L’argent, la finance et le risque

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°616 Juin/Juillet 2006Par : André Lévy-Lang (56)Rédacteur : Claude RIVELINE (56)

Ce livre est pas­sion­nant, clair, bref, et il dis­sipe les appréhen­sions que sus­ci­tent a pri­ori les ouvrages d’aujourd’hui sur la finance.

La pre­mière crainte est l’ésotérisme. Le développe­ment ver­tig­ineux des mou­ve­ments financiers, stim­ulé par les pro­grès en traite­ment de l’information, s’est accom­pa­g­né d’une pro­fu­sion de nou­veaux mots, générale­ment anglais, qui évo­quent de mys­térieux mécan­ismes opaques aux profanes.

La deux­ième crainte est une ambiance inquié­tante de délin­quance inter­na­tionale, voire de per­spec­tives apoc­a­lyp­tiques sus­citées par des effets sys­témiques non con­trôlés. Cha­cun est ten­té de se dire : puisqu’on n’y peut rien, à quoi bon se ruin­er le moral avant l’heure si l’on n’y est pas contraint.

Dès les pre­mières pages, le ton sere­in et la prose limpi­de de l’auteur dis­sipent ces appréhen­sions. Il nous fait com­pren­dre en mots de tous les jours que l’activité des financiers est créa­trice de valeur, parce qu’elle répond à d’authentiques néces­sités de la vie des affaires, et que ses pro­grès sus­ci­tent des pos­si­bil­ités d’échanges nou­velles et béné­fiques pour tous les acteurs con­cernés y com­pris, en dernière analyse, pour le con­som­ma­teur final.

Le plan de l’ouvrage éclaire méthodique­ment la route.

Les chapitres sont les suivants :
Chapitre pre­mier : La finance, une affaire de risque, de temps et d’espace.
Chapitre deux : Les acteurs.
Chapitre trois : Les utilisateurs.
Chapitre qua­tre : Les gen­darmes de la finance.
Chapitre cinq : Quelle finance demain ?

Le pre­mier chapitre nous présente l’argent comme instru­ment d’échanges et comme stock de valeurs, et à ces deux titres, il doit inspir­er con­fi­ance. Le risque ne peut jamais être com­plète­ment élim­iné, mais il est con­sid­érable­ment réduit s’il est méthodique­ment mutu­al­isé et sta­tis­tique­ment com­pen­sé. Par ailleurs, les prêts et les emprunts font voy­ager les disponi­bil­ités finan­cières dans le temps, ce qui per­met l’investissement en prévi­sion de sa rentabil­ité future. Enfin, l’argent per­met, grâce au change, de com­mercer entre pays lointains.

Le deux­ième chapitre met en scène les prin­ci­paux inter­venants dans la cir­cu­la­tion de l’argent : les ban­ques, les Bours­es et les assureurs. La banque “ trans­forme l’argent et le risque dans le temps et dans l’espace ”, puis­sant rac­cour­ci pour car­ac­téris­er cet acteur cen­tral. Les deux ser­vices qu’elle rend sont la disponi­bil­ité et la sécu­rité. Une fine analyse nous informe des liens entre taux d’intérêt et fia­bil­ité de l’emprunteur, et nous sommes ini­tiés au secret des rat­ings AAA, BBB, etc., que les médias ont beau­coup cités lors de tem­pêtes finan­cières récentes. Les Bours­es, de leur côté, con­fèrent liq­uid­ité, trans­parence et équité aux parts de pro­priétés des entre­pris­es. Dans la suite de la présen­ta­tion des ban­ques et des Bours­es, l’ouvrage explique avec une grande clarté l’origine et la logique des inno­va­tions plus ou moins ésotériques et inquié­tantes que sont les pro­duits dérivés et les hedge­funds. Quant à l’assurance, elle occupe une place de plus en plus proche des autres acteurs avec le développe­ment de l’assurance vie notamment.

Les deux chapitres suiv­ants abor­dent la par­tie sul­fureuse du dossier, à savoir les scan­dales et leurs remèdes, les gen­darmes de la finance. Après une lumineuse leçon de compt­abil­ité, le texte évoque les affaires Enron, World­com, etc., et enchaîne sur l’éventail des instru­ments et des tech­niques offerts aux hommes d’affaires, avec leurs avan­tages et leurs faib­less­es. Puis il présente les garde-fous (com­mis­saires aux comptes, récente loi Sar­banes Oxley, pro­tec­tion des minori­taires, etc.) pour enchaîn­er gradu­elle­ment sur les enjeux macroé­conomiques (FMI, Banque Mon­di­ale, etc.).

Cela per­met une tran­si­tion vers le dernier chapitre con­sacré à l’avenir, où sont évo­quées les nou­velles puis­sances finan­cières, la Chine et l’Inde, et le déséquili­bre mas­sif et préoc­cu­pant dans lequel sub­sis­tent les États-Unis. L’avenir de l’euro n’est pas com­plète­ment assuré. Tout cela annonce-t-il des séismes majeurs ? André Lévy-Lang n’écarte aucune hypothèse, mais il ne se dépar­tit pas du ton mod­éré qui domine dans l’ensemble de l’ouvrage, en notant l’heureux fonc­tion­nement de l’assemblée des prési­dents de Ban­ques Cen­trales, qui ont mon­tré jusqu’ici une récon­for­t­ante effi­cac­ité collective.

Les qual­ités de l’ouvrage sont en har­monie avec la per­son­nal­ité et l’itinéraire de l’auteur. Major d’entrée et de sor­tie de l’X, où il s’était déjà fait remar­quer par ses tal­ents de plume, il a com­mencé sa car­rière dans l’industrie et les tech­niques de pointe, avant de se con­sacr­er à la banque, suc­ces­sive­ment à la Com­pag­nie Ban­caire et à Paribas, qu’il a présidées. Il con­sacre aujourd’hui une active retraite à l’enseignement supérieur, tout en con­ser­vant des fonc­tions d’administrateur.

Tous les X liront cet ouvrage avec prof­it. Les spé­cial­istes de la finance y trou­veront des leçons exem­plaires pour se faire com­pren­dre des pro­fanes, et les autres une ini­ti­a­tion com­plète pleine d’agrément.

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