CRISE ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°648 Octobre 2009Rédacteur : Jean Salmona (56)

Serait-ce qu’en ces temps d’inquiétude oblig­a­toire devant les cat­a­clysmes annon­cés – économiques, san­i­taires – les gens se tour­nent vers les nour­ri­t­ures spir­ituelles ? En tout cas, l’édition phono­graphique ne se porte pas mal, et quelques dis­ques témoignent, en cette ren­trée, de sa vital­ité et de sa capac­ité, inat­ten­due, à se renouveler.

Deux pianistes

Piotr Ander­szews­ki, bien con­nu des fes­ti­va­liers, est un des rares pianistes qui sache com­bin­er orig­i­nal­ité d’interprétation et fidél­ité à la par­ti­tion, comme dans sa ver­sion mémorable des Par­ti­tas de Bach com­men­tées jadis dans ces colonnes1. C’est pré­cisé­ment avec la 2e Par­ti­ta que s’ouvre l’enregistrement live de son con­cert récent à Carnegie Hall2, qui com­porte égale­ment Car­naval de Vienne de Schu­mann, la Sonate opus 110 de Beethoven, Dans les brumes de Janacek, et Trois Dans­es hon­grois­es du dis­trict de Csik, de Bar­tok. Ce type de pro­gramme éclec­tique per­met de décou­vrir des pièces peu jouées que l’on n’irait pas rechercher ailleurs. Ici, out­re le Car­naval de Vienne, bril­lant et moins intimiste et aus­si moins con­nu que le Car­naval de Schu­mann, et enlevé avec un brio un peu dis­tant, c’est la suite Dans les brumes qui vaut la décou­verte, la dernière des rares pièces pour piano de Janacek. Le meilleur du con­cert reste la 2e Par­ti­ta, de toute évi­dence l’aboutissement d’un long tra­vail de réflex­ion et de mise au point, superbe.

Le pianiste sué­dois Daniel Prop­per, spé­cial­iste de la musique scan­di­nave, a enreg­istré les Pièces lyriques (cahiers 8 à 10) et Impres­sions3 d’Edvard Grieg, mon­trant que la musique de ce dernier ne se réduit pas à son archi-joué Con­cer­to pour piano. Ce sont des pièces épurées et un peu austères, pour la plu­part d’inspiration folk­lorique, et qui témoignent de l’enracinement de Grieg à la fois dans le XIXe siè­cle et dans la tra­di­tion des Lumières du Nord.

Pergolèse par Abbado

La musique de Per­golèse, étoile filante dans la galax­ie de la musique ital­i­enne du XVI­I­Ie siè­cle (mort à 26 ans en 1736), est plus orig­i­nale que celle du pro­lifique Vival­di. On con­naît sa Sonate pour vio­lon dont Stravin­s­ki a tiré sa Suite ital­i­enne et le bal­let Pul­cinel­la, et on com­mence à con­naître son Sta­bat Mater, que Clau­dio Abba­do vient d’enregistrer avec son Orchestre Mozart et deux extra­or­di­naires solistes, la sopra­no Rachel Har­nisch et la con­tral­to Sara Min­gar­do, ain­si que le Salve Regi­na avec la non moins extra­or­di­naire sopra­no Julia Kleit­er4. L’originalité de l’enregistrement d’Abbado, aus­si pré­cis et exigeant dans Per­golèse que dans Mahler, réside dans l’effectif réduit de l’orchestre (18 musi­ciens) et la trans­parence, la clarté qui en résul­tent. Le disque com­porte en out­re le pre­mier enreg­istrement mon­di­al du Con­cer­to pour vio­lon de Per­golèse avec, en soliste, Giu­liano Carmigno­la, con­cer­to plus clas­sique, mais que l’on peut préfér­er à bon droit à ceux de Vivaldi.

Du tango au Dixieland

Le tan­go, à l’origine musique de bas­tringue, se joue aujourd’hui en grand orchestre sym­phonique (Baren­boïm) et en musique de cham­bre (Kre­mer). C’est ain­si que le duo Cordes et Âmes – Sara Chenal, vio­lon, et Olivi­er Pel­moine, gui­tare – a enreg­istré l’Histoire du Tan­go de Piaz­zol­la, la Suite Buenos Aires de Pujol, et les Dances in a Mad­house du Cal­i­fornien Leis­ner5. C’est enlevé avec un brio com­mu­ni­catif, et aus­si avec une pré­ci­sion et une rigueur tech­nique qui font de ces pièces, déjà elles-mêmes des com­po­si­tions très tra­vail­lées, des évo­ca­tions au sec­ond degré, con­férant au tan­go un sub­til cer­ti­fi­cat de moralité.

Nos amis les Dix­ieland Seniors, que l’on peut enten­dre régulière­ment au Petit Jour­nal Saint-Michel, sont de retour au disque avec un troisième vol­ume Mis­ter Jel­ly Lord6. La for­ma­tion a évolué au fil du temps, avec tou­jours deux fidèles de la pro­mo 45, François May­er au trom­bone et au chant et Jacques Napoly au ban­jo, Daniel Pélissier, clar­inette, cor­net, saxo, François Robi­net, clar­inette et jaz­zoflûte, Marc Chevaucherie, tuba, et San­drik Davrichewy, piano. C’est tou­jours avec le même ent­hou­si­asme qu’ils jouent les thèmes de Kid Ory, King Oliv­er et autres Jel­ly Roll Mor­ton. Allons, le bon vieux jazz tra­di­tion­nel est bien vivant, et, avec les épatants Dix­ieland Seniors, il a même retrou­vé une nou­velle jeunesse.

Jean Salmona (56)

1. 2 CD VIRGIN (2002).
2. 2 CD VIRGIN (2009).
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD ARCHIV PRODUKTION.
5. CD SKARBO.
6. 1 CD DIXIE 03 (c/o D. Pélissier 06.09.81.86.00).

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