Industrie quantique : Rythme annuel de création de start-up dans le quantique et répartition par pays.

Des labos de l’X au venture capital, bâtissons une industrie quantique

Dossier : QuantiqueMagazine N°779 Novembre 2022
Par Christophe JURCZAK (X89)

L’auteur retrace son par­cours fort peu linéaire, des bancs de l’X au finance­ment en ven­ture cap­i­tal, dans l’émergence de l’industrie quan­tique et il en tire les leçons. Pour bâtir une indus­trie quan­tique, l’hybridation des tech­nolo­gies clas­sique et quan­tique est aujourd’hui néces­saire. L’Europe doit opér­er le finance­ment en ven­ture cap­i­tal du change­ment d’échelle des entre­pris­es arrivées à matu­rité. Enfin, c’est en ouvrant les appli­ca­tions quan­tiques à d’autres domaines de la physique que sera main­tenu un dynamisme renou­velé pour le secteur.

C’est Jean-Louis Bas­de­vant, pro­fesseur de physique à l’X de 1975 à 2005, qui m’a intro­duit à la physique quan­tique, comme un grand nom­bre des cama­rades de ma généra­tion, et Alain Aspect qui m’a con­va­in­cu de faire ma thèse de doc­teur de l’X sous sa direc­tion dans le secteur, sur la « spec­tro­scopie par cor­réla­tions d’intensité d’atomes refroidis par laser », à l’Institut d’optique, soutenue en 1996.

Jean Dal­ibard, main­tenant pro­fesseur au Col­lège de France, a été mon directeur de DEA. Enfin un autre pro­fesseur du départe­ment de physique, le regret­té Gilbert Gryn­berg, m’a offert la pos­si­bil­ité de réalis­er un stage post­doc­tor­al sur ce qu’on appelle aujourd’hui la « sim­u­la­tion quan­tique » dans son équipe au lab­o­ra­toire Kastler Brossel du départe­ment de physique de l’ENS. Des géants… sur un sujet qui a mené au prix Nobel pour Claude Cohen-Tan­noud­ji, William Phillips et Steven Chu en 1997.

Et vingt-six ans plus tard, bien évidem­ment au prix Nobel 2022 qui vient d’être décerné à Alain Aspect, John Clauser et Anton Zeilinger. Le prix est attribué pour leurs travaux fon­da­men­taux sur l’intrication, aux­quels je n’ai pas eu l’honneur de par­ticiper. Mais le comité Nobel note aus­si : « Leurs résul­tats ont ouvert la voie à de nou­velles tech­nolo­gies basées sur l’information quan­tique », à très juste titre, car toute l’industrie du quan­tique et mon tra­vail aujourd’hui reposent sur ces travaux majeurs très juste­ment finale­ment récompensés.

Au lendemain des expériences d’Alain Aspect

Mais à l’époque, à la fin des années 90, pour ceux qui – comme moi – n’avaient pas la voca­tion académique chevil­lée au corps, il n’y avait pas vrai­ment d’option pour trou­ver un emploi « dans le quan­tique ». L’option recherche du corps de l’armement – ma fil­ière – ori­en­tait vers l’optronique, l’électronique, les matéri­aux, et il y avait l’équivalent dans les grandes entre­pris­es de défense qui sont dev­enues Thales et Safran notam­ment. On pou­vait aus­si s’orienter vers le tis­su des PME et ETI, tra­di­tion­nelle­ment fort en France en optique et lasers notam­ment. On était à une décen­nie à peine des fameuses expéri­ences d’Aspect.

Ces expéri­ences, point de départ de la deux­ième révo­lu­tion quan­tique, démon­trèrent que le con­cept d’intrication – jusqu’alors vu un peu comme un ovni théorique – était en fait con­sub­stantiel de la descrip­tion quan­tique de la réal­ité et qu’on pou­vait imag­in­er en faire un usage pra­tique pour des appli­ca­tions futures. En 1992, Shor mon­trait que son algo­rithme de fac­tori­sa­tion don­nait lieu à un « gain expo­nen­tiel » si jamais on était capa­ble de l’implémenter sur un « ordi­na­teur quan­tique ». Ekert mon­trait dans ces années com­ment l’intrication et la non-local­ité pou­vaient être util­isées pour dis­tribuer des clés cryp­tographiques avec une sécu­rité parfaite. 

La société d’investissement Quantonation Ventures

Mais tout cela était fort théorique et après ma thèse je con­nus un début de car­rière très épanouis­sant à la DGA – en optron­ique puis dans la con­cep­tion du futur sys­tème de force aéroter­restre sous la direc­tion d’Yves Demay (X77), de Jean-Bernard Pene (X74) et de Vin­cent Imbert (X76) – avant de bifur­quer vers les éner­gies renou­ve­lables, dans le pub­lic puis le privé, en Europe et aux États-Unis. J’étais loin d’imaginer que trente ans plus tard je con­tribuerais à créer une toute nou­velle indus­trie qui, pour en revenir à mon his­toire per­son­nelle et à un point dont je suis très fier, don­nerait la pos­si­bil­ité à des étu­di­ants physi­ciens – doc­teurs, ingénieurs, voire bach­e­lors – de trou­ver un emploi dans le secteur où ils ont choisi de faire leurs études. 

“L’investisseur le plus actif dans le secteur quantique au niveau mondial.”

Avec la société d’investissement Quan­to­na­tion Ven­tures que j’ai lancée à Paris avec mes parte­naires Olivi­er Ton­neau et Charles Beigbed­er, nous avons à tra­vers notre pre­mier fonds Quan­to­na­tion I doté de 91 M€ – soutenu notam­ment par BPIfrance, les indus­triels Thales, BASF et de nom­breux lim­it­ed part­ners privés inter­na­tionaux – investi depuis 2018 dans 22 sociétés partout dans le monde. Cela fait de nous l’investisseur le plus act­if dans le secteur quan­tique, pas seule­ment en France ou en Europe, mais au niveau mon­di­al. Nous avons créé à tra­vers ces jeunes pouss­es plus de 400 emplois, dont la moitié env­i­ron pour des physi­ciens à dif­férents niveaux. 

Je pense par­mi nos cama­rades à l’exemple de Loïc Hen­ri­et (X09), CTO de Pasqal, un des lead­ers mon­di­aux du cal­cul quan­tique, une société dont Alain Aspect est un des cofon­da­teurs, avec notam­ment Antoine Browaeys qui est pro­fesseur chargé de cours à l’X ; Loïc a rejoint la société juste après son stage post­doc­tor­al en Espagne. Je pense aus­si à Théau Per­on­nin (X12) qui a fondé la start-up Alice&Bob dans la per­spec­tive de réalis­er un ordi­na­teur uni­versel avec cor­rec­tion d’erreur. Mais il y a aus­si, au-delà de ces start-up, des emplois dans des groupes comme Atos avec Cyril Allouche (X95) et d’autres, Microsoft avec Vivien Londe (X11) ou BMW où notre cama­rade Elvi­ra Shishen­i­na (X11) est respon­s­able du quan­tique. Cette com­mu­nauté active de poly­tech­ni­ciens se retrou­ve au sein du groupe QuantX.


Lire aus­si : Les proces­sus quan­tiques : la recherche fon­da­men­tale vers l’ingénierie


L’ordinateur quantique et les communications quantiques

Grâce aux efforts sans relâche des chercheurs académiques sur près de vingt-cinq ans – en France au CEA, au CNRS et à l’Inria notam­ment – nous sommes par­venus à com­pren­dre et, en con­séquence, con­trôler des phénomènes physiques qui ont un impact sur le « monde réel », selon une expres­sion du Prix Nobel Frank Wilczek dans un arti­cle vision­naire de 2016 qui a été une pro­fonde source d’inspiration pour moi (« Physics in 100 years » Physics Today, 69, 4, 32) dans mon retour vers la physique quan­tique à tra­vers l’investissement dans l’innovation.

Et, après les pre­miers investisse­ments privés à par­tir de 2015–2016, soit par des grands groupes notam­ment IBM et Google, soit par les start-up émer­gentes du quan­tique, con­comi­tants avec des finance­ments publics impor­tants pour la recherche et l’innovation, on a com­mencé à imag­in­er et à implé­menter des appli­ca­tions de ces tech­nolo­gies, notam­ment pour les ordi­na­teurs quan­tiques. Certes, il exis­tait des appli­ca­tions bien plus tôt – je pense aux hor­loges atom­iques ou aux grav­imètres dévelop­pés par le pio­nnier français Muquans fondé par mon voisin de table optique Bruno Desru­elle (lui aus­si en thèse avec Alain Aspect !) – mais dans des nich­es rel­a­tive­ment étroites. 

L’ordinateur quan­tique et les com­mu­ni­ca­tions quan­tiques font entrevoir des marchés beau­coup plus mas­sifs à moyen-long terme, et ce change­ment d’échelle est fon­da­men­tal pour des investis­seurs en ven­ture cap­i­tal tels que Quantonation. 

Des phénomènes difficiles à maîtriser encore

L’analyse syn­thétisée sur la fig­ure 1 ci-dessous, présen­tée par notre cama­rade Jean-François Bobier (X96) lors d’un événe­ment con­joint Quan­to­na­tion – Boston Con­sult­ing Group à Boston il y a quelques mois, est une bonne illus­tra­tion des pro­grès réal­isés dans l’analyse de l’impact poten­tiel de ces tech­nolo­gies, qui pour­rait être mas­sif à terme. 

Il était impens­able de pro­duire une telle analyse il y deux ou trois ans, mais les pro­grès con­joints sur le hard­ware et les soft­wares appli­cat­ifs per­me­t­tent de les envis­ager. C’est le dia­logue ser­ré entre toutes les par­ties, les fameuses « preuves de con­cept » réal­isées à petite échelle, qui ali­mente ce type d’analyse. À défaut, on risque de tomber dans le hype qui peut être très dom­mage­able pour toute l’industrie, en par­ti­c­uli­er quand il s’agit de cli­mat, avec le reproche de green­wash­ing qui peut être mérité. 

Mon expéri­ence est que ce sont ceux qui refusent le dia­logue et por­tent des approches dog­ma­tiques – qu’ils soient indus­triels, investis­seurs ou chercheurs – qui sont le plus sou­vent vic­times d’une vision décalée des réal­ités de la physique et des attentes des util­isa­teurs. Il ne faut jamais per­dre de vue que tout ce secteur repose sur des phénomènes dif­fi­ciles à maîtris­er encore, nous sommes au début de l’aventure et la prospec­tive est un art dif­fi­cile, pour le quan­tique au même titre que pour les autres « tech­nolo­gies pro­fondes ». Pen­sons aux pré­dic­tions sur la blockchain ou la voiture autonome.

exemple d’analyse des applications du calcul quantique, en matière de mitigation des impacts du changement climatique.
Fig­ure 1 : Un exem­ple d’analyse des appli­ca­tions du cal­cul quan­tique, en matière de mit­i­ga­tion des impacts du change­ment cli­ma­tique. Le tableau mon­tre les hori­zons d’application de l’ordinateur quan­tique pour des thé­ma­tiques don­nées en fonc­tion des capac­ités de la tech­nolo­gie et de l’impact. Source : BCG.

L’informatique quantique et les applications financières réelles

Les appli­ca­tions poten­tielles du cal­cul quan­tique sont var­iées, en finance notam­ment où des approches com­pu­ta­tion­nelles très sophis­tiquées sont déjà appliquées par l’industrie. Une des entre­pris­es qui s’est le plus impliquée dans l’analyse des usages poten­tiels de l’ordinateur quan­tique est Crédit Agri­cole Cor­po­rate and Invest­ment Bank. CACIB s’est asso­cié à deux lead­ers, Pasqal (hard­ware) et Mul­ti­verse Com­put­ing (soft­ware), pour utilis­er l’informatique quan­tique dans des appli­ca­tions finan­cières réelles sur les marchés de cap­i­taux et la ges­tion des risques. Des preuves de con­cept de grande ampleur sont en cours, avant un éventuel pas­sage en production. 

L’hybridation des technologies classique et quantique

Une autre évo­lu­tion récente qui me sem­ble fon­da­men­tale, car por­teuse de résul­tats à court terme, est la réal­i­sa­tion que l’hybridation des tech­nolo­gies – clas­sique et quan­tique – est néces­saire. On ne vivra pas « le grand soir quan­tique », mais les tech­nolo­gies quan­tiques vont pro­gres­sive­ment pren­dre une place dans l’arsenal des tech­nolo­gies au ser­vice de la sat­is­fac­tion des besoins de nos sociétés. Un exem­ple illus­tré sur la fig­ure 2 ci-dessous est l’application d’imagerie quan­tique de processeurs par la start-up améri­caine EuQlid, dans laque­lle Quan­to­na­tion a investi. 

Les appli­ca­tions sont mul­ti­ples, je cit­erai la cyber­sécu­rité avec l’identification de chevaux de Troie hard­ware, que des acteurs mal­in­ten­tion­nés auraient pu implanter lors de la fab­ri­ca­tion, ou le con­trôle de défauts de processeurs en usine. Il s’agit d’une tech­nolo­gie d’imagerie com­bi­nant un senseur quan­tique, reposant sur la sen­si­bil­ité d’échantillons à tem­péra­ture ambiante de dia­mant syn­thé­tique dans lesquels on implante des défauts qui jouent le rôle de spins uniques très sen­si­bles aux champs mag­né­tiques à l’échelle nanométrique, et une tech­nique d’analyse du sig­nal extrême­ment sophis­tiquée reposant sur des réseaux de neu­rones « inspirés de la physique ». On com­bine du quan­tique et de l’apprentissage pro­fond, une ten­dance de fond.

technologie de hardware quantique
Fig­ure 2 : Exem­ple de com­bi­nai­son d’une tech­nolo­gie de hard­ware quan­tique (micro­scope mag­né­tométrique à base de cen­tres col­orés dans le dia­mant) et d’une analyse de don­nées sophis­tiquée de type PINN (physics-informed neur­al net­work).
Dis­tri­b­u­tion de champ mag­né­tique. Source : EuQlid. 

Microscope à diamant quantique configuré pour la mesure de champ magnétique dans des circuits intégrés.
Micro­scope à dia­mant quan­tique con­fig­uré pour la mesure de champ mag­né­tique dans des cir­cuits inté­grés. Source : EuQlid.

Un secteur en forte croissance

Afin d’illustrer la dynamique du secteur, la fig­ure 3 (ci-dessous) mon­tre les mon­tants investis par les fonds de ven­ture cap­i­tal dans le secteur. La dynamique est spec­tac­u­laire, même s’il faut not­er que les chiffres abso­lus sont bien faibles encore par rap­port à d’autres secteurs. Les start-up de l’intelligence arti­fi­cielle ont levé près de 110 G$ en 2021 ; on est donc loin de la « sur­chauffe » dont cer­tains se gaussent, au con­traire il faut plus de cap­i­taux ! Mal­gré la crise, on s’attend à une année 2022 record. Et c’est sans compter les finance­ments publics qui sont impor­tants et crois­sent, car les gou­verne­ments du monde entier sont mobil­isés pour plac­er leur pays dans la course : les États-Unis, la Chine, mais bien sûr aus­si la France, qui a son ambitieuse Stratégie nationale sur le quan­tique mise en place début 2021, et l’Union européenne et ses États membres.

Investissements annuels en venture capital dans les start-up du quantique.
Fig­ure 3 : Investisse­ments annuels en ven­ture cap­i­tal dans les start-up du quan­tique. Source : The Quan­tum Insid­er (Octo­bre 2022)


L’exemple de la start-up Qubit Pharmaceuticals

Un exem­ple qui m’est cher est celui de la start-up Qubit Phar­ma­ceu­ti­cals dirigée par Robert Mari­no et Jean-Philip Pique­mal, une des sociétés du porte­feuille Quan­to­na­tion dont je suis le plus fier et qui est cer­taine­ment des­tinée à avoir un impact très impor­tant. Son objec­tif : révo­lu­tion­ner la recherche médica­menteuse par le cal­cul, rien que ça. Faisant fi de nom­breux dogmes admis du ven­ture cap­i­tal quant aux car­ac­téris­tiques des pro­jets qui ont une chance de suc­cès, nous avons soutenu l’équipe de cinq fon­da­teurs français et améri­cains, tous des pontes académiques dans leurs domaines respec­tifs, pour les accom­pa­g­n­er au fil de qua­tre années afin de don­ner corps à leur idée, leur associ­er un CEO vision­naire capa­ble de porter leur pro­jet, tra­vailler ensem­ble au mod­èle de busi­ness en le faisant évoluer. 

Le résul­tat est une lev­ée de fonds record en amorçage, asso­ciant des investis­seurs pres­tigieux, des pub­li­ca­tion sci­en­tifiques qui font référence dans le domaine de la recherche de médica­ments con­tre la Covid et des per­spec­tives de parte­nar­i­at avec des biotech. La tech­nolo­gie de la société est implé­men­tée sur des cartes graphiques GPU et pro­gres­sive­ment le cal­cul quan­tique sera inté­gré à leur process, au fur et à mesure que les qubits seront disponibles, ceux de Pasqal, Quan­dela, IBM ou d’autres sociétés. 

C’est parce que les fon­da­teurs et les équipes con­nais­sent par­faite­ment la chimie quan­tique et les algo­rithmes clas­siques per­me­t­tant de mod­élis­er des molécules de très grande taille dès aujourd’hui qu’ils sont les mieux placés pour imag­in­er com­ment un ordi­na­teur quan­tique va les aider, cela sem­ble évi­dent mais le fait est que nom­bre d’acteurs du cal­cul quan­tique se per­me­t­tent de pon­ti­f­i­er sur les appli­ca­tions en chimie sans avoir cette com­pé­tence, avec comme con­séquence que leurs annonces toni­tru­antes ne sont absol­u­ment pas pertinentes. 


Permettre le « scale-up » des pionniers

Une des expli­ca­tions prin­ci­pales pour la crois­sance du finance­ment en ven­ture cap­i­tal est que le secteur est mature et que les entre­pris­es arrivent au moment où elles ont besoin de finance­ments à plus de 100 M$ par tour pour réalis­er leur scale-up (change­ment d’échelle).

La fig­ure 4 (ci-dessous) le mon­tre bien : la plu­part des entre­pris­es ont été créées dans les années 2017–2019 et arrivent donc en phase d’industrialisation. C’est pour cette rai­son que Quan­to­na­tion Ven­tures a lancé en sep­tem­bre 2022 son deux­ième fonds, le Quan­tum Oppor­tu­ni­ty Fund, dédié juste­ment au scale-up des start-up du cal­cul quan­tique. Ce fonds est focal­isé sur l’Europe car c’est un fait avéré qu’il y a très peu de fonds européens capa­bles de plac­er des tick­ets d’investissement dans des tours de finance­ment de plus de 100 M€ dans ces phas­es cri­tiques et, si l’Europe veut préserv­er une forme de sou­veraineté tech­nologique, elle doit dis­pos­er de ce type d’instrument.

“Quantonation Ventures a lancé en septembre 2022 son deuxième fonds, le Quantum Opportunity Fund, dédié au scale-up des start-up du calcul quantique.”

Notre fonds a l’ambition de se posi­tion­ner en investis­seur de référence dans ces tours, compte tenu de la com­pé­tence que nous avons dévelop­pée, en pous­sant les entre­pris­es à for­malis­er des visions ambitieuses et à raison­ner en ter­mes d’impact, pas unique­ment de développe­ment tech­nologique. Ma con­vic­tion est qu’il n’est pas trop tard pour l’Europe pour être dans la course, les sociétés ont été créés deux à trois ans après leurs con­cur­rents nord-améri­cains, mais le chemin est long et c’est main­tenant avec ces tours de finance­ment mas­sifs que les jeux vont se nouer.

Industrie quantique : Rythme annuel de création de start-up dans le quantique et répartition par pays.
Fig­ure 4 : Rythme annuel de créa­tion de start-up dans le quan­tique et répar­ti­tion par pays.
La France se place bien dans la course mon­di­ale, l’Union européenne fait jeu égal avec les États-Unis en ter­mes de nom­bre de sociétés mais est en retrait en matière de finance­ment puisqu’elle col­lecte 10,8 % du cap­i­tal levé con­tre 70 % pour l’Amérique du Nord où les sociétés sont plus matures. Source : Olivi­er Ezrat­ty, Under­stand­ing Quan­tum Tech­nolo­gies 2022

Un essoufflement des créations d’entreprises ?

Un autre com­men­taire sur la fig­ure 4 : je suis préoc­cupé par le fait que le rythme de créa­tion d’entreprises a dimin­ué ces trois dernières années. Plusieurs expli­ca­tions à cela, j’en cit­erai deux. Nous avons claire­ment vu émerg­er une pre­mière généra­tion de sci­en­tifiques-entre­pre­neurs de tal­ent qui ont porté de beaux pro­jets aujourd’hui en phase de crois­sance, mais le vivi­er de tal­ents est lim­ité, on ne peut pas encore béné­fici­er de l’expérience de fon­da­teurs de nou­veaux pro­jets entre­pre­neuri­aux qui seraient issus de la pre­mière généra­tion de start-up du quan­tique (ser­i­al entre­pre­neurs) et, si l’on voit un flux de nou­veaux pro­jets de qual­ité d’origine académique en Amérique du Nord (Har­vard, Uni­ver­si­ty of Chica­go…), le renou­velle­ment n’est pas aus­si mar­qué en Europe.

“La France a son ambitieuse Stratégie nationale sur le quantique mise en place début 2021.”

Une sec­onde expli­ca­tion à mon avis est que cer­tains ont l’impression que les jeux sont faits et qu’il n’y a plus de place pour de nou­velles ini­tia­tives. C’est vrai dans une cer­taine mesure et, pour cer­taines tech­nolo­gies notam­ment pour le cal­cul quan­tique, on voit mal com­ment cer­tains pro­jets peu­vent se faire une place quand la sci­ence issue des lab­o­ra­toires asso­ciés n’apporte pas un avan­tage décisif par rap­port à la con­cur­rence qui a trois à cinq ans d’avance.

Mais il faut faire preuve d’imagination, iden­ti­fi­er les appli­ca­tions non encore servies par exem­ple, et faire porter les efforts sur celles-ci, ce qui réclame une réflex­ion stratégique ini­tiale plus forte et une vision à long terme bien étayée et ambitieuse. C’est pourquoi Quan­to­na­tion sou­tient plusieurs ini­tia­tives des­tinées à faire émerg­er de nou­veaux pro­jets, ce qu’on appelle des Ven­ture Stu­dios avec des modal­ités var­iées, en France (Quan­tum Launch­pad porté par Da Vin­ci Labs), au Québec (en lien avec la Zone d’innovation quan­tique de Sher­brooke) ou aux États-Unis (Cal­i­fornie et Maryland). 

Voir plus large

Une autre façon de faire croître le pipeline de pos­si­bil­ités est de voir plus large. Ma moti­va­tion ini­tiale à la créa­tion de Quan­to­na­tion était le finance­ment de l’innovation en physique, pas unique­ment la physique de la sec­onde révo­lu­tion quan­tique avec intri­ca­tion et super­po­si­tion en pre­mière place, mais aus­si en ce que j’appelle la deep physics, la physique avec un pou­voir de dis­rup­tion important. 

Un exem­ple est issu directe­ment de l’article de Frank Wilczek cité plus haut, c’est la start-up Sen­so­ri­um basée à Nashville aux États-Unis qui développe des matéri­aux nou­veaux, des méta­matéri­aux qui per­me­t­tent d’optimiser l’interaction entre la lumière et la matière, aux fins de créer des dis­posi­tifs dans la bande de l’infrarouge loin­tain (8–12 μm). L’objectif ultime est d’ouvrir au plus grand nom­bre la capac­ité de voir dans cette bande, avec l’accès à de nou­velles don­nées sur notre envi­ron­nement. « En élar­gis­sant con­sid­érable­ment le sen­so­ri­um humain, nous ouvrirons les portes de la per­cep­tion et ver­rons le monde tel qu’il est réelle­ment », dit Wilczek. Pas d’intrication en jeu mais « de la belle physique » avec des appli­ca­tions évidentes. 

J’ai en tête deux sociétés créées par des cama­rades qui sont passés par le MIT, Jérôme Michon (X11) fon­da­teur de InSpek en France et Charles Roques-Carmes (X13) fon­da­teur de Astrahl à Boston, tous deux en pho­tonique avec des appli­ca­tions en chimie et en imagerie médi­cale, je pense qu’on enten­dra par­ler d’eux… Je veux croire que l’engouement pour les tech­nolo­gies quan­tiques va s’étendre rapi­de­ment à d’autres domaines de la physique, c’est comme cela aus­si qu’on aura plus de beaux pro­jets qui vont inté­gr­er le porte­feuille d’opportunités pour les investis­seurs, et aus­si plus d’emplois à la clé pour nos jeunes physi­ciens et polytechniciens. 

Les effets positifs de la crise

Beau­coup à faire et de très belles per­spec­tives donc, de nature à encour­ager nos jeunes cama­rades à s’engager dans le secteur des tech­nolo­gies quan­tiques, dans la recherche publique, la créa­tion d’entreprises, l’industrie. Mais on peut légitime­ment se deman­der si l’industrie quan­tique à peine émer­gente, qui com­mence à trou­ver ses appli­ca­tions, ne serait pas des­tinée à être une des pre­mières vic­times de la crise économique. 

Paul-François Fournier (X89), directeur exé­cu­tif de la direc­tion inno­va­tion de BPIfrance et grand sup­port­er de l’industrie quan­tique et des deep tech en France, con­sid­érait dans une inter­view récente aux Échos que l’écosystème de l’innovation en France était suff­isam­ment mûr et résilient face à la crise, et il ajoutait : « Rap­pelons aus­si aux investis­seurs que c’est his­torique­ment dans les bas de cycle que se con­stru­isent les meilleurs rendements. » 

En plus d’une dis­ci­pline ren­for­cée dans la ges­tion des ressources des entre­pris­es du secteur, la crise nous force à tra­vailler sur les appli­ca­tions à court terme, sur l’impact de ces tech­nolo­gies pour la société main­tenant et pas seule­ment dans une décen­nie. C’est un défi que l’industrie doit relever, je suis con­va­in­cu que c’est fais­able, j’ai esquis­sé quelques pistes plus haut, travaillons‑y !

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