Gérer une entreprise en crise est un métier qui ne s’improvise pas

Dossier : Entreprise et ManagementMagazine N°588 Octobre 2003
Par Jean QUINTARD (59)

Pouvez-vous nous présenter l’activité de “management de la mutation” ?

Les dif­fi­cultés aux­quelles sont con­fron­tées les entre­pris­es peu­vent être de plusieurs ordres : prob­lèmes financiers, change­ment de stratégie, con­flit d’ac­tion­naires, crise struc­turelle, crois­sance mal con­trôlée, effon­drement du marché, décès du dirigeant, démar­rage dif­fi­cile d’une start-up

La mis­sion du “Man­ag­er de muta­tion” est de rem­plac­er ou de soutenir le man­age­ment en place et de réa­gir le plus rapi­de­ment pos­si­ble pour assur­er la survie de l’en­tre­prise. Dans de telles sit­u­a­tions en effet, le man­age­ment aux com­man­des, quelles que soient ses com­pé­tences et sa con­nais­sance du méti­er de l’en­tre­prise, se trou­ve soudain con­fron­té à des obsta­cles totale­ment nou­veaux pour lui : plan social, risque de dépôt de bilan, con­cil­i­a­tion avec les ban­ques… Les direc­tions générales ne sont pas pré­parées à ce type de sit­u­a­tions. Gér­er une entre­prise en sit­u­a­tion de crise ne s’im­pro­vise pas.

L’équipe de Fonte­nay Man­agers se définit comme un petit groupe de “man­agers opéra­tionnels” spé­cial­istes de la crise et des sit­u­a­tions de tran­si­tion. Chaque cas est un cas d’e­spèce, et, si nous prenons assez sou­vent les com­man­des en direct, nous sommes égale­ment sou­vent amenés à jouer un rôle de sou­tien aux dirigeants en place afin de les aider à maîtris­er une crise forte mais ponctuelle.

Dans les PME fil­iales de grands groupes, il s’ag­it sou­vent d’une redéf­i­ni­tion des rela­tions avec le groupe, voire d’une pré­pa­ra­tion à la ces­sion. Pré­par­er et réus­sir une ces­sion est beau­coup plus du ressort d’un man­ag­er de tran­si­tion que de celui d’un man­ag­er clas­sique. Ce dernier ris­querait de trop “s’ac­crocher” pour garder le pou­voir plutôt que de met­tre en œuvre la stratégie décidée par le groupe.

Comment devient-on un spécialiste du management de crise ?

Je suis venu au “man­age­ment de tran­si­tion” en suiv­ant les détours de ma vie pro­fes­sion­nelle de dirigeant clas­sique. Ain­si, dans des secteurs aus­si diver­si­fiés que les réseaux élec­triques, l’équipement auto­mo­bile et de la mécanique, j’ai eu à con­duire des opéra­tions de restruc­tura­tions en France et aux États-Unis. J’ai ain­si pu appréhen­der la prob­lé­ma­tique de crise, et cela m’a ensuite don­né l’idée de met­tre au point des méth­odes spé­ci­fiques et de créer une struc­ture ad hoc.

J’ai égale­ment vu qu’il était bon de tra­vailler en petite équipe, à l’im­age des “Com­pa­ny Doc­tors” qui exer­cent ce méti­er aux États-Unis. L’in­térêt de l’équipe est de pou­voir con­fron­ter les opin­ions et met­tre à la dis­po­si­tion du client la solu­tion la plus appro­priée, et met­tre en place le ou les hommes qui con­vi­en­nent. Dans les opéra­tions de restruc­tura­tion que j’ai dirigées, j’ai été de nom­breuses fois man­dataire social, avec les fonc­tions de PDG ou DG, y com­pris aux États-Unis, où j’ai tra­vail­lé pen­dant sept ans. J’ai eu aus­si à pré­par­er des “plans de retourne­ment”, pour des sociétés, en Europe centrale.

Mes domaines d’in­ter­ven­tion ont été var­iés, dans le secteur de l’in­dus­trie et des ser­vices, allant de la mécanique à l’élec­tron­ique, de la con­struc­tion aéro­nau­tique aux indus­tries ali­men­taires. J’ai égale­ment eu à red­i­men­sion­ner des start-ups et même à gér­er un réseau de franchise.

En pratique, comment se déroulent vos missions ?

Nos mis­sions sont tou­jours lim­itées dans le temps. Ce sont les action­naires ou la direc­tion de l’en­tre­prise en crise qui font appel à nous. Dans un pre­mier temps, et si cela n’a pas déjà été fait de façon pré­cise, nous étab­lis­sons le diag­nos­tic com­plet de l’en­tre­prise puis nous élaborons le plan d’ac­tions définis­sant les change­ments néces­saires. Nous réal­isons sou­vent cette inves­ti­ga­tion avec une équipe de deux inter­venants pour garan­tir un niveau d’ex­per­tise élevé et crois­er les opin­ions. Il nous arrive aus­si d’être appelés alors qu’un plan a déjà été élaboré, notam­ment par un cab­i­net d’au­dit. Dans ce cas, nous ne cher­chons évidem­ment pas à refaire le tra­vail. Nous vali­dons ce plan et nous regar­dons en par­ti­c­uli­er sa fais­abil­ité avec les hommes de l’en­tre­prise qui pour­ront nous aider à opér­er le change­ment souhaité. Nous sommes avant tout des “opéra­teurs” et pas des “con­sul­tants clas­siques”. Nous sommes des “opéra­teurs du changement”.

Le plan de départ définit les objec­tifs à attein­dre et un cal­en­dri­er à respecter. Il est fon­da­men­tal que nous soyons d’ac­cord avec notre man­dant sur ce plan. C’est notre charte de tra­vail. Le plan accep­té devient l’élé­ment con­tractuel avec nos clients.

Nous accep­tons de pren­dre le man­dat social et enga­geons ain­si notre respon­s­abil­ité. D’autre part nous tenons à ce que la mis­sion soit con­duite dans la clarté, et que soient tenus infor­més du plan dans ses grandes lignes, non seule­ment l’en­cadrement, mais égale­ment les représen­tants du personnel.

Au cours de la phase de diag­nos­tic, nous détec­tons les faib­less­es de l’en­tre­prise, mais aus­si ses forces et notam­ment “les hommes clés” sur lesquels nous pour­rons compter pour la mise en œuvre du plan. Nous savons en effet démar­rer une mis­sion, la con­duire sur le ter­rain, mais aus­si, et c’est essen­tiel, la ter­min­er (après une péri­ode com­prise habituelle­ment entre six et vingt-qua­tre mois) en pas­sant le relais à une équipe qui assur­era la ges­tion de l’en­tre­prise, après notre départ et qui sera la mieux adap­tée pour con­duire la phase suivante.

Enfin, et c’est un point impor­tant, notre déon­tolo­gie nous con­duit à ne jamais pren­dre de par­tic­i­pa­tion dans le cap­i­tal des entre­pris­es pour lesquelles nous inter­venons, à tra­vailler sans malen­ten­du en interne et bien évidem­ment à garder un secret absolu à l’ex­térieur sur les mis­sions que nous avons conduites.

Qu’est-ce qui différencie vos activités de celles des sociétés de conseil ou des experts indépendants ?

Ceux-ci ont leur intérêt pro­pre. Ain­si nous pou­vons inter­venir à la suite de l’élab­o­ra­tion d’un plan par un cab­i­net d’au­dit, dans la mesure où nous sommes en accord avec ce plan d’ac­tion, ou bien en col­lab­o­ra­tion avec les experts indépen­dants qui tra­vail­lent habituelle­ment avec l’en­tre­prise, par exem­ple l’ex­pert-compt­able ou le juriste. Mais d’après leur déon­tolo­gie, ces experts ne peu­vent pas devenir des opéra­teurs, car ils ne peu­vent pas pren­dre la respon­s­abil­ité directe de l’en­tre­prise ou le man­dat social.

Or, c’est juste­ment ce que nous faisons. Nous assumons l’en­tière respon­s­abil­ité de la ges­tion de l’en­tre­prise, y com­pris sur le plan légal et pénal. Ce n’est pas pour nous une recherche de risque, mais une qua­si-néces­sité, car pour la mise en place d’un plan dif­fi­cile, il faut avoir le pou­voir. Autre car­ac­téris­tique qui nous dif­féren­cie : nos mis­sions ont tou­jours une fin pro­gram­mée. Nous con­sti­tuons une équipe de direc­tion ad hoc et c’est un tra­vail de tous les jours. Ceci est très rarement le cas des experts indépendants.

Nous sommes une équipe et nous échangeons en interne nos expéri­ences, nous pou­vons nous appuy­er sur un autre asso­cié pour recueil­lir un avis, un con­seil ou sim­ple­ment une opin­ion. Ceci n’est pas pos­si­ble pour un expert indépen­dant ou une per­son­ne mise en place par une société d’in­térim. Dans le méti­er de man­ag­er, il y a une cer­taine soli­tude. Chaque homme ayant ses faib­less­es poten­tielles, il est bon par­fois qu’il se sache aidé dans sa tâche.

Avez-vous le même rôle qu’un repreneur ?

La final­ité de nos mis­sions est sen­si­ble­ment dif­férente : nous devons respecter les intérêts de l’ac­tion­naire qui nous man­date et pas nos pro­pres intérêts. Lorsque le plan a été réus­si, nous met­tons en place le man­age­ment de con­ti­nu­ité qui relancera l’en­tre­prise dans une nou­velle phase de crois­sance, alors qu’un repre­neur gère l’en­tre­prise dans la durée. Un man­ag­er de tran­si­tion doit savoir par­tir quand la mis­sion est finie.

Votre métier existe-t-il dans d’autres pays ?

En France le méti­er de “man­ag­er opéra­tionnel de tran­si­tion” est assez nou­veau. Les dirigeants et les action­naires n’ont pas encore le réflexe de faire appel à nous avant qu’il ne soit bien tard. Ils con­sul­tent leur avo­cat très tôt et ne s’adressent à un man­ag­er de tran­si­tion que tar­di­ve­ment par rap­port à une sit­u­a­tion qui se dégrade vite. Cela pour­rait cepen­dant éviter bien des dépôts de bilan. Dans d’autres pays, le recours à des spé­cial­istes de notre méti­er est un peu plus ancien comme au Roy­aume-Uni, aux États-Unis ou en Hol­lande par exemple.

Ain­si, nous avons réal­isé nous-mêmes un cer­tain nom­bre de mis­sions inter­na­tionales, en par­ti­c­uli­er pour des fil­iales de groupes français cotés, ceci notam­ment aux États-Unis, en Espagne et en Ital­ie. Le méti­er doit alors s’adapter aux lég­is­la­tions exis­tantes et aux habi­tudes de com­man­de­ment des entreprises.

Comment vous faites-vous connaître ?

C’est un méti­er qui requiert une grande dis­cré­tion. L’essen­tiel de la com­mu­ni­ca­tion se fait de bouche à oreille. Nos meilleurs clients sont ceux qui ont déjà fait appel à nous par le passé. Cha­cun de nos huit asso­ciés a déjà des rela­tions bien établies dans l’in­dus­trie et les ser­vices au niveau des dirigeants d’en­tre­pris­es. Nous avons aus­si un réseau d’ex­perts qui tra­vail­lent régulière­ment avec nous (juristes, experts-compt­a­bles, spé­cial­istes en étude de marché, etc.), et ceux-ci démul­ti­plient égale­ment nos con­tacts. Nous devons faire con­naître notre méti­er et réus­sir nos mis­sions dans la dis­cré­tion sans révéler aucune infor­ma­tion sus­cep­ti­ble de nuire à nos clients.

Qui pouvez-vous aider ?

Les grands groupes qui ont des dif­fi­cultés avec leurs fil­iales, les sociétés cotées, les PME indépen­dantes, les start-ups.

Dans le cas des grandes entre­pris­es, nous agis­sons pour des opéra­tions lim­itées qui ne sont pas dans le cœur de méti­er du groupe. Par exem­ple : mise en autonomie, val­ori­sa­tion, redresse­ment éventuel d’une fil­iale que le groupe souhaite céder à terme. Dans ces cas d’ex­ter­nal­i­sa­tion, nom­mer respon­s­able de la fil­iale un cadre du groupe n’est, le plus sou­vent, pas appro­prié. Par ailleurs, recruter un cadre à l’ex­térieur, lequel, selon toute prob­a­bil­ité, ne sera pas gardé par le futur acquéreur n’est pas facile. En ce qui nous con­cerne, nous savons que l’en­tre­prise va être sor­tie du périmètre du grand groupe et que c’est notre mission.

La reprise en main d’une fil­iale étrangère est aus­si un cas intéres­sant, par­fois, et surtout lorsqu’il y a des prob­lèmes de com­mu­ni­ca­tion chroniques avec la mai­son mère. Cette mis­sion peut être menée par une équipe mixte” de deux man­agers de tran­si­tion de nation­al­ités dif­férentes. Nous l’avons fait une fois avec un con­frère améri­cain : nous avons con­duit l’é­val­u­a­tion et c’est lui qui a géré ensuite le quo­ti­di­en de la fin de l’opération.

Comment pouvez-vous proposer des spécialistes dans tous les secteurs ?

Avec nos asso­ciés, nous cou­vrons un large éven­tail de secteurs de l’in­dus­trie et des ser­vices, mais surtout, nous sommes des pro­fes­sion­nels de la ges­tion de crise.

Chaque cas est dif­férent, et il est évi­dent qu’il faut être apte à com­pren­dre le secteur con­cerné, mais pas for­cé­ment être un pro­fes­sion­nel du secteur pré­cis. En effet, c’est un avan­tage plutôt qu’un incon­vénient d’avoir un cer­tain recul et de savoir remet­tre en cause un cer­tain nom­bre de “vérités” érigées en principes dans l’en­tre­prise. Nous raison­nons par analo­gie compte tenu de nos expéri­ences, un peu comme un médecin général­iste expérimenté.

Nous avons déjà vécu des crises : crises finan­cières, crises d’i­den­tité, sit­u­a­tions de décourage­ment ou de con­flit aigu.

Nous avons déjà vu de beaux pro­jets s’écrouler ou des entre­pris­es au bord de l’as­phyx­ie renaître et se méta­mor­phoser. Ce qui est impor­tant, c’est d’avoir une équipe de com­man­de­ment en adéqua­tion avec la mis­sion pro­posée. J’ai dirigé une affaire de vins sans con­naître pré­cisé­ment la vini­fi­ca­tion, mais j’avais à l’in­térieur de l’en­tre­prise de très bons experts. J’ai même dirigé en “tan­dem” une start-up de biotech­nolo­gie, et mon asso­cié était doc­teur en médecine, et spé­cial­iste du secteur con­cerné, ain­si le tan­dem a bien fonc­tion­né. Ce qui compte c’est la com­pé­tence col­lec­tive. Il n’est point besoin de surhomme dans les affaires.

À quel moment faut-il faire intervenir des spécialistes de votre métier ?

Le plus tôt pos­si­ble. Il est plus sage de faire une éval­u­a­tion même si cela ne débouche pas sur une mis­sion, que d’in­ter­venir trop tard au moment où la survie de l’en­tre­prise est grave­ment mise en cause. Beau­coup de dépôts de bilan pour­raient être évités si les prob­lèmes avaient été pris en amont. Si aupar­a­vant on avait pu éval­uer la sit­u­a­tion et en par­ler avec les parte­naires financiers et éventuelle­ment les four­nisseurs (con­cil­i­a­tion des banques).

Intervenez-vous sous administration judiciaire ?

Nous cher­chons à inter­venir en amont et nous ne tra­vail­lons pra­tique­ment jamais sous admin­is­tra­tion judi­ci­aire. C’est en amont qu’il faut agir. Il nous arrive qu’à l’is­sue du diag­nos­tic, il nous appa­raisse néces­saire de recourir à un man­dat ad hoc ou au dépôt de bilan. C’est typ­ique­ment le cas où l’ac­tion a été trop tardive.

Quelles sont les qualités humaines pour exercer un tel métier ?

Sur un plan per­son­nel, les mis­sions de man­age­ment de la muta­tion requièrent autre chose que la con­nais­sance du seul méti­er courant de l’en­tre­prise, il néces­site d’avoir des expéri­ences de ter­rain de la ges­tion des sit­u­a­tions extrêmes. Elles néces­si­tent égale­ment du prag­ma­tisme et de l’ou­ver­ture d’e­sprit. Les prin­ci­pales qual­ités humaines que nous devons pos­séder sont la diplo­matie, le sens humain et éthique, la force de con­vic­tion et d’en­traîne­ment, l’au­torité, la réac­tiv­ité et une solid­ité face à toute épreuve. Nous sommes des entre­pre­neurs, et savoir fédér­er et mobilis­er le man­age­ment interne en sit­u­a­tion de crise sont des atouts néces­saires à la réus­site d’une mission.

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