Barrage source d'électricité

FRANCE : 40% d’électricité verte en 2030

Dossier : Les énergies renouvelablesMagazine N°730 Décembre 2017
Par Damien SIESS (01)

C’est l’ob­jec­tif fixé en France par la loi LTECV. Il ne sera pas atteint en se con­tentant de pour­suiv­re le rythme actuel déjà élevé des nou­velles instal­la­tions. Il faut une rup­ture avec un développe­ment tiré par les envies des con­som­ma­teurs ayant pour moteur l’autoconsommation, avec ou sans stock­age, indi­vidu­elle ou collective. 

Une déf­i­ni­tion pour com­mencer. De quel pour­cent­age par­le-t-on quand on évoque la « part du renou­ve­lable dans le mix » ? Pour l’électricité, il s’agit de la quan­tité d’énergie renou­ve­lable pro­duite sur une année divisée par la quan­tité totale d’énergie pro­duite sur la même période. 

“ Augmenter de plus de 50 % le rythme de développement des EnR électriques ”

Au pre­mier abord, cela paraît intu­itif. Le moyen recher­ché pour attein­dre l’objectif est avant tout celui de l’augmentation du numéra­teur, qui sup­pose donc d’accroître les puis­sances renou­ve­lables instal­lées en France, mais la diminu­tion du dénom­i­na­teur, par la baisse de la pro­duc­tion élec­trique non renou­ve­lable, aurait égale­ment pour effet d’augmenter le pour­cent­age con­sid­éré, quitte à ce que la France baisse ses exports d’électricité et l’excédent com­mer­cial correspondant ! 

Ne serait-il pas plus logique de se dot­er d’un indi­ca­teur où le dénom­i­na­teur ne serait pas la pro­duc­tion mais la con­som­ma­tion d’électricité en France, comme cela est défi­ni par la LTECV pour toutes les autres énergies ? 

REPÈRES

La loi n° 2015–992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dite LTECV fixe au pays un objectif : porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables doivent représenter 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz.

DEUX LEVIERS D’ACTION

L’esprit d’un tel change­ment serait de chercher à juger, indépen­dam­ment du sol­de import-export avec nos pays voisins, la capac­ité à répon­dre à la demande nationale d’électricité par une part crois­sante de pro­duc­tion renouvelable. 

Et dans cette per­spec­tive les deux seuls leviers pour jouer pos­i­tive­ment sur l’indicateur appa­raî­traient beau­coup plus cohérents et com­plé­men­taires : la hausse de la pro­duc­tion renou­ve­lable d’une part et les efforts d’efficacité énergé­tique d’autre part. 

Cela étant rap­pelé, quelles sont les quan­tités d’EnR sup­plé­men­taires à installer pour attein­dre les objec­tifs poli­tiques ? La pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie (PPE) pré­cise que, à con­som­ma­tion et sol­de expor­ta­teur d’électricité inchangés, l’objectif de 40 % de la LTECV reviendrait à pro­duire 216 TWh d’électricité renou­ve­lable en 2030. 

Une pro­gres­sion linéaire vers cet objec­tif don­nerait pour « point de pas­sage » en 2023 une pro­duc­tion renou­ve­lable de 155 TWh, con­tre 95 TWh en 2016. 

Fil­ière renouvelable
électrique 
Puis­sance installée
fin 2016 (MW)
Objec­tif fin 2018
(MW)
Objec­tif fin 2023
(MW)
Hydroélec­tric­ité
(dont énergie marémotrice)
25 482  25 300  25 800 – 26 050 
Éolien 11 670  15 000  21 800 — 26 000 
PV 6 772  10 200  18 200 — 20 200 
Bois 591  540  790 — 1040 
Éolien en mer posé 500  2 000 
Éner­gies marines
(dont éolien flottant)
400 

DES CHIFFRES À 2018 ET 2023

Des objec­tifs de puis­sance instal­lée par fil­ière ont par con­séquent été étab­lis aux deux hori­zons de la pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie, 2018 et 2023, afin que la pro­duc­tion renou­ve­lable visée en 2023 se situe entre 150 et 167 TWh. 

Le tableau ci-dessus nous mon­tre l’importante aug­men­ta­tion atten­due du « stock » de puis­sance renou­ve­lable instal­lée, de 100 % pour l’éolien et de 200 % pour le PV, mais ne suf­fit pas à sat­is­faire ces objectifs. 

En effet, aux hori­zons de temps con­sid­érés, le « gise­ment » d’EnR théorique­ment acces­si­ble en France est loin d’être sat­uré – à l’exception notable de l’hydroélectricité – et suf­fit large­ment pour attein­dre voire dépass­er ces valeurs. 

UN ENJEU DE RYTHME DE DÉVELOPPEMENT


L’hydroélectricité est la pre­mière des éner­gies renou­ve­lables élec­triques © PL.TH / FOTOLIA.COM

Le fac­teur lim­i­tant qu’il faut regarder de plus près est plutôt celui du « flux », c’est-à-dire du rythme néces­saire de rac­corde­ment de nou­velles capac­ités pour attein­dre les objec­tifs dans les délais attendus. 

Or ce rythme est très supérieur aux ten­dances con­statées par le passé et par con­séquent très dif­fi­cile à atteindre. 

UN POTENTIEL DE 1 200 TWH

L’étude de l’Ademe d’octobre 2015 sur un mix électrique 100 % renouvelable estime le potentiel maximal d’EnR électrique en France à plus de 1 200 TWh, si presque tous les sites techniquement favorables étaient équipés.
À titre de comparaison, la production annuelle de l’ensemble du parc électrique français s’élève aujourd’hui à 540 TWh.

La pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie a d’ailleurs claire­ment iden­ti­fié cet enjeu et a cher­ché des solu­tions pour « aug­menter de plus de 50 % le rythme de développe­ment des EnR élec­triques », notam­ment via un meilleur cadence­ment des appels d’offres et des sim­pli­fi­ca­tions administratives. 

Pour l’instant, cela ne sem­ble pas suf­fire. Sans compter les retards pris par les pre­miers parcs éoliens off­shore, nous pou­vons nous intéress­er en par­ti­c­uli­er à l’éolien ter­restre et au PV, les deux fil­ières qui doivent assur­er l’essentiel de la crois­sance renou­ve­lable élec­trique dans les années à venir. 

Depuis 2010, la puis­sance éoli­enne nou­velle­ment rac­cordée tourne autour de 1 000 MW/an en moyenne. En 2013, seuls 620 MW ont été rac­cordés tan­dis que 2016 a con­sti­tué une année record avec 1 345 MW rac­cordés. Mais ce record demande à être bat­tu de façon répétée sur les sept prochaines années, puisque l’atteinte ne serait-ce que de la fourchette basse 2023 sup­pose de rac­corder en moyenne 1 450 MW/an.

Pour le pho­to­voltaïque, la moyenne des sept dernières années est de 940 MW nou­velle­ment rac­cordés par an, très loin des 1 640 MW/an à réalis­er sur les sept prochaines années, là aus­si pour la fourchette basse de la PPE uniquement. 

Un tel niveau n’a été atteint qu’en 2011, avec 1 700 MW rac­cordés, et l’année 2016 en est bien loin. En effet, avec 575 MW seule­ment, c’est la pire année pour les rac­corde­ments pho­to­voltaïques en France depuis 2009 ! 

DES OBJECTIFS IMPOSSIBLES À ATTEINDRE ?

Faut-il en déduire que les objec­tifs en matière d’énergies renou­ve­lables élec­triques ne seront pas atteints, qu’il s’agisse de ceux fixés pour 2018, 2020, 2023 ou 2030 ? Pour les plus proches d’entre eux, c’est en effet très prob­a­ble. Mais à moyen terme tout n’est pas joué. 

“ Partout sur le globe, l’électricité renouvelable est en train de devenir non plus l’exception mais la règle

Certes l’État peut encore amélior­er les choses et lever un cer­tain nom­bre de freins admin­is­trat­ifs et juridiques, et c’est même souhaitable, mais s’il n’y avait que cette marge de pro­grès à atten­dre, alors les objec­tifs 2030 ris­queraient de ne pas être atteints. 

On pour­ra compter aus­si sur du pro­grès tech­nique, et, pour ne citer qu’un exem­ple, si l’éolien flot­tant con­cur­rençait l’offshore posé voire se rap­prochait des coûts du ter­restre, il pour­rait être judi­cieux de miser davan­tage sur cette fil­ière et d’éviter ain­si de trop fréquents con­flits d’usage ou de voisinage. 

DE NOUVEAUX MOTEURS DE CROISSANCE

Mais des change­ments plus pro­fonds peu­vent égale­ment se pro­duire, des « rup­tures » qui chang­eraient la donne pour les renou­ve­lables dans les années à venir, les faisant pass­er d’un développe­ment poussé par la volon­té poli­tique de l’État à un développe­ment tiré par les envies des con­som­ma­teurs et des acteurs des territoires. 

Ferme photovoltaique
Pour le pho­to­voltaïque, la moyenne des sept dernières années est de 940 MW nou­velle­ment rac­cordés par an, très loin des 1 640 MW/an à réalis­er sur les sept prochaines années. © OLIVIER / FOTOLIA.COM

La dynamique de la fil­ière PV pour­rait ain­si bas­culer si l’autoconsommation, avec ou sans stock­age, indi­vidu­elle ou col­lec­tive, deve­nait le prin­ci­pal moteur de crois­sance de cette fil­ière, qui vit aujourd’hui au gré des appels d’offres publics et des sou­tiens financiers fixés par l’administration.

Les solu­tions numériques et de trans­ac­tion en peer to peer peu­vent, quant à elles, sus­citer de nou­velles deman­des, comme l’appétence à acheter à son « voisin » un bien pro­duit locale­ment, en l’occurrence de l’électricité, en com­plé­ment voire en rem­place­ment de ce qui est pro­duit de façon cen­tral­isée et indus­trielle. On a vu dans des secteurs comme le trans­port ou le tourisme com­ment, lorsque de nou­velles offres, sou­vent per­mis­es par les tech­nolo­gies de l’information, ren­con­trent une demande inas­sou­vie ou ren­dent de nou­veaux ser­vices, on peut pass­er très vite d’un « monde » à un autre. 

Or, partout sur le globe, l’électricité renou­ve­lable est en train de devenir non plus l’exception mais la règle… Le Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) indique ain­si qu’en 2016 les nou­velles capac­ités instal­lées dans le monde ont majori­taire­ment été renou­ve­lables, avec 160 GW instal­lés, en par­ti­c­uli­er parce qu’il s’agit de plus en plus sou­vent de l’option la plus économique pour répon­dre à la demande énergé­tique crois­sante des pays émergents. 

SE PRÉPARER AU MONDE DE DEMAIN

Il n’est donc pas du tout cer­tain que la France atteigne ses objec­tifs d’électricité renou­ve­lable en 2030, compte tenu du retard pris, mais il est très prob­a­ble qu’une forme de « nor­mal­i­sa­tion » des EnR inter­vi­enne dans les prochaines années et il est essen­tiel de s’y pré­par­er dès maintenant. 

“ Les conditions économiques et l’organisation des marchés de l’électricité sont à repenser ”

Il est sou­vent fait men­tion de la ges­tion de la vari­abil­ité de la pro­duc­tion renou­ve­lable, qui fait l’objet d’intenses travaux de recherche et d’innovation, comme, par exem­ple, le pro­jet européen MIGRATE qui explore la ques­tion de l’intégration mas­sive de l’électronique de puis­sance dans les réseaux. 

Il s’agit en effet d’anticiper le plus pos­si­ble les défis d’un sys­tème élec­trique dont les car­ac­téris­tiques seront pro­fondé­ment mod­i­fiées, surtout au-delà de 2030, mais qui se devra d’être tou­jours aus­si per­for­mant, robuste et résilient. 

Le globe terrestre avec les énergies renouvelables
Il est cru­cial de se dot­er d’une vision d’ensemble de toutes les éner­gies et des enjeux qui en découlent. © MCCARONY / FOTOLIA.COM

Les con­di­tions économiques et l’organisation des marchés de l’électricité sont aus­si à repenser. Dans un secteur dom­iné par les coûts fix­es, les out­ils de « dérisquage » devi­en­nent essen­tiels pour éviter les effets de cycle et leurs con­séquences sur la sécu­rité d’approvisionnement d’un bien de pre­mière nécessité. 

DÉVELOPPER UNE VISION GLOBALE

La tran­si­tion sociale du secteur élec­trique est égale­ment un enjeu majeur, compte tenu des évo­lu­tions induites à la fois sur les com­pé­tences pro­fes­sion­nelles req­ui­s­es et sur la répar­ti­tion géo­graphique des emplois. Enfin, il est cru­cial de se dot­er d’une vision d’ensemble de toutes les éner­gies et des enjeux qui en découlent. 

La lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques et les prob­lèmes de san­té-envi­ron­nement, la pri­or­ité don­née aux éner­gies à plus forte valeur ajoutée nationale doivent con­duire à favoris­er les vecteurs énergé­tiques qui sont à la fois les moins car­bonés et les plus renouvelables. 

La ques­tion du développe­ment des renou­ve­lables en France ne peut donc pas être séparée de celle du néces­saire accroisse­ment de la part de la chaleur renou­ve­lable et de l’électricité.

4 Commentaires

Ajouter un commentaire

Denè­gre Jean X63répondre
13 décembre 2017 à 16 h 44 min

France : 40% d’élec­tric­ité verte en 2030
L’ar­ti­cle de D. Siess est intéres­sant mais il ne fait que des promess­es : “Des objec­tifs impos­si­bles à attein­dre” et “il n’est donc pas du tout cer­tain que la France atteigne ses objec­tifs d’électricité renou­ve­lable en 2030, compte tenu du retard pris, mais il est très prob­a­ble qu’une forme de « nor­mal­i­sa­tion » des EnR inter­vi­enne dans les prochaines années et il est essen­tiel de s’y pré­par­er dès maintenant.”
D’autre part, je n’ai pas vu (mais j’ai peut-être lu trop rapi­de­ment) que les EnR prin­ci­pales, que sont l’éolien et le solaire PV, sont inter­mit­tentes et qu’elles néces­si­tent une énergie adossée qui four­nit l’élec­tric­ité à toute heure du jour et de la nuit. Je n’ai pas vu un mot sur ce prob­lème essen­tiel et redoutable.

Damien Siessrépondre
13 décembre 2017 à 17 h 30 min
– En réponse à: Denègre Jean X63

Vous avez lu trop vite : “Il
Vous avez lu trop vite : “Il est sou­vent fait men­tion de la ges­tion de la vari­abil­ité de la pro­duc­tion renou­ve­lable, qui fait l’objet d’intenses travaux de recherche et d’innovation, comme, par exem­ple, le pro­jet européen MIGRATE qui explore la ques­tion de l’intégration mas­sive de l’électronique de puis­sance dans les réseaux.”

etienne.deniau.1985répondre
14 décembre 2017 à 17 h 39 min

Elec­tric­ité vs Energie

Aug­menter la part du renou­ve­lable dans l’élec­tric­ité est impor­tant (surout pour pou­voir décom­mis­sion­ner le nucléaire). 

C’est surtout dimin­uer la part du fos­sile dans l’en­ergie qui est vrai­ment important.

En France, seule­ment 6% de l’élec­tric­ité est d’o­rig­ine fos­sile, mais 68% de l’én­ergie est d’o­rig­ine fossile.
Et c’est 78% en Allemagne. 

En Nou­velle-Zelande, l’élec­tir­ic­té est de source renou­ve­lable à 81% (selon Wikipedia),
mais l’én­ergie est d’o­rig­ine fos­sile à plus de 60% 

Il n’y a guère que l’Is­lande qui n’u­tilise que 13% d’en­ergie d’o­rig­ine fossile. 

Bruno Karcherrépondre
20 décembre 2017 à 6 h 36 min

Cha­cun chez soi ?

L’autoconsommation est un paramètre impor­tant, en effet le prix pro­duc­teur n’a rien à voir avec la fac­ture au prix de détail, notam­ment à cause des tax­es et subventions. 

Avec une offre tech­nique clé en main adap­tée, sim­ple et fiable, stock­age com­pris, le retourne­ment du marché pour­rait s’accélérer mas­sive­ment. Il nous manque encore cette offre (PV sans doute plutôt qu’éolien) et le Tes­la-Uber-Ama­zon qui la porterait. 

Qui c’est qui s’y colle ? On attend encore les améri­cains ou l’Europe est-elle encore capa­ble de créer des champions ? 

Mais gare aux effets induits sur tous les coûts fix­es qui ne seront plus cou­verts par la baisse du vol­ume sur le réseau élec­trique et l’énergie auto, il y aura des dégâts col­latéraux (souhaita­bles parfois).

Répondre