JACQUES FERRIER (33) est toujours là (1913–2003)

Dossier : ExpressionsMagazine N°592 Février 2004Par : Henri-Charles FERRIER

Le Com­mis­saire général de pre­mière classe Jacques Fer­ri­er est décédé le dimanche 9 novem­bre 2003 au matin, à l’aube de sa qua­tre-vingt-dix­ième année, dans sa retraite de Sanary-sur-Mer. Comme il le souhaitait, la céré­monie religieuse, en l’église Saint-Nazaire, le jeu­di 13 novem­bre, a ravivé le sou­venir de la chère épouse qui l’avait quit­té en juin 2000.

Jacques FERRIER (33)Né à Tizi Ouzou le 26 décem­bre 1913, issu d’une famille d’o­rig­ine varoise, Jacques Fer­ri­er est suc­ces­sive­ment écol­i­er au petit lycée Mustapha d’Al­ger, élève au col­lège de Bat­na, pen­sion­naire au lycée de Con­stan­tine, puis au lycée Saint-Louis à Paris pour pré­par­er le con­cours de l’É­cole poly­tech­nique qu’il intè­gre ” dans la botte ” à moins de vingt ans. À sa sor­tie, en 1935, il choisit la Marine nationale pour servir une France riche d’un bel empire colonial.

Il opte pour l’É­cole du com­mis­sari­at de la Marine qui dis­pense alors, bien avant la créa­tion de l’E­NA, la seule grande for­ma­tion admin­is­tra­tive offi­cielle. Sor­ti major de cette école en 1937, après son voy­age ini­ti­a­tique sur le croiseur-école Jeanne d’Arc qui l’amène notam­ment à con­naître l’Alle­magne d’a­vant-guerre, il peut choisir comme pre­mière affec­ta­tion l’In­do­chine, qui est pour sa jeune épouse Jacque­line — Philippevil­loise née Daraty — un voy­age de noces de deux ans, inter­rompu, un dimanche de sep­tem­bre 1939, par un retour en métro­pole le jour même de la déc­la­ra­tion de guerre.

La drôle de guerre le trou­ve à Brest, la triste occu­pa­tion à Toulon, à la direc­tion des parcs à com­bustible de la flotte, où sa vivac­ité et sa matu­rité d’e­sprit lui valent déjà auprès de son per­son­nel une autorité et un pres­tige dont l’év­i­dence s’impose.

Après la Libéra­tion, ingénieur des pétroles, sor­ti, envers et con­tre tous, major de l’In­sti­tut français du pét­role — en com­péti­tion avec de jeunes ingénieurs frais émoulus de grandes écoles — il se spé­cialise dans la ges­tion et la con­ser­va­tion des com­bustibles, en breve­tant plusieurs inven­tions majeures. Dès le début des années ” 60 “, à la direc­tion de l’É­cole du Com­mis­sari­at, il devient un précurseur des tech­niques infor­ma­tiques appliquées à la ges­tion. Pro­mu aux étoiles, il est nom­mé à Paris directeur des marchés généraux, le temps (de pur­ga­toire, pour lui) de retrou­ver Toulon comme directeur du Com­mis­sari­at de la troisième région. C’est dans les années ” 70 ” qu’il accède, trois étoiles d’ar­gent cousues sur les manch­es de son uni­forme, au som­met de son par­cours pro­fes­sion­nel, à la Direc­tion cen­trale du com­mis­sari­at de la Marine.

Diplômé de l’In­sti­tut des Hautes Études de la Défense nationale, mem­bre de l’A­cadémie des sci­ences com­mer­ciales et des académies d’Aix-en-Provence, de Mar­seille et du Vau­cluse, et de la Fédéra­tion his­torique de Provence, il est prési­dent hon­o­raire de l’A­cadémie du Var qu’il a forte­ment mar­quée de sa griffe.

Auteur de plusieurs ouvrages sci­en­tifiques (pét­role — sta­tis­tiques et prob­a­bil­ités — ges­tion des stocks-man­age­ment) et his­toriques (Peiresc — Descartes — His­toire de la Provence — La Révo­lu­tion et le Var), il a été traduit en plusieurs langues.

Com­man­deur de la Légion d’hon­neur, com­man­deur du Mérite nation­al, com­man­deur des Palmes académiques, offici­er du Mérite mar­itime, sa car­rière, ses titres et ses déco­ra­tions sont déclinés dans les plus récentes édi­tions du Who’s Who.

Les bonnes fées de l’in­tel­li­gence et de la rai­son se sont penchées sur le berceau de Jacques Fer­ri­er. L’une l’a con­duit aux plus grandes fonc­tions, l’autre lui a évité les syn­dromes con­jugués de Poly­tech­nique et de la maîtrise infor­ma­tique qui con­duisent sou­vent à con­fon­dre la société avec un sys­tème d’équa­tions éco­nom­i­co-finan­cières. Mais ce serait une erreur de croire que le don dis­pense de l’ef­fort ; il con­traint, pour s’é­panouir, à plus d’ex­i­gence de soi.

Doué d’une intel­li­gence hors du com­mun, Jacques Fer­ri­er sut obstiné­ment l’af­fer­mir par une facil­ité d’élo­cu­tion, une lim­pid­ité et une élé­gance de style incom­pa­ra­bles, appuyant des capac­ités éton­nantes d’as­sim­i­la­tion et d’adaptation.

Grâce à un mélange d’in­tu­ition et de bon sens, il savait très vite dans les dossiers qui lui étaient présen­tés, s’il s’agis­sait d’une bonne ou d’une mau­vaise déci­sion, et son goût de la pré­ci­sion lui per­me­t­tait de met­tre le doigt sur le détail qui avait échap­pé à tout le monde.

Ce qui est égale­ment remar­quable chez lui est la qual­ité de son con­tact et de son accueil, empreint de cour­toisie atten­tive envers cha­cun, quel que soit son rang. Cette dis­po­si­tion allait de pair avec une grande sen­si­bil­ité aux prob­lèmes de per­son­nes, aux prob­lèmes indi­vidu­els des hommes et des femmes du Commissariat.

Homme de courage et de con­vic­tions, grand com­mis de l’É­tat n’ayant jamais attaché son étoile à quiconque ni jamais aliéné son tal­ent, il sut, non sans état d’âme refoulé, accom­plir son devoir de réserve, avec beau­coup de retenue quant à son affec­tion pour son pays natal, l’Al­gérie, d’où lui sont par­venus des hom­mages inattendus.

Trois fils l’ont hon­oré. Le plus jeune Jérôme, lieu­tenant de vais­seau de réserve, ancien élève de l’In­sti­tut français du pét­role, occupe un poste de direc­tion générale à la Com­pag­nie Total. Le cadet, Didi­er, com­mis­saire en chef de réserve, mem­bre de l’A­cadémie des sci­ences com­mer­ciales, pro­fesseur agrégé de droit et expert inter­na­tion­al, dirige la chaire de droit com­mer­cial de l’u­ni­ver­sité de Mont­pel­li­er. L’aîné, Hen­ri-Charles, cap­i­taine de corvette hon­o­raire, ingénieur en infor­ma­tique à la Com­pag­nie IBM, mem­bre act­if de l’A­cadémie du Var, cor­rige en ce moment le bon à tir­er de Saga Alge­ri­ana, ouvrage qui, sur la toile de fond d’une Algérie résol­u­ment française, fait revivre, non sans humour, à tra­vers les événe­ments du siè­cle écoulé, le par­cours inso­lite de ” l’ami­ral de Tizi Ouzou “. 

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