Éditorial

Dossier : InternetMagazine N°524 Avril 1997Par Jacques STERN (52)

ÉDITORIAL

Les fran­çais sont depuis l’in­tro­duc­tion du Télé­tel deve­nus fami­liers des ser­vices d’in­for­ma­tion en ligne. Le Télé­tel reste la plus impor­tante expé­rience mon­diale conduite dans ce domaine. 

On aurait cepen­dant tort de ne voir dans Inter­net qu’une simple évo­lu­tion tech­nique des ser­vices en ligne. Comme le sou­ligne le phi­lo­sophe Alain Fin­kiel­kraut dans l’Humani­té Per­due, c’est à une véri­table révo­lu­tion que non seule­ment l’on assiste mais à laquelle nous par­ti­ci­pons : « Notre fin de siècle n’au­rait pas remis à l’hon­neur, pour cette tech­nique, le mot majes­tueux de Révo­lu­tion s’il ne s’a­gis­sait que d’une nou­velle pro­thèse ou d’un appa­reillage per­for­mant… Désor­mais, l’homme a lieu sans que le lieu puisse pré­tendre exer­cer sur lui la moindre emprise. » 

Inter­net avec les ser­vices de com­mu­ni­ca­tion qui lui sont asso­ciés est deve­nu l’in­fra­struc­ture de base pour l’offre de ser­vices en ligne à l’é­chelle de notre pla­nète. C’est la seule archi­tec­ture ouverte et dis­tri­buée qui à par­tir d’un poste de tra­vail unique garan­tisse l’in­te­ro­pé­ra­bi­li­té des appli­ca­tions dans un monde hétérogène. 

Les divers articles qui consti­tuent ce numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge traitent abon­dam­ment des dif­fé­rents aspects d’In­ter­net. Je vou­drais pro­fi­ter de cet édi­to­rial pour livrer quelques réflexions que sus­cite Internet. 

C’est tout d’a­bord un exemple spec­ta­cu­laire de l’ef­fi­ca­ci­té de la poli­tique de recherche amé­ri­caine qui consiste à mettre à la dis­po­si­tion du public gra­tui­te­ment les tech­no­lo­gies déve­lop­pées pour le domaine de la défense lorsque leur dif­fu­sion ne menace pas la sécu­ri­té et les tra­vaux de recherche finan­cés par des contrats fédéraux. 

C’est aus­si une confir­ma­tion de l’im­por­tance de la place de la recherche pour les grandes éco­no­mies mon­diales. Les divers outils déve­lop­pés dans le cadre d’In­ter­net et qui font son suc­cès l’ont tous été d’a­bord pour satis­faire les besoins des cher­cheurs de com­mu­ni­quer, d’é­chan­ger des résul­tats de recherche, de sou­mettre des pro­jets d’ar­ticles avant publi­ca­tion, de navi­guer dans une base de connais­sances com­po­sée de mil­lions de fichiers répar­tis dans des cen­taines de mil­liers de machines. 

C’est bien sûr une brillante illus­tra­tion de la rapi­di­té du pas­sage de résul­tats de recherche à des pro­duits et ser­vices com­mer­cia­li­sables. Rap­pe­lons que c’est seule­ment en 1993 qu’un jeune étu­diant Marc Andrees­sen déve­loppe au NCSA un outil de navi­ga­tion en mode gra­phique Mosaic. Dès 1994, Jim Clark crée avec Marc Andrees­sen la socié­té Nets­cape qui contrôle aujourd’­hui mal­gré la domi­na­tion de Micro­soft au moins 70 % du mar­ché mon­dial des navi­ga­teurs. De même seule­ment quelques mois après la dif­fu­sion du ser­veur Web du CERN sont appa­rues sur le mar­ché plu­sieurs offres de pro­duits com­mer­ciaux. Inter­net c’est enfin le constat d’é­chec des orga­nismes inter­na­tio­naux de stan­dar­di­sa­tion et des struc­tures coopé­ra­tives d’en­tre­prises créées à cet effet. Un stan­dard existe sur Inter­net s’il est ouvert et dis­tri­bué, si les inter­faces sont publiques et si un pro­duit conforme existe. 

Inter­net ne connaît aucune fron­tière. Il est dès à pré­sent un outil de com­mu­ni­ca­tion et de dif­fu­sion sans précédent. 

Nous assis­tons à une remise en cause pro­fonde des tech­niques et des modes de dis­tri­bu­tion de pro­duits dans de très nom­breux domaines. C’est bien sûr vrai pour les logi­ciels où une entre­prise nou­vel­le­ment créée peut pro­po­ser sans délai un pro­duit à l’es­sai à des mil­lions d’u­ti­li­sa­teurs et avoir un accès immé­diat à un mar­ché mon­dial en l’ab­sence de struc­tures com­mer­ciales inter­na­tio­nales. Mais cela touche toute la distribution. 

Pour les entre­prises un concept Intra­net basé sur les pro­to­coles et les ser­vices Inter­net a été pro­po­sé fin 1995. On estime aujourd’­hui qu’à l’ho­ri­zon de l’an 2000, 80 % des réseaux locaux d’en­tre­prises seront Intra­net et qu’au cours des quatre pro­chaines années le taux de crois­sance annuel sera de l’ordre de 120 à 150 %. 

Comme tous les modes de com­mu­ni­ca­tion on peut à juste titre craindre les excès. On raconte que dans les grandes uni­ver­si­tés amé­ri­caines les étu­diants ne se ren­contrent plus, même s’ils par­tagent des chambres voi­sines, voire la même chambre. Ils com­mu­niquent entre eux par cour­rier élec­tro­nique. Les craintes pour ce qui concerne la pro­tec­tion des oeuvres intel­lec­tuelles, la por­no­gra­phie, le crime orga­ni­sé sont bien connues et réelles. Il sera cer­tai­ne­ment néces­saire de légi­fé­rer à un niveau mon­dial pour évi­ter les excès et les dévoie­ments. Il fau­dra aux géné­ra­tions Inter­net apprendre à vivre avec ces nou­veaux et puis­sants outils en socié­té, à domi­ner et à maî­tri­ser la technique. 

Il reste à sou­hai­ter que ce nou­veau média, que rien ni per­sonne ne contrôle réel­le­ment aujourd’­hui, ser­vi­ra le bon­heur, la démo­cra­tie et la paix dans le monde.

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