La gestion de programme : en finir avec les retards et les surcoûts !

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°608 Octobre 2005
Par Hervé HILLION (80)

La réalité d’un programme complexe

Les types de pro­grammes aux­quels nous faisons référence dans cet arti­cle peu­vent être de nature très dif­férente, s’agis­sant aus­si bien :

  • de pro­grammes dans le domaine de l’aéro­nau­tique et la défense, tels que la réal­i­sa­tion de sys­tèmes com­plex­es de com­mu­ni­ca­tion et de commandement ;
  • de pro­grammes liés aux nou­velles régle­men­ta­tions juridiques, compt­a­bles et finan­cières, telles que l’ap­pli­ca­tion des normes BALE II pour les étab­lisse­ments ban­caires ou l’ap­pli­ca­tion des lois Sar­banes-Oxley (ou équiv­a­lent) pour les entreprises ;
  • de pro­jets majeurs de refonte des sys­tèmes d’in­for­ma­tions, met­tant en cause de mul­ti­ples fonc­tions et proces­sus de l’en­tre­prise, des organ­i­sa­tions éclatées et des infra­struc­tures tech­nologiques complexes ;
  • des pro­jets de développe­ment de nou­velles plates-formes pro­duits, à la fois com­plex­es et risqués du fait des change­ments induits au niveau du mar­ket­ing, de la tech­nolo­gie, de la logis­tique et de la finance.


Quels sont les prin­ci­paux enseigne­ments que nous pou­vons tir­er du retour d’ex­péri­ence de ces grands pro­jets, en par­ti­c­uli­er sur les caus­es essen­tielles de dérive ou d’échec ? Nous avons iden­ti­fié trois prob­lé­ma­tiques essen­tielles, indépen­dantes non seule­ment du type de pro­gramme, mais égale­ment des méth­odes et out­ils de ges­tion de pro­jet mis en œuvre.

Il s’ag­it respectivement :

  • du lead­er­ship et de l’or­gan­i­sa­tion du programme,
  • de la ges­tion de pro­jet en mode collaboratif,
  • des out­ils déci­sion­nels de pilotage.

Leadership et gouvernance du programme

Quel que soit le niveau d’au­torité des comités de pilotage exis­tants et mal­gré la pro­liféra­tion des out­ils et méth­odes appor­tant un sup­port à la ges­tion de pro­jet, la faib­lesse du lead­er­ship au niveau d’une direc­tion de pro­gramme est la pre­mière cause d’échec. Plusieurs fac­teurs sont symptomatiques :

  • un sou­tien insuff­isant de la part du comité exé­cu­tif ou des instances de direc­tion, générale­ment par un mau­vais posi­tion­nement du pro­jet, un busi­ness case peu con­va­in­cant, un manque de vis­i­bil­ité sur les leviers stratégiques et leurs inci­dences opérationnelles ;
  • un déficit de com­mu­ni­ca­tion, d’aligne­ment et de cohérence : un temps con­sid­érable est bien sou­vent passé à con­stru­ire et suiv­re les référen­tiels de ges­tion des délais, des livrables, des coûts, des risques, etc., sans qu’ils soient pour autant partagés et con­solidés dans une vision globale ;
  • enfin sans remet­tre en cause les com­pé­tences tech­niques et man­agéri­ales des direc­tions de pro­gramme et de leurs équipes, la gou­ver­nance pro­pre­ment dite peut être défail­lante pour de mul­ti­ples raisons : des proces­sus de déci­sion peu cadrés, une mau­vaise antic­i­pa­tion des risques, des fonc­tions de plan­i­fi­ca­tion et de suivi très éclatées. D’où l’im­por­tance d’une cel­lule d’as­sis­tance au pilotage de pro­gramme, non pas comme une ” cham­bre d’en­reg­istrement “, mais comme organe stratégique de pilotage au plus haut niveau.


Les principes évo­qués ci-dessus con­stituent un préreq­uis essen­tiel pour sécuris­er un pro­gramme, quelle que soit l’ef­fi­cac­ité des mod­èles de plan­i­fi­ca­tion et de ges­tion. Un sec­ond fac­teur-clé de suc­cès est lié à la ges­tion en mode col­lab­o­ratif, qui apporte une réponse opéra­tionnelle et prag­ma­tique aux besoins de com­mu­ni­ca­tion et de pilotage mul­ti­fonc­tions, mul­ti­or­gan­i­sa­tions, mul­ti­sites et multisystèmes.

La gestion de projet en mode collaboratif

Les acteurs impliqués dans les grands pro­grammes sont con­fron­tés aujour­d’hui à une réal­ité qui ne cor­re­spond plus aux fon­da­men­taux de la ges­tion de pro­jet clas­sique, le fameux cycle en ” V ” de spé­ci­fi­ca­tion-réal­i­sa­tion-déploiement-con­trôle. Plusieurs raisons à cela :

  • les ” clients ” (internes ou externes) ne raison­nent plus en ter­mes de spé­ci­fi­ca­tions de solu­tion, mais d’ex­i­gences à sat­is­faire : qu’il s’agisse par exem­ple de critères de per­for­mance atten­dus pour un pro­duit ou un sys­tème, ou bien d’ob­jec­tifs busi­ness à attein­dre. Dans le domaine de l’aéro­nau­tique et de la défense par exem­ple, les équipemen­tiers de pre­mier rang évolu­ent de plus en plus vers un rôle d’in­té­gra­teur et de maître d’œu­vre de grands sys­tèmes, avec des engage­ments de per­for­mance et de disponi­bil­ité sur le cycle de vie com­plet des produits ;
  • le mode de coor­di­na­tion avec les clients change égale­ment du fait que les exi­gences peu­vent évoluer tout au long du cycle de vie du pro­jet, ren­dant inac­cept­able le fameux effet ” tun­nel “. D’où la néces­sité pour les direc­tions de pro­gramme de dis­pos­er d’une vis­i­bil­ité de l’a­vance­ment du pro­gramme à tout instant et en fin d’exé­cu­tion par rap­port aux attentes des clients, de la capac­ité à arbi­tr­er en per­ma­nence entre niveau de per­for­mance, délais et coûts ;
  • notons en com­plé­ment que les grands pro­grammes n’im­pliquent plus seule­ment des métiers dif­férents : ils fédèrent un réseau d’ac­teurs appar­tenant à des organ­i­sa­tions et des cul­tures mul­ti­ples, par­fois con­cur­rentes, local­isés sur des sites éclatés. Cette ten­dance ne fait que se ren­forcer avec l’ex­ter­nal­i­sa­tion crois­sante des activ­ités de con­cep­tion et de réal­i­sa­tion et de sup­port. Dans ce con­texte, il devient illu­soire de vouloir nor­malis­er les méth­odes et out­ils de ges­tion de pro­jet et pré­ten­dre à un pilotage cen­tral­isé ” top-down ” de tous les acteurs ;
  • enfin la con­sol­i­da­tion des infor­ma­tions néces­saires au pilotage du pro­gramme est elle-même ren­due beau­coup plus com­plexe, à la fois en rai­son des mul­ti­ples sys­tèmes sous-jacents (out­ils de ges­tion des exi­gences, out­ils de plan­i­fi­ca­tion des délais, por­tails pro­jets, out­ils de ges­tion doc­u­men­taire…) et des infra­struc­tures tech­nologiques pro­pres à cha­cun des parte­naires. Il est d’ailleurs là aus­si illu­soire de pré­ten­dre déploy­er un sys­tème inté­gré et unique de ges­tion de pro­gramme, gérant l’in­té­gral­ité des référen­tiels, des proces­sus et des métiers impliqués.


Face à ce con­stat, la ges­tion de pro­jet en mode col­lab­o­ratif apporte une solu­tion con­crète et prag­ma­tique, par la mise en place d’un espace pro­jet com­mun ” virtuel “, qui rem­place l’or­gan­i­sa­tion en plateau ” physique ” des années qua­tre-vingt-dix. Cepen­dant le plateau pro­jet ” virtuel ” n’est pas le sim­ple portage sur Inter­net des proces­sus tra­di­tion­nels de ges­tion de pro­jet. C’est une trans­for­ma­tion pro­fonde des modes de col­lab­o­ra­tion et des rela­tions entre tous les acteurs :

  • d’une part, le suc­cès est lié à la capac­ité des acteurs à fonc­tion­ner en réseaux (“ com­mu­nautés ”) trans­ver­saux et non hiérar­chiques, par com­mu­nautés d’in­térêts, dans une logique d’ob­jec­tifs partagés et non pas dans une logique d’ap­par­te­nance à leur struc­ture ou leur organ­i­sa­tion d’origine ;
  • d’autre part la cel­lule de pilotage (PMO — Pro­gram Man­age­ment Office) que nous avons évo­quée est un élé­ment-clé du dis­posi­tif, afin d’as­sur­er une coor­di­na­tion effi­cace des dif­férentes com­mu­nautés impliquées sur le pro­gramme, tant au niveau du partage des infor­ma­tions, que de l’é­val­u­a­tion et de la sur­veil­lance per­ma­nente des risques en fin de projet ;
  • enfin, toutes les expéri­ences ont mon­tré que les freins ne vien­nent pas des tech­nolo­gies col­lab­o­ra­tives, en général très sim­ples et intu­itives à utilis­er, mais bien des change­ments induits sur les modes de tra­vail : par exem­ple la notion de trans­parence des échanges, acces­si­bles à tous les acteurs de la com­mu­nauté et non pas par mail ” one-to-one “, la notion d’alertes, les forums de prise de déci­sion, etc.


Le sché­ma ci-après illus­tre les fonc­tion­nal­ités de telles plates-formes collaboratives.

Les outils décisionnels en pilotage de programme

Une col­lab­o­ra­tion effec­tive facilite la ges­tion des rela­tions entre les acteurs au quo­ti­di­en du pro­jet et la cir­cu­la­tion des infor­ma­tions, sans pour autant répon­dre à la total­ité de la prob­lé­ma­tique d’un directeur de pro­gramme, notamment :

  • com­ment pilot­er par antic­i­pa­tion ? quelle est la con­séquence par exem­ple d’une nou­velle exi­gence du client ou bien d’un retard de telle opéra­tion sur mon délai en fin de projet ?
  • com­ment réc­on­cili­er le réal­isé et le plan­i­fié dans les dimen­sions mul­ti­ples : délais, coûts, ressources, performance ?
  • com­ment arbi­tr­er entre le niveau de per­for­mance req­uis (ingénierie sys­tème par exem­ple), les délais et les coûts ?
  • com­ment dis­pos­er d’une vis­i­bil­ité à tout instant de l’a­vance­ment du pro­gramme, à la fois par rap­port au réal­isé et par rap­port à l’ob­jec­tif (livrables, con­som­ma­tions des ressources, jalons délais) ;
  • com­ment pass­er d’une logique ” réac­tive ” fondée sur le compte ren­du à une logique ” proac­tive ” fondée sur le suivi des événements ?


Ces ques­tions ne sont pas nou­velles mais sont dev­enues d’au­tant plus cri­tiques dans le con­texte des pro­grammes que nous avons évo­qué, avec des con­traintes fortes et mul­ti­ples (ressources, délais, bud­get, exi­gences clients, organ­i­sa­tions), dans des envi­ron­nements changeants et incertains.

Les indi­ca­teurs-clés sont égale­ment con­nus de longue date, que ce soit en pilotage des délais et des coûts (avec des niveaux plus ou moins élaborés tels que le ” Earned Val­ue Man­age­ment ”) ou en pilotage des ressources.

Dans ce domaine, l’ap­port des mod­èles et out­ils tra­di­tion­nels de la ges­tion de pro­jet est très lim­ité, dans la mesure où ces solu­tions four­nissent une vis­i­bil­ité par­tielle sur l’a­vance­ment des pro­grammes (les jalons délais et les ressources au mieux), sans pro­jec­tion vers l’ob­jec­tif à attein­dre, et suiv­ant des proces­sus lourds de consolidation.

Les pos­si­bil­ités de sim­u­la­tion sont égale­ment très réduites et à notre sens peu fiables du fait des approches sta­tis­tiques util­isées (de type ” Monte-Car­lo ”) : les risques majeurs vien­nent pré­cisé­ment de dis­con­ti­nu­ités de délais, de ressources, de per­for­mance et non pas d’une dis­tri­b­u­tion régulière d’aléas sur les tâch­es critiques.

Fort heureuse­ment, de nou­velles tech­nolo­gies et de nou­veaux out­ils déci­sion­nels appor­tent aujour­d’hui les solu­tions per­me­t­tant de con­stru­ire des ” cock­pits ” de pilotage de pro­gramme grâce à un ensem­ble de fonc­tion­nal­ités permettant :

  • d’ac­quérir dynamique­ment, en mode asyn­chrone et col­lab­o­ratif, de l’in­for­ma­tion hétérogène venant d’autres envi­ron­nements : out­ils de ges­tion de pro­jets, out­ils de ges­tion des coûts, etc. ;
  • de gér­er dynamique­ment et en temps réel les jalons-clés du pro­gramme en propageant toute infor­ma­tion d’a­vance­ment, dès son inté­gra­tion dans les référen­tiels pro­jets, quelles que soient la taille et la com­plex­ité du projet ;
  • de com­par­er instan­ta­né­ment le réal­isé avec le prévu ;
  • de not­er l’his­torique de tous les événe­ments qui survi­en­nent, de manière à garder la mémoire du déroule­ment du pro­jet pour une analyse à rebours ;
  • de mod­i­fi­er dynamique­ment les règles de ges­tion en fonc­tion des événe­ments et des déci­sions de gestion,
  • d’obtenir des résul­tats sous forme de graphiques inter­ac­t­ifs suiv­ant de mul­ti­ples vues.


Nous don­nons ci-dessus une illus­tra­tion de ce type de ” cock­pit ” de programme.

Conclusion

Il n’y a pas de recettes sim­ples mais les solu­tions exis­tent pour en finir avec les retards, les sur­coûts et les échecs de la ges­tion de pro­gramme. L’ap­proche que nous pré­con­isons s’ap­puie sur qua­tre dimen­sions-clés : l’ar­chi­tec­ture du pro­gramme, les com­pé­tences en man­age­ment, la ges­tion col­lab­o­ra­tive et la mise en œuvre d’un cock­pit décisionnel. 

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