Le bâtiment intelligent, nouveau venu dans la transition énergétique

Dossier : Trend-XMagazine N°740 Décembre 2018
Par Riwal PLOUGONVEN (95)
Par Patricia CRIFO
Par Jordi BADOSA
Les bâtiments sont responsables d’une grande part de la consommation énergétique (44 % en France selon l’Ademe). Les défis environnementaux (réduction de l’empreinte carbone), de transition énergétique (décentralisation de la production avec des sources renouvelables), de transport (avec une forte augmentation attendue de véhicules électriques) et de communication (objets connectés, gros volumes de données…) nécessitent que ces bâtiments deviennent des acteurs énergétiques. Dans cet objectif, Trend‑X s’emploie à modéliser des systèmes de gestion énergétique et à développer des démonstrateurs avec des bâtiments du campus.

Appor­ter au réseau élec­trique la flexi­bi­li­té néces­saire consti­tue un for­mi­dable défi scien­ti­fique, indus­triel et socié­tal, avec de mul­tiples inter­ro­ga­tions : com­ment prendre en compte les incer­ti­tudes de pré­vi­sion de pro­duc­tion et consom­ma­tion pour la ges­tion effi­cace d’un micro­ré­seau ? Quelle est la ges­tion opti­male de l’énergie d’un bâti­ment dans le contexte de son quar­tier et de sa région ? Dans quelle mesure les consom­ma­teurs peuvent-ils jouer un rôle dans la ges­tion intel­li­gente d’un bâtiment ?


REPÈRES

Un cadre régle­men­taire existe désor­mais cor­res­pon­dant à l’autoconsommation indi­vi­duelle et col­lec­tive en France (loi n° 2017-227 du 24 février 2017) ; 40 000 foyers en auto­con­som­ma­tion sont atten­dus pour 2018 et 4 mil­lions à l’horizon de 2030 selon l’association Think Smart Grids ; la tari­fi­ca­tion est en train d’évoluer et de s’adapter. Les pro­duc­teurs deviennent « consom’acteurs » de petits sys­tèmes, ou micro­ré­seaux, inter­con­nec­tés, qui peuvent avoir des moyens de sto­ckage et échangent avec le réseau élec­trique prin­ci­pal qui, à son tour, béné­fi­cie de la flexi­bi­li­té que ces micro­ré­seaux peuvent lui apporter.


Le bâtiment intelligent, clé pour la flexibilité

Dans le contexte de la tran­si­tion éner­gé­tique, un bâti­ment intel­li­gent a trois carac­té­ris­tiques prin­ci­pales. D’abord l’efficacité : il consomme l’énergie néces­saire à ses fonc­tions pri­maires et au confort de ses occu­pants, mais avec sobrié­té ; il doit ensuite être auto­pro­duc­teur : il génère et auto­con­somme une par­tie de cette éner­gie à par­tir de sources renou­ve­lables. Les moyens de pro­duc­tion d’énergie peuvent être de diverses natures, les plus habi­tuels étant l’énergie solaire d’origine pho­to­vol­taïque et ther­mique. Enfin, il doit être flexible : capable de s’adapter à des contraintes soit internes soit externes (du réseau). La flexi­bi­li­té peut être appor­tée par une ges­tion locale de l’électricité, notam­ment à par­tir de la modu­la­tion de la consom­ma­tion et du stockage/déstockage.

Les bâti­ments intel­li­gents sont natu­rel­le­ment adap­tés à l’accueil des éner­gies renou­ve­lables, notam­ment le solaire ther­mique et pho­to­vol­taïque, qui s’intègrent en toi­ture ou en façade de manière simple.

Les bâti­ments intel­li­gents offrent une oppor­tu­ni­té de déve­lop­pe­ment éco­no­mique, notam­ment autour des solu­tions numé­riques, liées à l’internet des objets et à la domotique.

Si un mar­ché est bien en train de se créer pour l’autoconsommation indi­vi­duelle ou col­lec­tive, avec des tarifs qui la rendent com­pé­ti­tive, il n’est qu’en début de matu­ra­tion. Des démons­tra­teurs regrou­pant plu­sieurs indus­triels, comme les pro­jets Ker­grid (morbihan-energies.fr/kergrid), Issy­Grid (issygrid.com) et Nice Grid (nicegrid.fr), par­ti­cipent à cette matu­ra­tion. L’inclusion de par­te­naires aca­dé­miques dans ce type de démons­tra­teurs per­met de pous­ser l’innovation dans les solutions.

Vues du labo­ra­toire des nano­ré­seaux (NRLAB), qui per­met la modé­li­sa­tion phy­sique et numé­rique à petite échelle de la pro­duc­tion pho­to­vol­taïque, le sto­ckage élec­tro­chi­mique, la consom­ma­tion élec­trique et la ges­tion dyna­mique de l’énergie.

Des démonstrateurs de bâtiments intelligents à l’X

Dans ce contexte, la démarche de Trend‑X vise à modé­li­ser des sys­tèmes de ges­tion éner­gé­tique et à déve­lop­per des démons­tra­teurs avec trois bâti­ments. La modé­li­sa­tion des sys­tèmes de ges­tion éner­gé­tique, inté­grant pro­duc­tion, sto­ckage et consom­ma­tion, repose d’une part sur la modé­li­sa­tion mathé­ma­tique : il s’agit de déve­lop­per des algo­rithmes de ges­tion et de pré­vi­sion de la res­source et de la consom­ma­tion, tirant par­ti des pré­vi­sions météo­ro­lo­giques et de méthodes sta­tis­tiques pour opti­mi­ser les choix d’énergie et de sto­ckage. Elle repose éga­le­ment sur la modé­li­sa­tion phy­sique, où un micro-réseau est simu­lé à l’échelle réduite avec un pan­neau solaire, une éolienne, une bat­te­rie de sto­ckage et des ému­la­teurs de consom­ma­tion et de source d’énergie secon­daire (typi­que­ment le réseau natio­nal). Dans le cadre de Trend‑X, le sou­tien du Sie­bel Ener­gy Ins­ti­tute et la col­la­bo­ra­tion de plu­sieurs labo­ra­toires – LMD, LPICM, GeePs, Labo­ra­toire d’informatique pour la méca­nique et les sciences de l’ingénieur (Lim­si) – ont per­mis la construc­tion de ce micro­ré­seau, bap­ti­sé NRLAB. Ce micro­ré­seau simule à l’échelle réduite le fonc­tion­ne­ment des bâti­ments de taille réelle détaillés ci-des­sous et de tes­ter des scé­na­rios de ges­tion de ces bâti­ments. Ce micro­ré­seau NRLAB, ins­tal­lé dans une salle du LMD et à dis­po­si­tion de tout le consor­tium Trend‑X, est un outil inno­vant pour la recherche et l’enseignement. En effet, NRLAB est uti­li­sé comme sup­port de tra­vaux pra­tiques pour des ensei­gne­ments dis­pen­sés dans les par­cours d’approfondissement du cycle poly­tech­ni­cien, des gra­duate degrees et de la for­ma­tion conti­nue dis­pen­sée dans l’Executive Edu­ca­tion de l’X.

Les modé­li­sa­tions mathé­ma­tique et phy­sique per­mettent de carac­té­ri­ser le sys­tème de ges­tion en fonc­tion­ne­ment, l’améliorer du point de vue algo­rith­mique et l’adapter à des bâti­ments de taille réelle. Le déve­lop­pe­ment de démons­tra­teurs à taille réelle per­met d’intégrer un élé­ment fon­da­men­tal du bâti­ment : la pré­sence d’usagers. Opti­mi­ser le fonc­tion­ne­ment de bâti­ments intel­li­gents néces­site d’étudier le com­por­te­ment des usa­gers, par exemple par des méthodes de type nudge (voir article page 46) pour assu­rer une meilleure adé­qua­tion entre pic de consom­ma­tion et pic de production.

Dans le cadre de Trend‑X, les démons­tra­teurs en déve­lop­pe­ment sont de deux types : des bâti­ments à usage ter­tiaire, bien adap­tés à l’installation pho­to­vol­taïque, avec un pro­fil de consom­ma­tion éle­vé dans la jour­née, aux moments de pro­duc­tion maxi­male, et des bâti­ments à usage d’habitation, qui intègrent de nom­breux loge­ments par­ta­geant des res­sources d’autoproduction et des outils de ges­tion collective.

Sché­ma de prin­cipe du micro­ré­seau PLEINERGIE déployé sur le bâti­ment héber­geant l’observatoire du cli­mat Sir­ta en 2020.

Démonstrations en grandeur réelle

L’objectif de ces démons­tra­teurs est de com­bi­ner des don­nées de mesures (pro­duc­tion, consom­ma­tion, niveau de charge des bat­te­ries…) et des carac­té­ris­tiques com­por­te­men­tales pour esti­mer le poten­tiel de flexi­bi­li­té de consom­ma­tion éner­gé­tique, pour gérer de façon opti­male le bâti­ment. Trois bâti­ments du cam­pus de l’École poly­tech­nique font l’objet d’études : le Drahi‑X Nova­tion Cen­ter, qui héberge des start-up, des équipes de recherche aca­dé­mique, des équipes indus­trielles de R & D, un fablab et des bureaux d’étudiants, est le pre­mier démons­tra­teur de micro­ré­seaux déve­lop­pé dans Trend‑X. Il est construit sur un bâti­ment exis­tant et compte avec la col­la­bo­ra­tion de plu­sieurs PME et start-up (comme e‑Lum et Spi­nal­Com) et de groupes de recherche inter­dis­ci­pli­naires. Le bâti­ment de l’observatoire du cli­mat Sir­ta est éga­le­ment un bâti­ment à usage ter­tiaire. Ce nou­veau bâti­ment, qui ver­ra le jour en 2020, a été conçu dès le départ avec un réseau élec­trique indé­pen­dant per­met­tant l’autoconsommation à par­tir d’une ferme pho­to­vol­taïque, un sys­tème de sto­ckage fixe et mobile (véhi­cule élec­trique) et des espaces pour l’expérimentation et la péda­go­gie. Il sera ouvert aux étu­diants, pour y réa­li­ser des pro­jets sur les éner­gies renou­ve­lables mais aus­si au public en géné­ral pour des visites, sémi­naires et évé­ne­ments autour du cli­mat et de l’énergie.

L’utilisation de bâti­ments d’usages dif­fé­rents per­met­tra une étude com­pa­rée des modes de ges­tion et d’optimisation, et des com­por­te­ments des usa­gers. Ces tra­vaux com­bi­nant pré­vi­sions de la pro­duc­tion et de la consom­ma­tion éner­gé­tique, ana­lyse des mesures, opti­mi­sa­tion mathé­ma­tique, ana­lyse des com­por­te­ments font col­la­bo­rer des cher­cheurs de dis­ci­plines variées (géo­phy­sique au LMD, mathé­ma­tiques appli­quées et infor­ma­tique au CMAP et LIX, ges­tion à I3) et doivent per­mettre des inno­va­tions consé­quentes dans la façon de gérer les bâti­ments intel­li­gents, comme le contrôle prédictif.

Du bâtiment à la ville

Les démons­tra­teurs de bâti­ments intel­li­gents sont avant tout des outils de recherche. Cepen­dant le pro­jet Trend‑X vise aus­si à déployer des ver­sions opti­mi­sées et sta­bi­li­sées de ces démons­tra­teurs de façon mas­sive dans les ter­ri­toires, en impli­quant les com­munes volon­taires. Dans le cadre du pro­jet Éco­block, la muni­ci­pa­li­té volon­taire du pro­jet amé­ri­cain est la ville d’Oakland, en Cali­for­nie. Dans le contexte de Trend‑X, le ter­ri­toire fran­ci­lien est tout natu­rel­le­ment à explo­rer pour déployer notre démons­tra­teur d’Écoblock. Par exemple, la ville de Paris s’est fixée pour objec­tif dans son plan cli­mat d’être une ville 100 % éco­ré­no­vée aux bâti­ments bas car­bone et à éner­gie posi­tive, avec notam­ment la réno­va­tion d’un mil­lion de loge­ments d’ici 2050. L’analyse éco­no­mique de ces enjeux éco­no­miques, environ­nementaux et sociaux sera pilo­tée au sein de Trend‑X par le Crest, et abor­dée dans la for­ma­tion du gra­duate degree Smart Cities and Urban Poli­cy.

Les enjeux sont d’identifier les quar­tiers à réno­ver et à ins­tru­men­ter, puis d’y déployer les solu­tions tech­niques déve­lop­pées à l’échelle d’un bâti­ment. La socié­té nam.R spé­cia­li­sée en intel­li­gence arti­fi­cielle devrait sou­te­nir le pro­gramme Trend‑X pour tra­vailler sur l’identification des quar­tiers d’habitation où déployer notre démons­tra­teur Éco­block. Le déploie­ment mas­sif du démons­tra­teur opé­ra­tion­na­li­sé néces­si­te­ra une asso­cia­tion forte entre col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales et industriels.


Le bâti­ment d’habitation des Bache­lors (480 logements).

Le bâtiment bachelor, démonstrateur d’autoconsommation collective

Le bâti­ment Bache­lor doit héber­ger jusqu’à 480 per­sonnes au cœur du cam­pus à par­tir de la ren­trée 2019. Sa sur­face en toi­ture impor­tante, ses loge­ments avec des for­mats dif­fé­rents et des moyens de pro­duc­tion et ges­tion cen­tra­li­sés font de ce bâti­ment un ter­rain d’application pro­pice à la ges­tion col­lec­tive, la coopé­ra­tion et l’étude du rôle des consom­ma­teurs. Total va l’équiper à cet effet dans le cadre d’une col­la­bo­ra­tion de recherche avec l’École. Ce bâti­ment sera un des pre­miers démons­tra­teurs d’autoconsommation col­lec­tive et consti­tue­ra le démons­tra­teur fran­çais du pro­jet inter­na­tio­nal Éco­block conduit en col­la­bo­ra­tion avec l’université de Berkeley.


Des objectifs ambitieux

Si l’Union euro­péenne a ins­crit l’objectif de 27 % d’énergie renou­ve­lable dans son bou­quet éner­gé­tique pour 2030, la France en a de plus ambi­tieux avec 32 % à l’horizon 2030, et 40 % en ce qui concerne la pro­duc­tion d’électricité.

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