Parents d’enfants à haut potentiel intellectuel : une polytechnicienne témoigne

Dossier : ExpressionsMagazine N°749 Novembre 2019
Par Élodie RENOULT (2004)

Quand haut poten­tiel intel­lectuel ne rime pas avec bon élève. C’est la décou­verte qu’a faite Élodie Renoult (2004) dès la mater­nelle pour son fils. Pour faire face à ses dif­fi­cultés d’adaptation dans le sys­tème sco­laire clas­sique, Élodie a expéri­men­té une autre forme de sco­lar­ité, adap­tée aux enfants pré­co­ces, l’école Arbores­cences en région toulousaine.

Quand j’étais enfant, ma maman me dis­ait : « Les bons élèves réus­sis­sent tou­jours… » ou bien « Tra­vaille bien à l’école et tu auras le beau méti­er… » J’étais une bonne élève, j’ai réus­si, j’ai le beau métier.

L’école a tou­jours été pour moi comme un cocon, je m’y sen­tais bien, je com­pre­nais ce qu’on attendait de moi, j’avais ma place : en tête de classe. Quand je finis­sais 4e, j’étais triste, presque hon­teuse de moi, quand je finis­sais pre­mière j’étais très fière. Tout au long de ma sco­lar­ité, je ne me suis jamais posé de ques­tions. J’ai avancé, tout était facile, un jeu, comme le con­cours Kan­gourou (jeu-con­cours de math­é­ma­tiques organ­isé dans les étab­lisse­ments sco­laires) auquel je par­tic­i­pais chaque année.

“C’est quoi un bon élève ?
Y a‑t-il des élèves ratés ?”

Chagrin d’école

Mais aujourd’hui ce même sys­tème sco­laire que j’adorais me dit de mon fils : « On ne peut rien en tir­er. » Pourquoi ? Car en petite sec­tion, il est le dernier à met­tre ses chaus­sures et il ne sait pas met­tre son man­teau si ses manch­es sont à l’envers. En moyenne sec­tion, il a com­pris et sait expli­quer ce qu’est un vol­can, mais il est le dernier à finir sa ligne de bâtons sur une feuille. Il con­naît les chan­sons par cœur mais au con­cert il ne chante pas, car il regarde tout le monde autour de lui.

Alors que puis-je dire à mon fils ? Mais comme m’a demandé ma fille, « c’est quoi un bon élève ? Y a‑t-il des élèves ratés ? »

Une école pas comme les autres

Lun­di 2 sep­tem­bre 2019, c’est la ren­trée. Cette année, toute l’école tra­vaillera sur la thé­ma­tique des légen­des : le jour de la ren­trée, les elfes (les enfants) sont accueil­lis par une con­teuse et trois déess­es (la direc­trice et les maîtress­es). Une fois que les déess­es ont con­sti­tué leur équipe, l’année peut commencer.

Au fil des légen­des, toutes les matières seront abor­dées, le matin par cycle de 3 semaines : math­é­ma­tiques, français, his­toire, géo­gra­phie, sci­ences… L’après-midi sera réservé aux ate­liers en fonc­tion du niveau de cha­cun : sieste (petites et moyennes sec­tions), appren­tis­sage de la lec­ture (grande sec­tion et pri­maires non-lecteurs) et chi­nois (pri­maires lecteurs). Puis anglais, théâtre, capoeira, cirque, empathie, ges­tion des émo­tions, grapholo­gie… Tous les ven­dredis, c’est le bilan des elfes : d’abord l’Agora où cha­cun (elfes et déess­es) peut pren­dre la parole, puis le Ral­ly où chaque elfe éval­ue ce qu’il a appris dans la semaine, et enfin les Pépites où il éval­ue son com­porte­ment de la semaine.

Ces elfes vien­nent de toutes les com­munes de l’Ouest toulou­sain, par­fois d’assez loin. Ils ont en com­mun une même magie : ils ont été détec­tés à haut poten­tiel intel­lectuel ; et cer­tains ont aus­si un pou­voir spé­cial : dyslex­ie, trou­ble de l’attention, autisme… Plusieurs ont déjà reçu des points de dégâts dans leur par­cours antérieur, mais ils sont là pour regag­n­er tous leurs points de vie et con­tin­uer l’aventure.


Le haut potentiel intellectuel

Une per­son­ne à haut poten­tiel intel­lectuel (HPI) est une per­son­ne dont le QI se situe au-dessus de 130, soit deux écarts-types au-dessus de la moyenne sur l’échelle de Wech­sler (échelle stan­dard). Ce choix de deux écarts-types, soit 30 points au-dessus de la moyenne, n’est pas le fruit du hasard : il cor­re­spond symétrique­ment au seuil recon­nu de la défi­cience intel­lectuelle, qui est de deux écarts-types au-dessous de la moyenne, soit un QI total ≤ à 70. Dans les deux cas, cela représente 2,3 % de la pop­u­la­tion sur laque­lle le test a été étalonné.


À la recherche d’une pédagogie alternative pour les enfants à haut potentiel intellectuel

Ceci n’est pas une légende : c’est une ren­trée un peu atyp­ique, pour des enfants eux aus­si atyp­iques, des enfants comme les miens, à l’école Arbores­cences de Toulouse. Face aux dif­fi­cultés ren­con­trées pen­dant les pre­mières années de mater­nelle de notre fils, nous avons fait des recherch­es sur les péd­a­go­gies alter­na­tives pour trou­ver une école où il pour­rait s’épanouir. Mon mari avait été dépisté à haut poten­tiel quand il était enfant et n’avait pas que des sou­venirs posi­tifs de sa sco­lar­ité. Cela nous a aigu­il­lés dans ce sens, et par chance nous nous sommes ren­du compte que nous avions une école adap­tée à nos enfants à côté de chez nous.

Pourquoi sortir du système classique

Ce qui nous a décidés à sor­tir nos enfants du sys­tème « clas­sique » pour les inscrire à l’école Arbores­cences, ça a d’abord été la ren­con­tre avec la direc­trice qui nous a apporté un soulage­ment : notre fils n’a pas de « prob­lème », nous ne sommes pas seuls dans cette sit­u­a­tion et nous avons une solu­tion. Notre fils, qui demandait à rester à la mai­son tous les matins, a tout de suite été embal­lé quand il a vis­ité l’école. Ensuite, nous avons pris ren­dez-vous avec une neu­ropsy­cho­logue pour procéder à un bilan psy­chologique avec test de QI. Au-delà du résul­tat, ce test nous a per­mis de mieux com­pren­dre son fonc­tion­nement et de met­tre des mots con­crets sur ce que nous avions pu con­stater depuis tout-petit.

L’épanouissement des enfants différents

Enfin, au fil de l’année, nous avons pu voir nos enfants évoluer. Notre fils ren­trait en niveau de CP. Comme il lisait déjà, il a été directe­ment inté­gré aux cours de chi­nois. Il suit de la graphothérapie pour pou­voir pro­gress­er sur la vitesse d’écriture. Même s’il n’a pas tou­jours le temps de finir les exer­ci­ces écrits, son enseignante a com­pris qu’il a besoin d’apprendre des choses plus com­plex­es pour que cela l’intéresse, et il a fini sur du tra­vail de niveau CE2 car « le CP c’est trop facile ». Notre fille est ren­trée en moyenne sec­tion. Très réservée en petite sec­tion dans le sys­tème clas­sique, elle s’est épanouie et a pris con­fi­ance en elle. Elle a appris à lire et a réus­si à présen­ter son inven­tion devant tous ses cama­rades : « le panse­ment 1 seconde ».


La pensée arborescente

La pen­sée « arbores­cente » est une sorte de super­ram­i­fi­ca­tion men­tale qui n’est pas pro­pre aux per­son­nes à haut poten­tiel, mais qui est ultra-dévelop­pée chez eux. Un peu comme l’imagination : tous les êtres humains en ont, mais cer­tains bien plus que d’autres. Quel que soit le sujet auquel les per­son­nes à haut poten­tiel s’intéressent, elles l’examinent sous plusieurs aspects dif­férents. Une con­séquence est par exem­ple que ces per­son­nes font des retours arrière dans leurs conversations.


Des profils très variés

Le point com­mun des élèves de pri­maire à Arbores­cences est d’avoir été détec­té à haut poten­tiel par un bilan psy­chologique (pour les élèves de mater­nelle le bilan n’est pas néces­saire). Au-delà de ce point com­mun, il y a autant de types d’élèves que dans une autre école : les élèves qui ont besoin de bouger, ceux qui ont besoin de calme, ceux qui préfèrent les nom­bres, ceux qui aiment mieux les let­tres… Cer­tains élèves vien­nent à Arbores­cences parce que leur com­porte­ment n’est pas accep­té dans leur anci­enne école, d’autres parce qu’ils s’ennuient, mais il y a aus­si des « bons élèves », vous savez celui, comme moi enfant, qui attend assis sage­ment même quand il a fini le pre­mier tous les exercices.

Apprendre à gérer ses émotions

En plus des matières sco­laires, l’école tra­vaille sur la ges­tion des émo­tions en s’appuyant sur des valeurs : bien­veil­lance, respect, écoute, partage. Les enfants appren­nent à com­pren­dre ces émo­tions qui par­fois les dépassent et les font explos­er ou se sen­tir comme une petite souris. Avec des effec­tifs de 15 élèves par classe (12 en mater­nelle), des class­es mul­ti­niveaux et du tra­vail col­lab­o­ratif, l’école per­met à cha­cun de trou­ver sa place et d’apprendre à son rythme. Les enfants appren­nent à se con­naître : leur spé­ci­ficité, leurs forces et leurs faib­less­es… pour être prêts à réin­té­gr­er le col­lège « clas­sique » ensuite selon le choix des parents.

Éviter les blessures scolaires

Dans le sys­tème « clas­sique », nos enfants auraient sûre­ment appris ce qu’ils devaient appren­dre sco­laire­ment, mais leur développe­ment émo­tion­nel et psy­chologique aurait été com­plète­ment oublié. À Arbores­cences, ils ont trou­vé une école qui les accepte comme ils sont, qui leur per­me­t­tra d’apprendre sans se met­tre dans un moule trop rigide qui leur aurait lais­sé peut-être des cica­tri­ces plus tard : manque de con­fi­ance en soi, dif­fi­culté à lier des ami­tiés, sen­ti­ment d’être dif­férent et de ne pas être à sa place… sont autant de ressen­tis négat­ifs d’adultes à haut poten­tiel au sujet de leur sco­lar­ité avant le bac­calau­réat. Avec une péd­a­gogie adap­tée à leurs besoins, mes enfants pour­ront devenir j’espère de « bons élèves », pas ceux qui finis­sent les pre­miers leur exer­ci­ce, mais ceux qui savent où ils veu­lent aller et qui avan­cent en ayant con­fi­ance en eux et en ceux qui les entourent.


Rencontre avec Catherine Viès, directrice de l’école Arborescences 31

Quelle est la spécificité des enfants à haut potentiel intellectuel ?

Les enfants à haut poten­tiel intel­lectuel sont des « arbore­scients » : leurs pen­sées se dévelop­pent dans plusieurs direc­tions en même temps, elles vont très vite, trop par­fois, et ne cessent jamais. Ils « savent » avant même d’apprendre… Ils ont besoin sans cesse de nour­rir leur esprit. Ils ont par ailleurs une sen­si­bil­ité exac­er­bée à tous les niveaux, des émo­tions qui par­tent dans tous les sens, qu’ils ne com­pren­nent pas et qui les dépassent souvent.

“Nous axons nos fondamentaux
autour de 4 objectifs principaux :
la créativité, l’autonomie, le vivre
ensemble et la motivation interne
qui reste primordiale”

Pourquoi avoir créé une école pour les enfants à haut potentiel intellectuel ?

La pen­sée en arbores­cence n’est pas très effi­cace dans le sys­tème sco­laire et le sys­tème clas­sique n’arrive pas tou­jours à s’adapter aux enfants à haut poten­tiel intel­lectuel. Deux élèves à haut poten­tiel sur trois sont en échec sco­laire. Un élève sur trois redou­ble et un élève sur cinq arrête sa sco­lar­ité avant le bac. Le taux de sui­cide chez ces ado­les­cents est trois fois supérieur à la moyenne… Com­ment arriv­er à être heureux dans un sys­tème qui ne les com­prend pas ? Dans un sys­tème qu’ils ne com­pren­nent pas ? Voilà les deux ques­tions essen­tielles à pren­dre en compte autour d’un petit zèbre. Voilà ce que nous nous appliquons à faire coïn­cider à l’école Arbores­cences tout au long de leur scolarité.


Drôle de zèbre

L’utilisation du terme « zèbre » pour désign­er les per­son­nes à haut poten­tiel a été lancée au début des années 2000 par la psy­cho­logue française Jeanne Siaud-Facchin, spé­cial­iste du sur­doue­ment. Car le zèbre est le seul équidé que l’homme ne peut apprivois­er, qui se dis­tingue net­te­ment des autres dans la savane tout en util­isant ses rayures pour se dis­simuler. De plus chaque zèbre est dif­férent : les rayures des zèbres sont uniques et leur per­me­t­tent de se recon­naître entre eux.


Quelle pédagogie appliquez-vous à Arborescences ?

Nous nous inspirons bien sûr des péd­a­go­gies alter­na­tives exis­tantes comme Freinet, Stein­er…, mais aus­si et surtout nous élaborons notre pro­pre péd­a­gogie, en lien avec les études en neu­ro­sciences. Nous axons nos fon­da­men­taux autour de 4 objec­tifs prin­ci­paux : la créa­tiv­ité, l’autonomie, le vivre ensem­ble et la moti­va­tion interne qui reste primordiale.

Par ailleurs, nous met­tons en place des méth­odes uniques pour aider à l’épanouissement des élèves et à la com­préhen­sion des émo­tions. Nous avons édité une méthode d’apprentissage de la lec­ture Le Pays Lec­ture ain­si qu’un livre appor­tant des out­ils con­crets pour le quo­ti­di­en des enfants pré­co­ces Zèbr’alors.

Comment est financée l’école Arborescences ?

Les écoles du réseau Arbores­cences sont des écoles privées hors con­trat : elles ne reçoivent aucune sub­ven­tion de l’État, tout est pris en charge par les par­ents. Les frais de sco­lar­ité sont de 6 000 € par an. Heureuse­ment, l’école étant une asso­ci­a­tion d’intérêt général, elle peut recevoir des dons et ain­si offrir des bours­es sous con­di­tion de ressources pour per­me­t­tre que les frais de sco­lar­ité ne soient pas un obsta­cle pour les parents.


École Arborescences 31

12, avenue Léonard-de-Vin­ci – 31880 La Salvetat-Saint-Gilles

https://www.arborescences.org
https://www.facebook.com/arborescencestoulouse/

Con­tacts : Cather­ine Viès, direc­trice de l’école — 06 18 42 92 56 — arborescences31@gmail.com

Le Pays Lec­ture, www.lepayslecture.fr

Zèbr’alors, Cather­ine Viès, paru­tion à venir mars 2020

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