CHRONIQUE DES CAVAIGNAC
Pierre Givaudon est décédé il y a quelques mois. Il venait d’achever un travail considérable sur la famille Cavaignac, à laquelle appartient son épouse, en classant et exploitant un imposant ensemble d’archives dont elle était dépositaire. Aussi, avant de nous quitter, a‑t-il pu tenir entre ses mains les trois tomes de la Chronique dont il est le conteur.
C’est aux éditions du Cherche-Lune que sont parus les trois tomes de la Chronique des Cavaignac.
L’ouvrage y a été préparé avec un grand soin : format carré plaisant, mise en pages réussie, illustrations bien choisies, annexes et références précises. Et avant tout, un contenu exceptionnel : la présentation de l’histoire d’une intéressante famille, réalisée essentiellement à partir de centaines de lettres espacées sur plus d’un siècle : 1789–1914.
Dans son avant-propos Pierre Givaudon explique avec trop de modestie qu’il s’est contenté de transcrire avec fidélité tout ce matériau, le reclasser, en expliciter certains contenus, en vérifier les dates et les circonstances.
Il fit bien plus, utilisant chacune de ces lettres comme la pierre d’un véritable monument. Aussi cette Chronique met-elle en scène, jour après jour, des individus qui figurent dans les livres d’histoire, avec leurs parcours, leurs ambitions, leurs professions de foi politiques comme leurs manoeuvres parfois subalternes, leurs étonnements devant les événements ou les pays et leurs décisions parfois contestables. Mais l’auteur se garde bien de juger les abus de la Révolution ou de la Restauration, les causes ou les conséquences de la conquête de l’Algérie, les ratés de la Seconde République, commencée dans l’utopie, les raisons du coup d’État de Napoléon III, le drame de l’armée confrontée à l’affaire Dreyfus ; il se contente de nous donner les clés pour comprendre comment réagirent ses personnages.
Nous faisons donc successivement connaissance avec Jean-Baptiste, conventionnel régicide à la carrière erratique ; son épouse Juliette, femme forte et cultivée, qui se révèle peu à peu comme la figure centrale de cette histoire si romantique qu’elle se lit comme un roman historique ; leur fils Godefroy, carbonaro enflammé ; leur autre fils Eugène, officier polytechnicien qui se distingua par ses faits d’armes en Algérie avant d’arriver au pouvoir en 1848 et de se trouver face à une situation explosive qui le conduisit à prendre ses responsabilités avec détermination et brutalité ; enfin le fils d’Eugène, Godefroy, polytechnicien comme son père, également tenté par la politique, bientôt ministre, et alors confronté à une affaire Dreyfus qu’il contribua à éclaircir sans en tirer les conséquences qui s’imposaient.
Les trois tomes de l’ouvrage mêlent avec une vérité alerte événements historiques, péripéties familiales, mariages d’amour, disputes patrimoniales ; ils nous présentent des personnages célèbres à redécouvrir, et des seconds rôles plaisants ; ils éclaireront également avec une précision parfois amusante des pages de l’histoire de l’École polytechnique, ses concours, son enseignement, le type de carrières qu’elle procurait au XIXe siècle.