Gaston Girousse (1899)

Gaston Girousse (1899) “Juste parmi les Nations”

Dossier : ExpressionsMagazine N°654 Avril 2010Par Pierre MAUCOUR (39)

À titre posthume, notre cama­rade Gas­ton Girousse vient de recevoir de Yad Vashem le titre de « Juste par­mi les Nations »1. Cette dis­tinc­tion est pour nous l’occasion de décrire briève­ment les traits de la per­son­nal­ité de notre grand ancien et de relater quelques faits de sa longue car­rière professionnelle.

Fils unique d’un receveur des Postes, ses capac­ités intel­lectuelles sont vite repérées par ses insti­tu­teurs et pro­fesseurs. Tra­vailleur infati­ga­ble, homme dis­cret, pais­i­ble et droit, il gardera de ses orig­ines mod­estes une vraie humil­ité et une grande intel­li­gence des sit­u­a­tions humaines. En 1899, il entre à 19 ans à Poly­tech­nique, en sort ingénieur des Télé­graphes, corps qui vient d’être créé. Au ser­vice des câbles sous-marins, il opère sur des navires câbliers en Indo­chine. Puis il tra­vaille avec le général Fer­rié (1887).

Responsable des transmissions stratégiques

En 1910, il épouse Mar­guerite Bérard, fille de l’ingénieur général des Poudres, Aris­tide Bérard (1861), qui avait mis au point au début du siè­cle la pro­duc­tion de la poudre sans fumée. En 1914, dès le début des hos­til­ités, Gas­ton Girousse est affec­té au Grand quarti­er général comme adjoint au Com­man­dant respon­s­able des trans­mis­sions entre le GQG et les armées français­es et alliées.

La tâche est écras­ante. Le Com­man­dant meurt épuisé six mois plus tard. Son suc­cesseur se ren­dant compte qu’il n’a pas les com­pé­tences suff­isantes fait alors entière­ment con­fi­ance à Gas­ton Girousse qui, jusqu’à la vic­toire, assumera seul la respon­s­abil­ité de ces trans­mis­sions vitales et dira sim­ple­ment à la fin du con­flit : ” Le meilleur hom­mage qu’on puisse ren­dre aux Trans­mis­sions, c’est qu’on n’en ait jamais par­lé. ” De cette expéri­ence, il acquer­ra une grande maîtrise de soi qui lui sera pré­cieuse dans les sit­u­a­tions périlleuses de l’Occupation.

Représentant des industries électriques

Démo­bil­isé, il rejoint le groupe de l’U­nion d’élec­tric­ité (Groupe Petsche Merci­er). Sa car­rière se développe au sein des prin­ci­pales sociétés d’élec­tric­ité alors privées, gravis­sant les échelons.

Sa grande maîtrise de soi lui sera pré­cieuse dans les sit­u­a­tions périlleuses de l’Occupation

Il en pré­side cer­taines et, au moment où la Sec­onde Guerre mon­di­ale est déclarée, assume la direc­tion générale de Nord-Lumière, société à laque­lle il était par­ti­c­ulière­ment attaché. Dès lors que l’oc­cu­pa­tion de la France devient une cer­ti­tude, il reçoit par délé­ga­tion des prési­dents de sociétés la mis­sion d’être l’u­nique représen­tant des indus­tries élec­triques face aux autorités d’oc­cu­pa­tion et au gou­verne­ment de Vichy.

Dès les pre­miers con­tacts, sa calme autorité s’im­pose et il sait obtenir le respect. Ain­si le jour de l’en­trée des Alle­mands à Paris (14 juin 1940), Girousse déje­une avec ses proches col­lab­o­ra­teurs. L’at­mo­sphère est lourde. Affolé, le concierge monte :
Mon­sieur le Prési­dent, deux officiers alle­mands veu­lent vous voir immé­di­ate­ment.Dites-leur que je déje­une. Je les recevrai à 2 heures dans mon bureau.
Le concierge redescend… Bruits de bottes dans l’escalier… Les deux officiers s’en­ca­drent dans la porte. Gas­ton Girousse les regarde et dit calmement :
Vous voyez bien que je déje­une. Je vous recevrai à 2 heures.
Sidérés, ils salu­ent et tour­nent les talons.

Une délégation d’autorité

Une fois les indis­pens­ables con­tacts mis en place avec rigueur et pré­ci­sion, il obtient délé­ga­tion d’au­torité pour établir et sign­er per­son­nelle­ment tous les ordres de mis­sion néces­saires à la con­ti­nu­ité de la dis­tri­b­u­tion de l’én­ergie élec­trique. Ces ordres de mis­sion doivent toute­fois être validés par un dou­ble visa allemand.

De faux ordres de ser­vice pour rejoin­dre la France libre

Il utilise cette délé­ga­tion pour per­me­t­tre à plusieurs dizaines de per­son­nes men­acées ou recher­chées par l’oc­cu­pant de rejoin­dre la zone libre ou, après l’in­va­sion de la zone libre, de pass­er en Espagne. Il établit alors de faux ordres de ser­vice enjoignant aux por­teurs de se ren­dre dans les Pyrénées au pré­texte d’y effectuer des études de barrages.

Cela, tant pour des agents de la Société que pour d’autres per­son­nes d’o­rig­ine juive, résis­tants ou réfrac­taires au STO. Ain­si, Maître Léon Net­ter, avo­cat de la Société, put grâce à son action être sor­ti de Dran­cy, pass­er la ligne de démar­ca­tion dans une voiture de ser­vice et trou­ver refuge en Suisse.

Durant toute l’Oc­cu­pa­tion, il assiste lui-même son cama­rade de pro­mo­tion, Louis Cahen, caché dans une cham­bre d’un 6e étage parisien.

Un mandat social

Après-guerre, il par­ticipe active­ment aux négo­ci­a­tions liées à la nation­al­i­sa­tion de l’élec­tric­ité. En 1947, au cours d’une grève dure, le per­son­nel de For­clum, très grosse société de travaux élec­triques, récuse le Prési­dent nom­mé par le Con­seil d’ad­min­is­tra­tion et exige la nom­i­na­tion de Gas­ton Girousse. Celle-ci obtenue, la grève cesse. Il exerce ce man­dat social pra­tique­ment jusqu’à son décès en 1963.

Gas­ton Girousse, Com­man­deur de la Légion d’hon­neur, Juste par­mi les Nations, Dis­tin­guished Ser­vice Order, était le père d’An­dré (32) et le beau-père de Pierre Mau­cour (39), époux de sa fille Geneviève. Sa foi chré­ti­enne vivante et pro­fonde a été pour lui un sou­tien durant toute sa vie.


Situer les missiles

Gas­ton Girousse tient à être infor­mé des deman­des alle­man­des de ren­force­ment des réseaux élec­triques dans le nord de la France, ce qui per­met de situer les posi­tions des ram­pes de lance­ment de mis­siles. Via la Suisse, avec laque­lle les sociétés d’élec­tric­ité avaient des liens financiers, il trans­met ces pré­cieux ren­seigne­ments aux Alliés. Il con­tre­carre l’ac­tion des Alle­mands qui cher­chaient à dérober du cuiv­re aux sociétés d’élec­tric­ité. Il sub­ven­tionne la Résis­tance et installe en 1944 des groupes de résis­tance aux points stratégiques du réseau électrique.


1. Yad Vashem est le mémo­r­i­al implan­té à Jérusalem en mémoire des vic­times juives de la Shoah. Les ” Justes par­mi les Nations “, qui ne sont pas de con­fes­sion juive, ont sauvé des Juifs pen­dant la guerre.

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