil­ité a con­duit à créer des mon­stres admin­is­trat­ifs issus de la fusion des Uni­ver­sités. La taille ne fait pas la qual­ité, loin de là. La réforme de l’autonomie de 2007, par­tie d’une bonne inten­tion, mais trop top-down, a créé un mika­do insti­tu­tion­nel géant et nébuleux, fait d’IDEX, de LABEX et autres IRT.

Mais cela pousse les écoles et uni­ver­sités à se regrouper pour gag­n­er en vis­i­bil­ité selon les stan­dards inter­na­tionaux, pour attir­er les meilleurs étu­di­ants et chercheurs.

Rapprocher secteur privé et enseignement supérieur

Pour être un moteur d’innovation, l’enseignement supérieur doit appren­dre à tra­vailler en syn­ergie avec le reste de l’économie, en par­ti­c­uli­er les entre­pris­es. L’École poly­tech­nique, sous l’impulsion de son prési­dent, Jacques Biot, développe active­ment les for­ma­tions à l’entrepreneuriat.

La tenure track est un processus qui aboutit, aux États-Unis, à la titularisation des professeurs après une période d’essai de six à huit ans. En France, après un concours souvent très sélectif pour devenir maître de conférences, les jeunes enseignants-chercheurs sont certes titularisés rapidement mais ils ne gagnent que 2000€ par mois et doivent parfois faire leurs cours à l’autre bout de la France.

Les élèves pro­je­tant de lancer leur start-up sont de plus en plus nom­breux, notam­ment à par­tir des pro­jets sci­en­tifiques col­lec­tifs (PSC), mais aus­si dans le cadre des mas­ters ad hoc dévelop­pés par l’École.

Les lab­o­ra­toires man­i­fes­tent égale­ment un intérêt crois­sant pour la démarche entre­pre­neuri­ale et dévelop­pent la recherche parte­nar­i­ale avec l’industrie. Yves Poilane partage son point de vue sur l’importance de stim­uler l’entrepreneuriat et fait état de l’expérience plus que décen­nale de son école dans le domaine.

Cela sup­pose égale­ment, pour David Thes­mar, de lever les lour­deurs et aber­ra­tions admin­is­tra­tives qui infan­tilisent les chercheurs par trop de con­trôles tatil­lons pour leur laiss­er davan­tage de liberté.

Il est par exem­ple aber­rant que la lim­ite d’âge pousse vers la sor­tie des chercheurs et enseignants de pre­mier plan : à la Lon­don School of Eco­nom­ics, les enseignants d’un cer­tain âge sont éval­ués chaque année et leur con­trat pro­longé ; aux États-Unis, il n’y a pas de lim­ite d’âge, mais les enseignants savent se retir­er à temps.

Le rôle-clé de la gouvernance

Cette trans­for­ma­tion en pro­fondeur ne peut s’opérer seule. Pour Alfred Gali­chon, il faut des per­son­nal­ités d’envergure : ain­si, la Toulouse School of Eco­nom­ics, exem­ple de créa­tion réussie d’une école de niveau inter­na­tion­al au sein d’une uni­ver­sité, est d’abord l’œu­vre de Jean- Jacques Laf­font et Jean Tirole.

Blocage idéologique et impuissance politique

L’échec en première année d’université atteint 60%, 20% la seconde – faute d’une sélection à l’entrée. Devant le refus de voir de l’argent privé financer l’enseignement ou la recherche, les universités se condamnent à rester sous tutelle financière et administrative publique. Il y a un blocage idéologique qui se traduit par une impuissance politique.

Mais il faut égale­ment des moyens. Jean-Robert Pitte, ancien prési­dent de la Sor­bonne, com­pare les bud­gets : 100 mil­lions d’euros pour 20 000 étu­di­ants à l’université Paris-IV, con­tre 66 mil­lions d’euros pour 1 000 étu­di­ants à l’École poly­tech­nique, soit de 1 à 13.

Et les prési­dents d’universités, englués dans la com­plex­ité de leur gou­ver­nance, notam­ment en rai­son de la dépen­dance aux per­son­nels liée à leur mode de désig­na­tion et sans ressources finan­cières pro­pres, sont bien inca­pables de tir­er par­ti des réformes qui leur ont con­féré davan­tage d’autonomie.

Pour­tant, les uni­ver­sités accueil­lent 60% des effec­tifs de l’enseignement supérieur. Partout dans le monde, ce sont elles qui dynamisent le reste de l’économie.

Vers un système français à deux vitesses ?

Les ques­tions sont venues con­forter cette impres­sion d’un enseigne­ment supérieur à deux vitesses. Aux inter­ro­ga­tions sur le design et sur les cours à dis­tance, les MOOC, les représen­tants des grandes écoles ont répon­du avec ent­hou­si­asme, tous ces sujets faisant par­tie de leur stratégie de développement.

Mais les uni­ver­sités peinent à rester dans la roue des grandes écoles, au risque d’un décrochage durable.

Faut-il alors, comme le sug­gère David Thes­mar, assumer un sys­tème dual, ultra-éli­tiste d’un côté, ouvert au plus grand nom­bre de l’autre ? Ou bien peut-on réc­on­cili­er excel­lence et égal­ité d’accès ?

Commentaire

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Patrice Urvoyrépondre
14 avril 2014 à 12 h 08 min

Inep­ties sur l’en­seigne­ment supérieur

Écoutez plutôt : https://dl.dropboxusercontent.com/u/55060214/Le%20monde%20selon%20Etienne%20Klein.mp3

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