Feux follets et champignons nucléaires

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°536 Juin/Juillet 1998Par : Georges Charpak et Richard L. GarwinRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

1) Le contexte et les références

1) Le contexte et les références

Bernard Piv­ot avait con­sacré au livre de Georges Charpak le “ Bouil­lon de Cul­ture ” du 31 jan­vi­er 1997. Le débat a été large­ment dom­iné par notre prix Nobel qui a eu le mérite d’être clair, bien­veil­lant et plein d’humour. À aucun moment Dominique Voynet ne l’a mis en dif­fi­culté (sur les solu­tions alter­na­tives qu’elle pré­conise), pas plus que Michèle Rivas­si (sur le prob­lème des faibles dos­es) : sans dom­mage appar­ent, nous sommes exposés à la radioac­tiv­ité naturelle (tel­lurique et cos­mique) et arti­fi­cielle (radi­ogra­phies, radiothérapies).

2) Le sens du titre et l’objet du livre

En évo­quant les feux fol­lets, il s’attaque aux manip­u­la­tions et super­sti­tions (entretenues par les mou­ve­ments écol­o­gistes et ampli­fiées par les médias) :

• nous recevons du Soleil (de la fusion nucléaire) la chaleur donc la vie,

• bien avant l’invention des cen­trales nucléaires, notre planète, la Terre, dis­po­sait, à Oklo au Gabon, d’un réac­teur naturel qui a duré des millénaires,

• nous sommes pétris de pous­sières d’étoiles mortes dont les com­posants radioac­t­ifs se dés­in­tè­grent par mil­liers chaque sec­onde dans notre organ­isme qui con­tient du car­bone 14, du potas­si­um 40 (et du cési­um 137, dû aux explo­sions aéri­ennes arrêtées depuis trente-cinq ans, émis ensuite par l’accident de Tchernobyl).

En revanche, en évo­quant les champignons nucléaires, il s’attaque au nucléaire mil­i­taire et pro­pose d’éliminer les ogives exis­tantes. Ayant recon­nu que la poli­tique de dis­sua­sion nucléaire entre les deux Grands a préservé la paix pen­dant quar­ante ans, il prend par­ti con­tre la pour­suite de cette poli­tique donc pour un désarme­ment mas­sif et rapi­de des deux Grands (60 000 ogives nucléaires) et aus­si pour empêch­er la pro­liféra­tion au niveau des puis­sances moyennes.

Il s’inquiète des com­bustibles fos­siles (y com­pris le gaz) : ils ne sont pas inépuis­ables et con­tribuent à l’accroissement de l’effet de serre (les Chi­nois, qui ont du char­bon, risquent de rejeter en 2050 huit fois plus de CO2 que n’en pro­duit aujourd’hui le monde). Il souhaite le développe­ment de la cogénéra­tion, de la bio­masse, de l’éolien et du solaire, mais sachant que ces fil­ières ne sont pas à l’échelle du prob­lème, il pro­pose une dose impor­tante de nucléaire.

Il rap­pelle la part de l’énergie nucléaire : monde 18 %, France 80 %, USA 17 %, au total 430 réac­teurs qui trans­for­ment 30 % de leur énergie en électricité.

3) Comparaison des risques

À pro­pos des acci­dents nucléaires civils, des chiffres extrav­a­gants sont pro­posés par toutes sortes d’experts et repris par les médias, Charpak n’hésite pas à les citer et s’emploie ensuite à les rel­a­tivis­er (com­para­isons avec d’autres acci­dents et cat­a­stro­phes). Il se livre à une cri­tique féroce du sys­tème sovié­tique respon­s­able de Tch­er­nobyl dont il tente d’évaluer les dégâts (30 000 vic­times en trente ans). Mais ces 30 000 morts s’ajoutent à 30 000 fois plus de morts par can­cer naturel ou par d’autres nui­sances que l’homme a générées, comme la fumée de cigarette.

Risque moyen d’accident mor­tel pour dif­férentes caus­es aux États-Unis
Type d’accident Nom­bre total par an Prob­a­bil­ité par per­son­ne et par an
Acci­dent de voiture
Chute
Feu et sub­stances chaudes
Inondation
Armes à feu
Acci­dent d’avion
Chute d’objet
Électrocution
Éclair
Tornade
Ouragan
Ensem­ble des accidents
Acci­dent de réac­teur nucléaire
(pour 100 réacteurs)
55 791
11 827
7 451
6 181
2 309
1 778
1 271
1 148
160
91
93
111 992
 
 
1/4 000
1/10 000
1/25 000
1/30 000
1/100 000
1/100 000
1/160 000
1/160 000
1/2 000 000
1/2 500 000
1/2 500 000
1/1 600
1/5 000 000 000
(très arbitraire)

Cat­a­stro­phes représen­ta­tives au niveau de l’humanité
Cause Lieu Dates Nom­bres de victimes
Explo­sion chim­ique accidentelle Hal­i­fax Har­bor, Canada 1917 1 654
Épanche­ment chimique Bhopal, Inde 1984 5 000
Acci­dent de cen­trale nucléaire Tch­er­nobyl, Union soviétique 1986 30 000
Érup­tion volcanique Mont Tamb­o­ra, Indonésie 1815 160 000
Explo­sion d’arme nucléaire Hiroshi­ma, Japon 1945 200 000
Aber­ra­tion climatique Cyclone, Bangladesh 1970 300 000
Trem­ble­ment de terre Shaanxi, Chine 1556 830 000 (?)
Inondation Bassin du Huang He, Chine 1931 3,7 millions
Famine Nord de la Chine 1876–1879 10 millions (?)
Pre­mière Guerre mondiale Prin­ci­pale­ment en Europe 1914–1918 20 millions
Peste pandémique “ mort noire ” Europe 1347–1351 25 millions
Sec­onde Guerre mondiale Monde entier 1939–1945 40 millions
Sida Monde entier depuis 1980 > 3 millions/an de séropositifs
Guerre nucléaire Monde entier ? Peut-être 1 milliard


Il se réfère à une étude ayant porté sur un groupe de 270 000 enfants, et aus­si sur les dom­mages infligés aux foe­tus : aucun change­ment de mor­bid­ité par leucémie attribuable à Tch­er­nobyl, impos­si­ble d’en imput­er la cause aux radiations.

Nous avons extrait deux tableaux qui don­nent des ordres de grandeur sur les risques (faibles pour l’énergie nucléaire, con­sid­érables pour les armes nucléaires).

4) Les solutions nucléaires

Charpak explore dif­férentes solu­tions pour pro­duire l’énergie en quan­tité suff­isante en évi­tant le rationnement (que souhait­eraient les adhérents du Club de Rome). Les solu­tions nucléaires lui parais­sent indispensables :

• fusion : mais il fau­dra encore une quar­an­taine d’années pour y parvenir,

• fis­sion, plusieurs voies sont prometteuses :

– per­fec­tion­nement des réac­teurs actuels, général­i­sa­tion de l’utilisation du MOX (ce qui per­met de brûler le plu­to­ni­um) dans les cen­trales à eau lourde ou à eau légère, mais aus­si le sys­tème cana­di­en type Can­du (22 réac­teurs en service),

– développe­ment et per­fec­tion­nement des surgénéra­teurs type Super­phénix (ce qui mul­ti­plie par un fac­teur 50 nos réserves d’uranium),

– extrac­tion de l’uranium de l’eau de mer (coût d’extraction élevé, mais réserves mille fois supérieures aux réserves trou­vées dans les min­erais de haute qualité),

– nou­velle fil­ière : cou­plage d’accélérateurs de pro­tons avec des généra­teurs à fis­sion (procédé pré­con­isé par Car­lo Rub­bia, util­isant du tho­ri­um dont les réserves sont trois fois plus abon­dantes que celles de l’uranium).

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