Conservatoire du littoral : l’objectif du tiers sauvage

Dossier : La passion de la merMagazine N°646 Juin 2009
Par Emmanuel LOPEZ

REPÈRES

REPÈRES
Étab­lisse­ment pub­lic nation­al créé par la loi du 10 juil­let 1975, le Con­ser­va­toire du lit­toral a pour mis­sion de sauve­g­arder, en parte­nar­i­at avec les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, les espaces naturels, côtiers ou lacus­tres, d’intérêt biologique et paysager. Son objec­tif est de garan­tir, à l’horizon 2050, la trans­mis­sion aux généra­tions futures d’un pat­ri­moine naturel, ter­restre et mar­itime, représen­tant le « tiers sauvage » des rivages de la France mét­ro­pol­i­taine et d’outre-mer. Fin décem­bre 2008, en France mét­ro­pol­i­taine et out­re-mer, 124000 hectares sur près de 600 sites sont sous la pro­tec­tion du Con­ser­va­toire du lit­toral et de ses parte­naires, dont 80 000 hectares à la suite d’acquisitions.
Ce domaine ter­restre et mar­itime représente en métro­pole plus de 1 000 km de rivages soit 11% du linéaire côtier. 


Bonne Anse (Char­ente-Mar­itime).
© Marc Deneyer/Conservatoire du littoral

L’ac­tion du Con­ser­va­toire répond à des enjeux de société fon­da­men­taux : prévenir la perte irréversible d’un cap­i­tal biologique, esthé­tique et iden­ti­taire en con­sti­tu­ant, année après année, un pat­ri­moine de biens pro­tégés et inal­ién­ables ; per­me­t­tre la restau­ra­tion et l’amé­nage­ment de paysages et d’é­cosys­tèmes ter­restres ou marins ; autoris­er le libre accès de tous aux rivages ; con­tribuer à la recherche et au partage des con­nais­sances sci­en­tifiques que les change­ments en cours appellent.

Autoris­er le libre accès de tous aux rivages

Cette action ne peut être ponctuelle ou soli­taire. Elle s’ap­puie sur une vision partagée et un parte­nar­i­at de longue durée avec les ges­tion­naires des ter­rains du Con­ser­va­toire que sont les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, les asso­ci­a­tions et les étab­lisse­ments publics, ain­si qu’avec les fon­da­tions et entre­pris­es qui appor­tent leur sou­tien à cette grande cause nationale de la préser­va­tion du littoral. 

Un fonctionnement décentralisé et des financements divers

Le Con­seil d’ad­min­is­tra­tion délibère sur les grandes ori­en­ta­tions de l’étab­lisse­ment pub­lic et autorise les opéra­tions. Neuf con­seils de rivages, organ­isés par grande façade lit­torale et com­posés d’élus, don­nent leur avis sur les pro­grammes de restau­ra­tion et d’amé­nage­ment ain­si que sur les pro­jets de partenariat.


Les îles Chausey (Manche).
© ATLP/Conservatoire du

littoral

Mécènes de la mer
 
Le Con­ser­va­toire béné­fi­cie du mécé­nat d’en­tre­prise, notam­ment en matière de péd­a­gogie, de com­mu­ni­ca­tion et d’é­tudes sci­en­tifiques : fon­da­tion Procter&Gamble pour la pro­tec­tion du lit­toral, fon­da­tion EDF Diver­siterre, fon­da­tion Gaz de France, fon­da­tion Total, fon­da­tion Dex­ia, fon­da­tion Banque Pop­u­laire, fon­da­tion Macif, Veo­lia Envi­ron­nement, SAUR. Ce type de parte­nar­i­at, ini­tié il y a déjà plus de quinze ans, est en cours de développe­ment, et il con­cern­era égale­ment désor­mais le cœur de méti­er du Con­ser­va­toire — l’ac­qui­si­tion fon­cière — pour des opéra­tions emblématiques.


Un con­seil sci­en­tifique apporte sa capac­ité d’é­val­u­a­tion et d’ex­per­tise. Le Con­ser­va­toire a son siège à la Corderie royale de Rochefort (Char­ente-Mar­itime). Il dis­pose de bureaux à Paris et s’ap­puie sur 10 délé­ga­tions de rivages.

Prévenir la perte irréversible d’un cap­i­tal biologique, esthé­tique et identitaire

Il compte moins de 150 agents, dont une trentaine sont mis à dis­po­si­tion par ses parte­naires locaux ou nationaux.

Pour l’an­née 2008, le bud­get du Con­ser­va­toire s’est élevé à 50 mil­lions d’eu­ros dont la plus grande part (36 mil­lions d’eu­ros) est le pro­duit du droit de fran­ci­sa­tion et de nav­i­ga­tion des navires, attribué par l’É­tat à l’étab­lisse­ment pub­lic depuis le 1er jan­vi­er 2006. Les finance­ments com­plé­men­taires provi­en­nent des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, de l’U­nion européenne et des Agences de l’eau.

Enfin, le Con­ser­va­toire béné­fi­cie d’ac­tions de mécé­nat et reçoit de nom­breux dons en espèces et des dona­tions de par­ti­c­uliers ain­si que des ter­rains remis en dation en paiement de droits de suc­ces­sion ou de l’im­pôt sur la fortune.

Quatre critères pour intervenir


Cou­ple de sternes Hansel (et mou­ettes), lagunes de l’étang de l’Or (Hérault).
© Xavier

Rufray

Des activ­ités multiples
 
Une poli­tique fon­cière ne se réduit pas à l’achat de ter­rains. En rela­tion quo­ti­di­enne avec les autres acteurs de la mer et du lit­toral, le Con­ser­va­toire con­jugue des actions divers­es : acquérir des sites à l’ami­able, en préemp­tion ou en expro­pri­a­tion ; les recevoir en dona­tion, en con­sti­tu­tion de servi­tude ou, notam­ment pour le domaine mar­itime, en affec­ta­tion ou attri­bu­tion ; assur­er leur restau­ra­tion et leur amé­nage­ment à par­tir de la con­nais­sance de leur état pat­ri­mo­ni­al et de leur poten­tiel d’évo­lu­tion ; veiller au suivi et à l’é­val­u­a­tion de la ges­tion d’un domaine qui reçoit chaque année plus de 30 mil­lions de vis­ites ; pro­pos­er, enfin, aux admin­is­tra­tions et col­lec­tiv­ités com­pé­tentes des mesures régle­men­taires utiles à l’ex­er­ci­ce de sa mis­sion, à terre comme sur le domaine pub­lic mar­itime adjacent.


Le Con­ser­va­toire ne peut pré­ten­dre agir partout ou tout acheter. À l’in­térieur de périmètres géo­graphiques car­tographiés et présen­tés selon un ordre de pri­or­ité, qua­tre critères ont été retenus :

  • lorsqu’un espace naturel d’in­térêt pat­ri­mo­ni­al est soumis, mal­gré une régle­men­ta­tion pro­tec­trice, à des pres­sions con­stantes qui men­a­cent son intégrité (implan­ta­tion de cabanes, de rési­dences “mobiles” de loisirs, deman­des réitérées de per­mis de con­stru­ire ou de révi­sion des doc­u­ments d’ur­ban­isme, etc.) ;
  • lorsqu’un site naturel, ter­restre ou mar­itime, subit un proces­sus d’ap­pau­vrisse­ment et de banal­i­sa­tion (cir­cu­la­tion désor­don­née des voitures ou des bateaux, prélève­ments incon­trôlés des ressources naturelles) et qu’il est néces­saire d’or­gan­is­er la fréquen­ta­tion et les usages pour restau­r­er sa richesse écologique et esthétique ;
  • lorsqu’un lieu, recon­nu comme emblé­ma­tique, est inac­ces­si­ble au pub­lic et qu’il appa­raît souhaitable de l’ou­vrir ou de prévenir sa fermeture ;
  • lorsque, enfin, la maîtrise fon­cière publique est la con­di­tion de la péren­nité d’ac­tiv­ités économiques tra­di­tion­nelles, notam­ment agropas­torales, qui par­ticipent à la ges­tion de la diver­sité paysagère et biologique du lit­toral (éle­vage exten­sif dans les zones humides, viti­cul­ture dans les espaces méditer­ranéens exposés à l’in­cendie, etc.).

Autoris­er des usages durables et respectueux des milieux naturels 


Tous ces critères appel­lent, peu ou prou, des mesures de restau­ra­tion et d’amé­nage­ment des sites dans le pro­longe­ment de leur acqui­si­tion ou de leur attri­bu­tion au Con­ser­va­toire. Le sens pro­fond de l’in­ter­ven­tion fon­cière appa­raît alors : acquérir ou recevoir en affec­ta­tion non pas tant pour inter­dire, c’est là le rôle de la régle­men­ta­tion, que pour réguler des activ­ités ou autoris­er des usages durables et respectueux des milieux naturels.

Des actions en partenariat avec les collectivités locales


Dune du Pilat (Gironde).
© Alain Ceccaroli/Conservatoire du littoral

Coopéra­tion européenne et internationale
 
Le Con­ser­va­toire, qui est inspiré de l’ex­em­ple du Nation­al Trust créé en 1895 en Angleterre, est mem­bre de l’U­nion inter­na­tionale pour la con­ser­va­tion de la nature (UICN). Ses activ­ités extérieures s’ar­tic­u­lent autour de trois orientations :
 
l’échange de bonnes pra­tiques et de méth­odes au sein de réseaux de ges­tion­naires d’e­spaces naturels, comme celui d’Eu­rosite dont le Con­ser­va­toire est un des mem­bres fondateurs ;
 la pro­mo­tion d’un savoir-faire en matière de sauve­g­arde et de ges­tion du lit­toral à tra­vers la par­tic­i­pa­tion active à cer­taines con­ven­tions inter­na­tionales comme celle de Barcelone pour la Méditer­ranée, dont le pro­to­cole sur la Ges­tion inté­grée des zones côtières (GIZC), adop­té en 2008, est en cours de ratification ;
 l’ex­per­tise et le con­seil en matière de poli­tiques fon­cières de pro­tec­tion comme en Algérie, où un Com­mis­sari­at nation­al du lit­toral a été créé en 2004 sur le mod­èle du Con­ser­va­toire, et l’ac­cueil de délé­ga­tions étrangères.


Comme le prévoit la loi, le Con­ser­va­toire exerce ses respon­s­abil­ités de pro­prié­taire (ou de représen­tant de l’É­tat pro­prié­taire) en parte­nar­i­at étroit avec : les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales (com­munes ou groupe­ment de com­munes, départe­ments, régions) aux­quelles est con­fiée en pri­or­ité la ges­tion du domaine par convention ;

Éviter que le bien de tous soit perçu comme n’appartenant à personne

les étab­lisse­ments publics comme le Parc nation­al de Port-Cros ou, pour le domaine Pub­lic mar­itime, l’A­gence des aires marines pro­tégées ; enfin, les asso­ci­a­tions agréées, comme la Ligue pour la pro­tec­tion des oiseaux ou la Société nationale de pro­tec­tion de la nature. Près de 600 gardes et agents du lit­toral, pris en charge par les ges­tion­naires, assurent ain­si la sur­veil­lance, l’en­tre­tien et l’an­i­ma­tion des sites. Le pat­ri­moine ter­restre et mar­itime du Con­ser­va­toire est géré selon une philoso­phie d’ac­tion inspirée de :

  1. la con­vic­tion de l’in­térêt, théorique et pra­tique, d’une démarche inter­dis­ci­plinaire et mul­ti­parte­nar­i­ale fondée sur la recon­nais­sance partagée des richess­es naturelles, cul­turelles et sociales des ter­ri­toires, y com­pris de leur orig­i­nal­ité immatérielle qui s’ex­prime dans ” l’e­sprit des lieux “. C’est ain­si que près d’un mil­li­er de con­ven­tions d’usage ont été con­clues par le Con­ser­va­toire avec des exploitants (agricul­teurs, éleveurs, conchylicul­teurs, sauniers), qui pour­suiv­ent, ou renou­vel­lent, des usages tra­di­tion­nels con­sid­érés, non pas de manière muséologique, mais comme des usages con­tem­po­rains vivants ;
     
  2. l’oblig­a­tion, sur un lit­toral de plus en plus fréquen­té, d’éviter que ce qui est désor­mais le bien de tous soit perçu comme n’ap­par­tenant à per­son­ne. Cette néces­saire ” prise de pos­ses­sion ” s’ap­puie sur l’élab­o­ra­tion, pour chaque unité biogéo­graphique, d’un plan de ges­tion ou de tout autre doc­u­ment conçu comme un pro­jet spa­tial glob­al, prenant en compte la dynamique de la bio­di­ver­sité comme le car­ac­tère sen­si­ble et his­torique des paysages et du pat­ri­moine bâti. Les travaux de restau­ra­tion et d’amé­nage­ment, ain­si étudiés avec soin, doivent avoir des effets mesurés, réversibles et, dans toute la mesure du pos­si­ble, peu appar­ents. Leur péren­nité repose, pour une large part, sur la libre adhé­sion du pub­lic à des valeurs de respon­s­abil­ité et de partage que le Con­ser­va­toire s’at­tache à diffuser.

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