Haut potentiel et trouble de l’apprentissage

Haut potentiel et trouble d’apprentissage : l’enfant doublement exceptionnel

Dossier : DouanceMagazine N°762 Février 2021
Par Michel HABIB

Les enfants qui mani­festent des troubles de l’apprentissage alors qu’ils ont un QI au-des­sus de la moyenne sont un sujet d’étonnement et pro­voquent des débats pas­sion­nés. Haut poten­tiel, ou malade ? Le point de vue d’un pra­ti­cien hos­pi­ta­lier est utile pour four­nir une vision apai­sée de la question.

Le CHU de Mar­seille a créé un ser­vice spé­cia­li­sé dans l’analyse d’enfants et ado­les­cents souf­frant de dif­fi­cul­tés d’apprentissage (troubles dys), spé­cia­le­ment une cer­taine pro­por­tion de ces enfants dont la mesure du quo­tient intel­lec­tuel révèle qu’ils ont en fait, contre toute attente, une intel­li­gence signi­fi­ca­ti­ve­ment au-des­sus de la moyenne. Cette caté­go­rie de troubles, appe­lée HP-DYS, sou­lève de nom­breuses ques­tions quant à son impact dans la socié­té, ses méca­nismes poten­tiels entre fac­teurs psy­choaf­fec­tifs, voire psy­cho­so­ciaux et neu­ro­bio­lo­giques (et éven­tuel­le­ment géné­tiques), et a récem­ment pro­vo­qué des débats passionnés. 

Un paradoxe ?

Au sein de la vaste pro­blé­ma­tique du haut poten­tiel intel­lec­tuel, s’intéresser aux enfants et ado­les­cents qui sont en dif­fi­cul­té sco­laire peut paraître para­doxal. Ce qui vient à l’esprit, dès lors, est plu­tôt d’imaginer que cette dif­fi­cul­té résulte d’un déca­lage entre le pro­fil intel­lec­tuel de l’écolier ou du col­lé­gien et le conte­nu ou la forme de l’enseignement qui lui est don­né. Il est moins aisé (et moins fré­quent) de conce­voir que ces enfants puissent pré­sen­ter en fait la double carac­té­ris­tique (d’où leur déno­mi­na­tion en anglais de twice excep­tio­nal) d’avoir à la fois des com­pé­tences supé­rieures dans un domaine et infé­rieures à la norme dans un autre. Il semble pour­tant que cette double occur­rence soit de plus en plus sou­vent ren­con­trée par­mi les élèves ayant recours à nos ser­vices pour dif­fi­cul­té d’apprentissage, au point de pou­voir être recon­nue comme une typo­lo­gie par­ti­cu­lière. Dans la grande majo­ri­té des cas, c’est le domaine ver­bal qui est le plus haut et le rai­son­ne­ment non ver­bal qui paraît en décalage. 

Verbal et non verbal

Nous avons pro­po­sé de dénom­mer cette condi­tion par­ti­cu­lière HP-DYS, par réfé­rence au concept de troubles dys actuel­le­ment admis dans la com­mu­nau­té cli­nique (au moins fran­co­phone) et de l’inclure dans le cadre plus vaste des troubles neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­taux, tels que défi­nis dans le DSM‑5. L’objection sou­vent oppo­sée à un tel point de vue est qu’il est déli­cat de consi­dé­rer ce qui est habi­tuel­le­ment un avan­tage comme un trouble, ce à quoi on pour­ra répondre en rap­pe­lant que la dys­lexie, par exemple, est elle-même consi­dé­rée comme un trouble, alors qu’elle est décrite comme la por­tion basse de la nor­ma­li­té. Les don­nées issues des neu­ros­ciences et de la neu­roi­ma­ge­rie sont, du reste, venues récem­ment confor­ter ces impres­sions cli­niques en ren­dant plau­sible un modèle conjoint d’hyperfonctionnement et de dys­fonc­tion­ne­ment de cer­tains cir­cuits céré­braux, en grande par­tie déter­mi­nés géné­ti­que­ment, dont le phé­no­type cli­nique serait carac­té­ri­sé par la coïn­ci­dence non for­tuite entre une intel­li­gence géné­rale, en par­ti­cu­lier ver­bale, au-delà de la norme et un défaut de déve­lop­pe­ment de com­po­santes cog­ni­tives, en par­ti­cu­lier non verbales.

IRM de diffusion : les marques bleues traduisent une plus forte densité axonale chez les HP que chez les personnes à intelligence moyenne. Ici chez des haut-potentiel à profil homogène.
IRM de dif­fu­sion : les marques bleues tra­duisent une plus forte den­si­té axo­nale chez les HP que chez les per­sonnes à intel­li­gence moyenne. Ici chez des hauts poten­tiels à pro­fil homogène.

Les haut-potentiel avec un profil hétérogène, c’est-à-dire bien meilleurs dans les tests d’intelligence verbale que dans ceux mesurant l’intelligence non-verbale, montrent une forte asymétrie en faveur de l’hémisphère gauche. D’après Nusbaum et al., 2017.
Les hauts poten­tiels avec un pro­fil hété­ro­gène, c’est-à-dire bien meilleurs dans les tests d’intelligence ver­bale que dans ceux mesu­rant l’intelligence non ver­bale, montrent une forte asy­mé­trie en faveur de l’hémisphère gauche. D’après Nus­baum et al., 2017.

Des outils efficaces

Notre convic­tion est que les outils à notre dis­po­si­tion, issus de la neu­ro­psy­cho­lo­gie, per­mettent aujourd’hui d’identifier aisé­ment et avec cer­ti­tude les enfants, ado­les­cents et adultes pré­sen­tant ce pro­fil, de cor­ri­ger éven­tuel­le­ment ou de com­pen­ser les domaines cog­ni­tifs de fai­blesse rela­tive et sur­tout de res­tau­rer une meilleure com­pré­hen­sion par l’individu lui-même et par son entou­rage du fonc­tion­ne­ment sin­gu­lier de son sys­tème cog­ni­tif, avec ses quelques fai­blesses, mais glo­ba­le­ment d’énormes com­pé­tences qui, dès lors qu’elles sont ain­si mises en lumière, pour­ront être plei­ne­ment uti­li­sées pour le grand béné­fice de l’individu, de son envi­ron­ne­ment immé­diat et de la société.

“Restaurer une meilleure compréhension
par l’individu lui-même et par son entourage.

Les termes du débat

Enfin, on ne peut abor­der cette pro­blé­ma­tique sans citer le débat récent qui appa­raît comme un dia­logue de sourds, entre les tenants d’une approche stric­te­ment sta­tis­tique, en géné­ral des cher­cheurs, qui argu­mentent à juste titre que la grande majo­ri­té des jeunes à haut poten­tiel sont en situa­tion de réus­site et non d’échec, tant sco­laire ou aca­dé­mique que sociale, et ceux, en géné­ral des cli­ni­ciens qui, confron­tés à la sol­li­ci­ta­tion d’une par­tie de cette popu­la­tion en quête de solu­tions médi­cales à une souf­france psy­chique authen­tique et d’autant plus dom­ma­geable qu’elle est géné­ra­le­ment sous-esti­mée, témoignent, éga­le­ment avec rai­son, de l’attention crois­sante que cette popu­la­tion par­ti­cu­lière sus­cite au sein de leurs consul­ta­tions. La solu­tion de cet appa­rent conflit réside sans doute dans la recon­nais­sance mutuelle d’un pro­bable mal­en­ten­du fon­dé sur cer­taines for­mu­la­tions mal­heu­reuses, ouvrant la porte à des géné­ra­li­sa­tions erro­nées (« tous les hauts poten­tiels risquent de ren­con­trer cer­taines dif­fi­cul­tés », ce qui est évi­dem­ment faux) et, en réac­tion, à des affir­ma­tions éga­le­ment erro­nées et pas­sa­ble­ment offen­santes (« le concept du haut poten­tiel en dif­fi­cul­té est une inven­tion à visée com­mer­ciale de cer­tains pra­ti­ciens ayant flai­ré un mar­ché poten­tiel­le­ment lucra­tif »), ce qui de sur­croît revien­drait à ban­nir a prio­ri cer­taines hypo­thèses, qui devien­draient dès lors indignes de faire l’objet de recherches spé­ci­fiques. Par­mi ces hypo­thèses, celle d’une pré­dis­po­si­tion géné­tique com­mune au haut poten­tiel et au défi­cit de fonc­tions cog­ni­tives non ver­bales, qui s’exprimerait de façon variable selon de mul­tiples fac­teurs d’environnement, reste la plus plau­sible, et en tout cas tout à fait digne d’être testée. 

Trouver une solution apaisante

Seule une réso­lu­tion apai­sée de ce débat per­met­trait de mettre en œuvre des tra­vaux scien­ti­fiques adé­quats en par­tant de pro­blé­ma­tiques conve­nues conjoin­te­ment par les équipes cli­niques et les équipes de cher­cheurs, faute de quoi la recherche ris­que­rait de se voir conti­nuel­le­ment accu­sée de par­tia­li­té dans le choix de ses ques­tion­ne­ments, ce qui enta­me­rait sa cré­di­bi­li­té auprès du public.

Poster un commentaire