Chat et Souris

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°634 Avril 2008Par : Ray Cooney joué par Avec Francis Perrin et Jean-Luc MoreauRédacteur : Philippe Oblin (46)

Avec Fran­cis Per­rin et Jean-Luc Moreau
au Théâtre de la Michodière,
5, rue de la Michodière, 75002 Paris.
Tél. : 01.47.42.95.22.

Avec Fran­cis Per­rin et Jean-Luc Moreau
au Théâtre de la Michodière,
5, rue de la Michodière, 75002 Paris.
Tél. : 01.47.42.95.22.

La bigamie a cessé depuis longtemps d’être un cas pend­able. Comme nous ne sommes toute­fois pas encore soumis à l’application de la Charia, sa révéla­tion reste sous nos lat­i­tudes source de com­pli­ca­tions et d’embarras pour ceux qui ten­tent de la pra­ti­quer en cachette. Ray Cooney, le Fey­deau anglais con­tem­po­rain, tira de ces embar­ras un vaude­ville désopi­lant, Run for your Wife ! devenu en français Sta­tion­nement alterné, où un chauf­feur de taxi parisien pos­sède deux foy­ers aus­si légitimes l’un que l’autre, le pre­mier à Mon­treuil, le sec­ond à Ivry. Un inci­dent inat­ten­du le met dans le cas de voir sa bigamie éclater au grand jour, mal­gré ses efforts pour garder la chose secrète.

L’auteur conçut une suite à cette affaire sous le tire de Caught in the Net. Elle vient d’être adap­tée en français, et cela donne Chat et Souris, inter­prétée à la Michodière, avec d’autres comé­di­ens et comé­di­ennes moins con­nus mais tout aus­si excel­lents, par Fran­cis Per­rin et Jean-Luc More­au, dans une mise en scène de ce dernier. On y retrou­ve, vieil­li, notre chauf­feur bigame Jean Mar­tin (joué par J.-L. More­au), cette fois père de deux ado­les­cents, un fils Guil­laume dans un des ménages, une fille Alix dans l’autre. Garçon et fille se sont con­nus sur le Net et n’ont qu’une idée en tête, celle de se ren­con­tr­er et, au besoin, d’aller même au-delà de la sim­ple ren­con­tre. L’apprenant, le père n’a plus, pour sa part, qu’un impérieux souci, celui d’empêcher pareille con­jonc­tion. Il compte pour l’y aider sur le brave Gilbert Jar­dinier (joué par F. Per­rin), dont les ini­tia­tives, tou­jours intem­pes­tives, ne font qu’aggraver la sit­u­a­tion, pour notre plus grande joie.

Le pre­mier acte est un éblouisse­ment de chaque sec­onde, tant la mise en scène mou­ve­men­tée colle à la con­struc­tion dra­ma­tique et à la vivac­ité des répliques. Un léger bémol au sec­ond acte : M. J.-L. More­au a intro­duit un peu beau­coup de roulés-boulés pour mon goût, sans doute pour pal­li­er une moin­dre den­sité dans le sur­gisse­ment de l’inattendu, une ten­dance à la répéti­tion des sit­u­a­tions, que l’apparition d’un per­son­nage nou­veau, le père de Gilbert, ne parvient pas à com­penser. L’introduction du « per­son­nage en plus » qu’était, dans Sta­tion­nement alterné, Claude Mareuil le gen­til homo créa­teur de mode et cram­pon sans égal, m’avait paru autrement réussie. Peut-être cela tenait-il au jeu des comé­di­ens respec­tifs ? Ras­surez-vous pour­tant : ce sec­ond acte reste très drôle mal­gré ces petites réserves, et le pub­lic rit d’aussi bon cœur qu’au premier.

La machine à pro­duire du rire y est mer­veilleuse­ment au point, à coup sûr au prix de réglages minu­tieux. Savez-vous, par exem­ple com­ment Ray Cooney s’y prend pour usin­er ses textes ? Il écrit la pièce, l’interprète avec quelques amis devant un petit groupe de pro­fes­sion­nels. Fort de cette pre­mière expéri­ence, il la réécrit, la fait jouer dans deux ou trois théâtres de province, assiste aux représen­ta­tions, observe les réac­tions du pub­lic. Ensuite de quoi, il en écrit une troisième ver­sion, celle qu’il mon­tera à Lon­dres. Ne vous éton­nez donc pas que la mécanique soit si bien huilée.

Reste cepen­dant, pour nous Français, l’adaptation. Dans le cas de Chat et Souris, comme d’ailleurs celui de Sta­tion­nement alterné, elle est de Stew­art Vaugh­an, un Anglais fran­coph­o­ne, et Jean-Christophe Barc, un Français anglo­phone. Leur tra­vail n’est point aisé. L’auteur raf­fole des jeux de mots. Dans les édi­tions de pio­ns, genre Pléi­ade ou autres, c’est bien sim­ple : une note en bas de page, assor­tie au besoin de pesants com­men­taires his­toriques, informe le lecteur que le jeu de mots est intraduis­i­ble en français. Pour le théâtre, cela ne marche mal­heureuse­ment pas. Qui plus est : la dif­fi­culté se corse lorsque, cir­con­stance qui se ren­con­tre chez Ray Cooney, led­it jeu de mots par­ticipe, peu ou prou, à la pro­gres­sion de l’action. Un vrai casse-tête.

Soyons donc recon­nais­sant aux deux tra­duc­teurs-adap­ta­teurs d’avoir aus­si bien maîtrisé la sit­u­a­tion, dans la pre­mière pièce comme dans la sec­onde. Et courez à la Michodière si vous éprou­vez le besoin de vous remon­ter le moral. Même si d’aventure il est au beau fixe, vous ne per­drez pour­tant pas votre temps, croyez-moi.

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