Il faut allier efficacité énergétique et diversification des sources d’énergie

Dossier : Europe et énergieMagazine N°629 Novembre 2007
Par Claude MANDIL (61)

Claude Mandil X61 Directeur exé­cu­tif à l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE), où coopérent 26 pays mem­bres de l’OCDE pour amélior­er l’offre et la demande au niveau mon­di­al, utilis­er plus effi­cace­ment l’énergie et dévelop­per des sources d’énergie de substitution.

Les trois E, piliers de l’équilibre énergétique
Une « bonne » poli­tique énergé­tique, au sens où l’entend l’AIE (Agence inter­na­tionale de l’énergie) se car­ac­térise par les « 3E » : Ener­gy secu­ri­ty, Eco­nom­ic growth, Envi­ron­men­tal pro­tec­tion. On ne peut nég­liger l’un de ces élé­ments sans com­pro­met­tre l’ensemble.

Quelle com­bi­nai­son d’én­er­gies pri­maires choisir pour un développe­ment durable ? On ne peut que don­ner quelques indi­ca­tions, fondées à la fois sur les car­ac­téris­tiques com­munes d’une poli­tique énergé­tique équili­brée et les traits spé­ci­fiques à chaque pays. Sommes-nous sur la bonne voie ? Les ten­dances mon­di­ales de l’én­ergie sont-elles com­pat­i­bles avec ce qu’on appelle les « 3E » ? La réponse, claire et attris­tante, est : non, en aucune façon.

Si on extra­pole les ten­dances actuelles, la demande mon­di­ale d’én­ergie aug­menterait de plus de 50 % dans les vingt-cinq prochaines années. Le secteur du trans­port resterait mas­sive­ment dépen­dant du pét­role et de plus en plus dépen­dant d’un nom­bre de plus en plus réduit de zones de pro­duc­tion, essen­tielle­ment le Moyen-Ori­ent et l’an­ci­enne Union sovié­tique. Les prix aug­menteraient de manière impor­tante et les émis­sions de CO2, le prin­ci­pal respon­s­able de l’ef­fet de serre, aug­menteraient de près de 60 %.

Cela n’est pas com­pat­i­ble avec le pre­mier E. La sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­nement sup­pose la diver­sité des éner­gies et des sources. Ce n’est pas com­pat­i­ble avec le sec­ond E car la crois­sance économique sup­pose des prix mod­érés. Et c’est en totale oppo­si­tion avec le troisième E, car la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement exige d’abord l’in­fléchisse­ment et, à terme, une forte décrois­sance des émis­sions de CO2. De plus ces résul­tats désas­treux n’empêcheraient même pas un mil­liard et demi d’êtres humains d’être tou­jours privés d’élec­tric­ité, une honte avec son cortège de con­séquences sur l’é­d­u­ca­tion, la san­té et le développe­ment économique.

Que peut-on faire ?

Réduire de 15 % la con­som­ma­tion d’énergie

Sur­veiller régulière­ment la pres­sion de ses pneus peut faire économiser jusqu’à 5 % de car­bu­rant à coût nul

À court terme, les inflex­ions poli­tiques doivent être fondées sur les tech­nolo­gies exis­tantes, car les rup­tures sci­en­tifiques et tech­niques pren­nent du temps à appa­raître sur les marchés. Il ne faut pas en être déçu, car les tech­nolo­gies actuelles per­me­t­tent des pro­grès con­sid­érables. L’essen­tiel de ce que l’on peut obtenir immé­di­ate­ment a trait à l’ef­fi­cac­ité énergé­tique. Il est pos­si­ble, avec les tech­nolo­gies exis­tantes, de réduire forte­ment l’én­ergie con­som­mée par unité de PIB, en général à coûts faibles, voire négat­ifs. Voici quelques exemples.

Il y a deux ans, l’AIE a con­duit une étude sur les appareils élec­triques domes­tiques. Il s’agis­sait de répon­dre à une ques­tion sim­ple : com­bi­en d’én­ergie pour­rait-on économiser, si ‚dans chaque pays de l’OCDE, chaque con­som­ma­teur avait la volon­té et la pos­si­bil­ité de choisir, à ser­vice égal, l’ap­pareil le moins coû­teux en ten­ant compte non seule­ment du prix d’achat mais aus­si du coût de la con­som­ma­tion d’én­ergie pen­dant la durée de vie de l’ap­pareil ? Le résul­tat est incroy­able : on pour­rait économiser 30 % de l’élec­tric­ité con­som­mée par ces appareils, avec les tech­nolo­gies d’au­jour­d’hui et à coût négatif.

Limiter la consommation en veille

Il est pos­si­ble, tou­jours avec les tech­niques d’au­jour­d’hui, de réduire la con­som­ma­tion « en veille » des appareils domes­tiques, celle qui se pro­duit lorsque l’ap­pareil est hors ser­vice, con­som­ma­tion à un watt seule­ment. En général la con­som­ma­tion en veille est très supérieure, sans que per­son­ne ne s’en préoc­cupe car ce n’est pas un critère d’achat. L’AIE a cal­culé qu’on pour­rait éviter une puis­sance de pointe de 20 GW dans les pays de l’OCDE rien qu’en lim­i­tant la con­som­ma­tion en veille de chaque appareil à 1 watt.

Les exem­ples abon­dent. Par exem­ple la dif­férence de ren­de­ment entre les meilleures cen­trales à char­bon et celles qu’on con­stru­it le plus sou­vent dans les pays en développe­ment est d’un tiers.

Normes et persuasion

La con­som­ma­tion d’énergie pour­rait être réduite de 15 % avec les tech­niques actuelle­ment disponibles

Pourquoi tout cela n’est-il pas mis en œuvre ? Le plus sou­vent c’est tout sim­ple­ment que les con­som­ma­teurs n’ont même pas con­science de l’én­ergie qu’ils pour­raient ain­si économiser. C’est donc aux gou­verne­ments qu’il incombe d’a­gir par des normes, des labels, des stan­dards… et de la persuasion.

L’AIE estime à 15 % la con­som­ma­tion d’én­ergie qui pour­rait être évitée dans le monde en 2030 sim­ple­ment en amélio­rant l’ef­fi­cac­ité énergé­tique avec les tech­niques actuelle­ment disponibles. Le résul­tat serait bon pour le pre­mier E car l’én­ergie la plus sûre est celle que l’on ne con­somme pas, il serait bon pour le deux­ième E car il est acces­si­ble à coûts faibles ou négat­ifs, et il serait bon pour le troisième E, car l’én­ergie que l’on ne con­somme pas ne pol­lue pas.

Des énergies abondantes et diversifiées

Cela dit, il fau­dra plus d’ef­forts pour obtenir un développe­ment vrai­ment durable. À long terme cet objec­tif réclame plus que de l’ef­fi­cac­ité énergé­tique et des tech­niques d’au­jour­d’hui. Car le défi est con­sid­érable : il nous faut des éner­gies abon­dantes et diver­si­fiées pour assur­er la sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­nement, des prix mod­érés pour favoris­er la crois­sance économique, et une très forte réduc­tion des émis­sions de CO2 pour réduire l’am­pleur du change­ment climatique.

Deux obstacles aux énergies renouvelables

Les pièges du piégeage
Le piégeage du CO2 com­porte plusieurs dif­fi­cultés. Tout d’abord les tech­nolo­gies néces­saires n’ont encore été véri­fiées que sur un petit nom­bre d’unités de démon­stra­tion et la pre­mière appli­ca­tion vrai­ment com­mer­ciale reste à faire. Ensuite, il n’est util­is­able qu’avec des émis­sions con­cen­trées, et non lorsque l’utilisation du com­bustible est répar­tie (chauffage et surtout trans­port). Enfin et surtout, il fau­dra con­va­in­cre l’opinion publique que ce piégeage pour­ra être effi­cace sur une très longue période.

Cer­tains sou­ti­en­nent que ces résul­tats seront atteints grâce aux éner­gies renou­ve­lables. Il est vrai que ces éner­gies sont très promet­teuses : elles con­tribuent à la diver­si­fi­ca­tion de l’of­fre, et elles émet­tent moins de CO2.

Les bio­car­bu­rants sont par­ti­c­ulière­ment intéres­sants, car ils con­stituent une des très rares pos­si­bil­ités d’obtenir des car­bu­rants liq­uides autres que le pét­role pour le trans­port. Mais les renou­ve­lables se heur­tent à deux obsta­cles. Le pre­mier est leur coût. La plu­part des éner­gies renou­ve­lables — à l’ex­cep­tion sans doute de l’éolien — n’ont pas atteint la matu­rité tech­nologique leur per­me­t­tant d’être com­péti­tives. La recherche et le développe­ment sont ici une pri­or­ité absolue. Le sec­ond obsta­cle est leur faible den­sité énergé­tique ce qui sig­ni­fie que toute sub­sti­tu­tion de com­bustibles fos­siles par des renou­ve­lables risque de con­som­mer des sur­faces énormes.

Il est clair que les renou­ve­lables ne peu­vent pas être la solu­tion unique.

Les handicaps du nucléaire

Cer­tains voient la solu­tion dans le nucléaire. Et il est vrai que le nucléaire est un moyen très puis­sant et économique de pro­duire de grandes quan­tités d’élec­tric­ité sans émet­tre de CO2. Mais le nucléaire présente un lourd hand­i­cap : l’opin­ion publique est loin de lui être favor­able, essen­tielle­ment parce qu’elle n’est pas con­va­in­cue qu’une solu­tion défini­tive et sûre a été trou­vée pour la ges­tion des déchets à long terme. En out­re le nucléaire répond essen­tielle­ment à la demande en élec­tric­ité et impar­faite­ment à la demande du secteur du trans­port. Même lorsque la ques­tion des déchets aura trou­vé une solu­tion, la voie nucléaire ne peut pas être la solu­tion unique.

Le charbon n’est pas mort

Pour cer­tains, la solu­tion vien­dra des com­bustibles fos­siles, en par­ti­c­uli­er du char­bon. Et il est vrai que le char­bon est bon marché et très abon­dam­ment répar­ti sur la planète. Mais son util­i­sa­tion provoque d’énormes émis­sions de CO2. Toute­fois une nou­velle piste tech­nologique sem­ble par­ti­c­ulière­ment promet­teuse : la « cap­ture » du CO2 dans les fumées des gros con­som­ma­teurs (cen­trales élec­triques, cimenter­ies, etc.) suiv­ie de sa « séques­tra­tion », c’est-à-dire son piégeage dans des couch­es géologiques pro­fondes (gise­ments de char­bon, gise­ments de pét­role ou de gaz exploités, aquifères saumâtres). Les éner­gies fos­siles, même avec cap­ture et séques­tra­tion du CO2, ne peu­vent pas être la seule solution.

Utiliser toutes les solutions

Ne rien abandonner
Il va de soi que la com­bi­nai­son énergé­tique ne peut pas être déter­minée avec pré­ci­sion. Des per­cées tech­nologiques impor­tantes sont néces­saires. Les con­sid­éra­tions de poli­tique ou de cul­ture nationale jouent un grand rôle et con­duisent cer­tains pays à refuser le nucléaire. Mais une chose est sûre : ce n’est pas le moment d’abandonner l’une quel­conque de ces options.

La seule façon d’at­tein­dre le développe­ment durable est d’u­tilis­er toutes ces solu­tions en même temps. En d’autres ter­mes si on asso­cie des efforts accrus d’ef­fi­cac­ité énergé­tique, plus de renou­ve­lables et de nucléaire et plus d’én­ergie fos­sile avec cap­ture et séques­tra­tion du CO2, alors sera-t-il pos­si­ble d’obtenir à la fois sécu­rité d’ap­pro­vi­sion­nement, crois­sance économique et une forte réduc­tion des émis­sions de CO2, tout en appor­tant une énergie mod­erne à tous les citoyens du monde. 

Et l’hydrogène ?

L’hy­drogène n’ex­iste pour ain­si dire pas dans des réser­voirs naturels. Il doit être pro­duit à par­tir d’autres éner­gies et cette pro­duc­tion entraîne une perte d’én­ergie, de même que le trans­port et la dis­tri­b­u­tion de l’hy­drogène. L’hy­drogène n’est donc intéres­sant que si ces pertes sont com­pen­sées par l’in­tro­duc­tion des piles à com­bustible qui ont, elles, un excel­lent ren­de­ment énergé­tique. Mais il s’ag­it d’une révo­lu­tion du sys­tème énergé­tique qui sup­pose la réso­lu­tion de prob­lèmes tech­nologiques et économiques con­sid­érables. Une fois ces prob­lèmes réso­lus, l’hy­drogène peut apporter une solu­tion s’il est pro­duit sans émis­sions du CO2, c’est-à-dire en util­isant les renou­ve­lables, le nucléaire ou la cap­ture du CO2, car c’est une alter­na­tive non émet­trice à l’u­til­i­sa­tion du pét­role dans les transports.

Allons-nous manquer d’énergie fossile ?

La fusion en devenir
Par­fois men­tion­née par­mi les éner­gies d’avenir, la fusion est pour l’instant du domaine de la recherche fon­da­men­tale. Devien­dra-t-elle une énergie com­mer­ciale ? Nul ne le sait, et en tout cas sans doute pas avant la fin du siè­cle. Nos prob­lèmes ne peu­vent pas attendre.

Pour le char­bon, cer­taine­ment pas dans un avenir prévis­i­ble. Pour le pét­role, l’AIE est con­va­in­cue que le pro­grès tech­nologique réus­sira à repouss­er la date du « peak oil » de plusieurs décen­nies, grâce à l’ex­ploita­tion de pét­role très pro­fond, de sables bitu­mineux et d’autres hydro­car­bu­res extra-lourds, et à l’ac­croisse­ment des taux de récupéra­tion. La sit­u­a­tion devrait être encore meilleure pour le gaz. Mais il est vrai que le monde dépen­dra de plus en plus d’un nom­bre de plus en plus réduit de pro­duc­teurs, ce qui n’amélior­era pas la sécu­rité d’approvisionnement.

Le rôle fondamental des gouvernements

Si l’on appré­cie le fait de dis­pos­er d’énergie, on ne peut en refuser les out­ils de production

Il faut, enfin, soulign­er l’im­por­tance du rôle des gou­verne­ments. Le secteur de l’én­ergie a besoin d’in­vestisse­ments con­sid­érables, doit réduire ses coûts et accroître ses per­for­mances. Tout cela est de la respon­s­abil­ité du marché, mais les gou­verne­ments gar­dent un rôle impor­tant : ils doivent s’as­sur­er que le marché fonc­tionne et que ses sig­naux sont con­ven­able­ment perçus, en évi­tant les sub­ven­tions qui empêchent ces sig­naux d’at­tein­dre les con­som­ma­teurs et en favorisant les mécan­ismes de marché tels que les per­mis d’émis­sion négo­cia­bles de CO2.

En même temps, les gou­verne­ments doivent sup­pléer aux marchés quand ils ne fonc­tion­nent pas bien. Cela con­cerne le finance­ment de la R & D, l’u­til­i­sa­tion de la nor­mal­i­sa­tion quand le sig­nal prix est trop faible pour attein­dre le consommateur.

Les gou­verne­ments doivent aus­si s’as­sur­er que les règles, la lég­is­la­tion et les pra­tiques favorisent l’in­vestisse­ment, et ils doivent expli­quer à l’opin­ion publique, qui aime dis­pos­er d’én­ergie, mais n’aime pas les out­ils de pro­duc­tion et de trans­port de cette énergie, qu’on ne peut pas avoir l’un sans l’autre.

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