L'ONF contre le réchauffement climatique

Forêt & biodiversité : des leviers indissociables de la lutte contre le réchauffement climatique

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°786 Juin 2023
Par Mathilde MASSIAS (X02)

Bio­di­ver­sité, change­ment cli­ma­tique, préven­tion des risques naturels, développe­ment de la fil­ière bois, développe­ment durable… sont autant d’enjeux qui mobilisent l’Office Nation­al des Forêts (ONF) alors que le rôle cen­tral de la forêt dans la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique n’est plus à démon­tr­er. Dans cet entre­tien, Mathilde Mas­sias (X02), adjointe au directeur ter­ri­to­r­i­al Auvergne-Rhône-Alpes en charge des pro­jets trans­ver­saux et direc­trice de l’agence études, revient sur l’importance d’une ges­tion forestière mod­erne, vertueuse et per­for­mante afin de relever les défis envi­ron­nemen­taux et cli­ma­tiques de demain.

Quelles sont les missions de l’ONF ?

L’ONF est un étab­lisse­ment pub­lic à car­ac­tère indus­triel et com­mer­cial, placé sous la dou­ble tutelle du Min­istère de l’Agriculture et du Min­istère de l’Écologie. Il est l’unique ges­tion­naire des forêts publiques, qui appar­ti­en­nent à l’État ou aux col­lec­tiv­ités, soit un pat­ri­moine de plus de 11 mil­lions d’hectares en Métro­pole et en Outre-Mer.

La prin­ci­pale mis­sion de l’ONF et de ses 8 200 per­son­nels est de préserv­er ce pat­ri­moine et d’accompagner son évo­lu­tion pour répon­dre durable­ment à l’ensemble des attentes de la société : accueil du pub­lic ; lim­i­ta­tion des risques naturels ; pro­duc­tion du bois, un matéri­au local et vertueux en ter­mes de bilan car­bone ; préser­va­tion et restau­ra­tion de la bio­di­ver­sité… L’ONF est donc à la croisée d’enjeux économiques et envi­ron­nemen­taux forts. Pour les relever, l’ONF cap­i­talise sur des com­pé­tences divers­es en interne (sylvi­cul­ture, envi­ron­nement, risques, admin­is­tra­tion, com­mer­cial, man­age­ment) et sur des parte­nar­i­ats noués avec dif­férentes par­ties prenantes (les min­istères de tutelle, les élus, les col­lec­tiv­ités, les asso­ci­a­tions de pro­tec­tion de la nature, les organ­ismes sci­en­tifiques, les acteurs économiques des ter­ri­toires…). En par­al­lèle, l’ONF par­ticipe à l’élaboration et à la cohérence de la poli­tique publique en appor­tant son exper­tise, son expéri­ence et sa con­nais­sance du terrain.

Aujourd’hui, la transition environnementale s’accélère alors que la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité représentent des enjeux majeurs. Comment appréhendez-vous ces questions ?

Les ser­vices ren­dus par les forêts publiques sont nom­breux : la séques­tra­tion et le stock­age du car­bone ; la pro­tec­tion des sols con­tre l’érosion ; la régu­la­tion de la qual­ité de l’eau, de l’air, du cli­mat ; la pro­duc­tion de pro­duits forestiers, dont le bois, mais aus­si les plantes aro­ma­tiques, les champignons, les fruits…

Nos forêts sont aus­si un réser­voir de bio­di­ver­sité ani­male, végé­tale, fongique et bac­téri­enne extrême­ment riche. En métro­pole, elles abri­tent 138 espèces d’arbres, 73 espèces de mam­mifères, 120 espèces d’oiseaux, plus de 30 000 espèces de champignons et plus de 30 000 espèces d’insectes. Et rien qu’en Guyane, on peut trou­ver près de 400 000 espèces végé­tales et animales !

“Nous avons la très forte responsabilité de préserver ce patrimoine, voire de le restaurer là où il a pu être dégradé.”

Nous avons la très forte respon­s­abil­ité de préserv­er ce pat­ri­moine, voire de le restau­r­er là où il a pu être dégradé. La bio­di­ver­sité est, en out­re, un sujet indis­so­cia­ble de l’enjeu d’adaptation au change­ment cli­ma­tique (sécher­ess­es, tem­pêtes, incendies…). Aujourd’hui, plus de 300 000 hectares de forêts publiques subis­sent des dépérisse­ments impor­tants avec un taux de mor­tal­ité inédit. Le change­ment cli­ma­tique est une réal­ité qui impacte la capac­ité des écosys­tèmes forestiers à ren­dre leurs nom­breux ser­vices. Au-delà, cela remet aus­si en cause le rôle majeur des forêts dans l’atténuation du change­ment climatique.

En effet, après les océans, elles sont le deux­ième puit de car­bone mon­di­al. Or nous sommes actuelle­ment con­fron­tés à une sit­u­a­tion inédite, un cer­cle vicieux où la forêt est une vic­time du change­ment cli­ma­tique, alors qu’elle devrait être actrice de la lutte con­tre ce réchauf­fe­ment. En out­re, la vitesse des change­ments est beau­coup plus rapi­de que la capac­ité de migra­tion naturelle des essences forestières. Ne pas accom­pa­g­n­er ces évo­lu­tions nous exposerait à un risque de crise écologique majeure et un dépérisse­ment, dont les prin­ci­pales con­séquences seraient une forêt inca­pable de jouer son rôle dans la lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique et, par con­séquent, une ampli­fi­ca­tion du réchauf­fe­ment climatique.

Dans ce cadre, quelles sont les actions vous menez ?

Pio­nnier dans l’accompagnement des écosys­tèmes forestiers, le développe­ment de leur résilience, de leur renou­velle­ment, de leur adap­ta­tion et de leur recon­sti­tu­tion, l’ONF a fait le choix d’avoir une stratégie d’intervention volon­tariste. Nos actions en matière de ges­tion durable de la forêt s’inscrivent dans un cadre régle­men­taire, le régime foresti­er, et se focalisent prin­ci­pale­ment sur trois objec­tifs indis­so­cia­bles : fournir du bois à la société, un matéri­au biosour­cé, une énergie renou­ve­lable, de l’emploi local ; accueil­lir le pub­lic et préserv­er l’environnement.

En par­al­lèle, nous menons aus­si des actions spé­ci­fiques. Dans les forêts doma­niales, par exem­ple, nous main­tenons des îlots de sénes­cence où nous lais­sons les arbres mûrir et vieil­lir au-delà de l’âge d’exploitation. On crée des réserves biologiques où nous nous enga­geons à men­er unique­ment des actions en faveur de la restau­ra­tion de la bio­di­ver­sité ou de l’environnement. En matière de change­ment cli­ma­tique et en cohérence avec le volet foresti­er du plan de relance nation­al, nous nous con­cen­trons sur l’augmentation de la capac­ité d’adaptation des peu­ple­ments et de leur résilience, mais aus­si sur la réduc­tion des fac­teurs de vulnérabilité.

“L’ONF a fait le choix d’avoir une stratégie d’intervention volontariste.”

L’ambition glob­ale est de ren­dre la forêt plus résiliente aux dif­férents aléas et risques aux­quels elle est exposée, mais aus­si de lui don­ner les moyens de s’adapter au con­texte local et au cli­mat futur. Pour relever ces défis, les meilleures solu­tions sont la diver­si­fi­ca­tion des approches et de la sylvi­cul­ture dans l’espace et le temps, ain­si que la mise en place d’un suivi basé sur une démarche sci­en­tifique et des diag­nos­tics à dif­férentes échelles tem­porelles et géo­graphiques (mas­sif, par­celle, région…).

Pour ce faire, nous avons dévelop­pé avec nos parte­naires des out­ils de mod­éli­sa­tion pour déter­min­er les essences les plus adap­tées à un endroit don­né en fonc­tion du scé­nario cli­ma­tique envis­agé. L’idée est ain­si de cap­i­talis­er sur ces actions pour opti­miser la ges­tion forestière quo­ti­di­enne et la ren­dre plus efficace.

En parallèle, quelles sont les autres pistes que vous explorez ?

L’ONF met aus­si son exper­tise au ser­vice de la préven­tion des risques naturels en mon­tagne (avalanch­es, crues tor­ren­tielles, chutes de blocs, mou­ve­ments de ter­rain…), des incendies de forêt et de l’érosion lit­torale. Aujourd’hui, ces risques naturels con­nais­sent des évo­lu­tions nota­bles en ter­mes de saison­nal­ité, de fréquence, de durée et d’intensité sous l’effet du change­ment cli­ma­tique, mais aus­si du ren­force­ment des enjeux humains dans ces zones. Ce nou­veau con­texte nous pousse donc à ren­forcer notre action voire à l’étendre à des zones qui jusque-là étaient moins exposées. En mon­tagne, nous tra­vail­lons sur le renou­velle­ment de peu­ple­ments spé­ci­fiques qui jouent un rôle impor­tant en matière de pro­tec­tion con­tre les risques naturels, car ils ont la capac­ité à lim­iter les chutes de blocs, ou encore à main­tenir les sols.

“L’ONF met aussi son expertise au service de la prévention des risques naturels en montagne, des incendies de forêt et de l’érosion littorale.”

Nous inter­venons égale­ment dans l’entretien et le renou­velle­ment de près de 20 000 ouvrages de génie civ­il ou biologiques qui con­tribuent à prévenir les risques liés aux crues tor­ren­tielles, aux mou­ve­ments de ter­rain, aux chutes de blocs et aux avalanch­es. On tra­vaille aus­si sur la préven­tion des risques d’origine glaciaire ou péri-glaciaire qui sont en aug­men­ta­tion depuis quelques années. En par­al­lèle, l’ONF s’intéresse de plus en plus aux nou­velles tech­nolo­gies pour opti­miser ses proces­sus de prise de déci­sion ; mod­erniser la ges­tion forestière ; généralis­er le recours à la télédé­tec­tion, aux drones ou encore à des sys­tèmes d’information plus mobiles et per­for­mants ; créer des syn­er­gies avec nos dif­férents partenaires.

Nous voulons accroître nos capac­ités de pré­dic­tion, de détec­tion et de suivi en matière de ges­tion forestière, de préser­va­tion de la bio­di­ver­sité et d’anticipation des risques. Sur le ter­rain, cela se traduit par une impli­ca­tion forte dans plusieurs pro­jets trans­ver­saux et partenariaux.

Dans cette démarche, quels sont les principaux freins et enjeux ?

Sur la ques­tion du change­ment cli­ma­tique, nous sommes con­fron­tés à une très forte incer­ti­tude. Pour y faire face, nous sommes forte­ment impliqués dans une démarche d’expérimentation et d’appui à la recherche. En par­al­lèle, nous cher­chons aus­si à mobilis­er l’opinion publique sur ces enjeux. La Covid a créé un élan très posi­tif de la société en faveur de la préser­va­tion des forêts et de sa bio­di­ver­sité que nous devons main­tenir, voire ren­forcer. Nous obser­vons aus­si une plus forte appé­tence de nos parte­naires et par­ties prenantes pour être asso­ciés de manière plus con­crète à la ges­tion forestière sur leur territoire.

Ce regain d’intérêt pour la forêt nous pousse à être plus à l’écoute des attentes de la société de manière générale. Nous priv­ilé­gions ain­si une poli­tique d’ouverture et de dia­logue pour que les enjeux de la ges­tion mul­ti-fonc­tion­nelle de la forêt soient mieux partagés et com­pris pour être appréhendés de manière col­lec­tive sur le ter­rain. Pour ce faire, nous col­laborons avec des ONG, des fédéra­tions et des asso­ci­a­tions avec qui nous met­tons en place des actions de con­cer­ta­tion et de sen­si­bil­i­sa­tion sur la forêt, les enjeux forestiers, la lutte con­tre le change­ment climatique…

“Nous avons aussi un très fort enjeu économique. ”

Enfin, nous avons aus­si un très fort enjeu économique. Le change­ment cli­ma­tique génère une baisse des recettes du bois, car un bois dépéri et abîmé se vend moins bien. En par­al­lèle, les fonds néces­saires pour renou­vel­er la forêt, recon­stituer les peu­ple­ments détru­its, préserv­er la bio­di­ver­sité et prévenir les risques sont en aug­men­ta­tion sur les court et moyen ter­mes. Cette nou­velle réal­ité fait évoluer le mod­èle économique his­torique de la forêt dans le cadre duquel ce sont les recettes du bois qui per­me­t­tent aux pro­prié­taires d’engager toutes les dépens­es néces­saires. Il est aujourd’hui néces­saire de com­pléter ce mod­èle pour per­me­t­tre à la forêt de béné­fici­er de finance­ments pour les autres ser­vices qu’elle rend.

Et pour conclure ?

J’invite les lecteurs à con­sul­ter le site inter­net de l’ONF sur lequel ils dis­poseront de nom­breuses infor­ma­tions. Ils y décou­vriront notam­ment com­ment ils peu­vent s’engager con­crète­ment en faveur des forêts et du cli­mat, à l’échelle indi­vidu­elle ou col­lec­tive. En par­ti­c­uli­er, en matière de RSE, la forêt peut apporter beau­coup aux entre­pris­es. La capac­ité de la forêt et du bois à stock­er naturelle­ment du car­bone ouvre aux entre­pris­es des per­spec­tives intéres­santes en matière de com­pen­sa­tion car­bone aux­quelles s’ajoutent de nom­breux dis­posi­tifs de mécé­nat et de par­rainage qui leur don­nent aus­si la pos­si­bil­ité d’accompagner des pro­jets forestiers favor­ables à la bio­di­ver­sité et à la lutte con­tre le change­ment climatique.

Quant aux poly­tech­ni­ciens qui souhait­eraient s’engager encore plus directe­ment, ils ont la pos­si­bil­ité de rejoin­dre l’ONF, soit en CDI en pos­tu­lant aux offres pub­liées sur le site de l’ONF, soit comme fonc­tion­naires, en inté­grant le corps des IPEF.

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