Sièges sur l'avion de La Compagnie

L’avion en classe affaires au meilleur prix

Dossier : TrajectoiresMagazine N°718 Octobre 2016
Par Pierre-Hugues SCHMIT (98)
Par Hervé KABLA (84)

Après un début de car­rière à la DGAC, au min­istère des Trans­ports et chez ADP, Pierre-Hugues SCHMIT peaufine les con­di­tions pour faire, sur le tra­jet Paris/New-York, du low-cost en classe affaires avec un con­fort iné­galé puis cofonde “La Com­pag­nie” avec une équipe de pro­fes­sion­nels amis et le suc­cès sem­ble être là. 

Qu’est-ce qui a changé dans le secteur du transport aérien ces dernières années ?

L’arrivée des low cost boule­verse en pro­fondeur le secteur, et un des corol­laires est que l’écart entre classe affaires et classe économique con­tin­ue de croître. 

D’un côté, en classe économique, la con­cur­rence acharnée sur les prix a poussé les opéra­teurs à rivalis­er de créa­tiv­ité pour rogn­er le pro­duit et les coûts, au détri­ment du con­fort, même en long-courrier. 

De l’autre, en classe affaires des grandes com­pag­nies rivalisent d’ingéniosité pour pro­pos­er des ser­vices de plus en plus sophis­tiqués et per­son­nal­isés, tirés à la hausse notam­ment par les com­pag­nies du Golfe. 

Cela se traduit sur ce seg­ment par un pro­duit de plus en plus cos­su, plus lux­ueux mais avec moins de sièges, et donc plus coû­teux, tant pour l’opérateur que pour le passager. 

Cela crée un espace inter­mé­di­aire gran­dis­sant, que La Com­pag­nie entend bien exploiter. 


Des tablettes amovi­bles per­me­t­tent d’intégrer la presse, des livres, les menus, en plus des films et de la musique.

Comment La Compagnie en tire-t-elle bénéfice ?

Nous ne sommes pas les seuls à avoir repéré cet espace. Mais nous pen­sons apporter la meilleure réponse. Nous pen­sons qu’un pro­duit classe affaires sim­ple et effi­cace – low cost – cor­re­spond au véri­ta­ble besoin dans cet espace intermédiaire. 

Les voyageurs soucieux de ce niveau de con­fort sont aus­si soucieux du prix, surtout ceux qui voy­a­gent fréquem­ment ou les entre­pris­es qui les emploient. 

De leur côté, les com­pag­nies tra­di­tion­nelles pro­posent des pro­duits dits « econ­o­my-pre­mi­um », qui ressem­blent en fait aux class­es économiques d’antan, et qui sont ven­dues à prix élevé. Les pas­sagers ne s’y trompent pas. 

Notre approche con­naît un suc­cès com­mer­cial qui con­forte notre stratégie. 

Comment t’est venue l’idée de créer ta société dans ce secteur ?

L’idée est en fait venue d’une expéri­ence précé­dente (la com­pag­nie aéri­enne L’Avion 2006–2009 fondée par mon ami Frantz Yvelin). 

“ Notre approche connaît un succès commercial qui conforte notre stratégie ”

Mais la niche occupée par cette expéri­ence était vacante depuis quelques années, alors avec Frantz, et deux autres grands pro­fes­sion­nels du secteur, Peter Luethi et Yann Poudoulec, nous avons bâti un nou­veau mod­èle économique, en réé­val­u­ant notam­ment point par point ce qui est néces­saire aujourd’hui pour voy­ager dans de bonnes con­di­tions (siège-lit, flu­id­ité aéro­por­tu­aire, calme en cabine). 

Puis con­va­in­cus du poten­tiel financier d’un tel pro­duit, nous nous sommes lancés en lev­ée de fonds début 2012, puis en phase opéra­tionnelle fin 2013. 

Quels ont été les freins au démarrage ?

Les dif­fi­cultés sont mul­ti­ples dans un pro­jet d’une telle enver­gure. Il faut trou­ver des appareils, réamé­nag­er les cab­ines, recruter des pilotes expéri­men­tés, lever les bar­rières régle­men­taires divers­es, en France et aux États-Unis, organ­is­er les opéra­tions aéri­ennes et aéroportuaires… 

Il faut juste ne pas s’arrêter à cela. 

Comment les as-tu surmontés ?

Nous avions eu le temps en phase de lev­ée de fonds de bien pré­par­er la phase d’amorçage, avec une organ­i­sa­tion en mode pro­jet assez structurée. 

Par ailleurs le noy­au dur de l’équipe est assez com­plé­men­taire, se con­naît très bien, et dis­pose d’une solide expéri­ence dans le secteur. Nous avons cha­cun pu gér­er nos par­ties en bonne coordination. 

Naturelle­ment nous avons eu notre lot de revers et de nuits très cour­tes, mais la con­duite d’un pro­jet aus­si exci­tant stim­ule les esprits et les corps. 

Qu’est-ce que le numérique change dans ton domaine ?

L'avion de La Compagnnie
La Com­pag­nie pro­pose un pro­duit classe affaires sim­ple, effi­cace et low cost.

Sur la par­tie diver­tisse­ment embar­qué, nous avons fait un choix tech­nologique de tablettes amovi­bles per­me­t­tant d’intégrer la presse, des livres, les menus, en plus des films et de la musique. Nos vols sont donc paperless. 

Côté cock­pit nous y tra­vail­lons égale­ment, mais para­doxale­ment c’est l’administration qui nous impose encore de la doc­u­men­ta­tion papier. 

Le numérique change aus­si beau­coup les rela­tions avec nos clients, qui passent en grande par­tie par les réseaux soci­aux, ou par l’application dédiée. 

Y a‑t-il un risque d’ubérisation du transport aérien ?

On n’obtient pas sa licence de pilote comme on obtient son per­mis de con­duire ; l’ubérisation au sens de trans­port indi­vidu­el me paraît peu réal­iste à grande échelle. 

Elle a du sens pour des déplace­ments moyenne dis­tance privée et la petite avi­a­tion d’affaires ; la France, avec sa grande tra­di­tion aéro­nau­tique et sa den­sité aéro­por­tu­aire, a des atouts sur ces nich­es, si l’administration laisse faire… 

Dans le trans­port aérien grand pub­lic, l’ubérisation est aus­si présente au tra­vers des nom­breux com­para­teurs de prix, mais il ne s’agit que de recy­clage d’offres exis­tantes et non de l’ajout d’une offre nouvelle. 

En quoi ta formation – l’X en particulier – t’a aidé à te lancer ?

La pré­pa m’a appris la rigueur et la résis­tance au stress ; grâce à sa for­ma­tion à la fois pointue et général­iste, l’X a ensuite répon­du à ma curiosité interdisciplinaire. 

“ La prépa m’a appris la rigueur et la résistance au stress ”

Elle m’a aus­si ouvert la haute fonc­tion publique, où j’ai exer­cé pen­dant près de dix ans, y com­pris en cab­i­net ministériel. 

L’X apporte un sens de l’effort, de la pondéra­tion du risque (assez maîtrisé en ce qui me con­cerne car je suis en disponi­bil­ité) et sans doute aus­si un cer­tain panache. Il faut un peu tout cela pour oser l’entreprise.

Que faudrait-il faire pour pousser plus de polytechniciens à créer leur entreprise ?

À l’X, le cadre reste plutôt académique, et pas tou­jours ori­en­té sur la pra­tique, et encore moins sur les aspects admin­is­trat­ifs de l’entreprise. Cela peut frein­er celui qui tient une bonne idée et qui hésite à se lancer. 

Or les X ont plus d’atouts qu’ils ne pensent dans cette phase (for­ma­tion général­iste, agilité intel­lectuelle, ges­tion de la complexité…). 

Les incu­ba­teurs et les groupes X (Busi­ness Angels par exem­ple) appor­tent un sou­tien essen­tiel dans cette phase de mise en pra­tique. Les X doivent accepter de se faire aider. L’humilité n’est hélas pas tou­jours notre fort. 

Quels conseils donnerais-tu à un jeune X à sa sortie ?

Cha­cun choisit sa sor­tie selon ses goûts et ses tal­ents, mais les choix ne sont pas défini­tifs, et les car­rières sont longues. Il faut garder un regard ouvert sur les oppor­tu­nités, même de remise en ques­tion, et ne pas for­cé­ment avoir de plan de car­rière établi. Et oser.

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