L’accès à l’eau potable et à l’assainissement, enjeux à la fois locaux et globaux

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Lise BREUIL (96)
Par Aymeric BLANC (91)

REPÈRES

REPÈRES
Le ser­vice pub­lic de l’eau et de l’assainissement, à la dif­férence d’autres ser­vices en réseau comme celui de l’électricité, est un ser­vice pub­lic local, dont la ges­tion est sou­vent con­fiée à des col­lec­tiv­ités locales. Les ser­vices vari­ent selon les car­ac­téris­tiques de la ressource (éloigne­ment, quan­tité, qual­ité), de la demande (con­sen­te­ment et capac­ité à pay­er pour dif­férents niveaux de ser­vice, aspects cul­turels des représen­ta­tions liées à l’eau) et selon l’environnement sociopolitique. 

Le ser­vice qui con­siste à ren­dre potable une eau, la trans­porter, la stock­er, la dis­tribuer à des usagers, puis col­lecter les eaux usées et les excré­tas et les traiter avant rejet au milieu naturel est un ser­vice éminem­ment local. Le trans­port de l’eau est en effet très coû­teux et peu recom­mandé sur de grandes dis­tances pour des raisons économiques et san­i­taires, si bien que les trans­ferts d’eau ne sont envis­agés en principe que lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative.

Un ser­vice pub­lic local dont le pre­mier objec­tif est sanitaire

Cette vision tech­nique du ser­vice cor­re­spond à une vision hygiéniste. L’ob­jec­tif pre­mier est un objec­tif san­i­taire, celui de lut­ter con­tre les mal­adies d’o­rig­ine hydrique. Le manque d’ac­cès à l’eau potable et à l’as­sainisse­ment est en effet la pre­mière cause de mor­tal­ité dans le monde : huit mille per­son­nes en meurent chaque jour.

Au-delà des enjeux san­i­taires locaux, les ser­vices d’eau et d’as­sainisse­ment ren­voient aujour­d’hui à un cer­tain nom­bre d’en­jeux globaux.


L’amélio­ra­tion des ser­vices d’eau relève d’une sol­i­dar­ité d’in­térêts © AFD

Une autorité à inventer

Œuvr­er pour que l’eau soit recon­nue comme bien pub­lic région­al voire mon­di­al pose un cer­tain nom­bre de dif­fi­cultés car l’au­torité publique à même de garan­tir de tels engage­ments reste à inven­ter. La déc­la­ra­tion de l’Unesco étab­lis­sant le pat­ri­moine com­mun de l’hu­man­ité, la Con­ven­tion des Nations unies sur le droit de la mer con­sid­érant comme com­munes les ressources des océans ou encore la con­ven­tion d’Helsin­ki sur la pro­tec­tion et l’u­til­i­sa­tion des cours d’eau trans­frontal­iers et des lacs inter­na­tionaux sont des pre­miers jalons dans cette con­cep­tion de l’eau comme bien public.

Un enjeu politique

Les poli­tiques de développe­ment actuelles dans le secteur de l’eau font toutes référence aux Objec­tifs du mil­lé­naire pour le développe­ment (OMD) pris en 2000 par la com­mu­nauté inter­na­tionale, et en par­ti­c­uli­er à l’OMD n° 7 qui vise à ” réduire de moitié, d’i­ci 2015, le pour­cent­age de la pop­u­la­tion qui n’a pas accès de façon durable à un appro­vi­sion­nement en eau de bois­son salu­bre et à des ser­vices d’as­sainisse­ment de base “. Aujour­d’hui, si le nom­bre de per­son­nes sans accès à une source d’eau potable est passé en dessous du mil­liard, 2,5 mil­liards de per­son­nes restent sans dis­posi­tif d’as­sainisse­ment approprié.

2,5 mil­liards de per­son­nes restent sans dis­posi­tif d’assainissement approprié 

Ces chiffres globaux masquent un dou­ble fos­sé : un fos­sé rur­al-urbain en pre­mier lieu, car les pop­u­la­tions non desservies vivent majori­taire­ment en milieu rur­al, en dépit d’un phénomène d’ur­ban­i­sa­tion crois­sante ; un fos­sé Asie-Afrique sub­sa­hari­enne en sec­ond lieu, l’Asie est glob­ale­ment en voie d’at­tein­dre l’OMD n° 7, au moins pour l’eau (même si en valeur absolue c’est dans ce con­ti­nent que vit la majorité des per­son­nes non desservies dans le monde), mais l’Afrique sub­sa­hari­enne présente les pro­grès les plus lents (les taux de desserte pour l’eau et l’as­sainisse­ment ” de base ” y sont respec­tive­ment de 58 % et 31 % seule­ment en 2006), l’Amérique latine étant dans une sit­u­a­tion intermédiaire.

L’Aide publique au développe­ment (APD) est le vecteur des rela­tions Nord-Sud suiv­ant cet axe, dans une logique de sol­i­dar­ité. La France y apporte sa con­tri­bu­tion. Au total, les finance­ments de l’A­gence française de développe­ment, opéra­teur piv­ot de l’APD française, s’élèvent ain­si à 335 mil­lions d’eu­ros dans le secteur de l’eau et de l’as­sainisse­ment en 2008. Ces finance­ments con­tribueront à don­ner accès à l’eau potable ou à amélior­er la qual­ité du sys­tème d’al­i­men­ta­tion d’en­v­i­ron 2 mil­lions de per­son­nes ; en matière d’as­sainisse­ment, 4 mil­lions de per­son­nes seront concernés.

La ressource en eau : un bien public mondial ?

La dépol­lu­tion de la Méditerranée
Le cas de la Méditer­ranée est exem­plaire, car cet espace partagé est le lieu d’une mul­ti­tude d’ini­tia­tives poli­tiques, qui com­por­tent sou­vent un volet ” envi­ron­nement et développe­ment durable ” visant la restau­ra­tion de la qual­ité des eaux. Le lance­ment de Hori­zon 2020 (H2020) en 2005 par la Com­mis­sion européenne est ain­si basé sur la car­togra­phie de 131 points chauds hot spots de pol­lu­tion côtière. Pour cha­cun de ces points, les sources prin­ci­pales de pol­lu­tion ont été iden­ti­fiées — il s’ag­it dans une majorité de cas de pol­lu­tion munic­i­pale des villes côtières, c’est-à-dire d’ab­sence de traite­ment des eaux usées. L’idée de H2020 était d’ac­célér­er l’in­struc­tion de pro­jets visant à réduire ces sources de pol­lu­tion et 44 pro­jets ont été iden­ti­fiés, pour un mon­tant estimé à 2,1 mil­liards d’euros.

La nature du ser­vice de l’eau potable, à la fron­tière entre un bien pub­lic et un bien marc­hand, fait débat. Si le ser­vice de dis­tri­b­u­tion d’eau est local (“ bien club ”), la ges­tion d’un ser­vice d’eau ne peut se con­cevoir sans une vision inté­grée de pro­tec­tion des ressources en eau disponibles, ce qui fait de l’ac­cès à l’eau un ” bien com­mun ” et un ” bien pub­lic “, au moins à l’échelle régionale.

Le changement climatique

Les ser­vices d’eau et d’as­sainisse­ment sont grands con­som­ma­teurs d’élec­tric­ité ; l’ir­ri­ga­tion égale­ment. On estime que 7 % de l’én­ergie pro­duite dans le monde est con­som­mée pour pom­per ou traiter de l’eau. Or il est pos­si­ble de dimin­uer la fac­ture énergé­tique d’un ser­vice — soit par la réduc­tion des fuites ou par une opti­mi­sa­tion des équipements.

7% de l’énergie pro­duite dans le monde est con­som­mée pour pom­per ou traiter de l’eau

In fine, l’amélio­ra­tion de l’ef­fi­cac­ité énergé­tique des ser­vices con­tribue à la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique. Le traite­ment des eaux usées est égale­ment un fort émet­teur de gaz à effet de serre, à tra­vers la fer­men­ta­tion des boues issues du traite­ment. Toute­fois il est pos­si­ble de col­lecter le biogaz pro­duit et de le val­oris­er sur site pour cou­vrir les besoins de la sta­tion d’épuration.

Protection de la biodiversité et lutte contre les maladies

L’amélio­ra­tion des ser­vices d’eau et surtout d’as­sainisse­ment, et plus générale­ment une ges­tion inté­grée des ressources en eau (pro­tec­tion de la qual­ité des cours d’eau par la lutte con­tre la pol­lu­tion, lim­i­ta­tion des prélève­ments et ges­tion des débits d’é­ti­age, etc.), est l’un des leviers pour con­tribuer à la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité et des écosys­tèmes asso­ciés, autre bien pub­lic mon­di­al large­ment recon­nu. Elle per­met aus­si de lut­ter con­tre les mal­adies émer­gentes et trans­mis­si­bles, à tra­vers la diminu­tion des inci­dences de mal­adies d’o­rig­ine hydrique comme le choléra, le palud­isme, la dengue, le chikun­gun­ya ou la fièvre jaune.

Pro­duc­tion de biens publics mon­di­aux et poli­tiques d’aide au développement
Ini­tiés par la Banque mon­di­ale en 2006, les travaux de recherche sur la val­ori­sa­tion du cap­i­tal naturel et sur son lien avec la crois­sance des pays du Sud se mul­ti­plient. Ils visent à pren­dre en compte, en plus de l’ac­croisse­ment du cap­i­tal d’un pays, sa dépré­ci­a­tion au cours du temps afin de cal­culer une épargne nationale nette. En out­re, ils dis­tinguent le cap­i­tal physique (pro­duit par l’é­conomie), le cap­i­tal naturel et le cap­i­tal intan­gi­ble (cap­i­tal humain et cap­i­tal social). Les pre­miers résul­tats d’une étude réal­isée par l’AFD et le CERNA auprès du min­istère pour la Coor­di­na­tion de l’ac­tion envi­ron­nemen­tale mozam­bi­cain (MICOA) mon­trent que le cap­i­tal naturel con­stitue 49 % de la richesse du Mozam­bique (ressources minérales, forestières et agri­coles) et que la dégra­da­tion du cap­i­tal total (notam­ment à tra­vers la pol­lu­tion des eaux et les inon­da­tions) représen­terait chaque année 370 M$ soit près de 7 % du PIB du pays, ce qui rendrait l’é­pargne nette du pays négative.

Une solidarité d’intérêts

Ces deux derniers axes des rela­tions Nord-Sud dans le secteur de l’eau trans­for­ment donc pro­fondé­ment le point de vue, puisque les moti­va­tions de l’in­ter­ven­tion des pays du Nord dans le Sud ne sont plus unique­ment basées sur une logique ” com­pas­sion­nelle ” (celle qui pré­domine dans la logique OMD), mais sur un intérêt bien com­pris, ou à tout le moins une sol­i­dar­ité d’intérêts. 

Partager les objectifs

Une nou­velle oppor­tu­nité pour les rela­tions Nord-Sud
Pub­liée au Jour­nal offi­ciel du 9 févri­er 2005, la loi dite ” Oudin-San­ti­ni ” autorise les col­lec­tiv­ités à affecter jusqu’à 1 % de leur bud­get ” eau ” à des actions de sol­i­dar­ité inter­na­tionale dans le domaine de l’eau et de l’as­sainisse­ment. Cette loi a été spé­ci­fique­ment votée pour per­me­t­tre aux col­lec­tiv­ités et agences de se mobilis­er et par­ticiper à l’amélio­ra­tion de l’ac­cès aux ser­vices d’eau et d’assainissement.

Sans remet­tre en cause le car­ac­tère local des ser­vices d’eau et d’as­sainisse­ment, c’est donc autour de ces enjeux globaux, qu’ils soient de nature poli­tique, économique ou sociale, que se struc­turent aujour­d’hui les rela­tions Nord-Sud dans le secteur de l’eau et de l’as­sainisse­ment. L’ob­jec­tif est qu’ils soient partagés à terme par l’ensem­ble des pays, du Nord comme du Sud.

Si des pro­grès cer­tains de coor­di­na­tion poli­tique ont été réal­isés dans les poli­tiques d’aide au développe­ment du secteur de l’eau (notam­ment avec les engage­ments sur les OMD ou les dif­férents forums mon­di­aux de l’eau), la prise en compte de leur artic­u­la­tion avec les pri­or­ités de pro­duc­tion de biens publics mon­di­aux reste à améliorer.

L’ac­tion des bailleurs de fonds est à cet égard déter­mi­nante pour met­tre en valeur auprès des pays du Sud la com­plé­men­tar­ité de ces deux objec­tifs par des actions de développe­ment à la fois équita­bles et durables, comme, par exem­ple, le trans­fert de ressources aux pop­u­la­tions locales lorsqu’elles con­tribuent à amélior­er la qual­ité de l’eau, ou le développe­ment d’ac­tiv­ités prof­ita­bles reposant sur des enjeux écologiques comme l’é­co­tourisme en zone côtière ou fluviale.

Commentaire

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BRUNELLErépondre
24 octobre 2012 à 14 h 46 min

en tant qu’an­cien de l’x, je
en tant qu’an­cien de l’x, je fais con­fi­ance en la vérac­ité des don­nées de Lise !
et à sa capac­ité de tra­vail et d’analyse !

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