Et l’avenir des pilotes ?

Dossier : Trafic aérienMagazine N°535 Mai 1998
Par Jean-Claude BÜCK (50)

Ils ne font plus beau­coup par­ler d’eux sauf quand ils font grève ou quand un acci­dent se pro­duit1 car, si tout acci­dent a pour cause une erreur humaine, ou plu­tôt une conver­gence d’er­reurs humaines comme l’a mon­tré l’ac­ci­dent du Mont Sainte-Odile en 1994, aux yeux du public et de la presse, l’er­reur humaine c’est d’a­bord et tou­jours la faute du pilote.

Les pilotes de ligne ont donc du vague à l’âme. Leur pro­fes­sion se trans­forme et, comme dans bien d’autres indus­tries ou dans l’a­gri­cul­ture, cette trans­for­ma­tion est dif­fi­cile à vivre même si la for­ma­tion per­ma­nente à laquelle ils sont sou­mis les a mieux pré­pa­rés que d’autres au changement.

Environnement technique

La trans­for­ma­tion est d’a­bord sen­sible dans le domaine tech­nique. À bord d’un avion le pilote doit assu­rer quatre fonc­tions : pilo­tage ou sui­vi de tra­jec­toire, navi­ga­tion ou déter­mi­na­tion de la tra­jec­toire, com­mu­ni­ca­tions et ges­tion des systèmes.

Pilotage

Aux temps héroïques, il fal­lait maî­tri­ser la tra­jec­toire en agis­sant sur des com­mandes de vol quel­que­fois capri­cieuses et en cher­chant les infor­ma­tions sur des ins­tru­ments impré­cis dis­per­sés sur le tableau de bord ; cela deman­dait de l’ha­bi­le­té, éven­tuel­le­ment une cer­taine force phy­sique et fai­sait appel à tous les sens.

De nos jours, un avion se pilote du bout des doigts, les actions sur les com­mandes de vol inter­pré­tées par des cal­cu­la­teurs, les efforts sont arti­fi­ciels et, les infor­ma­tions, de qua­li­té, regrou­pées sur un nombre res­treint de tubes catho­diques ne font pra­ti­que­ment plus appel qu’au sens de la vue à l’ex­cep­tion de quelques alarmes sonores. Enfin, les pilotes auto­ma­tiques ont fait de tels pro­grès que l’on peut pra­ti­que­ment les uti­li­ser d’un bout à l’autre du vol, ce qui réduit le pilote au rôle de pro­gram­ma­teur et de surveillant.

Navigation

Il y a qua­rante ans, la qua­li­té des infor­ma­tions de cap était pro­blé­ma­tique, la navi­ga­tion se fai­sait essen­tiel­le­ment à l’es­time avec des reca­lages plus ou moins pré­cis par des points radio ou des points astronomiques.

La trans­mis­sion auto­ma­tique des don­nées se géné­ra­lise per­met­tant au pilote de rece­voir sur une impri­mante toutes les infor­ma­tions météo­ro­lo­giques et opé­ra­tion­nelles dont il a besoin, et même celles dont il n’a pas besoin. On passe d’une infor­ma­tion rare, à la demande, à une infor­ma­tion auto­ma­tique et surabondante.

Main­te­nant, les cen­trales iner­tielles four­nissent des infor­ma­tions de cap extrê­me­ment pré­cises libé­rées des fan­tai­sies du magné­tisme ter­restre et per­mettent une navi­ga­tion assez bonne sans assis­tance exté­rieure. Les sys­tèmes de navi­ga­tion par satel­lite qui com­mencent à deve­nir opé­ra­tion­nels sont d’une pré­ci­sion qui sem­blait inima­gi­nable il y a quelques années. Comme on peut cou­pler le sys­tème de navi­ga­tion au pilote auto­ma­tique, le pilote, là encore, se retrouve devant un ordi­na­teur de bord qui est en géné­ral pré­pro­gram­mé. Il est réduit à un rôle de sur­veillance active, ce qui ne va pas sans effets per­vers car tout chan­ge­ment de tra­jec­toire impré­vu néces­site une repro­gram­ma­tion qui demande du temps et qui, en détour­nant le pilote de la sur­veillance de la tra­jec­toire, a été à l’o­ri­gine d’in­ci­dents et même d’ac­ci­dents2.

Communications

L’al­pha­bet Morse a été aban­don­né en 1997. Il avait lais­sé depuis long­temps la place à la radio­té­lé­pho­nie d’un accès plus facile. Les com­mu­ni­ca­tions par satel­lites devraient per­mettre, dans un ave­nir proche, de n’u­ti­li­ser plus que les très hautes fré­quences (VHF, UHF) qui feront oublier aux pilotes les hautes fré­quences (HF) dont la fia­bi­li­té et le confort étaient aléatoires.

Gestion des systèmes

Ce que l’on appe­lait autre­fois » la méca­nique » et qui, sur les vols long- cour­riers, néces­si­tait la pré­sence de deux méca­ni­ciens navi­gants est main­te­nant lar­ge­ment auto­ma­ti­sé et ne demande plus que des inter­ven­tions ponc­tuelles de l’é­qui­page. L’é­tat des sys­tèmes est pré­sen­té en per­ma­nence sur des tubes catho­diques qui affichent, en cas de néces­si­té, les check-lists de trai­te­ment des ano­ma­lies. La mise en mémoire des para­mètres per­met à la main­te­nance d’in­ter­ve­nir à bon escient.

Toutes ces fonc­tions étaient aupa­ra­vant assu­rées par des spé­cia­listes : radios, navi­ga­teurs, méca­ni­ciens qui ont dis­pa­ru des cock­pits même si les méca­ni­ciens navi­gants font encore de la résis­tance. Il y a main­te­nant dix ans que l’on ne construit plus que des avions pour un équi­page réduit à deux pilotes mais leurs pré­dé­ces­seurs ont la vie longue. On ne des­cend pas en des­sous de deux pilotes, car de même qu’un avion doit pou­voir sur­vivre à toute panne qui n’est pas extrê­me­ment impro­bable, de même il doit pou­voir atter­rir en sécu­ri­té en cas de défaillance d’un pilote3.

Dans le cock­pit, toutes les manœuvres, tous les dia­logues sont stan­dar­di­sés ; aucune action, aucun affichage
de para­mètre n’est effec­tué sans que l’autre pilote n’en ait véri­fié la per­ti­nence et contrô­lé l’exécution.

Le pilote doit donc pos­sé­der toutes les connais­sances néces­saires à l’exé­cu­tion du vol et être pré­pa­ré à toutes les éven­tua­li­tés. Ce n’est pas là le moindre des para­doxes : au moment où il est de plus en plus réduit à un rôle de sur­veillance active, il doit accu­mu­ler les connais­sances et s’en­traî­ner constam­ment pour être capable de maî­tri­ser des situa­tions qu’il ne ren­con­tre­ra peut-être jamais. Cet entraî­ne­ment constant est sanc­tion­né par des contrôles pério­diques qui viennent s’a­jou­ter aux visites médi­cales pério­diques. Dans les deux cas, il n’y a pas de droit à l’er­reur et les pilotes se demandent sou­vent s’il ne serait pas sage de sou­mettre tous les déten­teurs de pou­voir, éco­no­mique ou poli­tique, à des obli­ga­tions analogues.

L’é­vo­lu­tion du métier de pilote n’a pas été que tech­nique, elle a, aus­si, été cultu­relle. On est pas­sé, en une géné­ra­tion, de la démons­tra­tion d’ex­cel­lence indi­vi­duelle dans un espace de liber­té à un tra­vail d’é­quipe se rédui­sant de plus en plus à un enchaî­ne­ment de pro­cé­dures dans un espace encom­bré où la liber­té de manœuvre est de plus en plus réduite4.

On est pas­sé aus­si, et c’est encore plus impor­tant, du prin­cipe » un bon pilote ne fait jamais d’er­reurs » au prin­cipe » un bon équi­page ne doit pas faire d’er­reurs « . Bien avant les équi­pages de l’A­me­ri­ca’s Cup ou les équipes de For­mule 1, les pilotes ont appris que la sécu­ri­té et l’ef­fi­ca­ci­té pas­saient par une ana­lyse exhaus­tive de toutes les pos­si­bi­li­tés d’er­reurs, par la mise au point de pro­cé­dures de trai­te­ment de toutes les pannes ou erreurs envi­sa­geables et par la défi­ni­tion du tra­vail en équi­page néces­si­tant une for­ma­tion spécifique.

La réflexion en ce domaine se pour­suit et on en arrive main­te­nant au concept : « Tout le monde com­met, tôt ou tard, une erreur ; il faut donc conce­voir un sys­tème avion/équipage et défi­nir des pro­cé­dures telles qu’une erreur n’au­ra pas de consé­quences catastrophiques ».
Ce sys­tème est amé­lio­ré en per­ma­nence par l’a­na­lyse des erreurs com­mises (retour d’expérience).

Les études portent sur l’er­go­no­mie du poste de pilo­tage et sur l’in­ter­face homme/machine. Après avoir mis à la dis­po­si­tion du pilote des ordi­na­teurs ayant des pos­si­bi­li­tés presque infi­nies, on s’in­té­resse aux ordi­na­teurs » convi­viaux » dont le mode de fonc­tion­ne­ment est per­cep­tible par le cer­veau humain ; ce que les Anglo-Saxons appellent » user’s friend­ly « . Il a bien fal­lu de nom­breuses années pour que les fabri­cants de machines à laver renoncent à la mul­ti­pli­ci­té des pro­grammes qui fai­saient plai­sir à leurs ingé­nieurs mais que les ména­gères n’u­ti­li­saient jamais.

Les études portent aus­si sur le main­tien de la vigi­lance qui est si dif­fi­cile avec les sys­tèmes pilo­tés modernes dotés d’un tableau de bord com­plexe sur lequel, si tout va bien, il ne se passe rien. Les mêmes pro­blèmes se posent dans une cen­trale nucléaire et dans un avion de ligne où ils sont aggra­vés par le vol de nuit et le déca­lage horaire.

Environnement économique

En trente ans, la dis­pa­ri­tion des spé­cia­listes a mul­ti­plié par 3 la pro­duc­ti­vi­té des pilotes ; l’aug­men­ta­tion de la vitesse des avions l’a mul­ti­pliée par 2 et, enfin, l’aug­men­ta­tion de la capa­ci­té des avions a pu la mul­ti­plier jus­qu’à 7 fois.

On voit donc que la pro­duc­ti­vi­té totale a aug­men­té de 6 à 40 fois. Cette aug­men­ta­tion s’est faite de manière dis­con­ti­nue au fur et à mesure du renou­vel­le­ment des flottes. En pas­sant du B 707 au B 747, on passe de 140 à 500 passagers.

Ces dis­con­ti­nui­tés se réper­cutent sur les besoins en pilotes des compagnies.

Il y a trois sources de pilotes en France :

  • l’É­cole natio­nale de l’a­via­tion civile (ENAC)5 qui recrute sur concours niveau math spé (les études sont gra­tuites et les élèves reçoivent une modeste solde) ;
  • les Armées. La for­ma­tion est gra­tuite en contre­par­tie d’un enga­ge­ment de dix ans minimum ;
  • les écoles pri­vées. Les élèves payent leur formation.

Comme la for­ma­tion d’un pilote prend au moins deux ans et que les pré­vi­sions à moyen terme des com­pa­gnies ne sont en géné­ral pas de bonne qua­li­té, il est dif­fi­cile d’as­sor­tir l’offre à la demande. Or la for­ma­tion ini­tiale d’un pilote est très oné­reuse (de 300 à 500 KF) et le pilote débu­tant est un pro­duit qui se dégrade rapi­de­ment s’il ne s’en­traîne pas de façon régulière.

Que sur­vienne un acci­dent de conjonc­ture et l’é­cart entre l’offre et la demande prend des pro­por­tions catas­tro­phiques. C’est ce qui s’est pro­duit en 1990 : le tra­fic était en pleine expan­sion, toutes les com­pa­gnies fai­saient des pré­vi­sions de forte crois­sance et recru­taient des pilotes. Air France deman­dait à la direc­tion de l’A­via­tion civile d’aug­men­ter le recru­te­ment de l’E­NAC et com­men­çait la for­ma­tion de cen­taines de pilotes ab ini­tio quand sur­vinrent la guerre du Golfe et une forte réces­sion du tra­fic aérien. Toute embauche de pilotes fut sus­pen­due ; mais la machine était lan­cée et conti­nuait à pro­duire des pilotes qui allaient s’ins­crire direc­te­ment au chô­mage. Mal­gré la dimi­nu­tion, puis l’ar­rêt, de la for­ma­tion de pilotes par l’E­NAC, chaque année, des cen­taines de nou­veaux pilotes ayant payé eux-mêmes leur for­ma­tion, sou­vent en s’en­det­tant lour­de­ment, arrivent sur le marché.

Le nombre des pilotes au chô­mage a conti­nué à gros­sir pour atteindre 15 % des effec­tifs mal­gré la reprise de la crois­sance et mal­gré la déré­gle­men­ta­tion qui, en per­met­tant à de nou­velles entre­prises d’en­trer sur le mar­ché, a, par exemple, mul­ti­plié les vols entre Paris et les grandes villes de pro­vince obli­geant Air Inter, deve­nu Air France, à se débar­ras­ser de ses Air­bus 330 à 400 pas­sa­gers pour les rem­pla­cer par des avions plus petits.

Pen­dant ce temps, de nom­breux pays euro­péens manquent de pilotes mais ne peuvent employer des pilotes fran­çais car une licence de pilote n’est valable que pour pilo­ter un avion imma­tri­cu­lé dans l’É­tat qui a émis la licence.
À la demande de la Com­mu­nau­té euro­péenne, une régle­men­ta­tion unique (JAR FCL)6 est en train de se mettre en place pour per­mettre, à par­tir de 1999 aux pilotes euro­péens for­més et contrô­lés à l’i­den­tique de voler sur n’im­porte quel avion imma­tri­cu­lé en Europe. L’é­lar­gis­se­ment du mar­ché devrait contri­buer à sa régulation.

Les dif­fi­cul­tés finan­cières d’Air France et les res­tric­tions impo­sées par la Com­mis­sion euro­péenne l’ont empê­chée de recru­ter jus­qu’en 1996. Elle met main­te­nant les bou­chées doubles et n’est limi­tée que par ses capa­ci­tés de for­ma­tion. Il faut, en effet, des simu­la­teurs de vol et des ins­truc­teurs, qui sont eux-mêmes des pilotes de ligne, pour qua­li­fier les nou­veaux embau­chés sur les avions qu’ils pilo­te­ront en ligne. On voit, une fois encore, les effets de l’i­ner­tie du sys­tème : de nom­breux pilotes sont au chô­mage pen­dant que des vols sont annu­lés faute de pilotes.

Les armées ont tou­jours four­ni un recru­te­ment d’ap­point aux com­pa­gnies aériennes. La car­rière d’un pilote mili­taire est plus brève que celle d’un pilote civil et, pour assu­rer à ses pilotes une recon­ver­sion facile, l’É­tat-major envi­sage de faire agréer ses écoles pour leur per­mettre d’ac­qué­rir les licences et les qua­li­fi­ca­tions civiles. Il s’a­git là d’une petite révo­lu­tion puisque cela implique un cer­tain droit de regard des auto­ri­tés civiles sur les écoles mili­taires. Ce contrôle a déjà été accep­té par les centres d’exa­men médi­cal du per­son­nel navi­gant. On peut même rêver, un jour, d’un tronc com­mun pour la for­ma­tion de début, sui­vi ensuite d’une for­ma­tion spé­cia­li­sée : pilote de ligne ou pilote militaire.

Une fois entré dans une com­pa­gnie aérienne, un pilote coûte cher. Son salaire est sou­vent mis en exergue mais, contrai­re­ment à des idées reçues, les salaires des pilotes fran­çais ne sont pas, après impôts, supé­rieurs à ceux de com­pa­gnies rivales. Il faut y ajou­ter les frais de for­ma­tion per­ma­nente et d’en­traî­ne­ment pério­dique, qui se font essen­tiel­le­ment sur simu­la­teur de vol. Il faut au préa­lable que le pilote ait été qua­li­fié sur un type d’a­vion (de 230 à 400 KF et un mois et demi d’immobilisation).

Il est sur­pre­nant de consta­ter que les pilotes sont en France payés à l’heure et que le prix de l’heure varie avec la masse et la vitesse de l’a­vion. Tous les pilotes aspirent donc à voler sur les avions les plus lourds et, comme le pas­sage d’un avion à l’autre se fait à l’an­cien­ne­té, les pilotes les plus âgés subissent les inter­mi­nables nuits en vol et les déca­lages horaires même si nombre d’entre eux seraient plus heu­reux sur Paris Nice. Ce sys­tème éton­nant entraî­nait des cas­cades de qua­li­fi­ca­tions dès qu’une place était dis­po­nible sur l’a­vion le plus per­for­mant. Il a fal­lu le tem­pé­rer par des durées d’a­mor­tis­se­ment des qua­li­fi­ca­tions et, depuis quelques années, par une limi­ta­tion du nombre des qua­li­fi­ca­tions au cours d’une car­rière. La qua­si-tota­li­té des com­pa­gnies per­for­mantes dans le monde ont aban­don­né ce sys­tème et payent leurs pilotes en fonc­tion de leur ancienneté.

Le coût total des pilotes inter­vient pour envi­ron 8 % dans le prix de revient de l’heure de vol. Pour ten­ter de dimi­nuer le coût de la for­ma­tion, on uti­lise au maxi­mum les ordi­na­teurs et les moyens de simu­la­tion les plus sophis­ti­qués et on limite les objec­tifs à ce qui est abso­lu­ment indis­pen­sable (need to know) en lais­sant de côté ce qui est inté­res­sant à connaître (nice to know). On forme ain­si des pilotes exé­cu­tant à la per­fec­tion les pro­cé­dures (nor­males, anor­males et d’ur­gence) mais dont on n’est pas abso­lu­ment sûr qu’ils sau­ront se sor­tir de situa­tions impré­vues. C’est une situa­tion connue : pour avoir son per­mis de conduire, il faut connaître le code de la route, faire un » cré­neau » et rou­ler à 50 km à l’heure en ville mais le nou­veau conduc­teur est abso­lu­ment inca­pable d’ef­fec­tuer un frei­nage d’ur­gence ou de contrô­ler une amorce de dérapage.

On essaye aus­si de faire voler au maxi­mum les pilotes. Les frais de for­ma­tion et de main­tien des com­pé­tences sont si éle­vés que les heures sup­plé­men­taires coûtent moins cher que l’embauche de jeunes pilotes. La sécu­ri­té impose tou­te­fois des limites dif­fi­ciles à défi­nir puisque la fatigue et la perte de vigi­lance sont dif­fi­ciles à mesu­rer. Une concep­tion toute per­son­nelle me fait pen­ser que la fatigue dépend de la dis­tance par­cou­rue et non pas du temps mis à la par­cou­rir. On a pu le véri­fier lors du pas­sage des avions à hélice aux avions à réac­tion sur les vols trans­mé­di­ter­ra­néens et, sur les vols Paris New York, en pas­sant du Boeing au Concorde.

Les limi­ta­tions de temps de vol sont l’ob­jet d’ac­cords âpre­ment dis­cu­tés. La qua­li­té du dia­logue social est déter­mi­nante. Elle est hélas aus­si mau­vaise dans le trans­port aérien que dans le trans­port rou­tier. Il a fal­lu attendre des acci­dents pour que, aux États-Unis, on aligne sur les plus sévères les limi­ta­tions de temps de vol des vols car­go domes­tiques et celles des vols inter­na­tio­naux7, et le cha­pitre « limi­ta­tions de temps de vol » a été reti­ré pro­vi­soi­re­ment de la régle­men­ta­tion euro­péenne faute d’un accord.

Il est enfin pos­sible de délo­ca­li­ser les pilotes en domi­ci­liant leurs contrats de tra­vail dans un pays où les charges sont moins lourdes, comme Jer­sey. Les pilotes s’y retrouvent finan­ciè­re­ment mais perdent toute pro­tec­tion sociale.

Environnement juridique

On a pu voir dans ce domaine quelques inno­va­tions inté­res­santes : les pilotes peuvent être sou­mis à des amendes s’ils ne res­pectent pas avec assez de pré­ci­sion les tra­jec­toires anti-bruit aux abords des aéro­ports. Mais la menace la plus sérieuse qui pèse sur leur tête, comme sur celle de tous les déci­deurs, est celle de mise en exa­men pour « atteinte à la sûre­té d’au­trui » dès le moindre inci­dent. Et la pré­somp­tion d’in­no­cence joue rare­ment en faveur du pilote.

On peut com­prendre les inquié­tudes des pilotes, sur­tout quand ils entendent un diri­geant d’une des plus grosses entre­prises de construc­tion d’aé­ro­nefs décla­rer : « La vraie ques­tion du XXIe siècle est de savoir s’il fau­dra encore un pilote dans les avions. »

Et pour­tant les can­di­dats conti­nuent à se bous­cu­ler à la porte des écoles de pilotage !

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1. Encore faut-il qu’il y ait des pas­sa­gers à bord. L’ac­ci­dent du vol TWA 800 tient en haleine la presse et le public pen­dant des mois. L’ac­ci­dent d’un avion car­go entraî­nant la mort de l’é­qui­page fait trois lignes en troi­sième page des jour­naux, sauf si le pilote a le mau­vais goût de s’é­cra­ser sur une zone habi­tée comme à Irkoutsk.
2. Voir l’ac­ci­dent d’un B 757 à Bogo­ta : une repro­gram­ma­tion tar­dive du sys­tème de ges­tion de vol pour suivre les ins­truc­tions du contrôle a fait virer l’a­vion du mau­vais côté, vers la montagne.
3. Dans ce cas, il ne reste plus qu’un pilote dis­po­nible. Les deux pilotes doivent donc avoir la même com­pé­tence, ce qui n’est pas tou­jours le cas.
4. Des tra­jec­toires obli­ga­toires de départ et d’ar­ri­vée avec des vitesses impo­sées sont en vigueur sur tous les aéro­dromes d’une cer­taine importance.
5. L’ENAC a ces­sé la for­ma­tion de pilotes en 1997.
6. JAR FCL : Joint Avia­tion Requi­re­ments Flight Crew Licensing.
7. Là encore, comme la vie des pas­sa­gers n’est pas en jeu, la FAA admet­tait des limi­ta­tions moins sévères pour les vols car­go que pour les vols pas­sa­gers. De même, tou­jours aux USA, les avions car­go sont dis­pen­sés du sys­tème anti-col­li­sion (T‑CAS) impo­sé aux avions passagers.















 

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