Guerres

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°690 Décembre 2013Rédacteur : Jean SALMONA (56)

La célébra­tion des guer­res passées, qui asso­cie désor­mais vain­queurs et vain­cus en des céré­monies en quelque sorte œcuméniques, est un rite ras­sur­ant, à la fois expi­a­toire et pro­pi­tia­toire : « Plus jamais ça ! » psalmo­di­ent hommes poli­tiques et médias.

La musique n’y manque pas qui, après avoir exalté les com­bats, pleure les morts, sou­vent en des œuvres de com­mande : il faut bien vivre. Et bien de ces œuvres par­fois mon­u­men­tales, des­tinées à l’origine à des céré­monies uniques, sont des chefs‑d’œuvre intemporels.

Britten – War Requiem

Ain­si du War Requiem de Ben­jamin Brit­ten, com­mandé pour la con­sécra­tion de la cathé­drale de Coven­try, recon­stru­ite après sa destruc­tion en 1940 par la Luft­waffe : pièce théâ­trale extra­or­di­naire, d’une ampleur inhab­ituelle, dont l’orchestration s’écrit par moments sur 48 portées et qui néces­site deux chefs d’orchestre, dont un pour l’ensemble de cham­bre qui accom­pa­gne les trois solistes : sopra­no, ténor, baryton.

CD War Requiem de BrittenCe sur­di­men­sion­nement pour­rait détourn­er l’auditeur poten­tiel ; eh bien, il aurait tort, car c’est bien là un chef‑d’œuvre absolu, au même titre que, au XIXe siè­cle, le Requiem de Ver­di dont il s’inspire en par­tie, et qui provoque l’émotion au pre­mier degré si l’on prend soin d’en suiv­re le texte en français : texte en par­tie en latin – c’est une messe – auquel font con­tre­point les poèmes déchi­rants du grand poète Wil­frid Owen, tué pen­dant la Pre­mière Guerre mondiale.

Pour cette œuvre hors du com­mun, il fal­lait une dis­tri­b­u­tion excep­tion­nelle : la très belle et émou­vante Anna Netre­bko, Ian Bostridge au tim­bre recon­naiss­able entre tous, aus­si con­va­in­cant dans Brit­ten que dans la Pas­sion selon saint Jean ou les Songs de Noël Cow­ard, le bary­ton Thomas Hamp­son, l’orchestre et les chœurs de l’Académie nationale de Sainte-Cécile (Rome) (décidé­ment un des meilleurs ensem­bles d’aujourd’hui) dirigés par Anto­nio Pap­pano1.

Pour les pyrrhoniens qui en douteraient encore, cette œuvre et cet enreg­istrement con­fir­ment que le com­pos­i­teur du Tour d’écrou et de Peter Grimes est un des créa­teurs majeurs du XXe siècle.

Beethoven – Missa solemnis

Comme Brit­ten pour son War Requiem, Beethoven con­sid­érait que sa Mis­sa solem­nis était la plus grande œuvre qu’il ait jamais écrite. Au-delà de la liturgie, c’est un véri­ta­ble ora­to­rio, dont la com­po­si­tion s’étala sur qua­tre ans, et que l’on peut à bon droit plac­er au-dessus de la 9e Sym­phonie : tout l’art de Beethoven s’y man­i­feste : grands déploiements sym­phoniques et choraux, ada­gios à pleur­er, fugues à la fois magis­trales et sub­tiles, etc.

L’enregistrement qu’en ont fait il y a quelques mois le Col­legium Vocale Gent et l’Orchestre des Champs-Élysées, avec la sopra­no Marlis Petersen – dont la voix chaude et dépourvue de vibra­to rap­pelle celle d’Elisabeth Schwarzkopf –, la mez­zo Ger­hild Romberg­er, le ténor Ben­jamin Hulett et le bary­ton David Wil­son-John­son, dirigés par Philippe Her­reweghe2, est à la hau­teur de cette œuvre superbe et poignante, qui réc­on­ciliera avec Beethoven ceux qu’agace le car­ac­tère par­fois grandil­o­quent de ses symphonies.

On notera que l’Agnus Dei évoque les bruits de la guerre et que Beethoven a ajouté dans ses dernières ébauch­es « à la fin, les tim­bales en signe de paix ».

Varia

De Beethoven, on cit­era pour les ama­teurs de piano-forte l’enregistrement des sonates Clair de lune, Wald­stein et La Tem­pête par Alex­is Lubi­mov3 sur une copie con­tem­po­raine d’un Érard de 1802, le pre­mier piano de con­cert français. Le disque est accom­pa­g­né d’un livret très com­plet sur la tech­nique des pianos-pianos-forte.

À pro­pos de guer­res, il faut écouter, sous le titre « Com­bat­ti­men­ti ! », un très bel enreg­istrement, par Le Poème Har­monique dirigé par Vin­cent Dumestre, de trois œuvres de Mon­tever­di4 : Le Com­bat de Tan­crède et de Clorinde, À présent que le ciel et la terre, Lamen­ta­tion de la Nymphe.

La place manque pour com­menter ces pièces avant-gardistes et délec­tables du Sei­cen­to, aux­quelles se joint une décou­verte, La Fiera di Far­fa, sorte d’opéra bouffe avant la let­tre de Maraz­zoli, à écouter toutes affaires cessantes.

Et pour ajouter un peu de sérénité en cette péri­ode de Noël, on a plaisir à citer un très joli enreg­istrement de Christ­mas Car­ols, très oppor­tuné­ment hors des sen­tiers bat­tus, par la Maîtrise des Bouch­es du Rhône (chœur d’enfants) accom­pa­g­née à la harpe5 : des chants de Noël de Gus­tav Holst, Zoltan Kodaly, John Thomas et surtout, pour boucler la boucle, de celui qui est sou­vent où on ne l’attend pas : le mer­veilleux Ben­jamin Britten.

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1. 1 CD WARNER.
2. 1 CD PHI.
3. 1 CD ALPHA.
4. 1 CD ALPHA.
5. 1 CD PARSIPHONE.

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