Henri V

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°554 Avril 2000Par : Shakespeare, dans une mise en scène de Jean-Louis Benoît.Rédacteur : Philippe OBLIN (46)

En un juste retour de leur stupé­fi­ante bêtise, les Français furent bat­tus à Azin­court par une armée en retraite dont ils ten­taient de couper la route vers Calais.

Les bour­geois anglais, con­scients de l’enjeu con­sti­tué par la dom­i­na­tion du marché français, n’avaient pas lés­iné les crédits à leurs sou­verains suc­ces­sifs, leur per­me­t­tant de se forg­er une armée per­ma­nente d’archers robustes, bien entraînés et con­ven­able­ment payés.

Au lieu que les bour­geois français, n’y com­prenant rien, dis­cu­tail­laient les sub­sides accordés à leurs pro­pres rois, con­damnant ces derniers à s’arranger, pour livr­er bataille, d’un bric-à-brac de nobles, sans doute indi­vidu­elle­ment courageux, mais surtout rous­pé­teurs, incom­pé­tents et ren­gorgés. Le résul­tat ne pou­vait être autre que ce qu’il fut.

Shake­speare le con­te dans son Hen­ry V, récem­ment mon­té, d’abord au Fes­ti­val d’Avignon puis avec la même troupe à Paris, à la Car­toucherie – Théâtre de l’Aquarium. Ceux qui auront assisté à ce spec­ta­cle y auront trou­vé, je pense, un plaisir extrême. Le tra­duc­teur, Jean-Michel Déprats, tan­tôt emmène le pub­lic dans les labyrinthes psy­chologiques shake­speariens, tan­tôt l’emporte très haut dans le lyrisme.

Pour les par­ties bouf­fonnes, il a ren­du aus­si bien que pos­si­ble le comique ici assez plat des chenapans suiveurs d’armées : ce n’est pas sa faute si l’auteur fait mourir l’irremplaçable Fal­staff au début de la pièce.

Les comé­di­ens en tout cas ser­vent bien le texte. D’abord Philippe Tor­re­ton en Hen­ry V partagé entre sa lucide répug­nance pour les hor­reurs des com­bats et des pil­lages et son ambi­tion de con­quérir la couronne de France par une guerre juste – son arrière-grand-père y avait pour­tant renon­cé en sig­nant le traité de Brétigny, mais Shake­speare, bon patri­ote, n’a garde de le rap­pel­er à son pub­lic élisabéthain.

Ensuite ce gra­cieux elfe shake­spearien (Lau­re Bon­net), qui tient lieu de choeur, annonce et com­mente l’action avec un léger zozote­ment plein de charme enfan­tin, tout vire­voltant sur le plateau, ou se ten­ant coi, assis jambes pen­dantes, écoutant, atten­tif et émerveillé.

J’ai bien aimé encore Jean-Pol Dubois en roi de France Charles VI, que d’ailleurs Shake­speare fait plus benêt – ce qu’il ne fut pas – que dément – ce qu’il fut. Mais surtout au début, en archevêque de Can­tor­béry expli­quant au jeune sou­verain les sub­til­ités de la loi salique, cen­sée l’exclure de la couronne de France. Il y a là une scène admirable dans quoi, m’a‑t-il sem­blé, Tor­re­ton et lui don­nent la mesure de leur immense tal­ent. Le roi dans ses com­mence­ments, à la fois dis­tant et avide d’apprendre. Le prélat alliant respect pour la per­son­ne royale, pru­dence à l’égard d’un sou­verain tout neuf mais soupçon­né de guign­er déjà cer­tains biens d’Église, et con­de­scen­dance de haut dig­ni­taire ecclési­as­tique à l’égard d’un jeune homme dont il sait bien que l’adolescence fut plus con­sacrée à courir les filles qu’à étudi­er dans les livres. Du grand art : on y est.

On n’oublie pas facile­ment non plus Marie Vialle en princesse Cather­ine, fille de France, apprenant de l’anglais avec sa dame de com­pag­nie, puis le resti­tu­ant à un Hen­ry V enam­ouré et embar­rassé, que le traité de Troyes lui donne pour époux. Deux scènes d’un éblouis­sant comique. Je ne peux pour­tant pas citer tous ces comé­di­ens, mais du moins dire mon admi­ra­tion pour la sou­p­lesse, le méti­er, dont ils font preuve en pas­sant d’un rôle à l’autre, d’emplois par­fois très dif­férents : la plu­part en effet en tien­nent plusieurs, eu égard à l’habituelle abon­dance de per­son­nages des drames shakespeariens.

De sur­croît, leur dic­tion à tous est si par­faite qu’on ne manque pas un mot du texte. J’en con­nais tant d’autres à qui l’on ne sem­ble pas avoir enseigné que le pre­mier devoir d’un comé­di­en est de se faire enten­dre. Ceux-là seraient à bonne école à la Cartoucherie.

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