Le Grand Uniforme des femmes à polytechnique en 1972

L’année de la Fin de la Jupe

Dossier : TraditionsMagazine N°L'année de la Fin de la Jupe
Par Serge DELWASSE (X86)

2012 a vu l’X fêter le 40e anni­ver­saire de l’ouverture aux Xettes1. L’AX a digne­ment fêté cet anni­ver­saire par un superbe livre et un numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge. Hélas la fête a un peu été gâchée par une longue polé­mique, ini­tiée en Mai 2013 sur Rue89. Il est donc légi­time de se deman­der si, à l’X, la femme est enfin l’égal de l’homme. L’uniformologe diplô­mé que je suis est alors au regret de consta­ter que c’est très loin d’être le cas.

Pos­té le 1er octobre 2013

Au commencement était Anne Chopinet

La pho­to de notre cama­rade Cho­pi­net (72) est célèbre. La cama­rade, mais aus­si la pho­to. Elle est jolie – la pho­to, mais aus­si la cama­rade – belle même, mais sur­tout sexy.

Son pro­pos n’étant pas de com­men­ter la plas­tique d’une cama­rade, l’auteur sou­haite insis­ter sur l’opération de rela­tions publiques (de mar­ke­ting ?) menée à cette époque : il fal­lait valo­ri­ser l’entrée des filles à l’X, et la mode n’était pas au mili­taire (nous étions 4 ans après mai 68, en plein comi­tés de sol­dats). Alors on s’efforça de gom­mer tout ce que l’uniforme avait de martial :

Au commencement était Anne Chopinet

Cette pho­to de notre cama­rade Cho­pi­net (72) est célèbre. La cama­rade, mais aus­si la pho­to. Elle est jolie – la pho­to, mais aus­si la cama­rade – belle même, mais sur­tout sexy.

Cérémonie au Drapeau de l'Ecole polytechnique
Céré­mo­nie au Dra­peau 17 mars 1973
© Uni­ver­sal pho­to , 42 rue des jeû­neurs 42 Paris‑2 Lou 18–53

L’uniforme des jeunes filles admises à L’X

Comme suite à notre infor­ma­tion du numé­ro d’oc­tobre 1972, nous sommes en mesure de don­ner aujourd’­hui une pho­to­gra­phie de l’u­ni­forme adop­té pour les jeunes filles admises à l’X.(La Jaune et la Rouge n° 276 décembre 1972)
Pho­to France-Soir

Son pro­pos n’étant pas de com­men­ter la plas­tique d’une cama­rade, l’auteur sou­haite insis­ter sur l’opération de rela­tions publiques (de mar­ke­ting ?) menée à cette époque : il fal­lait valo­ri­ser l’entrée des filles à l’X, et la mode n’était pas au mili­taire (nous étions 4 ans après mai 68, en plein comi­tés de sol­dats). Alors on s’efforça de gom­mer tout ce que l’uniforme avait de martial :

  • Le tri­corne, à fond plat, exemple unique dans l’armée fran­çaise, paraît plus adap­té à un pique-nique à Chan­tilly qu’à une prise d’armes.
  • Le col, dit Aiglon mais s’ouvrant sur un large jabot, inédit lui aus­si, est éga­le­ment fort peu mili­taire, à com­pa­rer au col dit « offi­cier » des gar­çons. On a pro­ba­ble­ment vou­lu évi­ter la com­pa­rai­son avec le col dit « Mao » des chinoises…
  • Pas de tan­gente pour les Xettes – on ne va pas don­ner une arme aux femmes, quand même… – mais pas de cein­tu­ron non plus.
  • Enfin, une jolie jupe, dans la mode de l’époque, au des­sus du genou.
  • Seules les chaus­sures, pro­ba­ble­ment appro­vi­sion­nées par l’intendance sur un mar­ché pré-exis­tant, sont dans les stan­dards de l’armée fran­çaise de l’époque, c’est-à-dire appar­te­nant à la caté­go­rie « peut mieux faire »

De 1974 à 1994, 20 ans de modifications, puis… rien !

C’est tout d’abord la jupe qui se ral­longe. La légende veut que l’épouse2 du Géné­ral Bri­quet (38), mise mal à l’aise par les genoux nus de ces demoi­selles, ait convain­cu son mari. La notice tech­nique de 1974 pré­cise ain­si que « la lon­gueur de la jupe est déter­mi­née de façon à ce que le bas s’arrête au milieu du genou »3 . Puis on donne une tan­gente à nos Xettes.

Qui dit tan­gente dit bottes. C’est logique. Une tan­gente est une arme, une arme est faire pour se battre, et on ne peut se battre en espa­drilles. C’est pour ces mêmes rai­sons que les troupes défi­lant en armes portent des guêtres (Marine Natio­nale), ou des lacets blancs (ersatz sym­bo­lique de guêtres – armée de l’Air). Comme sou­vent, la réa­li­té est plus pro­saïque : nos cama­rades avaient tout sim­ple­ment froid en hiver ! En tout état de cause, qui dit bottes dit qu’il n’y a rien de plus laid que de mon­trer un bout de jambe entre la botte et la jupe. Celle-ci-ral­longe donc à nou­veau. Et comme il faut pou­voir mar­cher, elle s’élargit. Et c’est ain­si que l’on obtient l’objet informe qui existe de nos jours.

En 1994, les Xettes « obtiennent le droit de por­ter le bicorne ». Cette phrase entre guille­ments – qui est par­tout, du livre sur le GU au Wikix4 – com­porte une erreur majeure : chaque Xette a obte­nu le droit au port du bicorne le jour où elle a réus­si le concours. Toutes les grand-mères de France savent qu’intégrer l’X n’a qu’un inté­rêt, c’est de por­ter un beau bicorne. Et la légende, encore elle, dit qu’il a fal­lu une fille de ministre et une future pilote de chasse pour convaincre le géné­ral de quelque chose qui allait de soi5 . Où va se loger le machisme…

Depuis vingt ans, il ne s’est plus rien pas­sé, à tel point que le binet Missettes,qui, je cite, « donne de la voix aux Xettes », créé il y a 5 ans et ani­mé actuel­le­ment par les 2011, s’est don­né pour objec­tif de… réfor­mer le GU

La jupe des polytechniciennes en 1972
La jupe des polytechniciennes plus tard
La jupe des polytechniciennes en 1974
De 1972 à main­te­nant, une triste évolution

De 1922 à nos jours, près d’un siècle de fantasmes

Un autre aspect amu­sant, c’est que ce GU des Xettes a été régu­liè­re­ment l’objet de des­sins, de pro­jets : nous avons ain­si recen­sé au moins

  • Un des­sin dans le Petit Cra­pal de 19226 (page 64 du « GU des Elèves de l’EP »)
  • L’article de notre cama­rade M.P.M. (85) dans l’IK
  • Une étude réa­li­sée, si ma mémoire est bonne, par Pierre Car­din en 1987 pour une chasse aux tré­sors7
  • Un pro­jet de Cam­pagne Kès 2000 (page 70 sqq du « GU des Élèves de l’EP »)

On a ain­si, à chaque fois, cher­ché à adap­ter le GU à la mode, la vision qu’on se fai­sait de l’Xette, à faire sou­rire, voire à pro­vo­quer, sans se rendre compte qu’il fal­lait tout sim­ple­ment adap­ter ce qui exis­tait à la mor­pho­lo­gie féminine

Le même GU pour tous

Pour une vraie éga­li­té, il est indé­niable qu’il faut que l’uniforme, ce GU si impor­tant dans la sym­bo­lique de l’École, celui avec lequel on défile le 14 juillet, soit le même pour tous, à savoir

  • Une tunique longue, com­pre­nant 6 ou 7 bou­tons, en fonc­tion de la mor­pho­lo­gie, et col officier
  • Un pan­ta­lon
  • Des bot­tines à talons plats

C’est laid, une jeune fille en pan­ta­lon et talons plats pen­se­ront cer­tains ? Quelle impor­tance ? C’est bô parce que c’est notre GU. Et j’imagine déjà le jour­na­liste qui com­mente le défi­lé : « il n’y a plus de dif­fé­rence, à Poly­tech­nique – le jour­na­liste qui com­mente le 14 juillet dit Poly­tech­nique – entre les filles et les garçons »

Et au bal, on fait quoi ?

Les mères – et les pères d’ailleurs – savent tous que le second avan­tage de faire l’X, c’est d’aller au bal en GU. Or aller au bal en bottes, il en est hors de ques­tion. Aller au bal en pan­ta­lon non plus. Il faut donc créer une « robe de soi­rée de GU ». C’est tout à fait pos­sible : la Marine Natio­nale est, par exemple, par­ve­nue à doter ses offi­ciers fémi­nins d’un très élé­gant bolé­ro, non sans leur avoir impo­sé un spen­cer très peu fémi­nin pen­dant 40 ans.

Un second uni­forme, qui ne serait por­té au mieux que deux fois, c’est cher et bien inutile me direz vous ? Il suf­fi­rait qu’il fût prê­té. L’habillement de l’École a entre­te­nu, et mis aux mesures, pen­dant plus de 30 ans, 300 man­teaux au cas où il vien­drait à l’idée un ministre de faire défi­ler les X par ‑10°C, on peut tout à fait faire de même pour les robes de soirée.

Le jour où une Xette dan­se­ra le qua­drille en GU au bras de son cava­lier en civil, la cause de la femme aura fait, à l’X, son avan­cée finale.

Biblio­gra­phie

Le Grand Uni­forme des Éleves de l’École poly­tech­nique, « Biblio­thèque de l’X », Lavauzelle.
Femmes de Pro­grès, Femmes de Poly­tech­nique, sous la direc­tion de Michèle Cyna (76), AX Editeur

Liens sur La Jaune et la Rouge

1972–1974 : trois pro­mo­tions de jeunes filles sur la Mon­tagne, Marie-Louise Casa­de­mont (74)
Méta­mor­phoses et exi­gences du Grand Uni­forme fémi­nin, Diane Des­sales- Mar­tin (76) & Alexan­dra Man­naï (03)
Le Grand U dans tous ses états : l’uniforme de grande tenue des poly­tech­ni­ciens de 1794 à 2000

_________________________________________________
1.
Nous pré­fé­rons en effet ce terme à celui de « poly­tech­ni­ciennes ». Les X sont des X, les Xettes sont donc des Xettes, qui en est le fémi­nin natu­rel sans aucune conno­ta­tion péjorative
2. L’auteur est pre­neur de toute infor­ma­tion à ce sujet
3. Lettre du Géné­ral Bri­quet au ministre de la Défense, col­lec­tions Ecole poly­tech­nique (Palai­seau)
4. Le Wikix est une sorte de Wiki­pe­dia interne à l’X
5. L’auteur serait très heu­reux que l’Xette en ques­tion confirme ou infirme cette légende
6. Le Petit Cra­pal, jour­nal des élèves avant-guerre, est un mix de Savate, d’info-Kès et de pro­gramme du Point Gamma.
7. Si un lec­teur détient ce document…

Jus­qu’où peut-on aller ?
A poli­ce­man mea­sures the dis­tance bet­ween knee and bathing suit, which had to be under 6 inches.
Washing­ton D.C. 1922
Histoire américaine

Anne Chopinet avec Pompidou en 1973
Anne Cho­pi­net pre­nant une coupe de cham­pagne avec le pré­sident Georges Pom­pi­dou, 14/07/1973.

Additif 1

Le tri­corne a bien été modi­fié. il était à l’origine plus haut, sans cocarde ni galon cul-de-dé. Une pho­to de face le confirme. Déso­lé, Anne, c’est encore toi sur la photo…

Additif 2

Bin­go ! Les mémoires de Michel Debré l’attestent : l’uniforme des Xettes a été choi­si par… sa femme ! Pas éton­nant qu’il soit si peu militaire

Il reste à dessiner leur uniforme : ma femme choisira parmi les différents modèles proposés. Réserve faite du problème de costume et de l’aménagement à prévoir pour les chambres, l’entrée d’Anne Chopinet et de ses camarades est acceptée sans difficulté. Désormais l’affaire.…

Poster un commentaire