La Supply Chain aéronautique, victime du succès de la filière

Dossier : Dossier FFEMagazine N°700 Décembre 2014
Par Jean-Louis DROPSY
Par Sylvain CALMELS (95)

Une filière aéronautique civile en pleine croissance

30.000 avions seraient à livr­er sur les 20 prochaines années… La fil­ière aéro­nau­tique civile française se porte bien. Con­struc­teurs, équipemen­tiers et PME com­pris. Pour preuve le chiffre d’affaires des équipemen­tiers aéro­nau­tiques français du GIFAS (Groupe­ment des Indus­tries Français­es Aéro­nau­tiques et Spa­tiales) ont vu leur chiffre d’affaires pro­gress­er de 13 à 17,1 Mds d’euros entre 2009 et 2012, et les 150 PME du secteur aéro­nau­tique ont vu leurs chiffres d’affaires pro­gress­er de 36 % sur la même période.

Cette crois­sance a néces­sité un effort indus­triel et financier majeur de l’ensemble des acteurs de la fil­ière, en allant par­fois jusqu’à des restruc­tura­tions pour sup­port­er les investissements.

Et cette crois­sance con­tin­ue ! Les récents salons aéro­nau­tiques et leurs pris­es de com­mande records (150 Mil­liards de $ au Bour­get en 2013, 206 Mil­liards de $ au Dubaï Air Show 2013, 204 Mil­liards de $ au salon de Farn­bor­ough 2014), ont con­fir­mé la sit­u­a­tion et les per­spec­tives économiques d’Airbus et des don­neurs d’ordre de l’aéronautique civile.

Les con­struc­teurs met­tent en ser­vice leurs derniers pro­grammes (A380, A350, …), des mod­èles faisant appel à de nou­veaux matéri­aux com­pos­ites plus com­plex­es à pro­duire, tout en accrois­sant les cadences de pro­duc­tion des mod­èles actuels. Air­bus et Boe­ing passeraient ain­si à plus de 100 moyen-cour­ri­ers par mois en 2018.

Attein­dre et tenir les cadences demandées en ter­mes de capac­ité et de per­for­mance est un nou­veau chal­lenge de taille pour la fil­ière. Son suc­cès repose sur la capac­ité des Équipemen­tiers et des PME (aus­si appelés four­nisseurs de rang 1, 2, et 3) à opti­miser une Sup­ply Chain en amont struc­turée, en met­tant en œuvre de nou­veaux moyens indus­triels col­lec­tifs, indi­vidu­els, et com­plé­men­taires pour les accom­pa­g­n­er dans cette croissance.

Des moyens collectifs pour assurer cohésion et performance des chaînes d’approvisionnement

La fil­ière française est très éclatée et ne compte que peu d’ETI. Leur part n’y est que de 5 %, alors que les PME et TPE représen­tent respec­tive­ment 35 % et 60 % de la filière.

Dès lors une approche visant la total­ité de la chaîne d’approvisionnement, par un accroisse­ment de l’efficacité de chaque PME mail­lon de la Sup­ply Chain et une opti­mi­sa­tion de la cohé­sion entre les dif­férents rangs de four­nisseurs, devient une néces­sité pour amélior­er le taux de livrai­son à l’heure au niveau du don­neur d’ordre.

Néan­moins ces four­nisseurs de rang 2 et 3 ne dis­posent indi­vidu­elle­ment que de peu de moyens. C’est pour répon­dre à cette con­trainte que sont nés les Pro­grammes de Per­for­mance Indus­trielle portés par le GIFAS, sup­port­és par l’Etat (dans le cadre du Pro­gramme d’Investissements d’Avenir) et les Régions (dans le cadre de la For­ma­tion) et avec l’association SPACE comme maître d’œuvre.

Fig­ure 1 : Quelques leviers d’optimisation de stocks
Levi­er d’optimisation
Défi​nir la cou­ver­ture de stock pro­duits finis en fonc­tion du nive​au de ser­vice client visé
Accélerer le flux en restreignant l’u­til­i­sa­tion de l’en-cours de pro­duc­tion au strict minimum.
Définir les cou­ver­tures MP, SF et com­posants en fonc­tion des délais four­nisseurs et de la réac­tiv­ité des flux internes.

Pour amélior­er la cohé­sion, ces pro­grammes visent des « grappes », c’est-à-dire un don­neur d’ordre (four­nisseur de rang 1) et de qua­tre à six PME ou TPE choi­sis pour les liens qu’ils entretiennent.

Comme les PME et TPI four­nissent générale­ment plusieurs don­neurs d’ordre et que la per­for­mance des PME et TPE est ren­for­cée, cette approche a un dou­ble intérêt :

  • Elle per­met de cou­vrir le max­i­mum de PME par des pro­jets sim­ples et flexibles
  • Elle per­met d’améliorer plus de chaînes d’approvisionnement que le sim­ple nom­bre de grappes ciblées.

Pour amélior­er la per­for­mance, l’approche passe une éval­u­a­tion de la Sup­ply Chain et de sa matu­rité (Plan­i­fi­ca­tion / Flux physiques / Flux financiers / Pilotage de la Qual­ité), puis d’un plan d’action. Ce plan d’action, prag­ma­tique, vise sys­té­ma­tique­ment à :

  • Accroître la vis­i­bil­ité sur les charges
  • Réduire la pro­fondeur des retards de livrai­son puis maîtris­er les délais
  • Ren­forcer la qualité.

Un pre­mier pilote réal­isé en 2011 et 2012 en région Midi-Pyrénées et Aquitaine (le pro­jet Aerolean’k) a impliqué 11 Don­neurs d’Ordre et une soix­an­taine de PME et TPE. Mal­gré le con­texte de crois­sance du Chiffre d’Affaires et des embauch­es, la démarche a per­mis de réduire les retours usines de 24 % et la pro­fondeur des retards. L’OTD (On Time Deliv­ery) restant rel­a­tive­ment stable.

Suite aux retombées pos­i­tives de ce pro­gramme pilote, la fil­ière a donc décidé en 2014 d’étendre ce dis­posi­tif à l’ensemble du ter­ri­toire français pour don­ner les moyens col­lec­tifs aux PME et leurs Don­neurs d’Ordre de ren­forcer leur chaîne d’approvisionnement.

Des moyens individuels pour réduire les coûts de stocks tout en maîtrisant le taux de service

Les four­nisseurs aéro­nau­tiques de rang 1, notam­ment les aérostruc­turi­ers, sont dans une sit­u­a­tion finan­cière déli­cate. Mal­gré les per­spec­tives et des résul­tats d’exploitation désor­mais posi­tifs, ces sociétés sont con­fron­tées à une dette sou­vent impor­tante et à une explo­sion de leurs niveaux et mon­tants de stocks et d’encours.

En effet, les nou­veaux pro­grammes dévelop­pés en par­al­lèle (A380, A350, A400M, mais aus­si B787 et Biz jets) ont néces­sité des investisse­ments majeurs en ter­mes de développe­ment et d’industrialisation. Ils ont aus­si entraîné la mul­ti­pli­ca­tion du nom­bre de références de produit.

De plus, les matéri­aux com­pos­ites, out­re les investisse­ments lourds de R&D et d’outils, ont néces­sité une inté­gra­tion sans altéra­tion de pro­duc­tiv­ité et le recours à de nou­velles compétences.

Fig­ure 2 : pilotage par les points de découplage
Selon les sché­mas de flux ren­con­trés,​deux approches dif­férentes per­me­t­tent de met­tre en pra­tique le pilotage par les points de découplage :
Réten­tion à un point de décou­plage amont Tac­tique de remon­tée du flux
Cas des flux sim­ples (peu de points de pilotage) ou des por­tions de flux : phase de test pilote de la démarche, flux sec­ondaires (essais/contrôle, reprise…
Le flux est stop­pé au point de décou­plage, pri­or­ité à ce stade en fonc­tion des délais client, avant d’être traité rapi­de­ment au goutte à goutte en flux ten­du. Ce stock amont peut ensuite être opti­misé sur base des couvertures.
Cas les plus com­plex­es de suc­ces­sion de plusieurs points de découplage.
Par­tant du besoin client, les stocks et en-cours sont remon­tés pro­gres­sive­ment au point de décou­plage précé­dent dans le flux, jusqu’à remon­ter à la source du flux : le stock amont de matières et com­posants qui peut ensuite être opti­misé sur base des couvertures.

Avec à la clé un accroisse­ment de com­plex­ité car désor­mais les sociétés doivent gér­er en par­al­lèle la pro­duc­tion de pro­duits mobil­isant dif­férentes tech­nolo­gies sur un même site.

Enfin la présence glob­ale, recher­chée par ces sociétés pour s’assurer des débouchés, a req­uis des lev­ées de fonds et des investisse­ments struc­turels. Cette présence glob­ale génère aus­si de nou­velles con­traintes (pro­duits blo­qués en douane par exem­ple) et l’évolution du sché­ma indus­triel pour trou­ver un équili­bre entre ratio­nal­i­sa­tion de la pro­duc­tion des pièces et ratio­nal­i­sa­tion des flux entre sites.

Ces sociétés sont amenées à ini­ti­er réflex­ion de fond qui va bien au-delà du « coup de rabot » de sur­face et met­tre en œuvre de nou­veaux moyens indus­triels indi­vidu­els pour réduire leurs mon­tants de stocks et en-cours tout en maîtrisant leur taux de service.

Dans un pre­mier temps, leurs actions con­sis­tent à sol­der les stocks obsolètes et rogn­er une par­tie des sécu­rités et cou­ver­tures pris­es tout au long du flux, en pesant le risque encou­ru ver­sus les gains en BFR.

Dans un sec­ond temps, une démarche en pro­fondeur per­met d’aligner le ser­vice ren­du par les stocks et en-cours avec la stratégie de ser­vice client. Et cela passe par un ajuste­ment des stocks aux bons points de décou­plage. Par une ten­sion « raison­née » des flux de pro­duc­tion, on lim­ite alors les en-cours au strict minimum.

Des moyens complémentaires pour pouvoir bénéficier d’un potentiel grandissant de chiffre d’affaires additionnel

Cet effort de ges­tion est absol­u­ment néces­saire pour absorber la crois­sance de l’activité directe de pro­duc­tion, mais égale­ment les effets induits par le développe­ment des ser­vices aéro­nau­tiques mil­i­taires et civils, levi­er de créa­tion de valeur en plein essor dans le secteur.

Les indus­triels se retrou­vent alors devant une demande var­iée, issue de plusieurs canaux (pro­grammes d’appareils neufs et main­tien en con­di­tion opéra­tionnelle), avec une com­bi­na­toire de matières / pro­duits importante.

La plan­i­fi­ca­tion, via la mise en œuvre d’une démarche d’élaboration de Plan Indus­triel et Com­mer­cial, joue alors un rôle essen­tiel pour fédér­er ces besoins, et per­me­t­tre à l’entreprise de faire les bons choix de pilotage en fonc­tion des niveaux de valeurs de chaque pro­duit. Il s’agit alors de faire con­verg­er les visions qui remon­tent des dif­férentes lignes de pro­duits ou pro­grammes, des dif­férentes activ­ités et d’arbitrer les capac­ités de l’entreprise en conséquence.

Ce proces­sus fon­da­men­tal est effi­cace à deux con­di­tions : la rapid­ité de remon­ter des infor­ma­tions per­ti­nentes pour pren­dre les déci­sions, la par­tic­i­pa­tion engagée de l’ensemble des per­son­nes impliquées dans ce proces­sus collaboratif.

Une supply chain forte pour de nouveaux défis

La Sup­ply Chain du secteur évolue désor­mais sur une dimen­sion inter­na­tionale pour s’adapter à son suc­cès mon­di­al (Europe, Amériques, Moyen-Ori­ent, Asie du sud-est) et à ses nou­veaux clients.

La réus­site des sociétés aéro­nau­tiques française passera par une maîtrise de la Sup­ply Chain qui per­me­t­tra de libér­er du cash et d’investir dans le développe­ment (dans la per­spec­tive de mou­ve­ments de con­sol­i­da­tion du secteur) et l’innovation.

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