Fécondité, mentalités et politique

Dossier : Les pays de FranceMagazine N°631 Janvier 2008
Par Hervé LE BRAS (X63)


Indice con­jonc­turel de fécon­dité en 1990 à l’échelle des 36 565 com­munes français­es (en nom­bre moyen d’enfants par femme).

Les dif­férences de fécon­dité demeurent impor­tantes en France : l’indice con­jonc­turel atteint 2,11 enfants par femme dans le départe­ment de la Mayenne pour descen­dre à 1,46 dans celui de la Haute Vienne, 200 kilo­mètres au sud. Ce ne sont pas les femmes étrangères qui font la dif­férence. Elles représen­tent moins de 2% de la pop­u­la­tion dans les deux départe­ments et les deux arrondisse­ments cités. Quelle est alors l’o­rig­ine des écarts de fécon­dité à l’in­térieur de la France ? 

La fécondité à petite et grande échelle

Le Sud-Ouest est moins fécond que le reste de la France. Au niveau local, les aggloméra­tions ” impor­tantes “, qui pos­sè­dent une posi­tion stratégique dans le mail­lage admin­is­tratif et économique. ont une fécon­dité plus faible que les cam­pagnes et les petites villes qui les entourent. Deux mod­èles ou deux con­trastes de fécon­dité quadrillent donc la France. Sont-ils l’ex­pres­sion tem­po­raire de la sit­u­a­tion actuelles de la France ou bien résul­tent-ils d’une longue évolution ?

Héritage et fécondité

Grâce aux recense­ments qui ren­seignent sur la struc­ture d’âge de la pop­u­la­tion, on con­naît, depuis 1921, la fécon­dité à chaque âge dans chaque départe­ment français. Com­ment expli­quer la plus faible fécon­dité du sud de la France et plus par­ti­c­ulière­ment du sud-ouest ? Le code civ­il, en imposant un partage des biens a poussé les arti­sans et les petits pro­prié­taires paysans du sud à restrein­dre leur descen­dance pour trans­met­tre leur exploita­tion à un seul héritier.


Indice con­jonc­turel de fécon­dité de 1921 à 1999 à l’échelle des départe­ments (répar­ti­tion en 7 groupes de même nom­bre de départe­ments par ordre des valeurs croissantes).

Tra­di­tion­nelle­ment, la France est divisée en pays de droit cou­tu­mi­er au nord qui pra­tiquent majori­taire­ment l’héritage égal­i­taire et pays de droit écrit au sud où l’héritage préféren­tiel (à l’aîné, ou à un fils choisi ) domine. Au Nord, on hérite d’un nom et au sud d’une maison.

Au Nord de la France, on hérite d’un nom. Au Sud, on hérite d’une maison

Un nom se partage entre plusieurs enfants, une mai­son se trans­met en bloc à un seul. Une des con­séquences de cette dichotomie est la dif­férence des struc­tures famil­iales entre le nord et le sud. Au nord, la famille nucléaire con­stitue la règle : deux ménages appar­en­tés ne cohab­itent pra­tique­ment jamais. Au sud, au con­traire, dom­i­nait la famille souche dans laque­lle le cou­ple des par­ents et celui de leur héri­ti­er désigné pou­vaient cohab­iter. Une con­séquence de cette dif­férence a été de main­tenir la petite pro­priété au sud. En 1851, les pro­prié­taires et les métay­ers for­maient l’im­mense majorité de la paysan­ner­ie au sud tan­dis qu’au nord, les ouvri­ers agri­coles et les domes­tiques étaient les plus nombreux.

Repères
A l’échelle nationale, une fécon­dité élevée est prisée en France. L’opin­ion et les lead­ers poli­tiques et économiques se sont retrou­vés à l’u­nis­son pour célébr­er le récent pas­sage de l’indice de fécon­dité de la France en tête des 27 pays de l’U­nion. A l’in­térieur du pays, le classe­ment est moins glo­rieux. La fécon­dité est d’au­tant plus forte que l’on appar­tient à un milieu défa­vorisé et que l’on habite dans une com­mune sans enver­gure admin­is­tra­tive, économique ou cul­turelle. Comme si la famille ser­vait de refuge ou de com­pen­sa­tion à l’ab­sence d’in­flu­ence et d’importance.

Une extraordinaire stabilité

La série des cartes précé­dentes mon­tre l’extraordinaire sta­bil­ité de la répar­ti­tion de la fécon­dité à l’échelle départementale.
La dif­férence des struc­tures famil­iales du Nord et du Sud per­siste comme le mon­tre la répar­ti­tion des familles com­prenant au moins deux noy­aux famil­i­aux (cou­ples avec ou sans enfants ou familles mono­parentales) au recense­ment de 1982.


À gauche, pro­por­tion des pro­prié­taires et métay­ers dans l’ensemble des agricul­teurs au recense­ment de 1851 (répar­ti­tion­a­gricul­teurs au recense­ment de 1851 (répar­ti­tion en 7 groupes de même nom­bre de départe­ments par ordre des valeurs croissantes).
À droite : pro­por­tion de ménages com­prenant au moins deux familles (cou­ple, cou­ple avec enfant ou mono­parental) au recense­ment de 1982 (répar­ti­tion en 7 groupes de même nom­bre de départe­ments par ordre des valeurs croissantes).

L’âge au mariage et à la maternité

Une fécon­dité plus forte a cepen­dant sub­sisté dans cer­tains départe­ments du sud du mas­sif cen­tral et au pays basque jusqu’en 1975. Ce sont des départe­ments où la reli­gion catholique pos­sède une grande influ­ence. La fécon­dité est restée plus élevée dans ces régions car leurs habi­tants ont lim­ité leur descen­dance en se mari­ant moins et plus tar­di­ve­ment alors que les régions laïques pra­ti­quaient la con­tra­cep­tion dès le XIXe siè­cle. Jusqu’en 1975, la sta­bil­ité de la répar­ti­tion de l’âge moyen à la mater­nité est remar­quable. Les départe­ments les plus religieux ont tous une fécon­dité plus tar­dive et inverse­ment, les plus laïcs, une fécon­dité plus pré­coce. Il est remar­quable de voir com­ment cette struc­tura­tion de l’e­space français qui a duré près de deux siè­cles se délite après 1975. Au lieu des départe­ments catholiques, ce sont désor­mais les départe­ments sièges des grandes villes ayant un rôle de ” com­man­de­ment ” qui pos­sè­dent la fécon­dité la plus tardive.


Âge moyen à la mater­nité de 1921 à 1999 à l’échelle des départe­ments (répar­ti­tion en 7 groupes de même nom­bre de départe­ments par ordre des valeurs croissantes).

Les villes de commandement

Le terme de ville de com­man­de­ment ne reflète pas l’im­por­tance de la pop­u­la­tion ou de la den­sité de pop­u­la­tion, mais des fonc­tions supérieures des villes, en par­ti­c­uli­er leur car­ac­tère de cap­i­tale admin­is­tra­tive ou de siège d’une grande uni­ver­sité et d’in­dus­tries de pointe Dans toutes les régions, l’âge moyen à la mater­nité est plus élevé dans la cap­i­tale régionale que dans le reste de la région.

L’âge moyen à la mater­nité est plus élevé dans la cap­i­tale régionale que dans le reste de la région.

On s’en rend compte en com­para­nt les villes d’un même départe­ment qui sont de statut dif­férent mais de pop­u­la­tion équiv­a­lente. Ain­si, Rouen a une fécon­dité plus tar­dive que celle de son départe­ment et Le Havre plus jeune. Même con­traste pour Pau et Bay­onne, Reims et Châlon, Nantes et Saint-Nazaire, Calais et Boulogne en regard d’Ar­ras, Cher­bourg et Saint-Lô. Le départe­ment des Bouch­es du Rhône offre un cas remar­quable avec Aix en Provence, de fécon­dité tar­dive face à Mar­seille à la fécon­dité plus pré­coce. Dans ce cas, au statut de la ville s’a­joute sa com­po­si­tion sociale plus bour­geoise à Aix qu’à Mar­seille. Ce sont en effet les class­es moyennes-supérieures qui ont la plus faible fécon­dité et ce sont elles qui ont investi les villes dom­i­nantes. On con­state que les villes de com­man­de­ment ont une fécon­dité plus faible que les autres et que leur envi­ron­nement rur­al. Même si la dif­férence entre le sud-ouest et le reste du ter­ri­toire se main­tient, elle est altérée par la sous-fécon­dité des sièges des cap­i­tales régionales : Toutes les cap­i­tales régionales, sauf Mar­seille, ont une fécon­dité inférieure à celle de leur région. 

Influence politique

Repères
Georges Lavau est à l’o­rig­ine du terme de tri­buni­cien. Il désig­nait de cette manière les votes du PC motivés, non pas par un pro­gramme de gou­verne­ment mais, par un rejet du sys­tème et par un mécon­tente­ment glob­al. Désor­mais, les tri­buni­ciens sont nom­breux de l’ex­trême-droite à l’ex­trême gauche.


À gauche : pro­por­tion des suf­frages obtenus par les can­di­dats au pre­mier tour de l’élection prési­den­tielle de 2002 qui se pronon­ceront ultérieure­ment pour le non au référen­dum de 2005 (carte lissée).
À droite : suf­frage en faveur du non au référen­dum de 2005 (carte lissée).

En matière d’opin­ion poli­tique et de vote par­ti­san, le terme d’in­flu­ence est sans doute plus exact que celui de com­man­de­ment. Dans cer­taines com­munes, les électeurs ont le sen­ti­ment de pou­voir influer sur les événe­ments, dans d’autres, ils se sen­tent relégués et impuissants.

Le coeur des villes dom­i­nantes s’oppose aux franges périurbaines

Alors que depuis le début du XXe siè­cle, les régions laïques étaient en général à gauche et les régions cléri­cales à droite, une nou­velle coupure est apparue qui oppose les votes ” tri­buni­ciens ” aux votes pour les par­tis de gou­verne­ment. Il y a deux siè­cles, le con­traste se pro­dui­sait en ville entre locataires des étages supérieurs et habi­tants de l’é­tage noble, et à la cam­pagne entre le hobereau et ses roturi­ers. Il y a un siè­cle, l’échelle de l’op­po­si­tion s’é­tait éten­due à toute la ville découpée en quartiers bour­geois et pop­u­laires. Aujour­d’hui, c’est l’ensem­ble du ter­ri­toire nation­al qui est con­cerné avec le coeur des villes dom­i­nantes s’op­posant aux franges péri-urbaines les plus loin­taines selon un gra­di­ent crois­sant avec la distance.

Bibliographie

Le jour où la France a dit non, Paris, Plon, 2005, 154p. (avec J.C. Cam­badélis, A. Bergoug­noux, J. Pisani-Fer­ry, D. Strauss-Kahn).

Une autre France : votes, réseaux de rela­tions et class­es sociales, Paris, Odile Jacob, 2000, 226p.

I Cos­tu­mi in Europa Occi­den­tale, in Sto­ria d’Eu­ropa T IV, P. Bairoch et E. Hob­s­bawn eds., Turin, Ein­au­di, 1996, p. 801–918.

Trois com­posantes des moeurs en France, in Les mod­èles expli­cat­ifs du vote, sous la dir. de N. May­er, Paris, L’Har­mat­tan, 1997, p.85–110.

Les Trois France, Paris, éd. Odile Jacob-Le Seuil (réed en poche Opus, 1995), 1986, 484p.

L’in­ven­tion de la France, Paris, Hachette-Pluriel (avec E. Todd), 1981, 512p.

Parmi les ouvrages généraux sur le sujet :

‑A. Siegfried : Tableau poli­tique de la France de l’Ouest, Paris-Genève, Slatkine reprint, 1980 (repro­duc­tion de l’o­rig­i­nal de 1912).

‑G. Augustins : Com­ment se per­pétuer ? devenir des lignées et des­tin des pat­ri­moines dans les paysan­ner­ies européennes, Paris, Société d’eth­nolo­gie, 1989.

‑F. Braudel : L’i­den­tité de la France, Paris, Flam­mar­i­on, 1988.

‑M. Bloch : Les car­ac­tères orig­in­aux de l’his­toire rurale française, Paris, Albin Michel, 1931.

‑M. Agul­hon : La république au vil­lage, Paris, Gal­li­mard, 1970.

‑T. Tack­ett : La Révo­lu­tion, l’Eglise, la France, Paris, Cerf, 1986.

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