L’armée de terre, les réformes, l’armée de demain

Dossier : La DéfenseMagazine N°529 Novembre 1997Par : Général Paul BRUTIN (59), inspecteur général des armées

L’armée de terre de la guerre froide

À l’été 1997, bien que con­sid­érable­ment réduite en vol­ume, l’ar­mée de terre se présente encore sous un aspect général qui est celui que nous avons con­nu tout au long de la guerre froide.

Ce mod­èle d’ar­mée était par­faite­ment adap­té à la poli­tique mil­i­taire de défense de la France, mise en œuvre pen­dant la péri­ode 1965–1990, et qui con­stitue aujour­d’hui une référence his­torique sim­ple et sans ambiguïté. Dis­posant d’une force de dis­sua­sion autonome, la France se devait, à cet égard, de garder sa lib­erté de déci­sion ; elle ne fai­sait donc pas par­tie de l’or­gan­i­sa­tion mil­i­taire inté­grée de l’Otan. Pour autant elle était un parte­naire à part entière, fidèle et crédi­ble de l’Al­liance atlan­tique. Elle par­tic­i­pait d’ailleurs pleine­ment à toutes les plan­i­fi­ca­tions qui étaient con­duites dans le cadre de l’ar­ti­cle 5.

La “guerre froide”, ce for­mi­da­ble affron­te­ment entre deux blocs puis­sam­ment armés et prêts au com­bat en per­ma­nence, mobil­i­sait de nom­breuses éner­gies : celles des chercheurs, des indus­triels et, à temps plein, celle des mil­i­taires eux-mêmes.

Ain­si, pen­dant trente-cinq ans, dans le cas où la dis­sua­sion aurait échoué, l’ar­mée de terre a été prête à s’en­gager en Cen­tre Europe, en six jours, mobil­i­sa­tion faite, tous moyens réu­nis c’est-à-dire 550 000 hommes d’un seul bloc, sous le com­man­de­ment de la 1re Armée, pour une bataille con­duite avec nos alliés, vio­lente, meur­trière et brève (quelques jours tout au plus) et qui ne se serait achevée que par l’ar­rêt de l’ad­ver­saire ou le déclenche­ment du feu nucléaire.

Toute l’ar­mée de terre était conçue et organ­isée à cet effet, active et réserve. La con­scrip­tion don­nait les effec­tifs de base aux rég­i­ments de com­bat, la mobil­i­sa­tion appor­tait un com­plé­ment aux forces et nour­ris­sait la logis­tique. La struc­ture du temps de paix était la même que celle du temps de guerre ce qui don­nait un sens très fort aux com­man­de­ments organiques qu’é­taient les trois corps d’ar­mée, la force d’ac­tion rapi­de et les quinze divi­sions. L’ex­pres­sion bien con­nue “un chef, une mis­sion, des moyens” avait toute sa valeur.

À la marge, mais ce n’est qu’à la marge (parce que l’on peut estimer que les forces con­cernées représen­taient env­i­ron 5 % du poten­tiel total), cer­taines unités de la FAR, peu nom­breuses et mod­este­ment armées, traitaient quelques prob­lèmes de faible ampleur dans des zones où l’his­toire nous a don­né des respon­s­abil­ités par­ti­c­ulières, en Afrique notamment.

En 1989, l’ar­mée de terre du temps de paix (avant mobil­i­sa­tion) avait un effec­tif de 292 500 mil­i­taires et 39 200 civils. Elle était capa­ble d’align­er au com­bat 45 rég­i­ments d’in­fan­terie, 1 340 chars de bataille, 560 pièces d’ar­tillerie ou mortiers lourds, 475 héli­cop­tères divers.

L’at­ti­tude très con­sen­suelle de la nation vis-à-vis de la poli­tique de défense trou­vait sa con­créti­sa­tion dans la con­scrip­tion, vecteur essen­tiel du lien armée nation, et garantie de l’ad­hé­sion de l’ar­mée aux valeurs fon­da­men­tales de la République. Ce n’est pas par hasard si, dans le lan­gage com­mun, l’ar­mée est sou­vent con­fon­due avec l’ar­mée de terre.

Les conséquences du bouleversement stratégique engagé en 1989

Les nations occi­den­tales et leurs armées ont gag­né la bataille de la guerre froide. Nos cadres et nos excel­lents appelés doivent être col­lec­tive­ment fiers de cette vic­toire ; ils ont remar­quable­ment défendu leur pays et le monde occi­den­tal pen­dant toute cette période.

La chute du mur de Berlin a été la déchirure ini­tiale qui a provo­qué la rup­ture de la sit­u­a­tion géos­tratégique, laque­lle a trou­vé sa pleine dimen­sion avec la dis­so­lu­tion du pacte de Varso­vie et l’é­clate­ment de l’U­nion sovié­tique. C’est donc sur notre con­ti­nent que les change­ments les plus spec­tac­u­laires sont inter­venus ; nous sommes passés d’une Europe qui cristalli­sait toutes les ten­sions à une Europe dont la grande affaire est aujour­d’hui l’élar­gisse­ment du monde occidental.

Lancement d'un drone
Lance­ment d’un drone
© SIRPA/ECPA

La men­ace d’a­gres­sion extérieure s’est estom­pée et éloignée de nos fron­tières. Très vite des con­clu­sions ont été tirées de cette sit­u­a­tion pour l’ar­mée de terre française qui a subi de 1991 à 1994 une impor­tante réduc­tion de son for­mat en per­dant deux corps d’ar­mée, six divi­sions, cinquante-qua­tre rég­i­ments et qua­tre-vingts organ­ismes divers. Simul­tané­ment la durée du ser­vice a été ramenée de un an à dix mois. Bien que lour­des, ces mesures n’é­taient que des dis­po­si­tions d’adap­ta­tion. En effet, compte tenu de la vio­lence du choc ini­tial, tout lais­sait penser que la recom­po­si­tion stratégique du monde prendrait de dix à quinze ans et il fal­lait à l’év­i­dence se don­ner quelques années avant de pou­voir faire des choix défini­tifs pertinents.

Il est très vite apparu (nul n’en doutait vrai­ment, con­nais­sant la nature de l’homme) que le monde restait éminem­ment insta­ble et que les risques de crises, éventuelle­ment graves, n’é­taient pas écartés. Mais la géo­gra­phie des men­aces a changé. La France, qui veut pro­mou­voir la con­struc­tion de l’Eu­rope et la sta­bil­ité de l’or­dre inter­na­tion­al, peut être con­duite désor­mais à pro­téger ses intérêts à grande dis­tance de son ter­ri­toire, par­fois plusieurs mil­liers de kilo­mètres. Elle doit pou­voir le faire rapi­de­ment, sans préavis, et avec les équipements néces­saires au com­bat mod­erne. Ces inter­ven­tions auront, par la force des choses, parce que nous ne serons pas chez nous, une dimen­sion col­lec­tive, avec nos amis européens tout d’abord, puis avec nos alliés, et avec les parte­naires qui, dans le monde, parta­gent avec nous les valeurs que nous défendons.

Dans l’an­cien con­texte, l’ar­mée était fondée sur la dou­ble exi­gence de la dis­sua­sion et de l’ac­tion aux fron­tières. La dis­sua­sion con­sti­tu­ait l’ar­tic­u­la­tion de notre défense ; elle s’ap­puyait sur les forces con­ven­tion­nelles qui devaient con­juguer le nom­bre, la mobil­ité et les capac­ités défen­sives pour être en mesure de con­tenir, à quelques cen­taines de kilo­mètres de notre ter­ri­toire, un adver­saire claire­ment iden­ti­fié et dis­posant de puis­santes forces aéri­ennes, blind­ées et mécanisées.

Dans le nou­veau con­texte, la dis­sua­sion demeure l’ul­time garantie con­tre toute men­ace sur nos intérêts vitaux quelles qu’en soient l’o­rig­ine et la forme ; elle reste donc un élé­ment fon­da­men­tal de notre stratégie mais elle ne con­stitue plus l’ar­tic­u­la­tion de la défense. L’ar­chi­tec­ture des forces con­ven­tion­nelles doit désor­mais s’or­gan­is­er autour des fonc­tions opéra­tionnelles pri­or­i­taires que sont dev­enues la préven­tion des crises et des con­flits et la pro­jec­tion de puissance.

Après une phase d’é­tude qui s’est déroulée au cours du deux­ième semes­tre 1995, et prenant en compte le souci de maîtrise des dépens­es publiques, le Prési­dent de la République a arrêté en con­seil de défense les grandes ori­en­ta­tions de la réforme des armées puis les a annon­cées le 22 févri­er 1996. Ces déci­sions poli­tiques se traduisent par une nou­velle déf­i­ni­tion des capac­ités mil­i­taires demandées à nos forces, asso­ciée à leur pro­fes­sion­nal­i­sa­tion et à une réduc­tion sig­ni­fica­tive de leur format.

Il s’ag­it donc pour l’ar­mée de terre d’a­ban­don­ner un sys­tème bien rodé dont l’or­gan­i­sa­tion repose pour une très large part sur la con­scrip­tion et d’évoluer vers un nou­veau mod­èle de forces dont la réal­i­sa­tion com­plète, y com­pris pour les équipements, inter­vien­dra dans le long terme, vers 2015. Toute­fois les évo­lu­tions con­cer­nant les effec­tifs, avec une réduc­tion du nom­bre des per­son­nels mil­i­taires d’en­v­i­ron un tiers (soit ‑96 000 hommes) devront être ter­minées en 2002.

Les nouvelles capacités demandées à l’armée de terre

Pour définir les capac­ités dont devra dis­pos­er l’ar­mée de terre future, c’est-à-dire son con­trat opéra­tionnel, il a été envis­agé dif­férentes hypothès­es d’emploi et plusieurs types de conflits.

Trois hypothès­es majeures illus­trent les con­textes prévis­i­bles d’en­gage­ment de nos forces :
— la pre­mière hypothèse est celle d’un engage­ment dans le cadre de l’Otan ou de l’UEO par la mise en jeu de nos alliances, du fait par exem­ple des insta­bil­ités pos­si­bles sur le flanc sud du con­ti­nent européen ou dans le bassin méditerranéen ;
— une autre hypothèse ver­rait notre con­tri­bu­tion à des opéra­tions de sécu­rité inter­na­tionale, de maîtrise d’une crise ou de main­tien de la paix sur man­dat des Nations unies ou d’une organ­i­sa­tion européenne, partout où nos intérêts le com­man­deraient et dans un cadre multinational ;
— enfin, une troisième hypothèse cor­re­spondrait à la mise en œuvre de nos accords de défense, au prof­it notam­ment de parte­naires africains et dans un cadre nation­al qui pour­rait à terme s’élargir à l’Europe.

Les con­di­tions de l’en­gage­ment, pour leur part, peu­vent être car­ac­térisées par deux grands types de con­flits possibles :
— les “con­flits symétriques entre armées con­ven­tion­nelles” menés en coali­tion com­por­tant un engage­ment de plus ou moins longue durée mais dont la phase d’ac­tion pour­rait être brève et de très haute inten­sité, néces­si­tant des équipements puis­sants, lourds et pro­tégés. Le récent con­flit du Golfe entre dans cette catégorie ;
— les “con­flits non clas­siques” sou­vent menés en coali­tion, se car­ac­térisant par de nom­breuses imbri­ca­tions entre civils et mil­i­taires, peu de batailles mais des opéra­tions ponctuelles con­tre des actions de ter­ror­isme ou de guéril­la ; leur durée peut être longue.

Pour répon­dre aux besoins liés à ces dif­férents types de con­flit, il a été décidé que l’ar­mée de terre future devrait com­porter des forces dis­posant de moyens de com­man­de­ment et de ren­seigne­ment sen­si­ble­ment val­orisés, aptes en pri­or­ité à emporter la déci­sion dans un con­texte de com­bat à haute inten­sité, et capa­bles de con­duire des actions de con­trôle du milieu dans un con­texte moins intense.

Le con­trat opéra­tionnel fixé à l’ar­mée de terre, en ter­mes d’ef­fec­tifs, par le pou­voir poli­tique se définit par les deux ter­mes suivants :
— soit engager plus de 50 000 hommes dans le cadre d’une inter­ven­tion majeure en Europe, au sein de l’Al­liance atlantique ;
— soit déploy­er à dis­tance 30 000 hommes et leurs moyens logis­tiques asso­ciés avec des relèves par­tielles lim­itées pen­dant env­i­ron un an sur un théâtre prin­ci­pal, et simul­tané­ment pro­jeter une force de 5 000 hommes sur un autre ter­ri­toire pen­dant une longue durée avec des relèves tous les qua­tre mois.

Les crises n’é­tant pas prédéter­minées, il fau­dra, la plu­part du temps, organ­is­er les forces opéra­tionnelles ter­restres en fonc­tion du besoin. Les forces ne seront donc plus comme dans l’an­cien con­texte des ensem­bles con­sti­tués et entraînés de longue date mais des forces de cir­con­stance. La notion de mod­u­lar­ité s’im­pose désor­mais, tous les dosages sont pos­si­bles entre élé­ments lourds et moyens légers, entre com­bat­tants et appuis. C’est l’ef­fi­cac­ité et bien sou­vent aus­si le coût de l’in­ter­ven­tion qui seront les fac­teurs déter­mi­nants. C’est en quelque sorte une nou­velle devise qui s’im­pose “une mis­sion, des moyens, un chef”.

*
* *

Au total la con­trac­tion du for­mat, la sup­pres­sion de la con­scrip­tion et l’in­tro­duc­tion du principe de mod­u­lar­ité dans la mise sur pied des forces con­duisent à démon­ter l’ar­mée de terre et à en recon­stru­ire une autre com­plète­ment différente.

Il s’ag­it, sans aucun doute, d’une véri­ta­ble refon­da­tion. Tous les paramètres con­sti­tu­tifs sont con­cernés : struc­tures, équipements, ressources humaines, ancrage dans la nation.

Les structures

Char Leclerc
Char Leclerc
 
Hélicoptère Tigre
Héli­cop­tère Tigre
© SIRPA/ECPA

Le pre­mier aspect car­ac­téris­tique de l’évo­lu­tion des struc­tures con­cerne l’équili­bre entre les forces pro­pre­ment dites et leur envi­ron­nement. La réal­i­sa­tion du nou­veau con­trat opéra­tionnel sup­pose qu’au sein de l’ar­mée de terre future, dont les effec­tifs totaux sont arrêtés à 172 000 dont 138 000 mil­i­taires, les forces, c’est-à-dire les états-majors opéra­tionnels et les rég­i­ments de com­bat, d’ap­pui et de sou­tien, regroupent au moins 100 000 mil­i­taires, ce qui autorise env­i­ron 80 rég­i­ments. Les autres per­son­nels seront répar­tis dans les organ­ismes inter­ar­mées, et dans les fonc­tions de sou­tien général (la vie de tous les jours) ou de for­ma­tion et d’en­traîne­ment. Ain­si c’est 72,5 % des mil­i­taires qui seront désor­mais directe­ment con­sacrés à une fonc­tion de car­ac­tère opéra­tionnel ce qui traduit un gain de pro­duc­tiv­ité mil­i­taire con­sid­érable. L’at­teinte de cet objec­tif devrait s’ac­com­pa­g­n­er d’un recours sig­ni­fi­catif à la sous-trai­tance dans de nom­breux domaines rel­e­vant de la vie courante.

La réal­i­sa­tion de ce pre­mier défi ne sera pas chose aisée. Elle se jouera, selon le cal­en­dri­er arrêté pour les réor­gan­i­sa­tions, à par­tir de l’an 2000. Dans une pre­mière phase, com­mençant dès 1997, l’ar­mée de terre voit ses rég­i­ments d’ap­pelés recruter peu à peu des engagés ; c’est une opéra­tion générale­ment bien perçue, surtout par les jeunes cadres, car ils ont une vision claire de ce qu’est un rég­i­ment pro­fes­sion­nel, il en existe déjà qui ont tous des références à faire val­oir. Ultérieure­ment, il fau­dra pass­er d’une armée de con­scrip­tion à une armée de méti­er, entité que per­son­ne ne con­naît véri­ta­ble­ment dans notre armée d’au­jour­d’hui et c’est au moment de cette trans­for­ma­tion-là que l’on va totale­ment mesur­er ce que les appelés appor­taient à la con­sti­tu­tion de nos forces en leur four­nissant une ressource de qual­ité nom­breuse et bon marché.

Une autre évo­lu­tion essen­tielle con­cerne l’or­gan­i­sa­tion de l’ar­mée de terre aujour­d’hui très ver­ti­cale et con­férant aux grands com­man­de­ments (corps d’ar­mée et divi­sions) à la fois des respon­s­abil­ités opéra­tionnelles mais aus­si de com­man­de­ment au quo­ti­di­en, ce qui a pour effet de com­pli­quer et de lim­iter la capac­ité de pro­jec­tion. L’or­gan­i­sa­tion future reposera sur un sys­tème croisé don­nant à chaque chaîne des respon­s­abil­ités claire­ment identifiées.

La chaîne des forces sera débar­rassée de toute respon­s­abil­ité autre qu’opéra­tionnelle et sera artic­ulée en trois niveaux. Au som­met, un com­man­de­ment unique des forces (com­man­de­ment de la force d’ac­tion ter­restre, CFAT) activé en 1998 à Lille qui aura deux mis­sions prin­ci­pales : d’une part organ­is­er et con­duire la pré­pa­ra­tion opéra­tionnelle des états-majors et de toutes les forces pro­jeta­bles, d’autre part entretenir la capac­ité à met­tre sur pied, lui-même, pour une opéra­tion majeure un PC de corps d’ar­mée classe Otan ou un PC de théâtre multi­na­tion­al. Cou­plé au CFAT, il sera con­sti­tué un com­man­de­ment de la force logis­tique ter­restre (CFLT) implan­té à Montl­héry. Le deux­ième niveau, sub­or­don­né au CFAT sera con­sti­tué par qua­tre états-majors de forces (EMF) qui n’au­ront aucun moyen sub­or­don­né en per­ma­nence et seront totale­ment tournés vers la plan­i­fi­ca­tion opéra­tionnelle, l’or­gan­i­sa­tion et la con­duite des exer­ci­ces français ou inter­al­liés, et la pro­jec­tion sur les théâtres extérieurs du moment. Au troisième niveau se situent les rég­i­ments qui seront regroupés par dom­i­nante ou par méti­er en huit brigades inter­armes, une brigade aéro­mo­bile, deux brigades logis­tiques, qua­tre com­man­de­ments d’ap­pui spé­cial­isé et enfin la brigade franco-allemande.

La chaîne de com­man­de­ment organique sera fondée sur une logique de prox­im­ité et organ­isée autour de cinq “Régions” qui assureront l’in­struc­tion et le sou­tien admin­is­tratif, financier et matériel des forces au quo­ti­di­en. Il s’ag­it véri­ta­ble­ment d’une chaîne nourri­cière, fixe et non pro­jetable, ayant autorité en per­ma­nence sur les rég­i­ments sauf dans le domaine opérationnel.

Enfin, les ser­vices ain­si que cer­tains com­man­de­ments spé­cial­isés, dans la for­ma­tion par exem­ple, s’in­séreront dans la struc­ture matricielle ain­si définie.

Les équipements

On attend des forces clas­siques soit qu’elles empor­tent la déci­sion par les armes, comme dans la guerre du Golfe, soit qu’elles créent sur le ter­rain les con­di­tions de sta­bil­ité prop­ices à un règle­ment politi­co-diplo­ma­tique de la crise, comme en ex-Yougoslavie. Dis­posant de ressources lim­itées tant en hommes qu’en finances, l’ar­mée de terre ne peut pas réalis­er deux sys­tèmes de force et doit s’ac­com­mod­er d’un com­pro­mis. Le con­trat opéra­tionnel fixé par le chef de l’É­tat lui impose de met­tre l’ac­cent sur la capac­ité à com­bat­tre des armées blind­ées et mécan­isées, en coopéra­tion avec des alliés qui dis­poseront de tech­nolo­gies évoluées et avec lesquelles il fau­dra être interopérable. C’est le pre­mier paramètre dimen­sion­nant pour les équipements.

Le sec­ond paramètre décisif est con­sti­tué par la révo­lu­tion de l’in­for­ma­tion. Sans aller jusqu’à vis­er exclu­sive­ment un con­cept opéra­tionnel totale­ment nova­teur, s’af­fran­chissant du com­bat de con­tact et car­ac­térisé par la flu­id­ité, tout doit être mis en œuvre pour dévelop­per au sein des forces ter­restres les fac­teurs mul­ti­pli­ca­teurs de puissance.

Au pre­mier rang d’en­tre eux fig­urent les capac­ité de ren­seigne­ment tac­tique et de com­man­de­ment : cap­teurs, moyens de com­mu­ni­ca­tion pro­tégés suff­isants et redon­dants, sys­tèmes d’in­for­ma­tion internes et d’aide à la déci­sion. Dans cet esprit, la capac­ité de sur­veil­lance autonome du champ de bataille sera obtenue par la mise en ser­vice du sys­tème radar héli­porté Hori­zon, l’équipement en drones de recon­nais­sance tac­tique (CL 289, Cre­cerelle) sera mené à son terme, l’ar­rivée des radars de tra­jec­togra­phie Cobra don­nera une capac­ité de con­tre­bat­terie qui fai­sait large­ment défaut. D’autre part, le sys­tème d’in­for­ma­tion et de com­man­de­ment des forces (SICF) et le sys­tème d’in­for­ma­tion rég­i­men­taire (SIR) entreront en ser­vice à par­tir de 1999. Par­al­lèle­ment une reval­ori­sa­tion du réseau d’in­for­ma­tion tac­tique (RITA) est engagée et l’ac­qui­si­tion des postes de qua­trième généra­tion (PR4G) se pour­suit. Enfin les sys­tèmes de mail­lage radar anti­aérien Martha ain­si que le sys­tème de con­duite de tir d’ar­tillerie Atlas apporteront la réac­tiv­ité souhaitable aux armes du feu.

Les sys­tèmes d’in­for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion per­me­t­tent aus­si de don­ner davan­tage de dynamisme et de puis­sance aux for­ma­tions de com­bat. C’est en cela que le char Leclerc (qui sera con­stru­it à 320 exem­plaires) n’est pas un char comme les autres. Il com­bine un accroisse­ment spec­tac­u­laire des per­for­mances intrin­sèques de tout char de bataille avec la capac­ité — sans précé­dent au sein des unités blind­ées — de con­duire une manœu­vre dynamique et non linéaire, faite de con­cen­tra­tions fugi­tives et de décon­cen­tra­tions immé­di­ates. Cette apti­tude nou­velle est encore ren­for­cée par les pos­si­bil­ités de l’héli­cop­tère Tigre et celles d’une artillerie aux per­for­mances accrues.

Toutes les actions devant per­me­t­tre une entrée rapi­de de nos forces ter­restres dans l’âge de l’in­for­ma­tion sem­blent donc bien engagées. Il reste cepen­dant, et ce n’est pas un prob­lème mar­gin­al, à dévelop­per et à con­stru­ire le véhicule blindé de com­bat de l’in­fan­terie (VBCI) ayant les capac­ités de pro­tec­tion, d’er­gonomie, de mobil­ité, d’agilité et de puis­sance de feu que le pays doit à ceux de ses sol­dats qui font le méti­er le plus dif­fi­cile, celui de fan­tassin, et qui jouent un rôle déter­mi­nant en opéra­tion où les effec­tifs sont à 70 % four­nis par l’ar­mée de terre.

Les ressources humaines

Plus qu’un ensem­ble de matériels per­for­mants et com­plé­men­taires, une armée de terre est avant tout un sys­tème d’hommes. Sous cet aspect la refon­da­tion prend une ampli­tude extrême. En effet notre armée va devoir en six ans gér­er la décrois­sance du ser­vice mil­i­taire en per­dant quelque 132 300 appelés, recruter, for­mer et fidélis­er 30 000 engagés sup­plé­men­taires, se sépar­er de 7 700 cadres, recruter 2 000 per­son­nels civils de plus et réaf­fecter cette caté­gorie de per­son­nels selon la future organ­i­sa­tion, attir­er 5 500 volon­taires du ser­vice nation­al, et mod­i­fi­er en pro­fondeur son dis­posi­tif de réserves. Peu de corps soci­aux seraient prêts à engager une muta­tion aus­si pro­fonde : elle con­stitue la pri­or­ité de l’ar­mée de terre. Ces dif­férents mou­ve­ments se traduiront par une réduc­tion de for­mat de près de 35 % d’i­ci 2002, ce qui est inéluctable puisque la pro­fes­sion­nal­i­sa­tion doit être con­duite à bud­get con­stant pour ce qui est des rémunéra­tions et charges sociales.

Depuis le début de l’an­née 1997, les armées n’in­cor­porent plus que des appelés sur­si­taires. Il faut soulign­er ici le bon esprit et la générosité avec lesquels cette jeunesse con­tin­ue à répon­dre à ses oblig­a­tions mil­i­taires. La décrois­sance régulière et dans la durée, jusqu’à 2002, des effec­tifs est un fac­teur de réus­site pour la con­duite sans à‑coups des mesures d’adap­ta­tion que sont les dis­so­lu­tions et les restruc­tura­tions d’or­gan­ismes. Elle est aus­si indis­pens­able au suc­cès ini­tial de la poli­tique de recrute­ment des sol­dats engagés dont les jeunes issus du ser­vice nation­al con­stituent, actuelle­ment encore, le vivi­er majoritaire.

Le recrute­ment des engagés volon­taires de l’ar­mée de terre (EVAT) s’ef­fectue en fait beau­coup mieux qu’il n’é­tait pos­si­ble de le crain­dre. Au moment où l’ar­mée de terre se présente comme la pre­mière entre­prise créa­trice d’emplois sta­bles (10 000 par an), les résul­tats des pre­mières cam­pagnes d’in­for­ma­tion ont été par­ti­c­ulière­ment favor­ables et les objec­tifs retenus pour 1997 seront tous atteints. Cette per­for­mance tient large­ment au fait que l’im­age de l’ar­mée de terre, traduisant la per­cep­tion de son effi­cac­ité par la nation, n’a cessé de s’amélior­er au cours des dernières années du fait des résul­tats obtenus par nos unités en opéra­tions extérieures. Pour l’avenir le défi est dou­ble ; d’une part il fau­dra con­quérir sur le marché du tra­vail, par­mi des jeunes gens qui n’au­ront pas con­nu l’in­sti­tu­tion mil­i­taire, la ressource dont nous aurons besoin ; d’autre part il fau­dra fidélis­er cette ressource dont il est souhaitable qu’elle serve huit ou neuf ans en moyenne avant reconversion.

La défla­tion des cadres officiers et sous-officiers est bien amor­cée grâce à la mise en œuvre d’un dis­posi­tif légal d’inci­ta­tion et d’aide au départ dont le pécule con­stitue l’outil le plus performant.

Le sys­tème “armée de terre future” sera beau­coup plus inté­gré que précédem­ment. Il y aura à l’avenir une seule armée de terre homogène et cohérente ; on trou­vera en effet toutes les caté­gories de per­son­nels dans la struc­ture de base qu’est le rég­i­ment : cadres d’ac­tive ou sous con­trat, engagés, civils, volon­taires du ser­vice nation­al, réservistes, et il est clair qu’ils partageront tous la même culture.

L’ancrage dans la nation

Le lien entre l’ar­mée et la nation s’étab­lis­sait depuis le début du siè­cle sur la base de la con­scrip­tion. Ce lien était très fort car l’en­gage­ment des appelés, comme celui des cadres, revê­tait un sens supérieur dans le cadre d’une pos­si­ble “lutte à mort” pour la survie de la nation et du camp de la lib­erté. Cette com­mu­nion a généré un échange intense qui a vu les cadres mil­i­taires beau­coup s’in­ve­stir pour faire du ser­vice mil­i­taire une expéri­ence val­orisante alors que l’ir­ri­ga­tion per­ma­nente de nos forces par la jeunesse du pays inter­di­s­ait toute dif­férence sig­ni­fica­tive entre les valeurs de l’ar­mée et celles qui fondent la République et l’en­tité nationale.

Les valeurs qui fondent la cul­ture de notre armée ne doivent pas chang­er car celle-ci ne saurait devenir un corps expédi­tion­naire au pro­fes­sion­nal­isme élevé mais peut-être sans âme ; la nation doit con­tin­uer à se recon­naître en son armée. Ain­si la dis­ci­pline, la cohé­sion, le respect de la dig­nité humaine, le sens de l’ef­fort et du don de soi devront sans cesse être mis en valeur par les chefs de demain, et ceci peut-être d’au­tant plus que les hommes ne se sen­tiront pas, en per­ma­nence, con­cernés par la pro­tec­tion immé­di­ate du territoire.

Le lien entre l’ar­mée et la nation s’établi­ra bien évidem­ment sur de nou­velles bases et le fait que les unités soient large­ment répar­ties sur le ter­ri­toire nation­al y aidera.

L’une des voies d’ac­tion les plus promet­teuses est con­sti­tuée par une poli­tique active d’in­ser­tion des rég­i­ments dans leur gar­ni­son. Nos rég­i­ments futurs auront en effet des besoins nou­veaux pour les cadres, les engagés et les familles. Il s’ag­it par exem­ple de recrute­ment, de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, de recon­ver­sion, d’emploi des con­joints, de loge­ment, de sco­lar­i­sa­tion, de loisirs et de cul­ture. Symétrique­ment, ces rég­i­ments offrent à la ville et à la région où ils sta­tion­nent un impor­tant apport démo­graphique et économique, un con­cours à la sécuri­sa­tion, une con­créti­sa­tion de l’i­den­tité nationale. Toutes les con­di­tions sont donc réu­nies pour dévelop­per et réus­sir un parte­nar­i­at où cha­cun trou­vera son compte : l’ar­mée de terre, les ser­vices de l’É­tat, les col­lec­tiv­ités locales et les asso­ci­a­tions diverses.

Les réserves auront aus­si à jouer un rôle impor­tant ; elles seront large­ment con­sti­tuées par d’an­ciens mil­i­taires d’ac­tive qui seront en mesure de faire con­naître à leur envi­ron­nement la nature pro­fonde de l’ar­mée et les résul­tats de son action.

Enfin, il serait extrême­ment souhaitable que des moyens suff­isants soient mis en place pour per­me­t­tre un réel suc­cès du volon­tari­at du ser­vice nation­al. Même si les effec­tifs con­cernés doivent rester rel­a­tive­ment mod­estes, il y a dans ce dis­posi­tif la pos­si­bil­ité pour les armées de garder un con­tact étroit avec la jeunesse du pays tout en sat­is­faisant cer­tains besoins particuliers.

*
* *

L’avenir de l’ar­mée de terre a été redéfi­ni. Elle a, en con­séquence, établi, sous forte con­trainte finan­cière et d’ef­fec­tifs, un pro­jet cohérent qu’elle ne réalis­era qu’à tra­vers une véri­ta­ble refon­da­tion. Celle-ci demande un effort con­sid­érable d’adap­ta­tion et de créa­tion à ses per­son­nels qui s’y sont engagés sans état d’âme, tout en con­tin­u­ant à servir le pays et leurs com­pa­tri­otes partout où cela est nécessaire.

Il y aura des dif­fi­cultés mais il est dans la nature des sol­dats de savoir s’adapter à toutes les sit­u­a­tions, et ils dis­posent d’un atout impor­tant pour men­er à bien cette mis­sion : le cap est claire­ment défini.

Poster un commentaire