Karl Richter

Karl Richter, la culture européenne

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°760 Décembre 2020
Par Jean SALMONA (56)

“S’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu.” Cette célèbre cita­tion de Cio­ran sur Bach, déjà men­tion­née dans ces colonnes – on ne s’en lasse pas – pour­rait aus­si bien s’appliquer à Karl Richter (1926–1981). Koop­man, Gar­diner, Suzu­ki, Pichon, grands inter­prètes des can­tates de Bach aujourd’hui, n’existeraient pas si Karl Richter ne leur avait pas mon­tré la voie. Pen­dant les années 1960–1970, à la tête de l’Orchestre et du Chœur Bach de Munich qu’il a fondés, Richter, chef d’orchestre, clavecin­iste et organ­iste, a exploré la majeure par­tie de la musique de Bach vocale et instru­men­tale et l’a enreg­istrée. C’est la total­ité de ces enreg­istrements pour la plu­part légendaires réal­isés pour Deutsche Gram­mophon et Archiv Pro­duk­tion que DGG a réu­nie en un cof­fret et pub­lie en cette fin d’année 2020. Au moment où la musique baroque prend des chemins par­fois hasardeux, cette somme mérite que l’on s’y arrête.

Le choix des instruments modernes

Tout d’abord, Richter fait le choix des instru­ments mod­ernes, plutôt que des instru­ments anciens au son par­fois souf­fre­teux, mais il exclut le vibra­to. Il priv­ilégie le clavecin plutôt que le piano, même dans les con­cer­tos. Ses inter­pré­ta­tions sont per­son­nelles mais rigoureuses : pas de roman­tisme, jamais de ruba­to. Et les tem­pos sont plus lents que ce qui se fait d’habitude, à la manière d’un Celi­bidache. Enfin et surtout, Richter fait appel à des solistes hors pair dont le nom seul fait rêver : Peter Schreier, Ernst Hae­fliger, Diet­rich Fis­ch­er-Dieskau, Edith Math­is, Maria Stad­er, Anna Reynolds, et même Gun­du­la Janowitz et Irm­gard Seefried, pour les voix ; Wolf­gang Schnei­der­han, vio­lon, Aurèle Nico­let, flûte, pour les sonates.

Le cof­fret se divise en 5 parties :

  • La Messe en si mineur (2 enreg­istrements), la Pas­sion selon saint Matthieu (2 enreg­istrements), la Pas­sion selon saint Jean, l’Ora­to­rio de Noël ;
  • 78 Can­tates pour les dimanch­es et les fêtes religieuses, dont toutes les « grandes », plus le Mag­ni­fi­cat ;
  • Les 6 Con­cer­tos bran­de­bour­geois, les 4 Suites pour orchestre, les 19 Con­cer­tos dont cer­tains peu con­nus, L’Offrande musi­cale, les Sonates pour vio­lon et clavecin, les Sonates pour flûte et clavecin, divers­es pièces pour clavecin dont les Vari­a­tions Gold­berg, divers­es pièces pour orgue dont 6 Con­cer­tos ;
  • 4 Sym­phonies de Carl Philipp Emanuel Bach, la Messe en ut de Beethoven ;
  • Orphée et Eury­dice de Gluck (avec D. Fis­ch­er-Dieskau et Gun­du­la Janowitz), Le Messie de Haen­del (2 ver­sions dont une avec le Lon­don Phil­har­mon­ic), Sam­son de Haen­del, Jules César de Haen­del, divers­es œuvres de Haen­del dont 18 Con­cer­tos grossos (opus 3 et 6)1, divers­es pièces pour orgue de Liszt, Brahms, Reger.

S’émerveiller

Écoutez le Kyrie de la Messe en si, écoutez le chœur ini­tial de la can­tate Ich hat­te viel Beküm­mer­nis, c’est l’absolue per­fec­tion, le chemin vers la transcendance.

On l’aura com­pris : il y a là matière à des heures de décou­vertes, mar­quées par la rigueur, la beauté, la lumière. En ces temps trou­blés et dif­fi­ciles, que nous soyons croy­ants, athées ou agnos­tiques, nous ne pou­vons que nous émer­veiller et pren­dre acte : il y a bien une cul­ture et une iden­tité européennes.


97 CD Deutsche Grammophon


1. Nous refu­sons obstiné­ment con­cer­ti et autres sce­narii.

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