Emmanuelle Martiano et Maximilien Levesque, cofondateurs d’Aqemia

L’IA au service de la recherche en médicaments

Dossier : Health techMagazine N°773 Mars 2022
Par Maximilien LEVESQUE

Aqemia nour­rit une IA généra­tive avec de la physique théorique inspirée du quan­tique pour trou­ver des médica­ments pour de nom­breuses mal­adies. Max­im­i­lien Levesque, cofon­da­teur et CEO d’Aqemia, nous explique la genèse de cette start-up, son posi­tion­nement et sa valeur ajoutée sur ce marché de la recherche de médica­ments. Entretien.

Comment Aqemia a vu le jour ? 

Après une thèse en physique quan­tique théorique au CEA Saclay en 2010, puis un pas­sage par les uni­ver­sités d’Oxford et de Cam­bridge, j’ai rejoint le CNRS et l’École nor­male supérieure — PSL (Ulm) en 2013. J’y ai mon­té un groupe de recherche en physique théorique. 

Il y a trois ans, nous avons con­staté que les théories de mécanique sta­tis­tique dévelop­pées dans mon groupe, asso­ciées à de l’IA, pou­vaient avoir un impact fort sur la décou­verte de médica­ments. C’est le point de départ tech­nologique du pro­jet Aqemia qui s’est con­crétisé lors de ma ren­con­tre en 2019 avec mon asso­ciée, COO et cofon­da­trice, Emmanuelle Mar­tiano, qui a passé neuf ans au BCG en tant que principal. 

Concrètement, qu’est-ce qu’Aqemia et que faites-vous ? 

La mis­sion d’Aqemia est de trou­ver les médica­ments de demain. En févri­er 2022, Aqemia est une start-up parisi­enne de trente per­son­nes. Au cœur de notre ADN, une sci­ence unique pour trou­ver des médica­ments at scale, qui s’articule autour de l’IA, de la physique quan­tique et sta­tis­tique, de la chimie et de la biologie. 

Plus con­crète­ment, Aqemia invente et conçoit des can­di­dats médica­ments. Pour une mal­adie don­née, il y a dans le corps une cible thérapeu­tique, générale­ment une pro­téine, respon­s­able de la mal­adie – de façon imag­inée, il s’agit d’un ver­rou. Trou­ver un médica­ment con­siste à con­cevoir la molécule, une clé, qui s’insère dans le ver­rou et l’empêche de jouer son rôle dans la mal­adie tout en n’induisant pas d’effets sec­ondaires. La tech­nolo­gie d’Aqemia prédit aus­si bien que l’expérience et dix mille fois plus vite que le leader l’affinité entre la cible-ver­rou et le can­di­dat-clé. Aqemia cherche donc des molécules thérapeu­tiques inno­vantes, des can­di­dats médica­ments, soit en col­lab­o­ra­tion avec des lab­o­ra­toires phar­ma­ceu­tiques ou des biotechs, soit pour notre pro­pre compte.

Vous misez sur l’IA et ses algorithmes pour inventer les médicaments de demain. Dites-nous en plus sur ce positionnement et ce qu’il implique ?

Aujourd’hui, inven­ter puis valid­er un can­di­dat médica­ment coûte env­i­ron 100 mil­lions et plus de dix ans, avec un taux de suc­cès inférieur à 10 %. Ces ressources sont répar­ties entre la recherche du can­di­dat puis les essais clin­iques. Aqemia est focal­isée sur la recherche de can­di­dats médicaments.

C’est une démarche dif­fi­cile, car il y a lit­térale­ment des mil­liards de mil­liards de can­di­dats (de clés) pos­si­bles pour chaque cible thérapeu­tique. Devant cette immen­sité des pos­si­bles, les phar­ma ont dévelop­pé des expéri­ences haut débit qui per­me­t­tent de tester quelques mil­lions de can­di­dats sur dix à vingt nou­velles cibles thérapeu­tiques par an. Les start-up qui font de l’intelligence arti­fi­cielle, quant à elles, doivent trou­ver de larges ressources pour génér­er des expe­ri­ences sur lesquelles elles entraî­nent leurs modèles. 

Aqemia, au con­traire, nour­rit son IA généra­tive, qui conçoit les molécules, avec sa physique sta­tis­tique unique. Nous pou­vons ain­si accélér­er la phase de recherche et lancer des douzaines de pro­jets par an.

Et quel est votre business modèle ?

Il est dual : 

  • La col­lab­o­ra­tion avec les lab­o­ra­toires phar­ma­ceu­tiques et biotechs qui se tour­nent vers nous pour trou­ver un can­di­dat médica­ment de façon plus effi­cace. En fonc­tion de leur cible thérapeu­tique, ils nous sol­lici­tent pour trou­ver la bonne molécule à syn­thé­tis­er et à tester par­mi les mil­liards de molécules pos­si­bles. Nous col­laborons par exem­ple avec Sanofi, Servi­er ou Janssen ; 
  • La généra­tion de biotech : Aqemia déter­mine la cible thérapeu­tique puis conçoit le can­di­dat médica­ment, ce qui implique de nous-même syn­thé­tis­er et tester nos molécules, générant ain­si notre pro­priété indus­trielle. Nous la val­oris­erons au tra­vers de sociétés spin-off biotech qui seront ensuite reven­dues à un acteur phar­ma­ceu­tique. Demain, Aqemia sera une matrice généra­trice d’une con­stel­la­tion de spin-offs.

Quelles problématiques du monde de la recherche appréhendez-vous ?

Notre démarche per­met d’accélérer le proces­sus de recherche de médicament. 

L’IA généra­tive et ses algo­rithmes nous per­me­t­tent de gag­n­er en pré­ci­sion et d’être plus rapi­de. En cap­i­tal­isant sur cette tech­nolo­gie, notre objec­tif est de réduire dras­tique­ment la quan­tité de molécules testées en lab­o­ra­toire. Notre tech­nolo­gie per­met de con­cevoir et tester les molécules dans les ordi­na­teurs et seules les plus promet­teuses sont testées expéri­men­tale­ment en lab­o­ra­toire, réduisant dras­tique­ment les coûts et les délais.

“L’intérêt de l’IA et de nos algorithmes est de proposer des molécules nouvelles, que personne n’avait envisagées avant, construites de façon optimales grâce à des aller-retours entre une IA et la physique statistique issue de 10 ans de recherche à ENS, Oxford et Cambridge.”

Tra­di­tion­nelle­ment, dans la recherche de can­di­dat médica­ment, après les expéri­ences coû­teuses à haut débit pour se don­ner des molécules points de départ, les chimistes repar­tent de leur expéri­ence dans d’autres pro­jets. D’année en année, ce mode de fonc­tion­nement réduit la capac­ité d’innovation. L’intérêt de l’IA et de nos algo­rithmes est de pro­pos­er des molécules nou­velles, que per­son­ne n’avait envis­agées avant, con­stru­ites de façon opti­males grâce à des aller-retours entre une IA et la physique sta­tis­tique issue de 10 ans de recherche à ENS, Oxford et Cam­bridge. Aqemia con­tribue ain­si à inven­ter des molécules inno­vantes, plus rapidement.

Dans la recherche de médica­ment, les acteurs qui ont une tech­nolo­gie basée sur l’IA se posi­tion­nent tar­di­ve­ment dans un pro­jet, car il leur faut de la don­née et des molécules syn­thétisées pour entrain­er leurs mod­èles et avancer. Nous n’avons pas ce prob­lème, car nous générons notre pro­pre data avec nos algo­rithmes de physique. Cela nous per­met donc de nous posi­tion­ner en tout début de pro­jet, avant même que la pre­mière molécule ne soit syn­thétisée. Cet élé­ment dif­féren­ciant con­tribue à ren­forcer notre orig­i­nal­ité et notre capac­ité à apporter de l’innovation dans le développe­ment de nou­veaux médica­ments. Cela per­met égale­ment de réduire le coût par pro­jet et ain­si de démul­ti­pli­er les projets. 

Aujourd’hui, où en êtes-vous concrètement ? Quelles sont les prochaines étapes ? 

Aqemia est une start-up issue de l’École nor­male supérieure – PSL et du CNRS créée mi 2019. Nous étions quinze à la fin de 2021, sommes trente (dont une moitié de poly­tech­ni­ciens) en févri­er 2022, à Paris. 

Nous serons 70 en fin d’année 2022, répar­tis entre Paris et les États-Unis. Chez Aqemia, nous avons prou­vé notre tech­nolo­gie et notre capac­ité à trou­ver – mieux – des molécules thérapeu­tiques avec des lead­ers mon­di­aux de la recherche de médica­ments : Janssen, Sanofi, Servi­er par exem­ple. Nous avons levé neuf mil­lions d’euros courant 2021 pour nour­rir cette forte crois­sance et lancer nos pro­jets de drug dis­cov­ery internes. 

Aqemia recrute en intel­li­gence arti­fi­cielle, biolo­gie, chimie, soft­ware devel­op­ment, ain­si que des experts de ges­tion de pro­jets com­plex­es issus du con­seil en stratégie. Nous cher­chons aus­si un(e) chief busi­ness offi­cer and un(e) chief finance offi­cer. Nous comp­tons par­mi nos col­lab­o­ra­teurs une moitié de poly­tech­ni­ciens et nous seri­ons ravis d’accueillir de nou­veaux X !

La prochaine étape sera une lev­ée de fonds de série B pour nous ouvrir aux États-Unis et démul­ti­pli­er les pro­jets de drug dis­cov­ery en interne. Notre ambi­tion pour 2022 ? 

Lancer cent pro­jets de drug discovery. 

Poster un commentaire