De la stratégie business aux systèmes d’information — l’entreprise et son écosystème

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°616 Juin/Juillet 2006Par : René Mandel (61)Rédacteur : TRU DÔ-KHAC (79)

L’ouvrage De la stratégie busi­ness aux sys­tèmes d’information – l’entreprise et son écosys­tème est écrit par le cama­rade Man­del, fon­da­teur d’Oresys1 et admin­is­tra­teur du Club Urba-EA 2. Il éclaire l’architecture d’entreprise (enter­prise archi­tec­ture), dernière dis­ci­pline de man­age­ment des sys­tèmes d’information (SI) née out­re-Atlan­tique, qui doit ren­dre les entre­pris­es agiles face aux aléas et à la com­plex­ité crois­sante de l’environnement concurrentiel.

La per­ti­nence de cet éclairage est assurée par la dou­ble cas­quette de René Man­del, pro­mo­teur et prati­cien de cette dis­ci­pline. L’ouvrage présente ain­si des retours d’expériences diver­si­fiées tirées du secteur ban­caire, indus­triel, du trans­port ou des ser­vices sur lesquels le prati­cien pour­ra capitaliser.

Mais surtout, l’ouvrage pro­pose un essai fort intéres­sant de théori­sa­tion de l’architecture d’entreprise, qui, asso­ciée à l’urbanisme des SI, explique com­ment réalis­er l’alignement entre stratégie, organ­i­sa­tion et SI en dépit de la désyn­chro­ni­sa­tion de leurs cycles respec­tifs : cycles imposés par le marché con­cur­ren­tiel pour les pre­mières, ou com­mandés par la tech­nolo­gie pour les SI.

Cette théori­sa­tion est organ­isée en trois par­ties, abor­dant suc­ces­sive­ment la gram­maire de l’organisation de l’entreprise (René Man­del par­le de “ géo­gra­phie de l’entreprise ”), les mod­èles organ­i­sa­tion­nels écrits dans cette gram­maire, et les sys­tèmes d’information.
En pre­mier lieu, René Man­del pose, pour toute entre­prise, l’existence d’une décom­po­si­tion en entités indépen­dantes des cycles, entités qu’il qual­i­fie “d’invariants”. Afin de mieux trans­met­tre au lecteur ce principe d’invariance, il utilise une ter­mi­nolo­gie spécifique.
Par exem­ple, une “ trans­for­ma­tion ” est une activ­ité telle que Michael Porter l’entend dans la chaîne de valeur, mais qui sera invari­ante ; les “ valeurs ” sont les ser­vices et pro­duits résul­tantes de ces activ­ités, ces dernières étant réal­isées par des “ opéra­teurs ” ; on en déduit qu’une firme, appelée ici univers, est un ensem­ble d’opérateurs. En revanche, René Man­del reprend le terme “ d’écosystème ” dans son accep­tion générale pour désign­er un secteur de marché éten­du aux clients et four­nisseurs3.

La deux­ième par­tie avance des dépen­dances entre ces entités. Les instru­ments employés sont le “ par­cours ” qui rassem­ble les événe­ments ryth­mant la vie d’une activ­ité, la “ strate de valeurs ” qui généralise le mod­èle organique d’une entre­prise en front office, mid­dle office et back office, et la “ chaîne de valeurs ” qui con­cep­tu­alise l’intégration d’un ensem­ble de ser­vices et pro­duits en un ser­vice ou pro­duit final. Pour illus­tr­er com­ment jouer avec ce “ Mec­ca­no ” pour stratèges d’entreprise, René Man­del émaille cette par­tie par des exem­ples tirés de sa riche expéri­ence : entre­prise d’ingénierie, unité de fab­ri­ca­tion, prestataire logis­tique, ser­vices d’administration de ressources humaines, ser­vices ban­caires, ser­vices médicaux…

Enfin, la troisième par­tie trans­pose la mod­éli­sa­tion organique faite au niveau de l’entreprise vers celui des sys­tèmes d’information. Cette trans­po­si­tion est assurée gradu­elle­ment par la séquence clas­sique : métiers de l’entreprise, proces­sus, sys­tèmes d’information, appli­ca­tions infor­ma­tiques et infra­struc­ture physique de sys­tème d’information. Les élé­ments du Mec­ca­no défi­ni au niveau de l’entreprise trou­vent ain­si leur cor­re­spon­dance dans celui des logi­ciels : plate-forme élec­tron­ique de marché, progi­ciel de ges­tion inté­gré, appli­ca­tions métiers ou mod­ules logi­ciels métiers.

La démarche asso­ciée à cette théori­sa­tion en trois temps per­met d’assurer la robustesse du SI face aux change­ments de périmètre et d’organisation de la firme. Elle con­stitue l’essence de l’urbanisation des sys­tèmes d’information, ce que cer­tains, ne retenant que les deux pre­mières étapes, désig­nent par archi­tec­ture d’entreprise.

Reprenons les pro­pres ter­mes de René Man­del dans son intro­duc­tion : “ À quoi pareille théorie peut-elle être utile ? ” Notam­ment, pourquoi intro­duire une ter­mi­nolo­gie orig­i­nale (par exem­ple “ valeur ” au lieu de service/produit et “ univers ” pour firme) ?

Le déplace­ment séman­tique pro­posé par René Man­del, qui peut sur­pren­dre au pre­mier abord, a le mérite de met­tre en lumière la volatil­ité de l’organisation de l’entreprise ain­si que sa nature frac­tale 4. En effet, à l’heure des fusions acqui­si­tions, exter­nal­i­sa­tions, spin offs ou créa­tions d’entreprises, il est légitime de s’interroger sur le lieu des fron­tières entre un écosys­tème, une firme, une unité d’affaires ou un départe­ment, voire un pro­fes­sion­nel indépen­dant tra­vail­lant en temps partagé pour plusieurs firmes.

En rap­pelant dans sa con­clu­sion les com­posantes d’un busi­ness mod­el, René Man­del sug­gère qu’une piste de réponse est de nature économique et finan­cière. En effet, c’est le résul­tat de l’analyse économique et finan­cière des coûts de trans­ac­tion et des effets d’échelle qui ori­ente le plus sou­vent les arbi­trages de frontières.

On devine que la vision de notre cama­rade relève d’une réflex­ion alliant une épisté­molo­gie du logi­ciel à une expéri­men­ta­tion par le con­seil du secteur indus­triel des ser­vices et des tech­nolo­gies de l’information. Son ouvrage, lu avec avid­ité par tout esprit épris de démarche expéri­men­tale, intéressera le milieu universitaire.

Par ailleurs la richesse des retours d’expérience lui ouvre un large pub­lic de lecteurs pro­fes­sion­nels : archi­tectes et urban­istes de SI, directeurs de pro­jet et maîtrise d’ouvrage de SI, mais aus­si les respon­s­ables qual­ité et processus.

___________________
1. Oresys est une société de con­seil en sys­tèmes d’information.
2. Urba-EA est le club d’urbanistes et d’architectes de sys­tèmes d’information www.urba-EA.com
3. Un écosys­tème rassem­ble ain­si trois des “ cinq forces con­cur­ren­tielles du marché ” définies par Michael Porter.
4. Ce terme, inven­té par le cama­rade math­é­mati­cien Man­del­brot (44), a été appliqué au sys­tème d’information par Yves Caseau, nor­malien, dans son ouvrage Urban­i­sa­tion et BPM, Paris, Dun­od, 2005.
5. Tru Dô-Khac est l’auteur de L’externalisation des télé­coms d’entrepriseL’Opérateur Privé Virtuel pub­lié dans la même col­lec­tion que l’ouvrage de René Mandel.

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