Courrier des lecteurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°561 Janvier 2001Par : Jean GARNIER (36), Michel LÉVY (56) et Gérard BLANC (68)

L’automobile
À propos du n° 557, août-septembre 2000

L’article intéres­sant de Chris­t­ian Geron­deau (57) sur l’automobile et l’automobiliste appelle deux remar­ques de ma part.

La pre­mière con­cerne le prix de l’essence. Dans le passé, un prix élevé a eu comme heureuse con­séquence l’apparition en Europe de voitures con­som­mant moins d’essence. Cette sobriété a des avan­tages écologiques, économiques, et poli­tiques en dimin­u­ant notre dépen­dance vis-à-vis des pays pro­duc­teurs de pét­role. Tout cela est de la plus haute impor­tance, et il paraît néces­saire de con­tin­uer dans cette voie pour pro­gress­er encore dans ce domaine.

Sec­onde remar­que, notre cama­rade ne cite pas une con­trepar­tie majeure de l’automobile, son bruit. Autre­fois, il était agréable de se promen­er dans Paris et dans d’autres villes – je pense à Nice et à la Prom­e­nade des Anglais – c’est devenu odieux à cause du bruit des automobiles.

Il suf­fit de quelques voitures cir­cu­lant la nuit pour trou­bler sérieuse­ment le som­meil, que ce soit en ville, ou à la cam­pagne au bord d’une route moyen­nement fréquen­tée. Une ran­don­née agréable peut être com­plète­ment gâchée quand on suit une route départe­men­tale pen­dant quelque temps.

De ce point de vue l’automobile est un fléau. Évidem­ment, quand on est au volant, on ne s’en aperçoit pas. La seule solu­tion expéri­men­tée avec suc­cès est la zone pié­tonne, comme on y est bien ! Mais, évidem­ment, cela ne peut être généralisé…

La lutte con­tre le bruit est un des prin­ci­paux défis pour le présent et le proche avenir. À quand un numéro de La Jaune et la Rouge sur ce sujet ?

Jean GARNIER (36)

Les X étrangers
À propos du n° 559, novembre 2000

L’article de Mau­rice Bernard (48) “ Le recrute­ment des élèves étrangers à l’École poly­tech­nique par le con­cours dit de la caté­gorie par­ti­c­ulière, de 1944 à 1995 ” est illus­tré par le choix bizarre de la pho­togra­phie de la classe de math­é­ma­tiques spé­ciales 1947 du lycée d’Alger, dont aucun élève pour­tant, quelle que fût sa com­mu­nauté d’origine, ne se présen­tait au con­cours d’entrée à l’X au titre de la caté­gorie par­ti­c­ulière : faut-il rap­pel­er en effet qu’en 1947 Alger était le chef-lieu d’un départe­ment français et avait encore été, à peine trois ans avant, la cap­i­tale de la France en guerre pour la libéra­tion de la métro­pole et le siège du gou­verne­ment pro­vi­soire de la République française ?

La légende qui accom­pa­gne cette pho­togra­phie est ambiguë et risque encore plus d’orienter le lecteur vers des con­clu­sions inexactes.
… C’est cette légende qui appelle le présent courrier.

Je la cite tout d’abord in extenso :
“ De 1925 à 1962 le lycée Bugeaud d’Alger a com­porté une classe de math­é­ma­tiques supérieures et une classe de math­é­ma­tiques spé­ciales. Cette dernière dite “ Taupe arabe ” eut pour pro­fesseur légendaire Mar­cel Saint-Jean (le “ Singe ” évidem­ment). Mal­gré son appel­la­tion elle n’a comp­té qu’un nom­bre extrême­ment faible d’élèves d’origine musul­mane. En revanche la com­mu­nauté juive d’Algérie, à la faveur du décret Crémieux de 1870, a fourni à l’École poly­tech­nique et autres grandes écoles français­es d’ingénieurs des élèves en nom­bre croissant. ”

Le com­plé­ment cir­con­stan­ciel “ à la faveur du décret Crémieux de 1870 ” laisse enten­dre que la com­mu­nauté juive indigène d’Algérie aurait ain­si béné­fi­cié, grâce à son acces­sion en masse à la citoyen­neté française com­plète, d’un priv­ilège par rap­port à la com­mu­nauté indigène musulmane.

Il con­vient de cor­riger pareille appréciation.

En réal­ité l’avancement des Juifs indigènes d’Algérie n’a pas daté du décret du 24 octo­bre 1870 dit “ décret Crémieux ”, mais bien de l’arrivée de la France en 1830, alors accueil­lie par la com­mu­nauté juive comme une libéra­trice de l’oppression turque et arabe qui main­te­nait les Juifs dans une con­di­tion civile dégradante et sor­dide, et dans l’insécurité physique permanente.

Le décret Crémieux n’a fait ensuite qu’accompagner une éman­ci­pa­tion déjà en cours et hon­or­er une volon­té démon­trée des Juifs indigènes de pro­gress­er et d’assimiler la civil­i­sa­tion des Lumières qu’incarnait la France. (Rap­pelons que le régime de Vichy pen­dant la som­bre péri­ode 1940–1942 avait abrogé le décret Crémieux.)

L’émergence rapi­de dans tous les domaines d’une élite juive en Algérie (notam­ment par la voie de la fonc­tion publique moyenne, puis par l’accès à l’université et aux grandes écoles) n’a été que le fruit de la méri­to­cratie à la française et non la con­séquence de privilèges.

Que l’autre com­mu­nauté indigène d’Algérie soit allée de l’avant moins vite et pro­por­tion­nelle­ment moins nom­breuse pen­dant la même péri­ode, c’est un fait exact dont il con­vient de rechercher les caus­es objec­tives ailleurs que dans la non-exten­sion à son prof­it du décret Crémieux (en toute hypothèse l’extension était totale­ment irréal­iste à l’époque quand on sait que le décret Crémieux empor­tait oblig­a­tion pour ses béné­fi­ci­aires d’adopter le statut civ­il per­son­nel de droit com­mun, lequel était évidem­ment incom­pat­i­ble avec le droit cou­tu­mi­er coranique).

Les con­sid­éra­tions qui précè­dent n’ont certes plus aujourd’hui qu’un intérêt his­torique puisque 1962 a vidé l’Algérie de tous ses Juifs comme de tous ses Européens.

La suite a mon­tré que Juifs et Européens avaient été en Algérie le lev­ain d’une aven­ture humaine de pro­grès (mal­gré des erreurs, des lenteurs, des insuff­i­sances, toutes notoires), aven­ture anéantie pour le mal­heur de toutes les com­mu­nautés qui y vivaient.

Michel LÉVY (56)

À propos de l’an 2000

… L’année d’un début du siè­cle est une con­ven­tion – qui a var­ié au cours des temps – pour laque­lle la France man­i­feste une “ excep­tion cul­turelle ” que la com­mu­nauté sci­en­tifique inter­na­tionale a formelle­ment démentie.

Sans faire inter­venir les argu­ments math­é­ma­tiques, his­toriques ou soci­ologiques avancés par les uns ou les autres (le prob­lème des arbres et des inter­valles, les nom­bres car­dinaux et ordinaux, la compt­abil­i­sa­tion de l’âge à l’année échue, la manière de compter sur ses doigts, etc.), je vous présente un petit rap­pel historique.

Tout com­mencerait en 532 avec le moine Denys le Petit qui instau­ra l’ère chré­ti­enne. Mais il était fort igno­rant puisqu’il igno­rait le 0, déjà con­nu des Indi­ens et des Arabes. De ce fait, pen­dant longtemps, très longtemps, les his­to­riens ont ignoré l’année 0. Leur axe des temps ne peut pas être mis en cor­re­spon­dance avec l’ensemble des entiers relatifs.

Ceci ne facilite guère les cal­culs. Ain­si, pour con­naître à quel âge est mort l’empereur Tibère, né en 42 avant J.-C. et mort en 37 après J.-C., la solu­tion la plus évi­dente pour un écol­i­er serait de faire la sous­trac­tion : 37 — (-42) = 79 ; mais, en fait, cela lui donne un an de plus, car les his­to­riens passent directe­ment de l’an 1 avant J.-C. à l’an 1 après J.-C., ce qui con­duit le cal­cul habituel à compt­abilis­er une année de trop…

En 1770, sous l’impulsion de Cassi­ni, les astronomes ont intro­duit une année 0 pour compter les années antérieures à l’an 1.

En 1800, le Bureau des lon­gi­tudes, insti­tut créé en 1795 par la Con­ven­tion (et dont plusieurs de nos cama­rades sont mem­bres cor­re­spon­dants), prit le par­ti des his­to­riens con­tre celui des astronomes et déci­da que le pre­mier siè­cle de l’ère chré­ti­enne s’étendrait de l’an 1 à l’an 100, le deux­ième siè­cle de l’an 101 à l’an 200, etc.

En 1976, lors de sa seiz­ième assem­blée générale, l’Union astronomique inter­na­tionale a fixé comme instant orig­ine pour les cal­culs des tables des posi­tions des planètes et corps célestes – effec­tués en siè­cles, avant ou après ce moment-là – le 1er jan­vi­er 2000 à 12 h GMT (pour être sûr que tous les fuse­aux horaires du monde aient atteint cette échéance). Ce sys­tème est entré en vigueur en 1984. Si le point 0 d’un cal­cul en siè­cle cor­re­spond au 1er jan­vi­er 2000, cela cor­re­spond à l’évidence au début du siècle.

Gérard BLANC (68)

Poster un commentaire