INRA, biotechnologies et polytechniciens

Dossier : Les biotechnologies, industries majeures du XXIe siècleMagazine N°642 Février 2009
Par Marion GUILLOU (73)

Pouvez-vous retracer les grandes lignes de votre carrière ?

Pouvez-vous retracer les grandes lignes de votre carrière ?

Je ne parle pas de car­rière, qui sous-entend une suite ordon­née, mais plu­tôt d’une série d’a­ven­tures ; se trou­ver à un cer­tain endroit, à un cer­tain moment, est sou­vent le fruit du hasard. Accep­ter est le fruit d’une déci­sion. Pour la recherche, cela a rele­vé d’une volon­té per­son­nelle. J’ai sui­vi des cours de bio­lo­gie lorsque j’é­tais à l’X, à Jus­sieu. Pen­dant mon ser­vice mili­taire, qui était alors en grande par­tie effec­tué à la fin du par­cours poly­tech­ni­cien, j’ai pu tra­vailler dans un centre de recherche hos­pi­ta­lier. J’ai ain­si étu­dié les mem­branes ner­veuses (les canaux ioniques et le trans­fert mem­bra­naire) en pro­lon­ga­tion de mon stage de recherche à Nor­male sup ; puis j’ai repris un tra­vail de thèse quelque temps plus tard à Nantes, en phy­si­co­chi­mie des biotransformations.

Mais ma nomi­na­tion à la direc­tion de l’IN­RA, sur pro­po­si­tion du ministre de l’A­gri­cul­ture et de l’A­li­men­ta­tion, a été une oppor­tu­ni­té, accep­tée avec enthou­siasme ; aujourd’­hui j’y oeuvre depuis huit ans, D.G. puis P.-D.G. de l’Ins­ti­tut – je démarre mon second man­dat. L’INRA est le deuxième plus impor­tant orga­nisme de recherche agro­no­mique au monde, par ses résul­tats en nombre de publi­ca­tions scien­ti­fiques. Mon rôle est de veiller à notre capa­ci­té d’an­ti­ci­pa­tion, d’é­la­bo­rer la stra­té­gie de recherche et d’in­no­va­tion, d’a­ni­mer la direc­tion géné­rale, de m’as­su­rer de la ges­tion effi­cace et d’en­tre­te­nir les rela­tions exté­rieures de l’IN­RA. Cela sup­pose beau­coup de contacts avec l’É­tat, avec des par­te­naires inter­na­tio­naux, mais aus­si avec les entre­prises pri­vées : nous avons plus d’un mil­lier de contrats indus­triels en cours. 

Quel est le rôle de l’INRA dans la biotechnologie en France ?

Une recherche en cours à l’INRA : le méta­gé­nome intestinal
L’intestin contient 2 à 3 kg de bac­té­ries. Ces bac­té­ries sont acquises dès notre pre­mier cri et subissent un enri­chis­se­ment spé­ci­fique au cours de notre crois­sance. Fonc­tion de notre contexte de déve­lop­pe­ment, cet ensemble consti­tue une empreinte spé­ci­fique à chaque indi­vi­du. Par exemple, à l’âge adulte, si ces bac­té­ries évo­luent au cours d’une mala­die, elles reviennent après la gué­ri­son à leur état col­lec­tif initial.
Ce lieu d’interaction entre ali­men­ta­tion et san­té n’était pas jusqu’à main­te­nant abor­dable car ces bac­té­ries pour la plu­part ne sont pas culti­vables. Mais avec les nou­veaux outils de séquen­çage, l’INRA peut désor­mais étu­dier ce milieu bac­té­rien. Les résul­tats pour­raient avoir des appli­ca­tions mul­tiples en matière de san­té, d’alimentation, pour mieux com­prendre et pour innover.

L’INRA est très actif en recherche sur les bio­tech­no­lo­gies vertes (plantes) et blanches (envi­ron­ne­ment-chi­mie). La recherche en bio­lo­gie a vécu un chan­ge­ment pro­fond depuis les années 1970. Aupa­ra­vant, elle rele­vait de l’ar­ti­sa­nat, et la décou­verte scien­ti­fique se fai­sait » par éton­ne­ment » du cher­cheur, sou­vent iso­lé. Avec les récentes révo­lu­tions tech­no­lo­giques, elle est deve­nue une science lourde, comme la phy­sique depuis les années cin­quante. Elle néces­site une concen­tra­tion géo­gra­phique des cher­cheurs autour de machines oné­reuses, deman­dant des com­pé­tences très spé­ci­fiques et des inves­tis­se­ments impor­tants. Avec l’aug­men­ta­tion des sommes enga­gées, il faut ras­sem­bler, rendre davan­tage de comptes, et la nou­velle recherche en bio­lo­gie inté­resse la socié­té par ses méthodes comme par ses applications.

À l’IN­RA, 15 % des recherches concernent les sciences des milieux (par exemple les échanges chi­miques, mou­ve­ments de l’eau, gaz à effet de serre, etc.), et 10 % les sciences éco­no­miques et sociales, mais 75 % de notre acti­vi­té met en oeuvre les sciences du vivant, dépen­dantes d’ou­tils bio­tech­no­lo­giques, ou sources de décou­vertes et d’in­no­va­tions biotechnologiques.


Vue aérienne du centre INRA de Ver­sailles. L’INRA est le deuxième orga­nisme de recherche agro­no­mique au monde en nombre de publi­ca­tions scientifiques.

Quel peut être selon vous le rôle et le poids économique de l’agribiotech face à des problématiques alimentaires ?

Les pro­blèmes ali­men­taires ont tou­jours été pre­miers dans le monde. Les crises liées aux prix éle­vés et à la pau­vre­té urbaine les ont por­tés à l’at­ten­tion de tous en 2008. En même temps, le carac­tère limi­tant des res­sources natu­relles et l’im­por­tance de leur ges­tion durable deviennent des constats par­ta­gés. En 2050, pour nour­rir 9 mil­liards de per­sonnes, il fau­dra deux fois plus de pro­duc­tion agri­cole, avec des contraintes envi­ron­ne­men­tales bien plus grandes.

Il fau­dra donc pro­duire à la fois plus, autre chose et autre­ment. Il fau­dra nour­rir plus de per­sonnes, dif­fé­rem­ment, réduire les pertes, viser un meilleur équi­libre ali­men­taire. Pour pro­duire plus et mieux, les bio­tech­no­lo­gies seront utiles, en par­ti­cu­lier les bio­tech­no­lo­gies vertes, pour la sélec­tion des plantes, la lutte contre les para­sites, la résis­tance à la sécheresse.

Que diriez-vous à un jeune polytechnicien qui envisage d’entamer une carrière dans la biotech ?

En 2050, il fau­dra deux fois plus de pro­duc­tion agri­cole qu’aujourd’hui

Je l’en­cou­ra­ge­rai, et ne lui cache­rai ni l’exi­gence, ni l’im­por­tance, ni les joies des dif­fé­rents métiers liés à l’in­no­va­tion. Être scien­ti­fique c’est être à contre-cou­rant ! Dans une culture de zap­ping, cela néces­site un tra­vail d’ap­pro­fon­dis­se­ment. Il faut assu­mer le » déca­lage » de la recherche : son aspect créa­tif, risqué.

La recherche apprend le tra­vail en équipe et la rigueur ; cela peut être une excel­lente for­ma­tion pour d’autres car­rières ulté­rieures. La recherche en bio­tech­no­lo­gie allie modé­li­sa­tion méca­nique, infor­ma­tique, mathé­ma­tiques et bio­lo­gie. Elle fait appel à une véri­table ingé­nie­rie de sciences. Aus­si pour un poly­tech­ni­cien c’est un enri­chis­se­ment des pra­tiques de rai­son­ne­ment. Le monde est complexe !

Propos recueillis par Jacques Delort (83) et Victoire Maugis (02)

Poster un commentaire