Courrier des lecteurs

Dossier : ExpressionsMagazine N°604 Avril 2005Par : Jacques MANTOUX (41) et Paul GADILHE (38)

À propos de l’article “ L’image du plateau ” par Georges Waternaux (41), n° 600, décembre 2004.

On peut remerci­er l’équipe de La Jaune et la Rouge d’avoir choisi la rubrique “ Libres pro­pos ” pour accueil­lir les réflex­ions de Georges Water­naux sur le Créa­teur et sa nature : nature de Cause Pre­mière, selon Waternaux.

Ce n’est sûre­ment pas con­trevenir à l’esprit de cette rubrique que de pro­pos­er une vue dif­férente sur ce sujet. Bien que l’édifice de la méta­physique soit immense, et ses travaux innom­brables, une réflex­ion de plus, dans son jardin, n’est sans doute pas à écarter, même si cer­tains risquent d’y voir une pierre.

Comme d’autres avant lui, Water­naux pose la notion de Cause Pre­mière en tête de son exposé.

“ Je pense Cause Pre­mière, donc je suis… ”
Le reste en découle :
– “ Le Créa­teur sou­tient la créa­tion ” (ici, la langue est com­plice : qui donc irait s’étonner que la créa­tion ait eu un Créateur ?),
– “ Dieu est Cause Pre­mière ” – la for­mu­la­tion, retournée, serait même plus explicite : “ La Cause Pre­mière est Dieu ” (et per­son­ne d’autre),
– “ En fait, il n’est nulle part. Il est en dehors de l’espace et du temps.”
– “ Sa rela­tion avec cette Créa­tion est à la fois tran­scen­dante et imma­nente. ”

Il est à remar­quer que le point de vue ci-dessus relève d’une cul­ture claire­ment chré­ti­enne : la Bible est nom­mée du reste deux fois, et citée une troisième (Apoc­a­lypse).

Est-ce là l’alpha et l’oméga de la vision de toute l’humanité ?

Ce serait oblitér­er la pen­sée de peut-être les deux tiers de l’humanité : le mil­liard des Indi­ens, celui des Chi­nois, sans compter les dis­ci­ples de Çakya­mu­ni, ceux de Zoroas­tre (les très act­ifs Par­sis de l’Inde), les adeptes du Shin­to, bien d’autres encore (je passe les musul­mans, qui sont encore enfants de la Bible, à leur façon).

Sans oubli­er les agnos­tiques et les athées : pour ceux-ci, à coup sûr rien de révélé, rien qui se puisse dire hors des con­tenus de l’espace et du temps.

Je pense qu’il y a là un élé­ment dif­fi­cile­ment con­tourn­able de prise de recul, vis-à-vis des “ Libres pro­pos ” de Georges Waternaux.

Ceux-ci sont de l’expression d’une croy­ance ; à ce titre, tout respect leur est dû.

Mais de là à oblitér­er d’autres croy­ances, il y aura tou­jours un pas.

Jacques MANTOUX (41)


À propos de l’article “ L’École polytechnique et ses élèves prisonniers de guerre (1940–1945) ” par Robert Garabiol (38), n° 601, janvier 2005.

J’ai séjourné de la mi-1942 au 17 avril 1945 à l’Oflag XVIIA à Edel­bach en Autriche. Nous étions une ving­taine de cama­rades de la pro­mo­tion 1938. Nous avons enten­du par­ler des ten­ta­tives de libéra­tion et avons reçu les cours envoyés par l’École.

Mais je peux ajouter deux com­men­taires sur ces sujets.

Nous avons eu con­nais­sance d’un pro­jet de libéra­tion avec le titre plus ou moins fic­tif d’ingénieurs des Ponts et Chaussées, et à ce titre je reçus des cours de l’École d’application de cette spé­cial­ité. Un beau jour nous fûmes infor­més que si l’opération réus­sis­sait nous seri­ons affec­tés à l’Organisation TODT (qui assur­ait tous les travaux de génie civ­il de la Wehrma­cht). Avec toute la cour­toisie qu’imposait la sit­u­a­tion à cette époque nous fîmes savoir à notre infor­ma­teur qu’il con­ve­nait de met­tre fin à cette recherche, et nous n’entendîmes plus par­ler de ce projet.

Par con­tre je n’avais pas con­nais­sance du pro­jet de nous regrouper dans un ou deux camps avec de poten­tiels pro­fesseurs, mais la même idée nous est venue et nous avons eu la chance d’avoir dans notre camp un agrégé de math­é­ma­tiques, dont j’ai mal­heureuse­ment oublié le nom, qui a aus­sitôt accep­té de réalis­er ce pro­jet. Cette déci­sion ayant été prise pen­dant l’été 1944, la ren­trée des class­es fut fixée en sep­tem­bre ou octo­bre. Pen­dant un mois tout se pas­sa exacte­ment comme si nous étions rue Descartes !

Hélas nous avions oublié une vari­able impor­tante de notre prob­lème. Notre ali­men­ta­tion, à peu près con­ven­able, était assurée pour une moitié par l’armée alle­mande et pour l’autre moitié par des col­is que nous adres­saient nos familles et quelques bonnes œuvres. Or le débar­que­ment du 6 juin et la rapi­de avancée des armées de libéra­tion avaient coupé le réseau de chemins de fer qui assur­ait la moitié de notre mag­nan. Les pre­miers jours nous fîmes con­tre mau­vaise for­tune bon cœur, mais à la fin du mois il parut évi­dent que nos petits cerveaux ne dis­po­saient plus de l’énergie néces­saire pour suiv­re nos cours, et ce d’autant plus que notre pro­fesseur bien­fai­teur était atteint de la même paralysie.

Cette expéri­ence eut une suite pos­i­tive. Le 17 avril 1945 nos gar­di­ens ayant enten­du le canon russe à l’est de notre camp décidèrent de par­tir avec nous vers l’Ouest. L’aventure se ter­mi­na le 7 mai à Orléans, et nous apprîmes peu après le pro­gramme des exa­m­ens de fin de deux­ième année pré­paré par l’École à notre intention.

Je sup­pose que plusieurs cama­rades se fixèrent le même pro­gramme que moi : après un tour de France rapi­de pour retrou­ver toute ma famille, trou­ver un point de repos tran­quille réservé à ma recon­sti­tu­tion physique (en un mois je récupérais 10 kilos sur les 20 que j’avais per­dus au cours de l’année précé­dente), et enfin affecter les deux derniers mois à une chi­ade inten­sive telle que je l’avais pra­tiquée pour pré­par­er les exam­gés de la fin de la pre­mière année.

P.-S. Gara­bi­ol indique que le nom­bre de pris­on­niers à la fin de la guerre s’élevait à 55. J’avais retenu un chiffre net­te­ment supérieur (85 ?). Serait-il pos­si­ble de véri­fi­er ce point par exem­ple en retrou­vant les listes d’expédition des cours aux pris­on­niers, ou mieux en con­sul­tant les doc­u­ments d’organisation des exa­m­ens de sor­tie et ceux de classe­ment dans les dif­férents Corps de l’État.

Paul GADILHE (38)

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