L'équipe d'Ekimetrics, leader de la valorisation de données

Ekimetrics, les pionniers de la valorisation des données

Dossier : TrajectoiresMagazine N°769 Novembre 2021
Par Hervé KABLA (84)

En 2006 François Poitrine (2000) a cofondé avec trois autres cama­rades Eki­met­rics, qui est leader européen en data sci­ence. La mis­sion est d’aider les entre­pris­es à auditer leurs oppor­tu­nités data, enrichir leur cap­i­tal ana­ly­tique et déploy­er des solu­tions actionnables per­me­t­tant de max­imiser leur per­for­mance mar­ket­ing et opéra­tionnelle, et réén­er­gis­er leurs busi­ness modèles.

Quelle est l’activité d’Ekimetrics ?

Nous inter­venons dans un domaine que l’on appelle data sci­ence for busi­ness. Nous accom­pa­gnons nos clients, de grandes entre­pris­es prin­ci­pale­ment, pour la mise en place de cas d’usage qui utilisent mas­sive­ment des données.

On trou­ve de telles util­i­sa­tions dans dif­férents domaines, prin­ci­pale­ment sur qua­tre types de sujet : l’optimisation du mar­ket­ing mix, pour mesur­er et opti­miser les leviers mar­ket­ing online ou offline, dans l’optimisation de la stratégie client par des méth­odes de scor­ing ou de seg­men­ta­tion de pop­u­la­tions cibles, dans la sup­ply chain et l’excellence opéra­tionnelle par la mesure et l’optimisation de l’impact car­bone, par exem­ple, ou l’optimisation d’une chaîne logis­tique, ou encore dans la créa­tion de nou­veaux ser­vices et busi­ness mod­èles qui visent à con­stru­ire avec nos clients des ser­vices inno­vants s’appuyant sur la don­née et ayant pour voca­tion de trans­former une par­tie de la chaîne de valeur.

Quelques exem­ples sur ce sujet d’innovation : des fonds d’investissement s’appuyant sur du traite­ment du lan­gage naturel pour effectuer des choix d’achat de titres, une appli­ca­tion de pre­scrip­tion de pro­duits cos­mé­tiques s’appuyant sur les car­ac­téris­tiques de la peau (iden­ti­fiée avec la com­put­er vision), un out­il d’optimisation des livraisons de mag­a­zines dans les maisons de la presse en s’appuyant sur un algo­rithme de prévi­sion de la demande.

Comment vous est venue l’idée ?

C’est le fruit à la fois d’une intu­ition et d’un peu de hasard. Il y a une quin­zaine d’années, tous les fon­da­teurs se sont retrou­vés en sor­tie d’école, regroupés autour de Jean-Bap­tiste, dans un cab­i­net de con­seil inté­gré au sein d’une agence de com­mu­ni­ca­tion, DDB, pour faire de l’analyse de don­nées mar­ket­ing. Une des idées, à la base, était d’être des plan­ners stratégiques aug­men­tés par la data : com­ment met­tre de l’analyse autour des médias et des métiers de la créa­tion. Le terme data sci­ence n’existait pas encore et DDB ne savait quoi faire de ces qua­tre X. Nous sommes par­tis et avons créé Eki­met­rics. Il y a une part de chance, cela aurait tout aus­si bien pu se créer comme un pro­jet en intrapre­neuri­at. Mais il y a aus­si l’intuition, issue de l’expérience don­nées et busi­ness chez DDB. 

Quel est le parcours des fondateurs ? 

Nous sommes tous sor­tis de l’X à peu près à la même époque. Jean-Bap­tiste Bouzige et François Poitrine sont deux kessiers de la 2000, Quentin Michard est de la même pro­mo. Paul Seguineau (2002) est arrivé comme sta­giaire via l’École des mines. Il y avait un cinquième lar­ron, Emmanuel de Béjar­ry (2001), mais il est par­ti vers d’autres hori­zons. Nos rôles sont claire­ment étab­lis : Jean-Bap­tiste tient celui du CEO, Quentin s’est con­cen­tré sur le développe­ment inter­na­tion­al (Roy­aume-Uni et Hong Kong pour débuter), Paul dirige l’activité en France, et François inter­vient sur l’innovation et la ges­tion des assets et de la pro­priété intellectuelle.

“Notre credo, c’est : Good AI for Good.”

Qui sont les concurrents ? 

Il y en a plusieurs, et de plusieurs types. Le prin­ci­pal, selon nous, c’est BCG Gam­ma, la branche chargée de l’activité data sci­ence du BCG. Sa grande qual­ité : tir­er les prix et la valeur des pro­jets vers le haut. Il nous arrive aus­si de crois­er Quant­metry (créée par Jérémy Har­roch qui a été inter­viewé dans le numéro 709) et sur les sujets plus mar­ket­ing : Arte­fact (égale­ment créée par des X) ou encore l’américain Ana­lyt­ics Partner.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ? 

Nous avons été les pio­nniers dans ce domaine. Arte­fact et Quant­metry sont arrivés cinq ou six ans après nous par exem­ple. Au début, durant les cinq pre­mières années, notre phase de jeunesse, nous avons évangélisé le secteur. Ensuite, nous sommes passés à une pro­fes­sion­nal­i­sa­tion, notre phase d’adolescence, durant laque­lle nous avons struc­turé le busi­ness ; nous nous sommes inter­na­tion­al­isés. Le marché s’est struc­turé, c’est à ce moment que le nom de data sci­ence est apparu. Nous sommes alors passés de sujets mar­ket­ing à des sujets plus busi­ness, puis à des sujets hors mar­ket­ing, entre les métiers et la DSI. Le marché est désor­mais mûr, même s’il est tou­jours en croissance.

De plus gros acteurs sont arrivés, avec une forte pro­fes­sion­nal­i­sa­tion de la chaîne de valeur. Nous avons levé récem­ment des fonds, 24 M€, auprès de Bpifrance et de Tike­hau Cap­i­tal. Désor­mais, avec près de 300 per­son­nes, recon­nus dans notre domaine, mais assez peu con­nus hors de France, nous devons accélér­er la crois­sance à l’international (États-Unis et Asie), procéder à des acqui­si­tions tech­nologiques ou sur le cœur de méti­er, et dévelop­per nos assets en interne.

Data science, IA, big data, comment s’y retrouver parmi toutes ces appellations ? 

Une chose est sûre : ce n’est clair pour per­son­ne, et cer­tains prof­i­tent de la con­fu­sion ain­si établie. Le terme IA cou­vre des choses finale­ment très dif­férentes, on essaie donc de l’utiliser avec parci­monie, car l’IA est un domaine très spé­ci­fique : quand on utilise cer­tains types d’approche (les réseaux de neu­rones, par exem­ple) ou quand on essaie de repro­duire ce que fait l’être humain. Chez Eki­met­rics, on préfère utilis­er le terme de data sci­ence. D’abord parce que la don­née con­stitue notre matéri­au de base. Ensuite parce qu’on fait réelle­ment de la sci­ence, avec des usages plus ou moins com­pliqués. C’est une sci­ence qui n’est pas que math­é­ma­tique, par­fois plus tech­nologique ou infor­ma­tique. Nous essayons de pop­u­laris­er l’expression de deci­sion sci­ence, pour indi­quer qu’on cherche à mon­tr­er com­ment la sci­ence peut aider à pren­dre des décisions.

Quels sont les principaux secteurs demandeurs et ceux où justement il n’y a rien à faire ? 

Il n’y a plus beau­coup de secteurs où il n’y a rien à faire. En B2C, c’est presque tou­jours le cas, parce qu’on gère un vol­ume impor­tant de clients et donc de don­nées, et que le vol­ume est la con­di­tion impéra­tive pour faire des sta­tis­tiques et du machine learn­ing. On trou­ve donc naturelle­ment de nom­breux usages dans le mar­ket­ing. En B2B, on va plutôt aller regarder le cœur du méti­er, s’il gère un vol­ume impor­tant de don­nées. On regarde alors des com­porte­ments plus spé­ci­fiques, par exem­ple la détec­tion de fraude ou un défaut de paiement, ou dans la sup­ply chain.

On trou­ve aus­si des usages en san­té. Nous tra­vail­lons peu sur les sujets plus indus­triels, autour des cap­teurs et de la détec­tion de pannes, bien que nous en fas­sions en B2C, notam­ment dans l’automobile. La data sci­ence touche tout le monde et impacte même les sujets plus « col blanc » comme ceux rel­e­vant de l’automatisation, tel le méti­er d’avocat. On n’automatisera certes pas les cas d’expertise, lorsqu’on doit maîtris­er des usages peu fréquents et très spé­ci­fiques, mais l’automatisation touchera les tâch­es récur­rentes et peu intéres­santes. Bref, tout le monde doit s’y intéresser.

Que deviendra ce secteur dans dix ou vingt ans ? 

Même quand on fait de la data sci­ence, il est dif­fi­cile de prévoir l’avenir ! Nous avons cepen­dant une vision claire du marché : il y a d’une part des sociétés plutôt tech­nologiques, qui se dévelop­pent partout. C’est bien mais, pour elles, il faut tou­jours s’adapter aux dernières nou­veautés. À côté, on trou­ve des acteurs du conseil.

Nous pen­sons que ce qui va se dévelop­per durable­ment, c’est le mod­èle inter­mé­di­aire : il y aura tou­jours de la tech, mais le con­seil va con­naître des années plus dif­fi­ciles. Nous sommes sur un mod­èle de solu­tion : un cœur très tech­nologique, qu’on peut cus­tomiser, adapter. La par­tie con­seil ne sera là que pour aller tir­er la valeur vers le haut.

Dans dix ou quinze ans, main­tenant, je ne sais pas ce qui arrivera. On ver­ra peut-être se dévelop­per l’approche AutoML (auto­mat­ed machine learn­ing), comme celle sur laque­lle tra­vaille Dataiku : on va automa­tis­er même la tâche des data sci­en­tists. Peut-être que notre méti­er aura rad­i­cale­ment changé. Nous avons déjà changé qua­tre fois en quinze ans, il fau­dra savoir s’adapter. En tout cas, notre méti­er ne dis­paraî­tra pas, je pense qu’il restera dif­fi­cile de nous automa­tis­er, après vingt ans d’expérience.

La consolidation va-t-elle avoir lieu ? 

On n’y est pas encore, le marché pro­gresse de 25 % par an, mais oui, sûre­ment. À un cer­tain stade de développe­ment, pour se défendre, il faut des moyens. La lev­ée de fonds va nous per­me­t­tre d’accélérer. Les grands acteurs fer­ont peut-être leur marché : Google, qui a mis des billes dans Dataiku par exem­ple, ou bien les gros cab­i­nets de con­seil (Accen­ture, Capgem­i­ni, BCG).

Il y a aus­si d’autres acteurs dont on par­le beau­coup, dont Ope­nAI qui a mené le pro­jet GPT‑3, qui sont des acteurs qui mènent une course à la taille et la puis­sance. Mais, avec ce type d’acteurs, il nous sem­ble voir une forte décor­réla­tion entre le côté mar­ket­ing de ce qu’ils avan­cent et la réal­ité de la tech­nolo­gie der­rière. Ce qu’ils font est tech­nique­ment incroy­able mais, quand on creuse, on se rend compte qu’il y a plein de choses dont ils se van­tent et qui ne fonc­tion­nent pas réelle­ment. Le plus gros dan­ger, c’est que, alors que la ten­dance à l’open source émerge, des acteurs comme Ope­nAI fassent tout pour fer­mer et pro­téger leur tech­nolo­gie, parce que, lorsque des acteurs économiques investis­sent de telles sommes dans un pro­gramme, d’un moment à l’autre ils le pro­tégeront. Et cela risque de refer­mer et ren­dre exclusif plus que d’ouvrir et de diffuser.

Un acteur comme Ekimetrics a‑t-il un rôle sociétal à jouer ? 

Oui, bien sûr. Et, plus que Tech for Good, notre cre­do, c’est : Good AI for Good. Il y a beau­coup de mar­ket­ing et d’enfumage autour de tout ça, mais c’est un vrai sujet de fond. Il y a un sujet sur les valeurs de l’entreprise, mais aus­si un sujet qui touche à l’éducation : dévelop­per tout ce qui touche à la respon­s­abil­ité des entre­pris­es. Il y a des sujets de ratio­nal­i­sa­tion des coûts liés à des sujets de pro­duc­tion de CO2, par exem­ple. Et on peut tra­vailler sur l’ensemble de la chaîne de valeur pour avoir plus d’impact, des choix opéra­tionnels en remon­tant à des choix d’investissement. Par exem­ple, nous avons par­ticipé au mon­tage d’un fonds, appelé Green Plan­et, pour soutenir ces sujets.

La data aide énor­mé­ment, car cela per­met de quan­ti­fi­er et de mesur­er à la fois ce que je pro­duis et ce que pro­duisent mes pro­duits. Cela mène à une prise de con­science de l’entreprise, plus ou moins for­cée. Enfin, il faut par­ler d’éthique. Cela néces­site beau­coup de péd­a­gogie, parce qu’il y a du vrai et du faux sur l’approche éthique. Elle pose le prob­lème du rôle social, lié à l’automatisation des proces­sus, et l’impact sur l’emploi. Et le sujet du biais, comme l’algorithme d’Amazon qui trie les CV selon la per­ti­nence et se retrou­ve à élim­in­er cer­taines tranch­es de pop­u­la­tion. Et d’autres sujets impor­tants, autour du deep­fake, qui vont devenir une réalité.

Nous voulons assumer un rôle édu­catif auprès des régu­la­teurs ou des think-tanks. Et, dans ce sens, les élé­ments de régu­la­tion comme la RGPD sont selon nous des fac­teurs très posi­tifs, car ils infor­ment et don­nent des moyens de pilotage aux déten­teurs de la don­née per­son­nelle, c’est-à-dire nous tous. Cela force les entre­pris­es à pro­pos­er des ser­vices aux util­isa­teurs, au lieu de se con­tenter de créer de la valeur pour elles-mêmes.

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