Intelligence ambiante pour musée sensible

Dossier : ExpressionsMagazine N°633 Mars 2008
Par Yves-Armel MARTIN (87)

Du musée du Quai de Bran­ly au Cen­tre nation­al d’art de Tokyo, ce début de siè­cle voit la con­struc­tion de nom­breux musées dans les grandes métrop­o­les de tous les pays. Ces bâti­ments, véri­ta­bles prouess­es d’au­dace et d’ar­chi­tec­ture, ont non seule­ment l’am­bi­tion de struc­tur­er les paysages et l’ur­ban­isme mais aus­si de con­tribuer au ray­on­nement cul­turel inter­na­tion­al des villes et régions qui les accueil­lent. Ain­si le musée des Con­flu­ences à Lyon, dont le chantier à la pointe de la presqu’île vient de débuter à l’ini­tia­tive du départe­ment du Rhône, mar­quera l’en­trée sud de la ville de Lyon des 20 000 mètres car­rés de son design éton­nant. Le pro­pos du musée est lui aus­si orig­i­nal : à par­tir des col­lec­tions d’his­toire naturelle, d’eth­nolo­gie et de sci­ences de la terre de l’an­cien muséum de Lyon, il con­fron­tera savoir sci­en­tifique et fonc­tion­nement des sociétés. Les tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion ont un rôle par­ti­c­uli­er à jouer dans cet étab­lisse­ment car elles ouvrent de nom­breuses per­spec­tives pour l’or­gan­i­sa­tion et la vie d’un nou­veau musée. Le champ des pos­si­bles est immense et afin de cern­er les appli­ca­tions les plus promet­teuses, le Cen­tre Érasme, cel­lule d’in­no­va­tion numérique du départe­ment du Rhône, a mis en place un espace de pro­to­ty­page muséo­graphique et tech­nique, le Muséolab. <></>


Sim­u­la­tions du futur musée des Con­flu­ences à Lyon
© Armin HESS-COOP HIMMELB(L)AU 

Une approche expérimentale de l’apport du numérique

En matière d’usage des tech­nolo­gies, il faut con­stater que l’on reste tou­jours dans une logique de l’of­fre et que les pra­tiques qui émer­gent sont sou­vent imprévues. C’est ain­si que le télé­phone avait ini­tiale­ment été inven­té pour enten­dre le théâtre, l’opéra ou la messe à l’en­trée de ces bâti­ments. Il n’avait pas été envis­agé d’abord comme out­il de com­mu­ni­ca­tion. De la même manière c’est en util­isant le Web, les out­ils de com­mu­ni­ca­tion instan­ta­née ou asyn­chrone qu’on en perçoit le béné­fice et, par­tant, qu’on invente une util­ité qui nous est propre.

La cul­ture numérique change le regard des utilisateurs

Il n’y a pas de rai­son que les musées échap­pent à cette règle. C’est pourquoi, à Érasme, nous suiv­ons les tech­nolo­gies qui sem­blent les plus promet­teuses et nous cher­chons à en inven­ter de mul­ti­ples appli­ca­tions très con­crètes que nous con­fron­tons au pub­lic et aux pro­fes­sion­nels des musées. Pro­gres­sive­ment cer­tains usages émer­gent, nous faisons évoluer les pro­to­types et les maque­ttes, éval­u­ons la com­préhen­sion de l’usager et sa per­cep­tion du béné­fice qu’il peut en tir­er et surtout iden­ti­fions les fauss­es pistes. Il faut accepter de se tromper et ne pas atten­dre des expéri­men­ta­tions qu’elles soient un suc­cès ou un sup­port de com­mu­ni­ca­tion. Nous devons iden­ti­fi­er les impass­es pour pou­voir sélec­tion­ner les dis­posi­tifs et usages les plus promet­teurs. Enfin, il est néces­saire de tenir compte de l’é­cosys­tème numérique : la cul­ture numérique se dif­fuse par­fois très rapi­de­ment et change pro­fondé­ment le regard des util­isa­teurs sur cer­taines propo­si­tions. Pour exem­ple, il y a une dizaine d’an­nées, alors que nous propo­sions sans suc­cès l’u­til­i­sa­tion du cour­ri­er élec­tron­ique aux enseignants de col­lèges, c’est au retour de vacances d’été qu’ils l’ont adop­té mas­sive­ment après que leurs amis et famille les eurent invités à cor­re­spon­dre par courriel. 

Rendre la technologie invisible

Pre­miers retours d’expérience RFID
Placée sur le tick­et d’entrée, la puce RFID per­met à celui-ci de se sig­naler à des antennes placées à l’entrée des salles ou devant des vit­rines et dis­posi­tifs. Chaque tick­et peut alors porter les préférences du vis­i­teur : sa langue, son pro­fil (adulte-enfant) et pourquoi pas son his­torique de vis­ite. (En pra­tique l’information n’est pas dans le tick­et mais dans le sys­tème d’information qui asso­cie ces ren­seigne­ments à l’identifiant unique de la puce).
De mul­ti­ples appli­ca­tions ont été testées en lab­o­ra­toire, au Muséo­lab, ou dans des expo­si­tions (notam­ment l’exposition Ni vu ni con­nu au Muséum de Lyon). Les inter­ac­t­ifs se met­tent dans la langue et le niveau du vis­i­teur : les sous-titres des textes pro­jetés sur les murs d’une salle passent en japon­ais lorsqu’un groupe de Japon­ais y entre, le vis­i­teur peut égale­ment bad­ger des objets et des con­tenus pour les retrou­ver ensuite chez lui sur le Net. Le musée peut ain­si mieux cern­er le com­porte­ment et les tra­jets de ses visiteurs…

En général, les développe­ments tech­nologiques au musée sont envis­agés autour de l’au­dio­gu­ide ou de bornes mul­ti­mé­dias. De nom­breuses autres voies sont pour­tant envis­age­ables, d’au­tant plus quand il s’ag­it d’un musée dont le pro­jet n’est pas unique­ment de présen­ter et con­serv­er des oeu­vres mais plutôt de faire com­pren­dre des mécan­ismes ou des prob­lé­ma­tiques. Voici les prin­ci­paux axes que nous envis­ageons : — un musée ” sans écrans ni claviers “. Les out­ils infor­ma­tiques sont aujour­d’hui omniprésents et donc très com­muns. On ne va pas au musée pour se retrou­ver dans le même envi­ron­nement que son bureau mais pour avoir une expéri­ence forte avec les objets exposés. On cherchera donc à dis­simuler la tech­nolo­gie pour laiss­er le pre­mier plan aux objets, à la scéno­gra­phie et au sens ; — de même, on fuira les pro­thès­es encom­brantes : lorsque l’au­dio­gu­ide devient vidéogu­ide voire ter­mi­nal de réal­ité aug­men­tée, les machines porta­bles devi­en­nent vite un obsta­cle entre le vis­i­teur et le musée et nuisent à l’ex­péri­ence col­lec­tive de vis­ite. Il reste des cas par­ti­c­uliers comme le traite­ment des langues ou des défi­ciences physiques pour lesquels les assis­tants élec­tron­iques per­son­nels seront irrem­plaçables ; — un bâti­ment sen­si­ble à ses vis­i­teurs : l’ex­péri­ence de vis­ite n’est pas du tout la même selon que l’on soit seul, en groupe, lorsque le musée est en charge ou au con­traire peu occupé, ou en présence de sco­laires. Les tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tique ambiante per­me­t­tent d’en­vis­ager un bâti­ment et une scéno­gra­phie qui s’adaptent à la présence de ses vis­i­teurs et leur pro­posent des con­tenus et infor­ma­tions adap­tés à leur sit­u­a­tion et leur com­porte­ment. De même, le vis­i­teur dis­posera de dif­férents niveaux et modal­ités d’ac­cès à l’in­for­ma­tion, celle-ci pour­ra s’adapter à ses préférences s’il le souhaite ; — l’In­ter­net pour éten­dre le musée dans le temps et l’e­space : l’une des grandes forces de l’In­ter­net sera de per­me­t­tre au vis­i­teur de retrou­ver chez lui, en ligne, les élé­ments d’ex­po­si­tion qu’il aura choi­sis lors de son passage.

L’objet est au cen­tre de l’intérêt de l’enfant et la tech­nolo­gie reste discrète

La rela­tion avec le vis­i­teur peut s’é­ten­dre hors les murs et en dehors des temps d’ou­ver­ture. Cela est par­ti­c­ulière­ment utile pour le pub­lic sco­laire qui pour­ra ain­si pré­par­er et appro­fondir, au rythme de la classe, le tra­vail engagé lors de la vis­ite au musée ; — enfin on aura recours aux tech­nolo­gies pour mon­tr­er l’in­vis­i­ble en affichant des infor­ma­tions que seul le traite­ment numérique des don­nées peut faire appa­raître en temps réel, pour con­tribuer à l’en­chante­ment du vis­i­teur en lui pro­posant des sit­u­a­tions orig­i­nales et inédites et mul­ti­pli­er les expéri­ences sen­sorielles en mêlant l’im­age, le son et l’in­ter­ac­tion dans la scéno­gra­phie. Nous avons testé la tech­nolo­gie RFID. Le prin­ci­pal béné­fice perçu par les vis­i­teurs n’est pas telle­ment sur la per­son­nal­i­sa­tion, mais beau­coup plus sur la pos­si­bil­ité d’emporter avec soi des frag­ments d’ex­po­si­tion. Au cours de son pas­sage, le vis­i­teur mar­que avec son tick­et les élé­ments qui l’in­téressent (un texte, une notice, un objet, un film) et en quit­tant le musée, lorsqu’il rend son tick­et, il peut don­ner une adresse email (dans le cadre d’une charte de con­fi­den­tial­ité et d’un con­trat Cnil) et recevoir chez lui un lien vers tout ce qu’il a mar­qué. On pour­rait, bien sûr, don­ner accès à toute l’ex­po­si­tion, mais comme nous sommes déjà sat­urés d’in­for­ma­tion, la valeur est bien dans la sélec­tion d’élé­ments mar­quants, un peu comme sur le Web, qui nous per­me­t­tent de retrou­ver directe­ment la page qui nous intéresse. Cette tech­nolo­gie est aus­si l’oc­ca­sion d’abor­der avec les vis­i­teurs les ques­tions de con­fi­den­tial­ité des don­nées et de vie privée afin d’en­cadr­er pré­cisé­ment les usages pos­si­bles de ces sys­tèmes. Le deux­ième grand domaine que nous avons exploré con­cerne de nou­velles inter­faces hommes machines, où l’u­til­isa­teur ne pilote plus le sys­tème avec une souris mais par ses gestes, par ses déplace­ments, ou en manip­u­lant des objets, indi­vidu­elle­ment ou collectivement.

À l’aide de caméras au pla­fond (notam­ment des caméras infrarouges et stéréo), de dif­férents cap­teurs de présence, d’ac­céléromètres (comme les toutes récentes Wiimotes, manettes de con­soles de jeu) le vis­i­teur inter­ag­it avec de l’in­for­ma­tion pro­jetée au sol, tout autour de ses pas ou au mur. Il par­ticipe ain­si à la scéno­gra­phie et peut explor­er du con­tenu de manière beau­coup plus sen­si­ble et intuitive.


Muséo­lab Pho­to Christophe MONNET

Deux points forts ressor­tent : suiv­ant le retour visuel qui lui est pro­posé, la qual­ité de la ciné­ma­tique de l’an­i­ma­tion, le vis­i­teur perçoit ou non son inter­ac­tion et celle-ci devient naturelle, agréable et utile. L’autre nou­veauté se trou­ve dans la pos­si­bil­ité d’in­ter­a­gir à plusieurs : dans des espaces col­lec­tifs comme les musées il est très impor­tant de pou­voir manip­uler à plusieurs des élé­ments et ne pas être con­damnés à être le spec­ta­teur de celui qui tient le clavier ou la souris. À ce titre les tables ” mul­ti­touch ” comme la table­touch de l’u­ni­ver­sité de Barcelone, Sur­face de Microsoft ou les travaux de Jeff Hans sem­blent par­ti­c­ulière­ment promet­teurs. Notre atten­tion ne se lim­ite pas à la tech­nolo­gie d’in­ter­ac­tion, car nous savons que l’essen­tiel de l’in­térêt reposera sur le scé­nario et la manière de le jouer. 

Les objets communicants au service d’une pédagogie active

Une vari­ante de l’u­til­i­sa­tion des puces RFID précédem­ment exposée con­siste à plac­er des puces RFID sur des objets (arte­fact d’ob­jets des col­lec­tions par exem­ple) que manip­u­lent les vis­i­teurs. L’en­vi­ron­nement détecte ain­si de quel objet il s’ag­it et peut pro­pos­er des infor­ma­tions con­textuelles. Avec le Muséum de Lyon, nous avons ain­si élaboré un ate­lier péd­a­gogique inti­t­ulé ” Objets en tran­sit ” où les groupes d’en­fants étaient invités à iden­ti­fi­er, mesur­er, manip­uler des pier­res pour que le musée puisse ensuite les clas­si­fi­er. L’ob­jet est alors au cen­tre de l’in­térêt de l’en­fant et la tech­nolo­gie reste dis­crète. Avec très peu de moyens, il a été pos­si­ble d’établir un dis­posi­tif très inter­ac­t­if qui a con­nu un très bon suc­cès. Mais surtout nous avions délégué aux agents du musée l’en­tière ges­tion du con­tenu élec­tron­ique asso­cié aux objets. Ils ont pu ain­si, semaine après semaine, faire évoluer leur scé­nario en fonc­tion des retours des enfants. Finale­ment au-delà de la manip­u­la­tion d’ob­jets, c’est la pos­si­bil­ité d’avoir un sys­tème très mod­u­laire, facile­ment adapt­able et dévelop­pable par des médi­a­teurs cul­turels qui a sus­cité le plus d’in­térêt chez les professionnels. 

Le système d’information des musées est à repenser

En bilan des dif­férents retours que nous avons obtenus, appa­raît l’im­por­tance non pas d’une tech­nolo­gie par­ti­c­ulière mais d’un sys­tème d’in­for­ma­tion bien conçu qui soit à la fois adapt­able, évo­lu­tif et qui tienne compte de la mul­ti­plic­ité des sources et des sor­ties d’une infor­ma­tique dis­séminée. Il nous faut à la fois rester ouverts aux nou­veautés tech­nologiques qui ne cessent d’ap­pa­raître, aux com­porte­ments des util­isa­teurs qui évolu­ent de manière très impor­tante et être capa­bles d’établir des normes et d’in­dus­tri­alis­er un sys­tème qui doit être robuste et fiable pour des mil­liers de vis­i­teurs. Il nous sem­ble, qu’à ce titre, le monde des musées offre beau­coup de per­spec­tives aux chercheurs en intel­li­gence ambiante qui n’en­vis­agent trop sou­vent que des appli­ca­tions pour des par­ti­c­uliers à domi­cile. Toute­fois un enjeu impor­tant con­cerne l’or­gan­i­sa­tion interne des musées dont les équipes doivent inté­gr­er ce nou­veau champ des pos­si­bles et la rapid­ité d’évo­lu­tion de ce domaine. Il faudrait associ­er un tra­vail de prospec­tive (mutu­al­isé entre insti­tu­tions), la col­lab­o­ra­tion avec des artistes numériques qui sont sou­vent de très bons défricheurs de nou­veaux usages avec une organ­i­sa­tion flex­i­ble et l’ac­qui­si­tion de com­pé­tences internes. De nom­breuses pistes restent à explor­er, ain­si nous étu­dions atten­tive­ment com­ment les encres élec­tron­iques vont nous oblig­er à repenser l’u­til­i­sa­tion du texte dans les musées, et com­ment les équipements per­son­nels mobiles des vis­i­teurs devront néces­saire­ment être pris en compte au fur et à mesure de leur adop­tion. Du pod­cast de vis­ite guidée aux puces RFID dans les télé­phones (plus exacte­ment on par­le alors des normes NFC), il s’ag­it bien d’être en sym­biose avec l’é­cosys­tème numérique sans jamais oubli­er que les tech­nolo­gies sont au ser­vice du pro­pos du musée et doivent ensuite s’effacer.

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