Développer les soins à domicile

Dossier : TrajectoiresMagazine N°743 Mars 2019
Par Hervé KABLA (84)
Nathaniel Bern (2011) est cofondateur et directeur technique de Medadom, une entreprise qui aide des millions de personnes à rechercher un médecin ou un infirmier pour une visite à domicile.

Que permet Medadom ?

Medadom est une plate­forme qui met en rela­tion patients et pro­fes­sion­nels de san­té pour des vis­ites à domi­cile. En quelques clics, sur notre appli­ca­tion web ou mobile, les patients peu­vent faire une demande de prise en charge dans les meilleurs délais ou pro­gram­mée, directe­ment à leur domi­cile. Nous pro­posons à l’heure actuelle médecins général­istes et infir­miers. Nous prévoyons égale­ment d’inclure à terme les kinésithérapeutes et les ostéopathes, afin de pren­dre en charge les patients à leur domi­cile dans leur glob­al­ité. Pré­cisons que les médecins avec lesquels nous tra­vail­lons sont diplômés en France, inscrits à l’ordre des Médecins et con­ven­tion­nés avec la Sécu­rité sociale.

Quel est le parcours des fondateurs ?

Élie-Dan Mimouni, directeur général et cofon­da­teur de Medadom, est interne en médecine à Paris, et a eu de nom­breuses expéri­ences au sein de ser­vices d’urgence. Pour ma part, je suis entré à l’X en 2011, et après une spé­cial­i­sa­tion en machine learn­ing à l’ENS j’ai tra­vail­lé pen­dant deux ans et demi au sein d’AXA en tant que lead data sci­en­tist. J’ai rejoint Élie-Dan en octo­bre 2017 pour pren­dre la direc­tion tech­nique de Medadom.

Comment vous est venue l’idée ?

Élie-Dan a remar­qué, au cours de ses nom­breux stages en ser­vice d’urgence, qu’une grande par­tie des per­son­nes venant aux urgences peu­vent être pris­es en charge par une sim­ple vis­ite à domi­cile. D’autre part, ses jeunes con­frères ne souhait­ent plus exercer la médecine comme avant, et veu­lent plus de lib­erté et de flex­i­bil­ité ; ils ne s’installent plus avant huit à dix ans, et près d’un quart des doc­teurs en médecine ne s’inscrivent pas à l’ordre des Médecins ! Ce dou­ble con­stat a fait naître la pos­si­bil­ité de pro­pos­er à ces médecins un mode d’exercice inno­vant : effectuer des vis­ites à domi­cile où ils le souhait­ent, et quand ils le souhaitent.

Qui sont les concurrents ?

Des acteurs his­toriques tels que SOS Médecins ou encore Urgences médi­cales de Paris exis­tent depuis de nom­breuses années. Ils ne sont pas dig­i­tal­isés et fonc­tion­nent avec un sys­tème d’achat de licence d’exercice, de gardes, astreintes et engage­ment pour les médecins qui rejoignent ces struc­tures. De nou­veaux acteurs – ils sont nom­breux – pro­posent égale­ment un ser­vice dig­i­tal de mise en rela­tion avec un médecin, mais sous forme de télé­con­sul­ta­tion. Ces émer­gences d’acteurs font suite au rem­bourse­ment depuis sep­tem­bre par l’Assurance Mal­adie de la télémédecine (sous cer­taines con­di­tions) en France. Ces acteurs per­me­t­tent de « réguler » cer­tains soins non pro­gram­més, mais lorsqu’il y a besoin d’un exa­m­en clin­ique, un ser­vice comme Medadom se posi­tionne favor­able­ment en sor­tie de télé­con­sul­ta­tion pour pou­voir diag­nos­ti­quer cor­recte­ment les patients à leur domicile.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

Medadom a été créée début 2017, et une ver­sion « bêta » pour médecins général­istes a été lancée dans l’Ouest parisien à l’été 2017. Pro­gres­sive­ment, tout Paris a été cou­vert, puis la pre­mière couronne, et enfin une par­tie de la région Paca à l’été 2018. En par­al­lèle, nous avons lancé une mise à jour majeure de l’application mobile, ain­si qu’une appli­ca­tion web. Enfin, nous avons récem­ment recruté de nou­veaux col­lab­o­ra­teurs pour soutenir notre crois­sance, et lançons actuelle­ment le ser­vice d’infirmiers à domicile.

Qu’est-ce qui a changé en cinquante ans dans la médecine à domicile ?

Le nom­bre de vis­ites à domi­cile de médecins général­istes a dras­tique­ment dimin­ué en l’espace de cinquante ans ; cela s’explique par le développe­ment de con­sul­ta­tions sur ren­dez-vous, le recours aux urgences, et la sat­u­ra­tion des médecins du fait de la pénurie médi­cale. Face à cela, la demande de soins à domi­cile n’a cessé d’augmenter, avec le vieil­lisse­ment de la pop­u­la­tion et la déser­ti­fi­ca­tion médi­cale, même en milieu urbain. Cer­tains quartiers parisiens sont, si l’on regarde les chiffres, des déserts médi­caux ! Par exem­ple, le xvi­iie et le xixe sont classés depuis 2018 en zone d’intervention pri­or­i­taire (ZIP, anci­en­nement zones défici­taires). Ville­juif, Champigny-sur-Marne, aux portes de Paris, sont égale­ment classés ZIP !

N’assiste-t-on pas à une pénurie croissante de professionnels de santé à domicile ?

La pénurie dépend des pro­fes­sion­nels de san­té con­sid­érés et de leur mode d’exercice. Les médecins général­istes instal­lés en cab­i­net ne se dépla­cent en effet que très rarement, car ils sont déjà sat­urés avec leurs pro­pres patients. En revanche, les jeunes doc­teurs en médecine, qui exer­cent avec un statut de « rem­plaçant », ne souhait­ent plus s’installer, et la pro­fes­sion se féminise ; flex­i­bil­ité et lib­erté sont les maîtres mots des aspi­ra­tions des médecins général­istes. C’est juste­ment ce mode d’exercice inno­vant que pro­pose Medadom. Pour ce qui est des infir­miers à domi­cile, ils ont tou­jours eu pour habi­tude de se déplac­er pour leurs patients, et des mil­liers de nou­veaux infir­miers sor­tent chaque année des écoles. Medadom vient ici met­tre en rela­tion les patients en par­cours ambu­la­toire avec les infir­miers libéraux à la recherche de nou­veaux patients.

Comment cela se passe-t-il chez nos voisins ?

Des ser­vices sim­i­laires de médecins à domi­cile se sont dévelop­pés récem­ment chez nos voisins bri­tan­niques (GPDQ), alle­mands (Med­lanes) ou même out­re-Atlan­tique (Heal aux États-Unis). Cepen­dant, le sys­tème de Sécu­rité sociale en France est très spé­ci­fique ce qui implique des mod­èles dif­férents pour ces acteurs, en par­ti­c­uli­er au niveau du statut des médecins, de la prise en charge et du rem­bourse­ment de la con­sul­ta­tion. En France par exem­ple, pour exercer la médecine, il faut une adresse de fac­tura­tion, et donc être instal­lé ! Or la majorité des jeunes médecins ne le sont pas car ils ont le statut de rem­plaçant, et ne souhait­ent sou­vent pas s’installer ; ils doivent exercer au nom de leur tit­u­laire, avec cer­taines con­traintes admin­is­tra­tives et juridiques.

Comment se passe la cohabitation avec Doctolib ?

Doc­tolib n’est pas posi­tion­né sur les soins à domi­cile, mais per­met la prise de ren­dez-vous directe­ment chez le pro­fes­sion­nel de san­té ; ain­si, les pro­fes­sion­nels de san­té et les types de soins que l’on cible ne sont pas les mêmes. Il est cepen­dant remar­quable de voir qu’un acteur a pu en l’espace de quelques années bous­culer le marché de la e‑santé en France. De manière générale, il y a une prise de con­science que le marché de la san­té en France est prop­ice à la dig­i­tal­i­sa­tion et à l’innovation, et qu’il doit accepter les inno­va­tions de rup­ture : il est prêt à être bousculé.

Qu’apporte un parcours d’ingénieur dans la création d’une start-up de l’e‑santé ?

Mon par­cours d’ingénieur est très com­plé­men­taire de celui d’Élie-Dan, qui a la vision médi­cale. Ma for­ma­tion me per­met ain­si de faire face à tous les défis tech­niques et tech­nologiques que néces­site la con­struc­tion d’une plate­forme, et en par­ti­c­uli­er dans la e‑santé, avec les chal­lenges de sécu­rité et con­fi­den­tial­ité qui s’y rapportent !

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