Le Brésil n’a pas encore fait sa Révolution

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007Par Marc DESTAILLEURS (62)

Aucun par­ti ne présente un pro­jet poli­tique nation­al cohérent. Le par­ti qui a le plus grand poids en ter­mes d’élus, le PMDB, n’a pas présen­té de can­di­dat à la prési­dence. Il est depuis le début de la lég­is­la­ture divisé en deux courants : ceux qui sont con­tre la par­tic­i­pa­tion au gou­verne­ment et ceux qui y participent. 

Le Par­ti des Tra­vailleurs, le PT, dont est issu le prési­dent est sor­ti pour la pre­mière fois de l’opposition. 

À l’ex­er­ci­ce du pou­voir, il se délite, il perd d’un côté son aile gauche qui a présen­té son pro­pre can­di­dat, de l’autre, les proches du prési­dent élim­inés comme pare-feu pour pro­téger le Prési­dent dans les divers scan­dales qui ont vu le jour au cours du pre­mier man­dat. Lors du prin­ci­pal scan­dale de la lég­is­la­ture, le « men­salao », la presse se fai­sait écho que la finance, au tra­vers des par­tis de droite en par­ti­c­uli­er le PFL, souhaitait faire pres­sion sur le gou­verne­ment mais cer­taine­ment pas le désta­bilis­er encore moins entamer une procé­dure de des­ti­tu­tion con­tre le prési­dent. Jamais en effet les ban­ques brésili­ennes n’avaient été aus­si prospères et leurs béné­fices atteint de tels som­mets. On peut, au risque d’être taxé de sim­pliste, dire que la struc­ture des coûts financiers est un cas unique au monde qui con­stru­it sur un taux directeur élevé une machine de tonte automa­tique du con­som­ma­teur de base, en général dému­ni. Au Brésil plus qu’ailleurs, il est préférable de ne pas avoir besoin d’emprunter ! Or, grande sur­prise, rien n’est fait par le gou­verne­ment qui, rap­pelons-le, est lui-même client des banques. 

Usure, vous avez dit usure ?

Les taux directeurs de la Banque cen­trale, après avoir atteint dans les deux dernières années des som­mets faramineux de 28,5 % évolu­ent aujour­d’hui autour de 13,50 % annuel.

Mais les out­ils financiers qui en découlent au ser­vice de la pop­u­la­tion sont à pro­pre­ment par­ler absur­des, tout à fait incom­préhen­si­bles pour un obser­va­teur externe. Les taux au con­som­ma­teur final des divers four­nisseurs de crédit vari­ent aujour­d’hui entre 3,29 % et 11,60 %… par mois, soit entre 47,47 % et 273,22 % par an, sans com­men­taires. Pourquoi ? L’un des jus­ti­fi­cat­ifs est le taux de défaut élevé… Il l’est ! Cet état de « taux » est curieuse­ment accep­té par la pop­u­la­tion. Com­ment pour­rait-il en être autrement, le client en général dému­ni, au mieux mod­este, sans pat­ri­moine est sou­vent sans revenu déclaré. Une fois exposé, il est dans un cer­cle vicieux dont la sor­tie ne serait que l’ap­pel aux « agio­teurs » plus ou moins louch­es dont les taux et les méth­odes sur­passent les insti­tu­tions ayant pignon sur rue. Cette accep­ta­tion est sans doute his­torique­ment liée à l’hy­per­in­fla­tion mais celle-ci a déjà dis­paru depuis plus de douze ans. Nous con­sta­tons aujour­d’hui un taux d’in­fla­tion annuel moyen de 2,9 % ! Les ban­ques sont telle­ment con­scientes du prob­lème d’in­solv­abil­ité qu’elles organ­isent régulière­ment des cam­pagnes de régu­lar­i­sa­tion. Ici per­son­ne n’est choqué de lire dans le jour­nal Globo du 19 octo­bre 2006 le com­men­taire d’un directeur de la banque de Brésil : Nous refi­nancerons sur vingt-qua­tre ou trente-six mois avec un taux d’in­térêt men­su­el entre 4,40 % et 4,69 % très attrac­t­if com­paré à celui du chèque spé­cial (taux des décou­verts ban­caires) autour de 7,80 % par mois. Ceci devrait aug­menter de 30 % le taux des refi­nance­ments en cours.

Dans le Jor­nal do Brazil du 16 octo­bre sous le titre : « Le pro­fesseur dit Adieu et l’É­d­u­ca­tion se meurt », on apprend que le salaire men­su­el d’un pro­fesseur débu­tant est de 154 euros (431 réals) dans les écoles de l’É­tat de Rio, de 270 euros (755 réals) dans celles de la munic­i­pal­ité. Ces salaires se com­par­ent avec le salaire min­i­mum nation­al de 125 euros (350 réals) qui sert de référence à de nom­breux con­trats. À Rio, une employée de mai­son, nour­rie, logée peut gag­n­er entre un et demi et six salaires min­i­mums. La presse a par­lé d’un den­tiste qui était pour­suivi parce qu’il ne respec­tait pas le con­trat de garde qui le con­damnait à pay­er une pen­sion ali­men­taire de quar­ante salaires min­i­mum. On estime qu’aux car­refours, les men­di­ants peu­vent gag­n­er jusqu’à beau­coup plus de 360 euros (1 000 réals) par mois. 

Alors la ques­tion se pose : pourquoi le Prési­dent de la République, ancien député du Par­ti des Tra­vailleurs, leader syn­di­cal his­torique, résis­tant à la dic­tature mil­i­taire fait une poli­tique de gauche min­i­mal­iste dans le domaine social et à car­ac­tère moné­tariste dans le domaine économique quitte à sac­ri­fi­er la crois­sance et l’emploi ? La sit­u­a­tion dans laque­lle il a trou­vé le pays ? Une dette publique mon­u­men­tale en par­tie en mon­naie étrangère.

Depuis 2002 la Banque cen­trale a mené une poli­tique de taux et de change qui a per­mis de ramen­er la valeur du réal de près de 4 réals en 2002 à 2,10 pour un US dol­lar aujour­d’hui. Elle a pu prof­iter de cette sit­u­a­tion pour rem­bours­er en pri­or­ité la dette en mon­naie étrangère. En con­trepar­tie, du fait des taux élevés néces­saires à cette poli­tique, la dette publique en mon­naie locale n’a cessé d’aug­menter pour attein­dre aujour­d’hui un mon­tant de l’or­dre de 3 tril­lions de réals tan­dis que le taux de crois­sance moyen reste inférieur à 3 %. Les expor­ta­tions parais­sent saines et en crois­sance parce que le pays exporte prin­ci­pale­ment des pro­duits agri­coles, des matières pre­mières et a pu prof­iter de prix inter­na­tionaux élevés. Quant aux indus­tries, elles ont évidem­ment souf­fert du taux de change mais le marché intérieur est impor­tant et les indus­tries comme la métal­lurgie, util­isant peu de main-d’œu­vre et l’au­to­mo­bile avec des usines mécanos util­isant une main-d’œu­vre com­par­a­tive­ment bon marché, con­tin­u­ent à occu­per les pre­mières lignes du com­merce extérieur. 

Dans une série d’ar­ti­cles sous le titre : « Un pre­mier man­dat guidé par le prag­ma­tisme économique » Le Monde daté du 26 sep­tem­bre explique que ceci est pos­si­ble du fait de « La très bonne tenue de la con­jonc­ture inter­na­tionale, l’en­volée des prix des matières pre­mières, la baisse générale des taux d’in­térêt, et les posi­tions gag­nées sur les marchés extérieurs grâce à la déval­u­a­tion du réal en 1999. »

En con­trepar­tie, il explique aus­si que, avec un « taux de crois­sance trop faible pour éradi­quer la pau­vreté », le mir­a­cle actuel d’une poli­tique en faveur des pau­vres joint à la sta­bil­ité économique est basé « sur une redis­tri­b­u­tion des richess­es financées par une aug­men­ta­tion de la dépense publique à 37 % du PIB » sans que soient effec­tués « les investisse­ments néces­saires en matière d’é­d­u­ca­tion et d’in­fra­struc­tures pour stim­uler la crois­sance et inté­gr­er des pop­u­la­tions qui restent en marge de l’é­conomie formelle. » On y note aus­si le com­men­taire suiv­ant : « para­doxale­ment ce gou­verne­ment dit pop­u­laire a accordé dix fois plus de crédit aux grandes exploita­tions qu’aux petits agricul­teurs. »

Quel est l’homme ? Quels sont les hommes derrière cette réalité contradictoire ?

Comment peut-on comprendre cette situation a priori incompréhensible ?

Le Brésil très fran­cophile au XIXe siè­cle et au début du XXe siè­cle a copié ses insti­tu­tions sur des insti­tu­tions français­es allant jusqu’à utilis­er le code Napoléon. Dans l’échange appar­ent entre le lég­is­latif, l’exé­cu­tif, le judi­ci­aire, tout paraît « nor­mal » d’un État de droit démocratique.

Mais à la lec­ture des jour­naux tout paraît « se déré­gler ! » Pour ten­ter d’é­clair­er la con­fu­sion, il faut com­mencer par admet­tre que la vie poli­tique est con­stru­ite comme un puz­zle, image d’un État féo­dal où chaque vas­sal est d’abord maître chez lui avant de par­ticiper acces­soire­ment à la vie publique nationale. Ceci con­duit à toute une série d’in­ter­ac­tions qui dérè­g­lent le fonc­tion­nement usuel du jeu démoc­ra­tique, même si la sit­u­a­tion s’améliore comme on peut le lire le 5 novem­bre sous le titre « les Pro­grammes soci­aux sec­ouent les Pou­voirs régionaux » : des pro­grammes ont été financés par des fonds fédéraux payés aux com­munes directe­ment au lieu d’être arbi­trés par les caciques locaux ayant leurs entrées auprès du Gou­verne­ment fédéral à Brasil­ia et cet état de fait entre autres serait respon­s­able de l’échec de deux « coro­neis » réputés éter­nels « faiseurs de pluie » des États du Nordeste. 

Aux élec­tions, on remar­que des alliances con­tra­dic­toires selon les per­son­nes, les par­tis, les régions. 

Des liaisons souter­raines exis­tent entre les pou­voirs économiques qui finan­cent les cam­pagnes lég­isla­tives ou l’exé­cu­tif qui y voit une source invis­i­ble de finance­ment, bref des trafics d’in­flu­ence qui appa­rais­sent au grand jour à l’oc­ca­sion des scan­dales qui occu­pent la vie publique. Le judi­ci­aire n’est mal­heureuse­ment pas en reste dans cette con­fu­sion des gen­res. Dans une inter­view, Chico Whitek­er qui a quit­té le Par­ti des tra­vailleurs explique qu’il l’a fait parce que « le PT s’est ral­lié à une forme per­verse de poli­tique, com­mune aux autres par­tis con­sis­tant à oubli­er l’éthique au nom du prag­ma­tisme. » En résumé, ce qui est bon pour moi est bon pour le pays, une fois encore ! 

Ten­tons d’ex­pli­quer com­ment, sur un canevas de struc­tures démoc­ra­tiques, une grande quan­tité de per­son­nes, en atteignant un niveau, un lieu, un poste assoient leur exis­tence et y bâtis­sent un fortin pour con­forter pou­voir et ego. Avec l’aide de ce qu’on appelle le « jeito » brésilien, mot qui pour­rait au mieux se traduire par « sys­tème D », cha­cun fait au mieux sur la marche où il se trou­ve pour lui-même et ses proches tout en visant la marche suiv­ante pour élargir son hori­zon, allant par­fois jusqu’à « oubli­er » l’ob­jet même de sa présence là où il se trouve. 

Une polémique à pro­pos du Con­seil nation­al de jus­tice créé il y a quelques mois pour encadr­er et moralis­er la jus­tice vient à point nom­mé pour nous éclair­er. La créa­tion du CNJ venait après la dif­fi­cile adop­tion par les pou­voirs publics d’un pla­fond de rémunéra­tion dans la fonc­tion publique fixé par le STF, Tri­bunal suprême fédéral, à 8 465 euros (23 275 réals) qui est devenu entre autre le salaire des juges com­posant ce tri­bunal. L’adop­tion de cette mesure avait réduit la rémunéra­tion de nom­breux cadres publics. Encore aujour­d’hui un jour­nal indique que plus de deux cents juges de cour d’ap­pel (Desem­bar­gador) ont une rémunéra­tion qui dépasse le pla­fond légal. 

La polémique vient de ce que la prési­dente du STF a annon­cé que le CNJ avait décidé de pay­er à ses mem­bres une grat­i­fi­ca­tion, un jeton de présence, de 1 015 euros (2 784 réals) par séance, lim­ité à deux par mois avec effet rétroac­t­if à la créa­tion du CNJ en juin 2005 ce qui de fac­to porterait à 10 500 euros (28 843 réals) par mois la rémunéra­tion de la prési­dente du STF, autorité morale respon­s­able du pla­fond de salaire nation­al ! À ce sujet, il vaut mieux cir­culer dans les allées du pou­voir car un autre arti­cle nous sig­nale que l’échelle des salaires des juges est dix fois supérieure à celle des médecins, fonc­tion­naires dans les hôpi­taux publics. On peut expli­quer par ce fait que les postes d’élus sont pécu­ni­aire­ment attrac­t­ifs en eux-mêmes ouvrant la porte à l’hérédité des « familles poli­tiques » et à la sub­or­di­na­tion des obscurs aux féo­daux régionaux. 

La nou­velle Cham­bre des députés sera renou­velée pour presque moitié sans que cela se traduise par un change­ment équiv­a­lent dans la répar­ti­tion des par­tis car, cette fois, un grand nom­bre de députés impliqués dans les divers scan­dales n’ont pas été réélus mais la sanc­tion n’est que par­tielle puisque cer­tains néan­moins l’ont été. 

Par ailleurs, un élu qui a acquis un statut local n’hésit­era pas à chang­er, une fois, deux, trois, qua­tre, cinq, six fois ou plus de par­ti pour rester sur la scène poli­tique ! L’abus du poste n’est pas lim­ité aux élus et on retrou­ve les acteurs locaux jouant sur leur réper­toire fut-il lim­ité ce qui appa­raît lors « d’ac­ci­dents » locaux qui touchent d’autres cadres publics. Dans le seul État de Rio de Janeiro des réseaux de cor­rup­tions ont été mis à jour ces dernières années, soit des inspecteurs des impôts, soit de l’INSS, l’In­sti­tut nation­al de la Sécu­rité sociale, sans par­ler des cas inces­sants de policiers arrêtés pour servir des réseaux de traf­ic. À ce sujet spé­ci­fique, un arti­cle rap­pelle que, comme les pro­fesseurs, « oubliés » de la dis­tri­b­u­tion salar­i­ale offi­cielle, ils sont amenés à faire de la per­ruque ou à pren­dre un deux­ième emploi et sont sou­vent oblig­és pour raisons économiques de se loger dans les fave­las sous con­trôle des trafiquants. 

Rap­pro­chons cette suc­ces­sion d’événe­ments d’un fait his­torique : aucune révo­lu­tion pop­u­laire n’a sec­oué le Brésil. Nous sommes oblig­és de con­stater dans le pays une cul­ture des priv­ilèges, ceux que cha­cun a du fait de sa nais­sance, sa famille, sa posi­tion sociale, de ses con­quêtes ou de ses abus, « pas vu pas pris », comme partout il est vrai ! Cette cul­ture cohab­ite avec celle de l’esclavage, le Brésil a été le dernier pays du monde à l’avoir aboli en 1888. La com­plé­men­tar­ité est parfaite ! 

Otto Maria Carpeaux, dans la clan­des­tinité en 1966, pen­sait encore d’ac­tu­al­ité de rap­pel­er dans un essai à pro­pos de l’épisode de la révolte des « canudos » en 1897 : « Pour les paysans du Nordeste, la République n’avait rien changé au Brésil qui, sous l’au­torité d’un Prési­dent de la République, était le même Brésil de l’Em­pire où les grands « lat­i­fundistes » con­tin­u­aient d’op­primer les jour­naliers. » Tou­jours d’ac­tu­al­ité aujour­d’hui en 2006, la lutte pour la con­quête de la terre par les paysans pour pou­voir la cul­tiv­er, est aujour­d’hui menée par le « MST », Mou­ve­ment des sans terre, qui pour­suit la même reven­di­ca­tion par des occu­pa­tions illé­gales de ter­res cultivables ! 

Le Brésil est un pays de type démoc­ra­tique où exis­tent les trois pou­voirs, le lég­is­latif et son par­lement, l’exé­cu­tif et le judi­ci­aire, avec ses tri­bunaux à trois niveaux. Mais on y trou­ve un fonc­tion­nement étrange voire anachronique qui ne s’ex­plique, dis­ons-le une fois de plus, que par l’im­men­sité du pays où des men­tal­ités his­torique­ment dif­férentes jouent en fonc­tion des orig­ines de l’im­mi­gra­tion. Généralis­er est à la fois téméraire et sim­plifi­ca­teur mais on ne peut pas ne pas remar­quer des com­porte­ments et des fonc­tion­nements qui s’ex­pli­queraient par des men­tal­ités com­pa­ra­bles s’ap­pli­quant dans des domaines com­plète­ment indépendants. 

Répé­tons que les pou­voirs locaux peu­vent être com­parés à ceux d’une époque féo­dale où des seigneurs locaux règ­nent sur des fiefs indépen­dants. Une fois rassem­blés dans la fédéra­tion, ils doivent faire fonc­tion­ner une démoc­ra­tie nationale qui met en con­tact des cadres régionaux qua­si-inamovi­bles, déten­teurs de pou­voir qua­si-hérédi­taire dans leur état d’o­rig­ine et qui représen­tent à Brasil­ia des intérêts régionaux struc­turelle­ment dif­férents. L’ex­em­ple le plus vis­i­ble de cet état de fait con­cerne les élec­tions, par des alliances con­tra­dic­toires en fonc­tion des néces­sités locales sur les per­son­nes et les par­tis. Il est impor­tant de rap­pel­er que le vote est ici oblig­a­toire ! Des pop­u­la­tions peu pré­parées, il est estimé que 75 % de la pop­u­la­tion du Brésil est con­sti­tuée d’anal­phabètes fonc­tion­nels, sont une cible facile pour le clien­télisme et la manipulation. 

L’ab­sence de posi­tion claire oblige les électeurs à faire des choix per­son­nal­isés qui les attachent à « leur » can­di­dat. Quand celui-ci est bat­tu au pre­mier tour le jeu des désis­te­ments fait l’ob­jet de som­bres trac­ta­tions car l’électeur sera, plus par incom­préhen­sion des options pro­posées que par con­vic­tion, obligé d’être fidèle aux recom­man­da­tions de « son » candidat. 

Le Brésil est divisé en deux

Le Sud plus dévelop­pé et mod­erne, le Nord restant plus archaïque. Chaque région pos­sède ses « familles. » Un nou­v­el État aurait été séparé de l’É­tat de Goïas il y a quelques années au béné­fice de deux familles qui y régn­eraient à tour de rôle. La coex­is­tence d’une classe riche et pos­sé­dante avec une classe moyenne liée au gou­verne­ment local car essen­tielle­ment con­sti­tuée de fonc­tion­naires et le reste d’une classe mis­érable en général mal éduquée et manip­ulée poli­tique­ment au prof­it du pou­voir local explique que cette sit­u­a­tion per­dure. Il est vrai que cela s’ap­plique surtout au Nord. Nous con­sta­tons au Sud l’ex­is­tence d’une classe ouvrière mais celle-ci ne paraît pas avoir mod­i­fié sig­ni­fica­tive­ment la sit­u­a­tion nationale, peut-être parce que la représen­ta­tion des États du Sud à Brasil­ia n’est pas en rela­tion avec leur poids économique. 

Donnons des exemples de « curiosités » locales :

L’ex-prési­dent Col­lor démis en 1992 de la Prési­dence de la République pour cor­rup­tion vient d’être réélu en octo­bre 2006 comme séna­teur de l’É­tat de l’Alagoas, sa terre d’o­rig­ine. Dans l’É­tat de Rio de Janeiro au deux­ième tour des dernières élec­tions en octo­bre 2006, la gou­verneur sor­tante, mem­bre du PMDB, soute­nait le can­di­dat d’op­po­si­tion tan­dis que le can­di­dat du même par­ti PMDB et élu gou­verneur pour la prochaine lég­is­la­ture soute­nait le Prési­dent sor­tant. Un « homme fort » de l’É­tat de São Paulo vient d’être réélu au sor­tir de prison et fait encore l’ob­jet de plusieurs procé­dures judi­ci­aires liées à ses œuvres dans des postes élec­tifs précédents. 

Quant aux priv­ilèges, il y en a de curieux comme les pris­ons réservées pour les diplômés uni­ver­si­taires ! Et pour les anachro­nismes, cette pen­sion fédérale pour les jeunes filles céli­bataires, ces vieilles filles de Jacques Brel inca­pables de trou­ver un mari, au décès autre­fois des fonc­tion­naires, encore aujour­d’hui des mil­i­taires. Com­ment cette struc­ture sociale per­dure-t-elle alors que la mis­ère jus­ti­fierait une organ­i­sa­tion poli­tique reven­dica­tive ? Les par­tis poli­tiques exis­tent, des syn­di­cats aus­si mais ils sem­blent être mis au ser­vice de leur leader plutôt que de leurs membres. 

Le Prési­dent actuel en serait un excel­lent exem­ple qui est « mon­té » jusqu’à la Prési­dence de la République en s’ap­puyant d’abord sur sa posi­tion syn­di­cale puis sur le Par­ti des Tra­vailleurs. Il est aux yeux du monde un cas d’é­cole de suc­cès d’une poli­tique sociale réussie dans un pays émer­gent réputé dif­fi­cile. Alors que, en dépit des pro­grammes « assis­tan­cial­istes », la poli­tique suiv­ie depuis qua­tre ans se recon­naît dif­fi­cile­ment comme la poli­tique d’un par­ti de gauche. Pour­tant quand le Prési­dent va à la ren­con­tre des syn­di­cats, c’est la fête ! Aucun doute que ses orig­ines pop­u­laires le font béné­fici­er d’un phénomène d’identification. 

L’as­sis­tanat aux indi­gents per­met de ravaler la façade sociale sans pren­dre les risques d’une réforme de fond. En don­nant aux dému­nis un peu d’ar­gent pris aux class­es moyennes, il obtient à bon prix l’aval de la classe dom­i­nante et évite d’af­fron­ter celle-ci qui a tou­jours su main­tenir ses priv­ilèges, main­tenant au Brésil l’une des plus grandes iné­gal­ités au monde. J’ai con­nu des pro­prié­taires ter­riens qui avaient des pro­priétés d’un seul ten­ant grand comme la Suisse. Ain­si peut s’ex­pli­quer le mir­a­cle de la Prési­dence actuelle : la sta­bil­ité économique et poli­tique du pays avec une bonne image d’un Prési­dent de gauche qui effec­tive­ment réduit la pau­vreté… un peu, réal­isant la quad­ra­ture du cer­cle : l’al­liance objec­tive de la finance nationale et inter­na­tionale avec les pop­u­la­tions pau­vres du Nordeste. Cette nova­tion imprévue peut à elle seule expli­quer la pro­gres­sion du Prési­dent lors de la récente réélec­tion. L’ab­sence d’al­ter­na­tive crédi­ble a fait le reste ! 

Pour tenter une conclusion

On peut se deman­der pourquoi les efforts de mobil­i­sa­tion restent très peu pro­duc­tifs et se main­tient le statu quo ? Le Brésil est dom­iné par une cul­ture latine et catholique. L’é­d­u­ca­tion est liée à la mère. Les enfants des class­es priv­ilégiées sont éduqués pour recevoir, acces­soire­ment ne rien don­ner. Les enfants des familles pau­vres le sont pour ne rien recevoir. Cette com­bi­nai­son donne une cohé­sion sociale presque par­faite. Tout au long de la vie, le pre­mier trou­vera tout naturel d’avoir et éton­nant de ne pas avoir, tout le con­traire pour le sec­ond. De plus le pre­mier s’ac­com­mod­era très bien que l’autre n’ait pas et, en général, le sec­ond trou­vera nor­mal que l’autre pos­sède. Les sit­u­a­tions extrêmes « vis­i­bles » seront human­isées dans le cadre de pro­grammes issus de la tra­di­tion religieuse d’as­sis­tan­cial­isme. L’as­censeur social fonc­tionne aus­si et d’oc­ca­sion­nels con­tes­tataires passeront de la sec­onde à la pre­mière classe soit par les pro­grammes d’é­d­u­ca­tion qui exis­tent et le per­me­t­tent pour les plus entre­prenants, soit en con­quérant un statut par­ti­c­uli­er, star ou chef de quelque chose, acces­soire­ment trafi­quant, voleur ou ban­dit. La pop­u­la­tion lorsqu’elle est dému­nie de tout espoir per­son­nel s’ac­crochera à des iden­ti­fi­ca­tions fortes qui expliquent entre autres, le suc­cès du car­naval, des spec­ta­cles et des stars du sport ou de la musique dans les class­es pop­u­laires, ce qui per­met de dire que le Brésilien est d’un naturel heureux… heureuse­ment pour lui. D’une manière générale, les réac­tions de cha­cun restent très indi­vid­u­al­istes. Vous serez sur­pris de con­stater qu’un groupe de plusieurs per­son­nes, qu’ils soient ado­les­cents ou adultes, bloque tout un trot­toir, bavarde et vous regarde sans être préoc­cupé par votre hési­ta­tion. Il ne reste plus au pas­sant, vieil­lard, femme ou enfant, qu’à descen­dre du trot­toir pour con­tin­uer son chemin. 

En sim­pli­fi­ant à l’ex­trême, on pour­rait dire : « L’autre pourquoi ? C’est qui ? » Cette phrase banale est lourde de con­séquences. En effet, la pop­u­la­tion réputée heureuse et accueil­lante n’est en fait con­cernée que par un cer­cle de gens lim­ité qu’on pour­rait appel­er son clan. L’in­térêt porté au monde se traduit à tra­vers l’i­den­ti­fi­ca­tion à un groupe plutôt qu’à un principe d’in­té­gra­tion dans une société organ­isée qui serait naturelle­ment ordon­née par des règles applic­a­bles à tous et pour lesquelles, au nom de principes, on pour­rait aller se bat­tre et jusqu’à sac­ri­fi­er sa vie, sa sit­u­a­tion ou ses biens comme un petit nom­bre l’a fait lors de la dic­tature mil­i­taire. Il vit sur une musique con­stru­ite sur une men­tal­ité féo­dale où, à chaque instant, à chaque endroit, cha­cun est maître chez lui. 

L’ob­ser­va­teur peut alors se pos­er la ques­tion de savoir si l’in­térêt privé n’é­touffe pas l’in­térêt pub­lic et si au béné­fice d’un petit nom­bre, on ne finit pas par étouf­fer le pro­grès. Serait-ce l’esclavage, la seule réponse ver­bale pos­si­ble était : « oui ! ». Serait-ce la pau­vreté qui his­torique­ment aurait amené cha­cun à tir­er le meilleur par­ti de ce qu’il trou­ve mis à sa dis­po­si­tion là où il est, l’empêchant de ce fait de con­stru­ire cette con­science abstraite et col­lec­tive qui représen­terait les droits et les devoirs de cha­cun. Des efforts colos­saux sont pour­tant entre­pris pour con­stru­ire une société plus juste et équitable mais l’é­d­u­ca­tion de base reste la même, celle de l’en­fant « macho » don­nant un « jeito » pour s’en sor­tir dans la vie. Cela paraît être un tra­vail de plusieurs généra­tions pour for­mer chaque indi­vidu à cette inté­gra­tion dans une société respectueuse et intéressée au bien col­lec­tif où cha­cun intè­gre dans sa con­cep­tion du bon­heur un sys­tème de valeurs com­munes accept­able pour lui trou­ver sa place dans une société juste et équitable et avoir la capac­ité de la con­stru­ire et de la défendre pour tous et au nom de tous. 

Sauf erreur, c’est la leçon de la Révo­lu­tion française. 

En résumé, le Brésil n’au­rait pas encore fait sa révolution !

Poster un commentaire