Intimité

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°695 Mai 2014Rédacteur : Jean SALMONA (56)

On peut éprou­ver des fris­sons en partageant, immergé dans la foule d’un audi­to­ri­um, l’écoute d’une sym­phonie de Mahler, aus­si bien que, ser­ré au coude à coude dans un club de jazz, en suiv­ant les cho­rus d’un saxo ténor inspiré.

Mais il est des moments où même l’ambiance feu­trée d’un salon de musique de cham­bre serait incon­grue et où l’on aspire à écouter une musique con­fi­den­tielle chez soi, en petit comité – à deux ? – une musique donc enreg­istrée puisque l’on ne peut plus guère s’offrir de nos jours le luxe proustien de con­vo­quer des inter­prètes en pleine nuit pour son seul plaisir.

Chansons

Cer­tains musi­co­logues rechig­nent à nom­mer « chan­son », hors de la musique dite pop­u­laire, une pièce pour voix et piano, et préfèrent utilis­er des ter­mes plus chics tels que song (Kurt Weill), « mélodie » (Fau­ré, Duparc), ou Lied (Schu­bert et bien d’autres), même lorsque le com­pos­i­teur a été explicite (Rav­el, Chan­sons madé­cass­es, Chan­son française, etc.).

Ce sont bien des chan­sons qu’a com­posées Marc Berthomieu (1906–1991), infati­ga­ble auteur d’opérettes, de bal­lets, de musique de cham­bre, de musiques de scène et de films, chan­sons chan­tées à l’époque au cabaret et qu’ont enreg­istrées Mario Hac­quard, bary­ton, et Lorène de Rat­uld au piano1.

Il s’agit de pièces d’une exquise sub­til­ité mélodique et har­monique, proches de Rey­nal­do Hahn et de Poulenc.

Austères coincés, qui trou­vez Cha­gall ou Renoir « trop doux », cette musique n’est pas pour vous. Mais vous, hédon­istes jouis­seurs, qui aimez la vie, le vin et la bonne chère, courez décou­vrir les chan­sons de Berthomieu, dont Rey­nal­do Hahn dis­ait qu’il était « un musi­cien qui préfère être ému qu’étonné ».

Mendelssohn – Quatuors

Émo­tion, émo­tion immé­di­ate : que vous écoutiez le 2e Quatuor (op. 13), œuvre déli­cieuse de ses 18 ans, le 3e (op. 44), char­nu et sen­suel, écrit à 28 ans, l’année de son mariage avec la belle Cécile Jean­re­naud, ou le 6e (op. 80), le dernier, requiem déchi­rant à sa sœur Fan­ny qu’il va rejoin­dre quelques mois plus tard à l’âge de 38 ans, c’est ce qui vous sub­merge dès la pre­mière écoute de cet enreg­istrement par le quatuor Artemis, le meilleur ensem­ble alle­mand depuis que le quatuor Alban Berg a cessé son activ­ité, et l’un des tout pre­miers au monde aujourd’hui2.

CD Mendelssohn : les quatuorsNous avons com­paré leur inter­pré­ta­tion de l’opus 80 à d’autres enreg­istrements plus anciens (par les quatuors Ébène et Psophos). Là où d’autres se font les inter­prètes d’un Mendelssohn qui tente de s’élever au-dessus du drame et fait d’une cer­taine manière, au seuil de la mort, le bilan d’une vie, les Artemis jouent ce dernier quatuor comme la con­fes­sion à vif d’un homme frap­pé par le des­tin et qui crie sa détresse et sa colère à un Dieu dont il refuse les arrêts injustes.

On pour­rait presque dire, si l’on ne craig­nait de sim­pli­fi­er, que les uns jouent le Mendelssohn chré­tien, les Artemis le Mendelssohn juif.

Mendelssohn, musi­cien sur­doué, ce Mozart du XIXe siè­cle, qui a ressus­cité la musique de Bach, dom­i­nait la tech­nique musi­cale ; il aura mis dans sa musique de cham­bre, et sin­gulière­ment dans ses quatuors, le plus pro­fond de ses pen­sées intimes, d’une manière telle que l’auditeur ne peut que se sen­tir en sym­biose avec lui.

C’est pourquoi l’on doit écouter cette musique chez soi, sans lire, assis, atten­tif : un ami très proche vous par­le, sans fard, et vous l’écoutez, aus­si ému que lui.

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1. 1 CD Hybrid’music.
2. 1 CD ERATO.

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