Taoufik ou Khalid ? Lachheb (95)

citiux, altiuX, fortiux

Dossier : TraditionsMagazine N°citiux, altiuX, fortiux
Par Serge DELWASSE (X86)

Une série sur les sportifs

Remar­que lim­i­naire : ce papi­er me per­met égale­ment de pro­longer la série sur les X sportifs, série ini­tiée avec Yves du Manoir, avec les X qui sont arrivés, à ma con­nais­sance, au plus haut niveau inter­na­tion­al depuis Boro­tra (1920S). Les 5,80 m de Khalid en 1998 le plaçaient en effet, à l’époque, par­mi les 50 meilleurs per­chistes de tous les temps. Cette série se pro­longera avec d’autre rug­by­men, un judo­ka, un joueur de ten­nis, quelques nageurs, foot­balleurs et sprinters.

Sec­onde remar­que lim­i­naire : les Lach­heb sont SYMPAS ! Et ça fait tou­jours plaisir d’écrire sur des gens sym­pas. Pas comme Boro­tra à qui j’ai un peu de mal à par­don­ner d’avoir été com­mis­saire aux sports de Pétain…

Corol­laire / dis­claimer : je ne me fais pas d’illusion, cela com­mence à devenir une habi­tude, je suis cer­tain de ne pas me faire que des copains en écrivant ce papi­er. Cer­tains des lecteurs se recon­naîtront peut-être (com­man­dant de pro­mo, directeur général, entraîneurs). A tout moment, c’est moi qui par­le et juge. Pas eux. Mer­ci de ne pas leur en vouloir de mes juge­ments à l’emporte pièce.

Une brève présentation du contexte

Les Lach­heb mènent de front études et saut à la perche. L’année du bac (1993), ils font pre­mier et deux­ième au cham­pi­onnat d’Europe juniors. En sup (1994), Taoufik fait troisième aux cham­pi­onnat du monde juniors. Ils arrê­tent la com­péti­tion pen­dant deux ans, et recom­men­cent à s’entraîner en 1996. En 1998, Khalid saute 5,80m en plein-air. L’année suiv­ante, Taoufik saute 5,72m en salle. Ils ne fer­ont jamais mieux.

Conseil aux parents

« Notre mère nous forçait mais nous on n’aimait pas ». Khalid ou Taoufik – l’un ou l’autre ou les deux – par­le bien sûr de cette idée saugrenue qu’ont les par­ents de jumeaux de les habiller de la même façon. Je com­patis. Ce qui ne m’empêche pas de met­tre ici quelques pho­tos qu’ils m’ont aimable­ment fournies. Vous noterez qu’à l’Ecole on eut l’idée encore plus saugrenue de leur don­ner un uni­forme identique…

Khalid ou Taoufik ? Lachheb (95)
Taoufik ou Khalid ?
 

Les jumeaux Lachheb (95)
Ils ont beau grandir, ils sont tou­jours habil­lés de la même façon

Les jumeaux Lachheb (95) avec maman
Maman, laisse nous nous habiller comme on veut !
 

Les jumeaux Lachheb (95) à Polytechnique
Encore habil­lés pareils ?

Des purs produits de la République. Et pourtant…

Nos amis sont dou­ble­ment de purs pro­duits de la République. Ce sont tout d’abord les pro­duits de l’école répub­li­caine : venus d’un milieu mod­este ils intè­grent l’X, tous les deux – et en 3/2 qui plus est – parce que leur père leur avait dit « ingénieur, c’est important ».

Mais ce sont aus­si, et je ne peux que vous encour­ager à lire l’ouvrage Le Sport de la République dont je donne les coor­don­nées en annexe, des pro­duits de l’organisation gaulli­enne du sport, artic­ulée autour de deux piliers : les fédéra­tions – délé­gataires de l’Etat – et les clubs – fonc­tion­nant sur le bénévolat.

Nous avons ain­si des per­son­nages emblé­ma­tiques, sym­bol­isant en vrac l’ascension sociale, l’intégration, la réus­site sportive, l’école laïque et oblig­a­toire, et… per­son­ne n’en profite.

  • L’École ne s’en occu­pa pas plus que ça,
  • L’armée qui, pour­tant, dis­tribue de nos jours les con­trats de sportifs de haut niveau à tour de bras, et pour laque­lle, à la fin des années 90, la recon­ver­sion de l’Ecole Inter­ar­mées des Sports (le fameux batail­lon de Joinville) est un véri­ta­ble enjeu, n’a pas l’idée de leur pro­pos­er un con­trat d’ORSA (les Officiers Sous con­trat de l’époque).
  • Quant à la Fédéra­tion Française d’Athlétisme elle sem­blait, avec le recul, mal à l’aise avec nos amis. Paroles d’officiels de la fédé :
    • « Je n’aime pas ceux qui courent 2 chevaux à la fois »
    • « en France on a de la mau­vaise perche : quand il y a des gars qui saut­ent haut, il repren­nent des études »
  • … et paroles de Lachheb :
    • « ils ne nous invi­taient plus en stage, ils con­sid­éraient qu’on n’était pas des gars intéressants »

Des jeunes gens bien élevés

Les jumeaux Lachheb (95) en perchistes
Putain, même Nike nous fait le coup !

« On a été cons on n’a jamais demandé d’aménagement ». Ceux d’entre vous qui con­nais­sent votre servi­teur savent que, à leur place, je serais allé voir l’Ambassadeur du Maroc – ils sont bina­tionaux, le prési­dent de la Fédéra­tion Français d’Athlétisme, le Général com­man­dant les sports mil­i­taitres, voire le Min­istre des Sports.

Eux non. Un peu timides, intro­ver­tis, dis­crets, mais surtout bien élevés. Je ne con­nais ni Madame ni Mon­sieur Lach­heb, mais ils ont fait du bon tra­vail. Peut-être un peu trop bon d’ailleurs. Ils ont même fréquen­té régulière­ment et assidû­ment amphis et petites class­es, sor­tant dans un rang tout à fait hon­or­able (+/- 250, c’est pas tip top, mais c’est tou­jours mieux que moi).

Ils auraient pu par­tir aux Etats-Unis, se pay­er un entraîneur par­ti­c­uli­er, comme Abra­hams dans Les Char­i­ots de Feu – vous noterez que j’ai tout de même réus­si à gliss­er un juif là où je n’avais aucune rai­son de le faire, « On n’a pas été courageux ».

La faute à qui ?

Il ne serait pas raisonnable de leur reprocher ce manque de courage. Nous ne pou­vons non plus raisonnable­ment blâmer leur maman qui n’a d’autre tort que d’avoir bien élevé ses enfants. Il est pour­tant intéres­sant de se deman­der, non pas qui est respon­s­able d’un semi-échec appar­ent dans une car­rière sportive qui est tout de même un véri­ta­ble suc­cès – j’aimerais vous y voir vous à sauter 5,80 m – mais qui aurait pu con­tribuer à en faire quelque chose de vrai­ment excep­tion­nel n’a pas fait son boulot.

En effet, si vous étudiez atten­tive­ment le tableau qui donne la pro­gres­sion de Khalid et Taoufik par rap­port à quelques per­chistes choi­sis au hasard (Bub­ka, Gal­fione et Lav­il­le­nie) vous vous ren­dez compte qu’ils avaient le poten­tiel pour être cham­pi­ons du monde. Ils le dis­ent d’ailleurs « 5,90 m, 6,00 m c’était tout à fait pos­si­ble, il me man­quait 5 kilos de mus­cles et de la puis­sance, mais à 25 ans on s’est ren­du compte qu’on avait bricolé physique­ment ». Ils n’ont pas de regret, ils pensent juste que ça aurait pu être mieux « il ne nous man­quait pas grand-chose mais nous n’avions pas l’environnement adéquat ».

Je ne répondrai bien enten­du pas la ques­tion. Ce que je sais c’est qu’aux États-Unis les uni­ver­sités dépensent des mil­lions de dol­lars pour for­mer des cham­pi­ons et que l’X qui avait ces cham­pi­ons n’a pas su les aider. Par char­ité chré­ti­enne – de ma part c’est un peu exagéré – je tairai le rôle des pro­fesseurs, de la direc­tion des études, pour me con­cen­tr­er sur celui des militaires

Progression de quelques perchistes de légende
Pro­gres­sion de quelques per­chistes de légende

A quoi servent les milis ?

Ami lecteur, tu sais que je milite résol­u­ment pour le ren­force­ment du rôle des mil­i­taires à l’X. C’est pourquoi, en ren­con­trant Taoufik et Khalid, j’ai été peiné d’apprendre que les mil­i­taires n’avaient pas été à la hau­teur – tu remar­queras, à cet endroit du bil­let, où la ten­sion est à son comble, le jeu de mots d’une finesse diabolique.

Elan pour un saut à la perche
Enfin du sport

C’était il y a près de 20 ans et l’armée de 2014 n’est pas tout à fait la même que celle de 1995. Certes. Per­me­ts-moi tout de même de remarquer

  • que l’armée a été fidèle à elle-même.
    • Taoufik a attrapé une ten­di­nite au ten­don d’Achille en faisant son foot­ing en rangers. Messieurs les mil­i­taires com­bi­en de fois vous a‑t-on dit que la ranger est la chaus­sure la plus inadap­tée aux sports qui soit ?
    • Il n’ont eu leur poste à l’EIS qu’à la dernière minu­tie, et encore, il a fal­lu du pis­ton de la Fédé.
  • Que le con­stat pour l’X est bien sévère
    • un encadrement de la sec­tion ath­létisme inexistant
    • un offici­er des sports qui ne les inscrit pas au cham­pi­onnat du monde militaire
    • pas de salle de mus­cu­la­tion digne de ce nom
    • un com­man­dant de pro­mo qui ne sem­ble pas com­pren­dre qu’il a deux génies dans sa pro­mo, et qui sem­ble avoir oublié que son boulot est de leur per­me­t­tre de s’épanoir.
    • Un Chef de Corps qui ne s’occupe pas, sachant que ce n’est nor­male­ment pas son boulot.
Extrait d'Asterix
Le Lt-Colonel T. Mordi­cus, Cdt de Pro­mo, n’avait pas lu Astérix


Il faut dire qu’à l’époque, un poste à l’X pour un cap­i­taine, ça ser­vait surtout à pré­par­er l’Ecole de Guerre – c’est tou­jours le cas – ou, pour un colonel, à avoir un com­man­de­ment alors qu’on n’en avait pas le potentiel.

De mon temps, je con­firme que les cap­i­taines, dans leur grande majorité, n’en avaient pas grand chose à faire, et que les com­man­dants de pro­mos, c’était un sur deux. Je le sais, j’ai fait deux promos.

Quant aux Chefs de corps, il y avait beau­coup de rég­i­ments à ce moment là. Et il est plus pres­tigieux de com­man­der le 1er RPIMA que l’X. Avec la réduc­tion du for­mat des armées, les choses ont changé. Par exem­ple, le chef de corps actuel est vache­ment bien.)

Lachheb’s hall of fame :

Je me dois de citer ceux qui les ont aidés ou ont ten­té de le faire :

  • Le Général Marescaux qui n’a, toute­fois, pas fait plus que résoudre les prob­lèmes que ses sub­or­don­nés leur créaient.
  • Mau­rice Houvion
  • Ahmed – et non Julie – Ghayet, con­seiller à l’intégration de Mar­tine Aubry
  • A la marge,
    • Bouygues Off-Shore et Les Chantiers de l’Atlantique, qui leur ont don­né un con­trat de sportif de haut niveau, à mi-temps, à la sor­tie de l’ENSTA.
    • La Fédéra­tion Maro­caine d’Athlétisme qui leur a pro­posé, mais trop tard, de les pren­dre en charge financièrement.

En relisant mon papi­er, je me rends compte com­bi­en il peut paraître noir. Ne vous méprenez pas. S’ils sont passés un peu au tra­vers de la vie de pro­mo, Khalid et Taoufik sont fiers et heureux, et à juste titre, de ce qu’ils ont fait. Ils sont aujourd’hui mar­iés, ont des enfants, un job. Ils n’ont pas de regrets. Juste un peu de nos­tal­gie. Mais qui n’en a pas ?

L’encadré Uniformologique : la « Rangeo »

La Rangers, de son vrai nom BJA (Brod­e­quin à Jam­bière Attenante) ou BMJA (Brod­e­quin de Marche à Jam­bière Attenante) porte son his­toire dans son nom : venus des Etats-Unis avec l’armée de la Libéra­tion, elles rem­pla­cent avan­tageuse­ment le cou­ple brod­e­quins + ban­des mol­letières de l’armée de 1914, brod­e­quin qui était telle­ment con­fort­able que l’adjudant Ducouëdic, en 1940, avait expliqué à mon grand père : « Pour cass­er les brod­e­quins, il faut piss­er dedans ».

Brodequin 1940, dit « Chaussure à clous », l’ancêtre de la Rangeo
Brod­e­quin 1940, dit « Chaus­sure à clous », l’ancêtre de la Rangeo

Les rangers étaient livrés en cuir naturel, non tein­té. Le grand jeu con­sis­tait alors à les cir­er jusqu’à ce qu’elles devinssent noires. On eut égale­ment l’idée saugrenue d’y adjoin­dre des boucles fort mal­pra­tiques, dont les mau­vais­es langues – je sais ça n’est pas très dis­tin­gué – pré­ten­dent qu’elles ser­vent à insér­er les pattes arrières des chèvres.

À l’époque les semelles étaient cousues et l’on pou­vait faire ressemel­er ses rangers – ce dont ne se pri­vaient pas les sous-officiers de car­rière. Ain­si au bout de plusieurs années ils dis­po­saient de chaus­sures de marche qui épou­saient par­faite­ment leurs pieds et se com­por­tait pra­tique­ment comme des pantoufles.

Au cours des années 90, deux mou­ve­ments orthog­o­naux se firent : le pre­mier, sous pré­texte d’économies, con­sista tout d’abord à fournir des chaus­sures à semelles col­lées, semelles qui firent jas­er au Mali en se décol­lant, puis des cuirs non tein­tés, enduit d’une fine couche de vinyle. Bref des chaus­sures totale­ment inutil­is­ables sauf, éventuelle­ment, pour défiler.

Le sec­ond mou­ve­ment s’initia avec l’apparition de chaus­sures de sport, en Gore-Tex, par­faite­ment adap­tées au raid et la course d’orientation. Ce sont ces chaus­sures qui équipent en général les forces spéciales.

L’armée dite con­ven­tion­nelle (de masse), elle, se doit de faire de l’exercice en rangers avec le mod­èle TTA. Je rap­pelle que nous sommes en 2014. Le sol­dat français a des chaus­sures de moins bonne qual­ité qu’en 1944…

Remerciements

A Khalid et Taoufik

Bibliographie et liens

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